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Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences \037Notices biographiques \037Paris/Leipzig \0371854 \037Arago, François \037Tome 1 volume 1 \037

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~0 7 \037i~l ~?~ \037(WJVRK8 COMPKfcTKS \037M \037FRANÇOIS ARAGO \037TOMR PREMIKK \037

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Li propriété littéraire des dlven omrragr» de Fiakçii Attoo, étant «onmlir i des dflili lépam, difëretiU itIob qu’Ui unt nn non de» onviva pojthiime», lu Miimr» ont |iubli< rhaqu* ouvrage ttptTémruU Ce UU* rnllrctif ii’i>i ’Imii.i1 ici i|ii« pour Indiquer au ralUuf It nsllltnr (Ivuiaenl i idnptf r. Par U méou nbon, II rfxtrrf du droit d* Iriducllon n’nl par nif iilinnii/f Ui, mal» rllr ml faite ait mv) du fin>>tilrr dr tba<|ue tolunir ri«i>. – iinnrai Or i, cittr if ̃•. Air •n>t-«r«o|i, 7 \037

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ŒUVRES COMPLÈTES \037nu IS \037FRANÇOIS ARAGO »r.r»tT»i»« rrtrtruri \037MB L’ACADEMIE UB» HCIENCBH \037nanti* \037ll’APHEH HON OHPSB ftOVS LA DIRECTION \037n ~I \037M. J.-A. BAH H AL \037Ai.rl. Kii*^ Hi- l’Ér..[^ l’olyUr hnl^u* »nrl-.i k>|^l|t \037̃lin« rpt fttabllwcDint \037roue fhkmikk R \037PAHIS LKII’ZKi \037li\m kt J, BAUDBV, ÉDITEURS T. 0. WEIORL, ÊDITRUH •S Hue B»lii|>trtc KHpiKH-HIrawe \037I .̃ .lr.|l ilr lriilii.il .11 ni iVwrril m lltn> *• rl.«.|i vr<«f •^mni. \037IH.’)< \037

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NOTICES BIOGRAPHIQUES TOME PREMIER \037

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rt«i<. urnurnct r" i um ir W, i"r i»i>l-»>«"li, 7 \037b>» (Iimii NI» <|f KiaNfiiM Al»o<>, Brilla héritirr» de le» droit», aiu»i ipie Im éditrnm-propriétain1» de w» «uvre», «• réwnrriil tf droit de faire tradiilir kt Ni>titiii BiKinnuuiX» dîna tonte* Im langui-a. Ils |miir«iiTnint nu vertu di » lui» iJr» décrrtt et drt traité» lute rnationani toute cootrefâron on truite Irjilmtiiin, mfme partielle, faite ̃• mlpria de l«-un dniiu. \037U dépbt U»i»l de M »olm»« » <M hit » Ptrh, an Mlnbttr» d» l’Utcrirur. ) U «a d» mani t«%4, et (imnltanément I la Direction royale du Or<’li> di M|»ifi. \j* éditrnn ont rempli dani \

aiitntt ()«)• IdmIi* l<>» furmilil» 

|>rr«’ril<-« par !<•» l«l« natinnale* de ehxjni’ Élit, ou |iar l<>< traitât Inliriulioiiaiii. \037L’imiiinr tradiirtimi rn lanyiir allrmandr «iiIimImV par Im ilriii Itl» «le f"aitMyii>i Aatoo ri l>’k éditi’iiin, a été publiée tlmullaiiéiiMnt 1 lr\\<if, par lhi, liliiaiii’-i’’<lili’iir, rt le dépôt légal ru a été frit partout 011 lis ||. IVtigrllI, \037

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ŒUVRES \037PK Y. \037FRANÇOIS ARAGO •tritT»itt riirtrciL \037HE L’ACADÉMIE DE» SCIENCE* \037NOTICES BIOGRAPHIQUES \037TOME PHKMIRR \037PARIS LKIPZKJ \037(illiR kt J. BAUORY, EDITEURS T. 0. WEIGRI-, EDITEUR ̃> Rai- Bonapirlr Knnlgi-Slrisw \037!.<*• iiropri/tv’.ri’» Mf r^M’rwnt le ilrntt t|p ftiir Irxlutn* (f vi»lutu<*a \037I K 5 f \037

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f.– u a \037Je remplis, avec trop de confiance peut-tore et sans consulter la mesure de mes forces, uu douloureux devoir. Invité par la bienveillance d’une famille qui m’est chère à placer quelques pages en l<He de la Collection des Œuvres de l’homme illustre dont l’amitié, pendant près d’un demi-siècle, a contribué au bonheur de ma vie, je devrais m’excuser sans doute de céder à une pareille demande; mais il n’y a point ici de place pour les préoccupations littéraires ou les réserves de la modestie il s’agit de déposer sur une tombe récemment fermée l’hommage de mon admiration et de ma vive reconnaissauce. \037Les rapports intimes que j’ai entretenus fondant une si longue suite d’années avec M. Arago, mon confrère à l’Académie des Sciences de l’Institut de France, la douce et constante habi- \037INTRODUCTION \037

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M INTRODUCTION. \037tude qu’il avait de m’cnlrctcnir de ses travaux et de ses projets scicntitiqucs, m’ont procuré l’avantage d’observer de près, je ne dirai pas le développement’ des faculté*» de ce puissant esprit, mais leur application progressive aux grandes découvertes qui lui sont ducs. J’essaicrai donc, sans écrire un Éloge ou une Notice biographique (le mettre à profit la connaissance que je possède do tous les inalériaux réunis dans lu Collection des Œuvres de M. Arago, Je rappellerai quelle vaste étendue ont embrassée les travaux d’un seul homme dans les différentes branches des connaissances humaines; comment, au milieu de celte variété d’objets, il tendait toujours vers un même but à savoir, de généraliser les aperçus, d’enchatner les phénomènes qui avaient paru longtemps isolés, d’élever la pensée vers les régions les moins accessibles de la philosophie naturelle. ï/actien des forces, manifestée dans la lumière, la chaleur, le magnétisme et l’électricité, aussi bien que dans le jeu des combinaisons et des décompositions chimiques, appartient à la série des mystérieux effets sur lesquels les brillantes découvertes du xix* siècle ont jeté une clarté inattendue. Dans le champ de ces glo- \037

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INTRODUCTION. ur \037rieuses conquêtes, M. Arago eest placé parmi les grands physiciens de notre époque. A b fois ardent à découvrir et circonspect dan» les conclusions qui pouvaient dépasser la portée des résultats partiels, il aimait surtout À indiquer les voies nouvelles par lesquelles on pouvait de plus en plus approcher du but, et reconnaître l’identité des causes dans des phénomènes en apparence si divers. Si de la méthode suivie par M. Arago on s’élève aux facultés puissantes qu’il mettait en jeu, on ne peut mesurer sansétonnement l’étendue qu’elles embrassaient. En même temps qu’il reculait pour les savants les bornes de la science, il avait un art merveilleux de répandre les connaissances acquises. Ainsi aucun genre d’influence ne lui échappait, et l’autorité de son nom égalait sa popularité. Il y avait cinq ans que j’étais revenu du Mexique, et que j’avais l’inappréciable avantage d’être le collaborateur de M. Gay-Lussac, avec lequel j’avais voyagé en Italie, en Suisse et en Allemagne, lorsque j’appris à connattre M. Arago, au moment où il arrivait d’Alger, en juillet 1809. II avait déjà parcouru les côtes d’Afrique au mois d’août 1808, après être resté longtemps prisonnier dans une citadelle d’Fs- \037

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iv INTRODUCTION. \037pagne, à la suite des importants travaux de triangulation qu’il avait effectués pour joindre les tles Baléares au continent et obtenir la longueur d’un arc de parallèle terrestre. Ce n’était pas seulement le choix honorable qu’avait foit de lui, sur les instances de Laplace, le Bureau des Longitudes, en le chargeant, en 1800, d’aller en Espagne terminer, conjointement avec M. Biot, la mesure de la méridienne de France; c’était surtout le témoignage du plus illustre des géomètres, Lagrange, avec lequel j’avais l’honneur d’entretenir des rapports intimes, qui fixait mon attention sur M. Arago. L’auteur de la Jfécanique analytique, avec la sagacité qui inarquait tous ses jugements, avait reconnu les heureuses et précoces dispositions du jeune savant. Dès l’abord, il avait été frappé en lui de cette pénétration qui, dans des problèmes complexes, fait saisir rapidement et avec netteté le point décisif. « Ce jeune homme, me disait-il souvent, ira loin, » Cette divination de Lagrange, qui était en général si sobre de louanges, est restée présente à mon esprit comme un titre de gloire bien digne d’être enregistré. \037lorsque l’arrivée de M, Arago sur les côtes de France fut connue à Arcueil, embelli alors par le \037

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INTRODUCTION. v \037séjour et l’amitié de Berthollet et de laplace, j’adressai mes félicitations au voyageur, avant qu’il eût quitté le lazaret de Marseille. Ce fut la première lettre qu’il reçut en Europe, après avoir été exposé à tant do dangers et de souffrances pour sauver les fruits de ses observations. Je cite un fait bien peu important, parce que M. Arago, sensible au charme que l’amitié répand sur la vie, en avait conservé un vif et long souvenir. Il faisait remonter à cette époque le commencement de nos liaisons. \037A l’âge de v ingt-trois ans, en septembre 1809, M. Arago fut élu membre de l’Académie des Sciences, par 47 suffrages sur 52 votants. Il succédait A Lalande, dont le rare mérite, trop légèrement attaqué pendant sa longue carrière, a été universellement reconnu après sa mort. Ce ne furent pas seulement de pénibles travaux astronomiques et géodésiques que l’Institut voulut récompenser par l’élection de M. Arago; l’attention des savants avait été attirée aussi par d’importantes recherches d’optique et de physique. M. Arago, de concert avec M. Biot, avait déterminé le rapport du poids de l’air à celui du mercure, et avait mesuré la déviation que les différents gaz font subir à un rayon de \037

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vi INTRODUCTION. \037lumière. Le prisme et le cercle répétiteur ont pu dès lors fournir quelques données sur le rapport des parties constituantes de l’atmosphère et même faire connaître le peu de variabilité qu’offre ce rapport. Tel est l’admirable enchaînement des phénomènes naturels que depuis bien longtemps, par la seule mesure d’uu angle de réfraction, le géomètre aurait pu prouver au chimiste que l’air atmosphérique contient moins de vingt-sept ou vingt-huit centièmes d’oxygène. \037La vitesse de la lumière avait été, pour AI. Arago, l’objet d’un autre travail d’astronomie physique, non moins ingénieux que le premier. Au moyeu de l’application d’un prisme à l’objectif d’une lunette, il avait prouvé nonseulement que les mimes tables de réfraction peuvent servir pour la lumière qui émane du soleil et pour celle qui nous vient des étoile»; mais en outre, ce qui jetait déjà bien dis doutes sur la théorie de l’émission, que les rayons des étoiles vers lesquelles marche la terre, et les rayons des étoiles dont la terre s’éloigne, se réfractent exactement de la même quantité. Pour concilier ce résultat, obtenu à la suite d’observations très-délicates, avec l’hypothèse \037

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INTRODUCTION. vu \037newtonienne, il aurait fallu admettre que les corps lumineux t’incitent des rayons de toutes les vitesses, et que tes seuls rayons d’une vitesse déterminée sont visibles, qu’eux seuls produisent dans l’oeil la sensation de la lumière. En considérant le genre de recherches auxquelles M. Arago s’était livrd avant d’entrer A l’Institut et même avant de quitter la France, p on remarque d’abord une extrême prédilection pour tout ce qui a rapport a la rétraction, c’està-dire à la route des rayons lumineux et aux causes qui altèrent leur vitesse. Cette prédilection eut pour origine, comme M. Arago me l’a souvent affirme, la lecture assidue des ouvrages d’optique de Bouguer, de Lambert et de Thomas Smith, qui de très-bonne heure étaient tombés entre ses mains. Pourrais-je ne pas faire remarquer combien, pendant trois années employées à des opérations géodésiques, l’aspect de la nature féconde dans les plaines, sauvage et souvent grandiose sur le sommet des montagnes; combien la couleur des eaux agitées de l’Océau la hauteur variable des nuages, le mirage sur les plages arides et dans les couches atmosphériques où les signaux de nuit se multipliaient et se balançaient verticalement; combien enfin la \037

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vin INTRODUCTION. \037vie à l’air libre, bienfaisante sous tant de rapports, ont dû agrandir la pensée, émouvoir l’imagination, exciter la curiosité de M. Arago au milieu des continuelles perturbations qui se produisent dans la succession pourtant régulière deg phénomènes Un voyageur dont la vie est consacrée aux sciences, s’il est né sensible aux grandes scènes de la nature, rapporte d’une course lointaine et aventureuse non-seulement un trésor de souvenirs, mais un bien plus précieux encore, une disposition de l’âme a élargir l’horizon, à contempler dans leurs liaisons mutuelles un grand nombre d’objets à la fois. M. Arago avait une préférence marquée pour les phénomènes d’optique météorologique; il aimait surtout à rechercher les lois qui règlent les variations perpétuelles de la couleur de la mer, l’intensité de la lumière réfléchie sur la surface des nuages, et le jeu des réfractions aériennes. \037S’il m’était permis ici d’entrer dans quelques détails, je rappellerais combien le jeune astronome avait été frappé de la facilité avec laquelle sa vue, lorsqu’il se trouvait assis sur une montagne taillée à pic du côté du rivage, pénétrait jusqu’au fond de la mer hérissé d’écueils. Cette \037

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INTRODUCTION. n \037simple observation le conduisit dans la suite à des discussions remplies d’intérêt sur le rapport de la lumière réfléchie par la surface de l’eau, sous des angles aigus, avec celle qui vient du fond de l’eau elle le conduisit également à l’idée ingénieuse de proposer, pour découvrir les récifs, l’emploi d’une lame de tourmaline, taillée parallèlement à l’axe de double réfraction et placée devant la pupille, dans une position oh elle élimine les rayons réfléchis par la surface de l’eau sous un angle de 37°, et par conséquent complètement polarisés. C’était, ainsi qu’il le disait dans les instructions rédigées pour le voyage au. tour du monde de la corvette la Bonite, « tenter d’introduire la polarisation dans l’art nautique. n \a nombre et la variété des travaux de M, Arago, qui ont eu également pour objet la physique du ciel et de la terre, rendront trèsdiflicile un jour la tâche de raconter sa vie. Dans tous ces travaux, on retrouve la même pénétration, la même ardeur à faire avancer la science, mais aussi la même réserve et la même tempérance dans les conjectures. On a dit ailleurs, et avec beaucoup de justesse, que M, Arago « avait puisé dans l’étude approfondie qu’il avait faite des mathématiques, cette méthode rigou- \037

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x INTRODUCTION. \037reusc, cette sûreté de vues qu’il apportait dans ses propres recherches expérimentales et dans l’appréciation de celles de ses contemporains. » Généralement le public se croit cu droit de se méfier un peu de la solidité des travaux trèsvariés le mot fastueux de connaissances universelles est surtout très-dangereux il est toujours mal appliqué. Bacon, Newton, I^eibnitz, M. Cuvicr, ont eu des connaissances très-variées; ils n’ont pas eu de connaissances universelles. Par l’étendue et la variété de ses connaissances, M. Arago se place à coté des esprits les plus éminents dont la science s’honore. Pour mettre dans son véritable jour le mérite des hommes supérieurs qui ont laissé une trace lumineuse de leur passage, il faut s’arrêter d’abord à ce qu’ils ont produit de plus saillant. Les grandes découvertes de M. Arago appartiennent aux années 1811, 1820 et 1824. Elles ont rapport à l’optique, aux phénomènes de la physique céleste, à l’électricité en mouve* ment, au développement du magnétisme par la rotation. Ce sont, pour les spécifier encore davantage 1° la découverte de la polarisation colorée ou chromatique 2° l’observation précise du déplacement des franges causées par la rcu- \037

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1 INT1ODUCTION. u \037contre de deux rayons lumineux, dont l’un traverse une lame mince transparente, comme par exemple du verr,e: phénomène qui indique une diminution de vitesse, un retard dans la route, et est en opposition directe avec la théorie de l’émission; 3° la première observation de la propriété d’attirer la limaille de fer que possède le lit conducteur de l’électricité dans les expériences d’Œrslcd, autrement dit, le rhéophore de la pile; l’heureuse idée de faire tourner le courant eu hélice autour d’une aiguille, et de l’aimanter aussi bien par le passage de la décharge de la bouteille de Leydo que par celui du courant électrique d’une pile de Voila 1° le magnétisme de rotation, \037Ia découverte de la polarisation chromatique a conduit M. Arago à l’invention du polariscope, d’un photomètre, du cyauomèlrc, et de plusieurs appareils usuels pour étudier divers phénomènes d’optique. C’est par des expériences de polarisation chromatique que M. Arago a constaté physiquement, avant l’année 1820, que la lumière solaire n’émane pas d’une masse solide ou liquide incandescente, mais d’une enveloppe gazeuse. Le moyeu étant trouvé de distinguer la lumière directe de la lumière relié-* \037

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mi INTRODUCTION. \037chic, on a pu s’assurer que la queue des comètes offre dans la lumière qui en émane une portion polarisée, et qu’elle doit nécessairement briller, au moins en partie, d’un éclat d’emprunt. l>a polarisation chromatique a fourni aussi à .M. Arago le moyen de reconnaître que la lumière diffuse de l’atmosphère est en partie polarisée par réflexion et qu’en examinant progressivement les couches de l’atmosphère à différentes hauteurs et en différents azimuts, on découvre un point neutre de polarisation, situé dans le vertical du soleil à environ 30° au-dessus du point opposé à cet astre. Ce point appelé neutre, parce que la polarisation y est insensible, diffère des deux autres points neutres de Babinet et de Brevvster, qui n’ont été découverts que plus tard. JI me reste à parler, dans cette belle série do travaux optiques, de deux objets sur lesquels M. Arago et son constant ami Fresnel, maître et législateur en plusieurs parties de l’Optique, ont jeté une vive clarté, et dont on ne saurait nier l’importance, puisqu’ils touchent aux grands phénomènes de Y interférence et de la diffraction de la lumière. Le premier de ces ̃ objets est la scintillation des étoiles, phénomène I que l’illustre Thomas Young, auquel on doit les I \037

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INTRODUCTION. xiii \037lois fondamentales des interférences lumineuses, avait cru inexplicable. La scintillation. est toujours accompagnée d’un changement de couleur et d’intensité. Les rayons des étoiles, après avoir traversé une atmosphère oh il existe des couches différant entre elles de température, de densité, d’humidité et par conséquent de réfringence, se réunissent pour former une image, vibrent d’accord ou en désaccord, s’ajoutent ou se détruisent par interférence. Je rappelle avec orgueil que des extraits de cette belle théorie de la scintillation ont été pu*bliés pour la première fois, en 1814, dans le quatrième livre de mon Voyage aux, régions équinoxiales du nouveau continent. Ixî Mémoire même, plein de curieuses recherches historiques, est un des principaux ornements de la collection des Œuvres de mon illustre ami. D’autres extraits, relatifs au même sujet, mais tirés de manuscrits plus récents et datant de Tannée 1847, ont été insérés dans la partie astronomique du Cosmos. \037M interférence, sur laquelle Grimaldi (de lk>logne) avait eu déjà, vers la seconde moitié du xvne siècle, de vagues aperçus, a donné lieu à l’énonciation d’une vérité fondamentale et déjà \037

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xiv INTRODOCTION. \037souvent proclamée, à savoir « que, sous certaines conditions, de la lumière ajoutée à de la lumière, produit les ténèbres. » Dans ce peu de mots est inscrite sans doute la victoire du système des vibrations sur celui de l’émission; mais cette victoire n’a pu être regardée comme assurée et complète que lorsqu’elle a été appuyée sur des expériences simples et irrécusables. M. Arago avait déjà, conune je l’ai indiqué plus .haut, découvert, en 1818, le remarquable effet que produit dans les phénomènes de l’inter- férence une lame très-mince, placée sur la route de l’un des deux rayons interfèrent*» II y a alors déplacement dei franges et rotard dans la lumière, qui se meut plus lentement à travers une substance plus dense. « La propriété de deux rayons de s’entre-détruire par interférence une fois constatée, dit M. Arago en faisant allusion à d’autres expériences faites conjointement avec Fresnel, n’est-il pas bien plus extraordinaire encore qu’on puisse les priver à volonté de cette propriété, que tel rayon la. perde momentanément, et que tel autre, au contraire, en soit dépouillé à jamais? » \037Lorsque M. Wheatstone fut parvenu, dans ses belles recherches sur la vitesse de la lumière \037

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INTRODUCTION. xv \037électrique (1835), à se servir avec un grand succes de son ingénieux appareil rotatif, M. Arago entrevit aussitôt la possibilitd de mesurer, par (les déviations angulaires, en appliquant le même principe de rotation, la différence de vitesse de la lumière dans un liquide et dans l’air. Il rendit compte à l’Institut, vers la fin de 1838, de l’expérience qu’il se proposait de faire. Aidé par un artiste expérimenté et habile, M. Brcguet fils, il parvint, après bien des changements d’appareils, à réaliser son projet. Dans le cours de ces essais, M. Breguet était parvenu à faire tourner un axe, en le déchargeant du poids du miroir qu’il supportait, huit mille fois par secondcTout était prêt en 1850, et l’appareil perfectionné pouvait être mis en fonction; mais la funeste et profonde altération qu’avait éprouvée presque subitement la vue de M. Arago, ne lui donnait plus l’espoir de pouvoir prendre part aux observations. Il dit, avec une noble simplicité, dans une Note présentée à l’Institut le 29 avril 1850 « Mes prétentions doivent se ]>orner à avoir posé le problème et avoir indiqué (en les publiant) des moyens certains de le résoudre. Je ne puis, dans l’état actuel de ma vue, qu’accompagner de mes voeux les expé- \037

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1 \037xvi INTRODUCTION. \037• ̃ • 1.» • 1 \037rimentatcurs qui veulent suivre mes idées, et ajouter une nouvelle preuve en faveur du système des ondes, aux preuves que j’ai déduites d’un phénomène d’interférence, tropbien connu des physiciens pour que j’aie besoin de le rappeler ici. u M. Arago a pu voir ses vœux exauces. Deux expérimentateurs, également distingués par leur talent et par la délicatesse de leurs procédés d’observation, M. Foucault, à qui l’on doit la démonstration physique de la rotation de la terre au moyen du pendule, et M. Fizeau, qui a déterminé par une méthode ingénieuse la vitesse de la lumière dans l’atmosphère, sont parvenus, en apportant quelques perfectionnements aux moyens proposés par M. Arago, à résoudre la question dans le sens qui renverse le système de l’émission. MM. Foucault et Fizeau ont présenté les résultats de leurs travaux à l’Académie des Sciences, le premier en mai 1850, le second en septembre 1851. \037Si j’ai développé longuement les recherches principales de M. Arago sur la lumière, c’est que ce sont les travaux auxquels il s’est voué avec le plus de suite, durant un espace de plus de quarante années. Ses découvertes en électricité et en magnétisme, si importantes qu’elles soient \037

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INTRODUCTION.. xvii \037U-u b \037par elles-mêmes, ne l’ont occupé, pour ainsi dire, que passagèrement. L’attraction exercée par lu fil rhéophore, qui joint les deux pôle» de la pile de Volta, sur la limaille de fer, et l’aimantation au moyen d’un fil de métal roulé en hélice, soit d’une manière continue, soit avec des interruptions et en sens divers, avaient été observées par M. Arago avant les magnifiques travaux d’Ampère, et ces observations avaient déjà donné une vive impulsion aux recherches électro-magnétiques. \037Le magnétisme par rotation fut découvert par M. Arago sur la pente de la belle colline de Grccnwich, pendant le séjour que nous fîmes en Angleterre pour comparer, conjointement avec M. Biot, la longueur du pendule. Les résultats de nos observations ne furent pas aussi satisfaisants que nous l’eussions désiré; mais M. Arago, en déterminant avec moi l’intensité magnétique, au moyen du nombre des oscil.lations d’une aiguille d’inclinaison, fit lui seul cette importante remarque qu’une aiguille magnétique, mise en mouvement, atteint plus tôt le repos, quand elle est placée dans la proximité de substances métalliques ou non métalliques que lorsqu’elle en est éloignée. Ce premier i. \037

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xviii INTRODUCTION. \037aperçu, fécondé par d’ingénieuses combinaisons, le conduisit, en 1825, à expliquer les phénomènes produits par la rotation des disques agissant sur des aiguilles en repos; ainsi que l’influence qu’exercent sur les aiguilles l’eau, la glace et le verre. Pendant six ans, l’excitation du magnétisme par le mouvement fut l’objet d’ardentes discussions entre Nobili, Antinori, Seebeck, Barlow, sir John Herschd, Babbage et Baumgartner, jusqu’à l’année 1831 où la brillante découverte de Faraday rattacha tous les phénomènes du magnétisme par rotation aux principes féconds des courants d’induction. Telle est la marche des sciences, à ces époques malheureusement trop courtes où elles avancent d’un pas rapide, où les idées tendent à se généraliser, où les esprits s’élèvent par degrés à des conceptions d’un ordre supérieur. \037Pour tracer cette esquisse des travaux les plus importants de M. Arago, et de l’influence qu’ils ont exercée, j’ai dû compléter mes propres souvenirs par ceux de deux hommes dévoués à sa mémoire le célèbre professeur de Genève, M. Auguste de La Rive, et le savant chargé par M. Arago lui-même de diriger la publication de ses Œuvres, M. Barrai, chimiste et physicien \037

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INTRODUCTION. *n \0370 \037d’un rare mérite, répétiteur à cette École polytechnique dont il m’est resté un reconnaissant souvenir, pour y avoir travaillé longtemps sous la direction de M. Gay-Lussac. Ce tableau général achevé, il me reste à entrer dans quelques détails sur la distribution des matières qui composeront les Œuvres de François Arago. Mais avant tout, Je dois prévenir qu’il sera difficile de suivre toujours un ordre bien déterminé, tant sont étroits les rapports qui unissent les différentes sciences et que des découvertes nouvelles mul- tiplient de jour en jour, tant sont incertaines les limites qui les séparent! Éloigné de la France, qui a été longtemps pour moi comme une seconde patrie, et n’ayant pas les manuscrits do M. Arago sous les yeux, je ne puis présenter que de vagues aperçus. Je divise en six groupes l’en." semble des travaux de mon illustre ami. I, IMBTIB LITTERAIRE KT BIOGRAPHIQUE, \037Je crois être l’interprète de la voix publique, au milieu de toutes les dissidences des opinions, en vantant, dans les Eloges acadérnùjues de M. Arago, le soin critique qu’il apporte à la recherche des faits, l’impartialité des j ugements, la lucidité des expositions scientifiques, une cha- \037

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xs INTRODUCTION. \037• • I • » il l tfll \037leur qui grandit à mesure que le sujet s’élève. Ces mêmes qualités distinguent les divers discours qu’il a prononcés dans les assemblées politiques où il occupait un rang si éminent par la noblesse et la pureté de ses convictions, et les rapports qu’il a rédigés afin de faire rendre aux sciences, dans les personnes de quelques inventeurs célèbres, un hommage éclatant. Pour faire apprécier avec justesse le mérito des hommes dont il veut retracer la vie et caractériser les travaux, M. Arago débute généralement par un tableau de l’état des connaissances à l’époque ou ils ont commencé à se produire. M. Arago apportait au travail autant de patience que d’ardeur; aussi ses éloges sont-ils d’une haute importance pour l’histoire des sciences, et en particulier pour l’histoire des grandes découvertes. Des convictions profondes, acquises par de longues et pénibles recherches, ont quelquefois rendu ses jugements sévères et l’ont exposé lui-même à d’injustes critiques. La découverte de la décomposition de l’eau, par exemple, et l’invention de la machine à vapeur à haute pression, qui a si puissamment secondé la domination de l’homme sur la nature, sont de ces faits pour lesquels, comme pour plusieurs \037

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INTRODUCTION. »*l \037autres encore, le sentiment national n’est point l’unique cause de la divergence d’opinion qui existe entre les savants. \037Défenseur zélé des intérêts de la raison, M. Arago nous fait souvent sentir dans ses Éloges combien l’élévation du caractère ajoute de no- blesse et de gravite* aux «uvres de l’esprit. Dans l’exposition des principes de la science, sur laifiiellc il sait répandre une admirable et persuasive clarté, le style de l’orateur est d’autant plus expressif, qu’il offre plus de simplicité et de précision. Il atteint alors à ce que Buffon a nommé la’vérité du style, \03711, PARTIE RELATIVE A I.’ASTRONOMIB ET A h\ PUYSIQUE CELESTE. \037Travaux de la méridienne de France dans sa partie la plus méridionale, accomplis conjointement avec M. Biot. Figure de la terre. llccherchcs sur la détermination précise des diamètres des planètes. Nouveau micromètre oculaire et nouvelle lunette prismatique différente de celle de Rochon. Solstices d’été et d’hiver*, équinoxes de printemps et d’automne; déclinaisons d’étoiles australes et circumpolaires j position absolue de la polaire en 1813} \037

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nu INTRODUCTION. \037latitude de Paris; parallaxe do la 61* du cygne (recherches faites avec M. Mathieu). Observations géodésiques faites sur les côtes de France et d’Angleterre, avec M. Mathieu et des savants anglais, pour déterminer la différence de longitude entre Greenwich et Paris. – Recherches sur la déclinaison de quelques étoiles de première et de seconde grandeur, faite! avec MAI. Mathieu et Ilumboldt. – Nouvelles recherches photométriques sur l’intensité comparative de la lumière des astres, et de la lumière qui émane du bord et du centre du disque solaire.- Intensité lumineuse dans les différentes parties de la lune, Variabilité de la lumière cendrée du disque lunaire. – Régions polaires de Mars, – Bandes de Jupiter et de Saturne. lumière des satellites de Jupiter comparée à celle de la planète centrale du petit système. Constitution physique du soleil et de ses diverses enveloppes. – Lumière qui émane des parties gazeuses du soleil. -–Phénomènes singuliers que présentent les éclipses totales de soleil. – Proéminences rougeâtres qui se montrent sur le contour de la lune pendant la durée d’une éclipse solaire totale. – Rayons de lumière polarisée dans la lumière qui émane des comètes. – Cause delà scintillation des étoiles.– \037

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INTRODUCTION. xun \037Tables de réfraction. – Irradiation. Effet des lunettes sur la visibilité des étoiles pendant le jour. – Considérations sur la lumière atmosphé- rique diffuse. -Vitesse de la lumière des étoiles ’vers lesquelles la terre marche, et des étoiles dont la terre s’éloigne. Vitesse de transmission des rayons de différentes couleurs. Moyen fourni par tes phases d’Algol pour mesurer la vitesse de transmission des rayons lumineux. V Astronomie populaire qui offre l’exposé des cours publics faits par M. Arago, de 1812 à 1845, dans le magnifique amphithéâtre de l’Observatoire, et suivis avec le plus vif intérêt par toutes les classes de la société, sera le principal ornement de cette seconde partie de ses Œuvres. La lecture du traité A’ Astronomie populaire réveillera des souvenirs bien doux et bien tristes a la fois chez ceux qui ont eu le bonheur d’assister aux leçons de M. Arago, d’admirer ce débit si simple, si persuasif, si attachant. \037III. rmiB optique. \037Diversité de la nature de la lumière qui émane des corps incandescents, solides ou gazeux. Moyen dedistinguer par le polariscope la lumière polarisée de la lumière naturelle. – Rapport \037

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xm INTRODUCTION. \037constant entre la proportion de lumière polarisée qui se trouve dans le faisceau transmis ou réfracté et celle qui existe dans le faisceau réfléchi. M. Arago a aussi trouvé, conjointement avec Fresnel que les rayons polarisé* n’exercent plus d’influence les uns sur les autres quand leurs plans de polarisation sont perpendiculaires entre eux, et que par conséquent ils ne peuvent plus alors produire de franges, quoique toutes les conditions nécessaires à l’apparition de ce phénomène, dans le cas ordinaire, soient scrupuleusement remplies. Traité de photométrie, fondé sur la théorie des ondes (travail expérimental et théorique, dont une grande partie se trouvait contenue en sept Mémoires, présentés à l’Académie des Sciences en 1850). – Réfraction des rayons lumineux dans différents gaz et sous différents angles. Mémoire sur la possibilité de déterminer les pouvoirs réfringents des corps d’après leur composition chimique. – Recherches sur les affinités des corps pour la lumière, faites conjointement avec M. Biot. – Polarisation chromatique fécondité de ses applications dans la physique céleste et terrestre. Polarisation circulaire (rotatoire), ou phénomènes de colora- \037

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INTRODUCTION, »iv \037tion, découverts dès 1811 par M. Arago, dans des plaques de quartz coupées perpendiculairement à Taxe du cristal ( le rayon blanc qui traverse offre les plus vives couleurs, lorsqu’on le regarde à travers un prisme biréfringent). – Anneaux colorés réfléchis et transmis. Application de la double réfraction à la photométrie. – Formation de tables photométriques offrant les quantités de lumière réfléchie et transmise par une lame de verre, pour les inclinaisons comprises entre 4° et 26°, et continuées jusqu’à l’incidence perpendiculaire par un procédé particulier. – Evaluation de la perte de lumière qui s’opère par la réflexion h la surface des métaux, et démonstration de ce fait important qu’il n’y a pas de perte de lumière dans l’acte de la réflexion totale. La loi de Malus, dite loi du Cosinus, sur le partage de la lumière polarisée, « qui n’était d’abord qu’un moyen empirique de représenter les apparences » a été démontrée expérimentalement par M. Arago, pour le cas où le faisceau polarisé traverse, soit un prisme doué de la double réfraction, soit une tourmaline taillée parallèlement à l’axe. (I-e polari mètre de M, Arago, employé dans ces genres d’expériences, était d’une telle sensibilité, qu’il accu- \037

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livi INTRODUCTION. \037sait sans équivoque, dons un faisceau, un quatre-vingtième de lumière polarisée. Pour toutes ces recherches relatives à la photométrie, les expériences et les calculs ont été faits par MM. f *ugier et Petit, sous la direction de M. Arago.)Démonstration de la possibilité de construire un baromètre, un thermomètre et un réfracteur interférentiels. – Vues sur la mesure des montagnes par le polariscope et sur celle de la hauteur des nuages à l’aided’un polarimètre gradué, IV. PARTIE tfLECTRO-MAGNÉTIQlK, \037Découverte de la propriété d’attirer la limaille de fer que possède le fil rhéophore, qui unit les pôles de la pile. Aimantation d’une aiguille au moyen du passage du courant électrique en hélice points conséquents qui en résultent. Magnétisme de rotation, par lequel il a été constaté d’une manière rigoureuse que tous les corps sont susceptibles d’acquérir du magnétisme, fait déjà deviné par William Gilbert, et rendu probable par les ingénieuses expériences de Coulomb. Observations des variations horaires de la déclinaison magnétique à Paris depuis 1818; changements séculaires du même phénomène. – Discussion sur le mouvement, \037

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INTRODUCTION. Hvu \037de l’est à l’ouest, des nœuds ou points d’intersection de l’équateur magnétique avec l’équateur géographique. – Perturbations qu’éprouve, par l’influence des aurores polaires, la marche des variations horaires de la déclinaison magnétique dans des endroits où l’aurore polaire n’est pas visible. Simultanéité des perturbations de déclinaison (orages magnétiques), prouvée par des observations correspondantes entre Paris et Kasan, entre Paris et Berlin, entre Paris, Berlin et les mines de Freiberg, en Saxe. Observation de la déviation qu’éprouve, par l’approche d’un aimant, le jet de lumière qui réunit les deux bouts du charbon conducteur, dans un courant électrique fermé} analogies qu’oflïe cette expérience avec les phénomènes de l’aurore boréale. Découverte faite en 1827 de la variation horaire de l’inclinaison et de l’intensité magnétiques. \037Y. l’ARTIK RELATIVE A LA MÉ’tÊ’OROLOGIE ET AUX PRIKCIPK8 G&MfoAUX DE l’UVSIQLE ATMOSl’JIKIUQl E. Détermination du poids spécifique de l’air, faite conjointement avec M. Biot. – Expériences faites avec M. Dulong, à l’effet de constater que la loi de Mariotte n’éprouve aucune varia- \037

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"111 INTIIODUCTION. \037-11,¡.. a- .1- \037tion essentielle jusqu’à la pression de vingt-sept atmosphères et bien au delà.– Expériences dangereuses, faites avec le môme physicien, sur les forces élastiques de la vapeur d’eau à de très-hautes températures. ’fable des forces élastiques de la vapeur d’eau et des températures correspondantes. Formation des halos et lumière polarisée que les halos reflètent.– Cyanomètre. – Recherches optiques sur les causes de la couleur des eaux de la mer et des rivières. Froid produit par l’évaporation. Recherches sur les quantités de pluic qui tombent à diverses hauteurs et en différents lieux. – Explication des effets nuisibles attribués à la lune rousse. –Un Mémoire 1res étendu sur le tonnerre, lu foudre et les éclairs de chaleur, augmenté de nombreuses additions que M. Arago, pendant sa dernière maladie, dictait à un secrétaire savant et dévoué, M. Goujon, jeune astronome de l’Observatoire de Paris, qui a écrit de la même manière, sous la dictée de son illustre maître, le traité iï Astronomie populaire, Expériences sur la vitesse du son, faites en 1822, conjointement avec MM. Gay-Lussac, Bouvard, Prony, Mathieu et Humboldt, avec l’aide de l’artillerie de la garde royale, entre Montlhéry et Villejuif. \037

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INTRODUCTION. xxtx \037VI. PABTIB RKI.VTIVK A U filiOl.HUMIIK PIIVKIQIK. Niveau des niera. État thermométrique du globe. Tem|>érature de la surface des mer«  à différentes latitudes, et dans les différente* couches superposées jusqu’aux plus profondes. Courants d’eau chaude et d’eau froide. lies eaux de l’Océan comparées à l’atmosphère qui les recouvre, sous le rapport de la température, Couleur du ciel et des nuages à différentes hauteurs au-dessus’ de l’horizon. Point neutre de polarisation dans l’atmosphère. – Emploi d’une plaque de tourmaline taillée parallèlement aux arétes du prisme, pour voir les écueils et le fond de In mer. Température de l’air autour du pôle bordai, – Température moyenne de l’intérieur de la terre à des profondeurs accessibles à l’homme (les observations faites sur la température des puits forés, de différentes profondeurs, ont conduit à la loi qui donne l’accroissement de chaleur à mesure que l’ou s’enfonce dans l’intérieur de la terre). \037Tel est le tableau, encore bien incomplet malgré les richesses immenses qu’il renferme, des \037

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tt* INTBODl’CTION. \037travaux de M. Arago. Ils l’ont élevé au rang des hommes les plus éminents du xix# siècle. Son nom sera honoré partout où se conservent le respect pour les services rendus aux sciences, le sentiment de la dignité de l’homme et de l’indépendance de la pensée, l’amour des libertés publiques. Mais ce n’est pas seulement l’autorité d’une puissante intelligence qui a donne à M. Arago la popularité dont il a joui ce qui a contribué encore à mettre son nom en honneur, c’est-le zèle consciencieux qui ne s’est point démenti à t’approche de la mort, ce sont ses efforts désespérés pour remplir jusqu’au dernier moment les devoirs les plus minutieux. Il ne faut pas non plus oublier le charme de sa diction, l’aménité de ses mœurs, la bienveillance de son caractère. Capable du plus tendre dévouement, modérant toujours par sa bonté naturelle la vivacité d’une âme ardente, M. Arago a goûté, au centre d’une famille spirituelle et aimante, les paisibles douceurs de la vie domestique. Ce qu’une touchante assiduité, l’exercice d’une intelligente prévoyance, et le zèle le plus tendre et le plus inventif ont pu ollrir de consolation et de soulagement, 31. Arago l’a trouvé pendant le lent épuisement de ses forces, dans \037

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INTRODUCTION. xxxi \037le cercle, malheureusement trop étroit, des parents qui lui étaient chers. Il est mort environne’ de ses (ils; d’une sceur, madame Mathieu, digne de la tendre affection d’un tel frère; d’une nièce, madame Laugier, qui s’est consacrée à lui avec la plus touchante abnégation, et qui, au dernier moment, s’est montrée aussi grande clans la douleur que noble dans le dévouement. Eloigne* du lit de souffrance de M. Arago, je n’ai pu faire entendre que de loin les accents de ma vive oflliction. La certitude même d’une perte prochaine n’a pu en diminuer l’amertume. Pour rendre un dernier hommage à celui qui vient de descendre dans la tombe, je consignerai ici quelques lignes qui déjà ont été publiées ailleurs. « Ce qui caractérisait, disais-je, cet homme unique, ce n’était pas seulement la puissance du génie qui produit et féconde, ou cette rare lucidité qui sait développer des aperçus nouveaux et compliqués, comme choses longuement acquises à l’intelligence humaine; c’était aussi le mélange attrayant de la force et de l’élévation d’un caractère passionné, avec la douceur affectueuse du sentiment. Je suis fier de penser que, par mon tendre dévouement et par la constante admiration que j’ai \037

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ikxii INTRODUCTION. \037exprimée dans tous mes ouvrages, je lui ai appartenu pendant quarante-quatre ans, et que mon nom sera parfois prononcé à côté de son grand nom. » \037Auundre pi HUMBOLDT. \037l’ot^lam, novembre 1853. \037

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F. 1. i \037HISTOIRE \037KK \037MA JEUNESSE1 \037–̃-«.)♦ \037I. \037Je n’ai pas la sotte vanité de m’imaginer que quelqu’un, dans un avenir môme peu éloigné, aura la curiosité de rechercher comment ma première éducution s’est faite, comment mon intelligence s’est développée; mais des biographes improvises et sans mission, ayant donné a ce sujet des détails complètement inexacts, et qui impliqueraient la négligence de mes parents, je me crois obligé de les rectifier, \037II. \037Je naquis le 26 février 1780, dans la commune d’Kst g«’l, ancienne province du Roussillon (département des PyréoéVg-OiienliiIes). Mon pere, licencié en droit, avait de petite» propriétés en terres arables, en vignes et en J, Œuvre posthume. \037

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2 HISTOIRE \037champs d’oliviers, dont le revenu faisait vivre M nombreuse famille. \037J’av«is donc trois ans en 1780, quatre ans en 1790, cinq ansen 1791 six ansen 1792, et sept ansen 1793, etc. Ijc lecteur a par devers lui les moyens de juger fi, t comme on l’a dit, comme on l’a imprimé, j’ai trempé dans les cxcU de notre première révolution. \037III. \037.\îos parents m’envoyèrent à l’école primaire d’Estngel, où j’nppris de bonne heure a lire et a écrire. Je recevais en outre, dans la maison pnternelle, des leçons particulières de musique vocale. Je n’étais, du reste, ni plus ni moins avancé que les autres enfants de mon Age. Je nVnlrc dans ces détails que pour montrer à quel point se sont trompés ceux qui ont imprimé que, a l’Age de quatorze à quinze ans, je n’avais pas encore appris a lire, Eslagel étuit une étape pour une portion des troupes qui, venant de l’intérieur, allaient à Perpignan oit se rendaient directement à l’armée des Pyrénéen La maison de mes parents se trouvait donc presque constamment remplie d’officiers et de’ soldats. Ceci, joint à la vive irritation qu’avait fait naître en moi l’invasion espagnole m’avait inspiré des goûts militaires si décidés, que ma famille était obligée de me faire surveiller de près pour cmpOclier que je ne me mélasse furtivement aux soldats qui partaient d’Estagel. Il arriva souvent qu’on m’atteignit une lieue du village, faisant d<’ja route avec les troupe*. \037

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UE MA JF.UNESSB. a \037Vno fols ces goûts guerroyants faillirent me coûter cher. C’était la nuit de la bataille de Pelres-Tortcs. Les troupes espagnole» en déroute, «e trompèrent en partie (le chemin. J’étuis sur la place du village, avant que le jour se lovAt je vis arriver un brigadier et cinq cavaliers qui, à la vue de l’arbre de la liberté, s’écrièrent 5 Somos perdûtos t Je courus aussitôt à la maison m’armer d’une lance qu’y nvnit laissée un soldat de la levée en masse, et, in’ embusquant an coin d’une rue, je frappai d’un coup de cette arme le brigadier placé en tête du peloton. La blessure n’était pas dongercuse un coup do sabre allait cependant punir ma hardiesse, lorsque des poysans, venus à mon aide et armés de fourches, renversèrent les cinq cavaliers de leurs montures et les firent prisonniers. J’avais alors sept ans. \037IV. \037Mon pore étant allé résider. à Perpignan comme trésorier de la monnaie, toute la famille quitta Estagel pour l’y suivre. Je fus alors placé comme externe au collège communal de la ville, où je m’occupai presque exclusive ment d’études littéraires. Nos auteurs classiques étaient devenus l’objet de mes lectures de prédilection. Mais la direction de mes idées changea tout à coup, par une circonstance singulière que je vais rapporter. \037En me promenant un jour sur le rempart de la ville, je vis un officier du génie qui y faisait exécuter des répa- rations. Cet officicr, M. Cressac, était très-jeune; j’en* 1.1 hardiesse de m’en approcher et de lui demander com- \037

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4 HISTOIHB \037:1 :1 ~h & 1.. "1"1~iI \037ment il était arrivé si prompteincnt à porter l’épaulettc, Je sors de l’École polytechnique, répondit-il. – Qu’est*ce que cette école-là? C’est une école où l’on entre par examen. Exige-t-on beaucoup des candidats? Vous le verrez dans le programme que le Gouvernemeut envoie tous les ans à l’administration départementalc; vous le trouverez d’ailleurs dans les numéros du /ournul de l’École, qui existe à la bibliothèque de l’école centrale. » \037Je courus sur-le-champ à cette bibliothèque; et c’est là que, pour la première fois, je lus le programme des connaissances exigées des candidats. \037A partir de ce moment, j’abandonnai tes classes de l’école centrale, où l’on m’enseignait à admirer Corneille, Racine, La Fontaine, Molière, pour ne plus fréquenter que le cours de mathématiques. Ce cours était confié a un ancien ecclésiastique, l’abbé Verdier, homme fort respectable, mais dont les connaissances n’allaieirt pas au delà du cours élémcntaire de La Caille. Je vis d’un coup d’oeil que les leçons de .M. Verdier ne ruffiraient pas pour assurer mon admission à l’École polytechnique; je me décidai alors à étudier moi-même le* ouvrages les plus nouveaux, que je fis venir de l’aria C’étaient ceux de Lcgcndre de Lacroix et de Garnicr, En parcourant ces ouvrages, je rencontrai souvent des difficultés qui épuisaient mes forces. Heureusement, chos3 étrange et peut-être sans exemple dans tout le reste de la France, il y avait à Estagel un propriétaire, M, Raynal, qui faisait ses délassements de l’étude des mathématiques transcendantes. C’était dans sa cuiaine, en donnant ses \037

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DE MA JEUNESSE. 5 \037ordres a de nombreux domestiques, pour Ics travaux du lendemain, que M. Raynal lisait avec fruit V Architecture hydraulique de Prony, la Mécanique analytique et la Mécanique célette. Cet excellent homme me donna souvent des conseils utiles; mais, je dois le dire, mon véritable maître je le trouvai dans une couverture du traité d’algèbre de M. Garnier. Cette couverture se composait d’une feuille imprimée sur laquelle était collé extérieurement du papier bleu. ta lecture de la page non recouverte me fit naître l’envie de connaître ce que me cachait le papier bleu. J’enlevai ce papier avec soin, après l’avoir humecté, et je pus lire dessous ce conseil donné pnr d’Alembert à un jeune homme qui lui faisait part des difficultés qu’il rencontrait dans ses études Allez Monsieur, allez, et la foi vous viendra. » \037Ce fut pour moi un trait de lumière au lieu de m’obstiner à comprendre du premier coup les propositions qui pc présentaient à moi, j’admettais provisoirement leur vérité, Je passais outre, et j’étais tout surpris, le lendemain, de comprendre parfaitement ce qui, la veille, me paraissait entouré d’épais nuages. \037Je m’étais ainsi rendu mattre, en un an et demi, de toutes les matières contenues dans le programme d’admission, et j’allai h Montpellier pour subir l’exninen. J’avais alors seize ans. M. Monge le jeune, examinateur, fut retenu à Toulouse par une Indisposition et écrivit nux candidats réunis à Montpellier qu’il les examinerait h Paris, J’étais moi-même trop indisposé pour entreprendre ce long voyage, et je rentrai à Perpignan. La, je prêtai l’oreille, un moment, aux sollicitations \037

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ft HISTOIRE \037de ma famille, qui tenait à me faire renoncer aux carrières que T École polytechnique alimentait. Mais, bientôt, mon goût pour les études mathématiques l’emporta; j’augmentai ma bibliothèque de Y Introduction à l’analyse infinitésimale d’Euler, de la Résolution des équations numériques, de la Théorie des fonctions analytiques et de la Mécanique analytique de Lagrange, enfin de la Mécanique céleste de Laplace. Je me livrai à l’étude de ces ouvrages avec une grande ardeur, Le journal de l’École renfermant des travaux tels que le Mémoire do M. Puis6in sur l’élimination, je me figurais que tous les élèves étaient de la même force que ce géomètre, et qu’il fullait s’élever jusqu’à sa hauteur pour réussir. A partir de ce moment, je me préparai à la carrière d’artilleur, point de mire de mon ambition; et comme j’avais entendu dire qu’un officier devait savoir la musique, faire des armes et danser, je consacrai les premières heures de chaque journée à la culture de ces trois arts d’agrément. \037Le reste du temps, on me voyait me promenant dans les fossés de la citadelle de Perpignan, et cherchant, par des transitions plus ou moins forcées, à passer d’une question à l’autre, de manière à être assuré de pouvoir montrer à l’examinateur jusqu’où mes études s’étaient étendues \0371. Véclialn, membre de l’Académie des Sciences et de l’Institut, fut chargé en 1793 d’aller prolonger la mesure do la méridienne en Espagne, Jusqu’à Barcelone. Pendant ses opérations dans les Pyrénées, en 1794, Il avait connu mon pire qui était un des admlnlstrateurs du département des Pyrénées-Orientales, plus tard, en 1803, lorsqu’il «’agissait de continuer la mesure de la méridienne \037

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DB MA JEUNESSE. \0371 \037V. \037Le moment de l’examen arriva enfin, et je me rendis n Toulouse, en compagnie d’un candidat qui avait étudié au collége communal. C’était la première fois que dos élèves venant de Perpignan se présentaient au concours. Mon camarade, intimidé, échoua complètement. Lorsque, après lui, je me rendis au tableau, il s’établit entre M. Monge, l’examinateur, et moi, la conversation la plus étrange \037« Si vous devez répondre comme votre camarade, il est inutile que je vous Interroge. \037Monsieur, mon camarade en sait beaucoup plus qu’il ne l’a montré; j’espère être plus heureux que lui; jusqu’aux Iles Baléares, M. Méchain passa de nouveau h Perpignan et vint rendre visite à mon père. Comme j’allais partir pour subir IVxamon d’admission à l’École polytechnique, mon père ne hasarda a lui demander s’il ne pourrait pas me recommander à M. Mongc «Volontiers, répondit-Ut mais, avec la franchise qui me caractérise, Je ne dois pas vous laisser Ignorer que, livré a lui-même, Il me parait peu probable que votre fils se soit rendu complètement maître des matières dont se compose le programme. Au reste, s’il est rcçll, qu’il se deottne à l’artillerie ou au génie, la carrière des sciences, dont vous m’avel parlé, est vraiment trop difficile a parcourir, et a moins d’une vocation spéciale, votre fil» n’y trouverait que des déceptions, » En anticipant un pou sur l’ordre des dates, rapproclions ces conseils de ce qu’il advint i J’allai à Toulouse, Je subi* l’examen et Je fus reçu une année et demie après Je remplissais a l’Observatoire la place de secrétaire devenue vacante par la démission du fil» de M. Méchaln une année et demie plus tard, c’est-a-dlro quatre ans après l’horoscope de Purplgnan, Je remrlaçats en Espagne, avec M. Plot, le célèbre académicien qui y était mort, TicUrae de ses fatigue*. \037

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I IIISTOIRB \037mais ce que vous venez de me dire pourrait bien m’intiinider et me priver de tous mes moyens. \037],a timidité est toujours l’excuse des ignorants; c’est pour vous éviter la honte d’un échec que je vous fais la proposition de ne pas vous examiner. \037Je ne connais pas de honte plus grande que celle que vous m’infligez en ce moment. Veuillez m’interroger c’est votre devoir. \037Vous le prenez de bien haut, Monsieur Nous allons voir tout à l’heure si cette fierté est légitime. Allez, Monsieur, je vous attends! » \037M. Monge m’adressa alors une question de géométrie à laquelle je répondis de manière à affaiblir ses préventions. De là, il passa à une question d’algèbre, à la résolution d’une équation numérique. Je savais l’ouvrage de Lagrange sur le bout du doigt; j’analysai toutes les méthodes connues en en développant les avantages et les défauts méthode de Newton, méthode des séries récurrentes, méthode des cascades, méthode des fractions continues, tout fut passé en revue; la réponse avait duré une heure entière. Monge, revenu alors & des sentiments d’une grande bienveillance, me dit Je pourrais, dès ce moment, considérer l’examen comme terminé je veux cependant, pour mon plaisir, vous adresser encore deux questions. Quelles sont les relations d’une ligne courbe et de la ligne droite qui lui est tangente? » Je regardai la queslion comme un cas particulier de la théorie des osculations que j’avais étudiée dans le Traité des jonclions analytiques de Lagrange. «Enfin, me dit l’examinateur, comment déterminez-vous la tension des divers \037

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DE MA JEUNESSE. 9 \037cordons dont se compose une machine funiculaire? • Je traitai ce problème suivant la méthode exposée duns la Mécanique analytique. On voit que Lagrange avait fait tous les frai» de mon examen. \037J’étais depuis deux heures et quart au tableau; M. Monge, passant d’un extrême a l’autre, se leva, vint m’embrasser, et déclara solennellement que j’occuperais le premier rang sur sa liste. Le dirai-je? pendant l’examen de mon camarade, j’avais entendu les candidats toulousains débiter des sarcasmes très-peu aimables pour Ics élèves do Perpignan c’rot surtout à titre de réparation pour ma ville natale que la démarche de M. Monge et sa déclaration me transportèrent de joie. VI. \037Venu à l’École polytechnique, à la fin de 1803, je fus placé dans la brigade excessivement bruyante des Gascons et des Bretons. J’aurais bien voulu étudier à fond la physique et la chimie, dont je ne connaissais pas intime les premiers rudiments; mais c’est tout au plus si les allures de mes camarades m’en laissaient le temps. Quant .’i l’analyse, j’avais appris, avant d’entrer à l’École, beaucoup au delà de ce qu’on exige pour en sortir. Je, viens de rapporter les paroles étranges que M, Monge le jeune m’adressa à Toulouse en commentant mon examen d’admission. II arriva quelque chose d’analogue au début de mon examen de mathématiques pour le passage d’une division de l’École dans l’autre. L’examinateur, cette fois, était l’illustre géomètre \037

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10 HISTOIRE \037Legendre, dont j’eus l’honncur, peu d’années après, de devenir le confrère et l’ami. \037J’entrai dans son cabinet au moment où M. T. qui devait subir l’examen avant moi, était emporté, complétement évanoui, dans les bras de deux garçons de Balle. Je croyais que cette circonstance aurait ému et adouci M. Legendre; mais il n’en fut rien. Comment vous appelez-vous? me dit-il brusquement. -Arago, répondis-je. -Vous n’êtes donc pas Français? -.Si je n’étais pas Français, je ne serais pas devant vous, car je n’ai pas appris qu’on ait été jamais reçu à l’École sans avoir fait preuve de nationalité. Je maintiens, moi, qu’on n’est pas Français quand on s’appelle Arago. -Je soutiens, de mon côté, que je suis Français, et très-bon Français, quelque étrange que mon nom puisse vous paraître* –C’est bien; ne discutons pas sur ce point davantage, et passez au tableau. » \037Je m’étais h peine armé de la craie, que M. Legendre, revenant au premier objet de ses préoccupations, me dit Vous êtes né dans les départements récemment réunis à la France? – Non, Monsieur; je suis né dans le département des Pyrénées-Orientales, au pied des Pyrénées, –Eh, que ne me disiez-vous cela tout de suite; tout s’explique maintenant. Vous êtes d’origine espagnole, n’est-ce pas?-C’est présuinable; mais, dans mon humblf famille, on ne conserve pas de pièces authentiques qui aient pu me permettre de remonter a l’état civil de mes ancêtres chacun y est fils de ses œuvres. Je vous déclare de nouveau que je suis Français, et cela doit vous suture. » La vivacité de cette dernière réponse n’avait pas dis- \037

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DE MA JEUNIÎSSL’. if \037posé M. Legendre en ma faveur. Je le reconnus aussitôt car, m’ayant fait une question qui exigeait l’emploi d’intégrales doubles, il m’arrêta en me disant: «La méthode que vous suivez ne vous a pas été donnée par le professeur. Ou l’avez-vous prise?– Dans un de vos Mémoires, Pourquoi l’avez-vous choisie ? Était-ce pour me séduire? Non, rien n’a été plus loin de ma pensée. Je ne l’ai adoptée que parce qu’elle m’a paru préférable. Si vous ne parvenez pas à m’expliquer les raisons de votre préférence, je vous déclare que vous serez mal noté, du moins pour le caractère, » \037J’entrai alors dans des développements établissant, selon moi, que la méthode des intégrales doubles était, en tous points, plus claire et plus rationnelle que celle dont Lacroix nous avait donné l’exposé à l’amphithéâtre. Dès ce moment, Legendre me parut satisfait et se radoucit. Ensuite, il me demanda de déterminer le centre de gravité d’un secteur sphérique, « La question est facile, lui dis-je. Eh bien, puisque vous la trouvez facile, j<> vais la compliquer au lieu de supposer la densité constante, j’admettrai qu’ello varie du centre à la surface, suivant une fonction déterminée. Je me tirai de ce colcul assez heureusement { dès ce moment, j’avais entièrement conquis la bienveillance de l’examinateur. Il m’adressa, en effet, quand je me retirai, ces paroles, qui, dans sa bouche, parurent à mes camarades d’un augure très-favorable pour mon rang de promotion. «Je vois que vous avez bien employé votre temps continuez de même la seconde année, et nous nous quitterons très.bons amis, » \037

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fi HISTOiniï \037Il y avait, dons tes modes d’examen adoptés a l’Ecole polytechnique de 1804 qu’on cite toujours pour l’opposer à l’organisation actuelle, des bizarreries inqualifiables. Croirait-on, par exemple, que le vieux bl. Burrucl examinait sur la physique deux élèves à la fois, et leur donnait, disait-on, à l’un et à l’autre la note moyenne? Je fus associé, pour mon compte, à un camarade plein d’intelligence, mais qui n’avait pas étudié cette branche de l’enseignement. Nous convînmes qu’il me laisserait le soin de répondre, et nous nous trouvâmes bien l’un et l’autre de cet arrangement. \037Puisque j’ai été amené à parler de l’École de 1804, je dirai qu’elle péchait moins par l’organisation que par le personnel que plusieurs des professeurs étaient fort audessous de leur» fonctions, ce qui donnait lieu à des scènes passablement ridicules. Les élèves s’étant aperçus par exemple, de l’insuffisance de M. Hassenfratz, firent une démonstration des dimensions de l’arc-en-ciel remplie d’erreurs de calcul qui se compensaient les unes les autres, f de telle manière que le résultat final était vrai. Le professeur, qui n’avait que ce résultat pour juger de la bonté de la réponse, ne manquait pas de s’écrier, quand il le voyait apparaître au tableau Bien, bien, parfaitement bien 1 ce qui excitait des éclats de rire sur tous les bancs de l’amphithéâtre. \037Quand un professeur a perdu la considération sans laquelle il est impossible qu’il fasse le bien, on se permet envers lui des avanies incroyables dont je vais citer un seul échantillon. \037Un élève, M. Lcboullenger, rencontra un soir dans le \037

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DE MA JEUNESSE. 4) \037monde le même M. Hassenfratz et eut avec lui une discussion. En rentrant le matin à l’École, il nous fit purt de cette circonstance. – Tenez-vous sur vos gardes, lui dit l’un de nos camarades, vous serez interrogé ce soir jouez serré, car le professeur a certainement prépari quelques grosses difficultés, afin de faire rire a vos dépens Nos prévisions ne furent pas trompées. A peine les élèves étaient-ils arrivés à l’amphithéâtre, que M. Hassenfratz appela M. Leboullenger qui se rendit au tableau. M. Leboullenger, lui dit le professeur, vous avez vu ta lune? – Non, Monsieur 1 -Comment Monsieur, vous dites que vous n’avez jamais vu la lune? Je ne puis que répéter ma réponse; non, Monsieur. » Hors de lui, et voyant sa proie lui échapper à cause de cette réponse inattendue, M. Hassenfratz s’adressa à l’inspecteur, chargé ce jour-là de la police, et lui dit Monsieur, voilà M. Leboullenger qui prétend n’avoir jamais vu la lune. (.lue voulezivous que j’y fasse? répondit stoïquement M. Lebrun. Repoussé de ce côté 1e professeur se retourna encore une fois vers M. Leboullenger, qui restait calme et sérieux au milieu de la gaieté indicible de tout l’amphitéÀtre, et il s’écria avec une colère non déguisée Vous persistez à soutenir que vous n’avez jamais vu la lune?– Monsieur, repartit l’élève, je vous tromperais si je vous disais que je n’en ai pas entendu parler, mais je ne l’ai jamais vue. Monsieur, retournez à votre place. • Après cette scène, M. Hassenfratz n’était plus professeur que de nom, son enseignement ne pouvait plus avoir aucune utilité. \037

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fi HISTOIRE \037VII. \037Au commencement de la deuxième année, je fus nommé chef de brigade. Hachette avait été professeur d’hydrogrophic à Collioure; ses amis du Roussillon me recommandèrent a lui il m’accueillit avec beaucoup de bonté et me donna même une chambre dans son appartement. C’est là que j’eus le plaisir de faire la connaissance de Poisson, qui demeurait à côté. Tous les soirs, le grand géomètre entrait dans ma chambre, et nous passions des heures entières a nous entretenir de politique et de mathématiques, ce qui n’est pas précisément la même chose. Dans le courant de 1804, l’École fut en proie aux passions politiques, et cela, par la faute du gouvernement. \037On voulut d’abord forcer les élèves à signer une adresse de félicitations sur la découverte de la conspiration dans laquelle Moreau était impliqué. Ils s’y refusèrent en disant qu’ils n’avaient pas à se prononcer sur une cause dont la justice était saisie. Il faut, d’ailleurs, remarquer que Moreau ne s’était pas encore déshonoré en prenant du service dans l’armée russe qui vint attaquer les Français sous les murs de Dresde. \037Les élèves furent invités à faire une manifestation en faveur de l’institution de la Légion d’Honneur ils s’y refusèrent encore; ils virent bien que la croix donnée .sans enquête et sans contrôle serait, en bien des cas, la récompense de la charlatanerie et non du vrai mérite. La transformation du gouvernement consulaire en gou- \037

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DE MA JEUNESSE. «  \037vcrnemcnt impérial donna lieu, dons le sein de l’École, à de très-vifs débats, \037Beaucoup d’élèves refusèrent de joindre leurs félicitations aux plates adulations des corps constitués. Le général Lacuée, nommé gouverneur de l’École, rendit compte de cette opposition à l’Empereur. \037Monsieur Lacuée, s’écria Napoléon au milieu d’un groupe de courtisans qui applaudissaient de la voix et du geste, vous ne pouvez conserver à l’École les élèves qui ont montré un républicanisme si ardent vous les renverrez. Puis, se reprenant Je veux connattre auparavant leurs noms et leurs rangs de promotion. Voyant la liste, le lendemain, il n’alla pas au delà du premier nom, qui était le premier de l’artillerie. « Je ne chasse pas les premiers de promotion, dit-il; ah s’ils avaient été à la queue M. Lacuée, restez-en là. • \037Rien ne fut plus curieux que la séance dans laquelle le général Lacuée vint recevoir le serment d’obéissance des élèves. Dans le vaste amphithéâtre qui les réunissait, on ne remarquait aucune trace du recueillement que devait inspirer une telle cérémonie. La plupart, au lieu de répondre à l’appel de leurs noms Je le jure, «’écriaient « Présent. » \037Tout à coup, la monotonie de cette scène fut interrompue par un élève, le fils de Brissot le eonventionnel, qui s’écria d’une voix de stentor « Non, je ne prête pas serment d’obéissance à l’Empereur. » Lacuée, pale et très-peu de sanj-froid ordonna à un détachement d’élèves armés placé derrière lui, d’aller arrêter le récalcitrant. Le détachement, à la tôte duquel je me trouvais, refusa d’obéir. \037

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46 I1ISTO1RK \037Brissot, s’adressant au général, avec le plus grand calme, lui dit « Indiquez-moi le lieu où vous voulez que je me rende; ne forcez pas les élèves à se déshonorer en mettant la main sur un camarade qui ne veut pas résister. » Le lendemain Brissot fut expulsé. \037V III. \037Vers cctto époque, M. Méchain qui avait été envoyé en Espagne pour prolonger la méridienne jusqu’à Formentera, mourut à Castellon de la Plana. Son fils, secrétaire do l’Observatoire, donna incontinent sa démission, Poisson m’offrit cette place je résistai à sa première ouverture je ne voulais pas renoncer à la carrière militaire, objet de toutes mes prédilections, et dans laquelle j’étais d’ailleurs assuré de la protection du maréchal Lanncs, ami de mon père. J’acceptai toutefois, à titre d’essai, après une visite que je fis à M. de Laplace, en compagnie de M. Poisson, la position qu’on m’offrait à l’Observatoire, avec la condition expresse que je pourrais rentrer dans l’artillerie si ça me convenait. C’est par ce motif que mon nom resta Inscrit sur (a liste des élèves de l’École s j’étuU seulement détaché à l’Observatoire pour un service spécial. \037J’entrai donc dons cet établissement sur la désignation de Poisson, mon ami, et par l’intervention de Laplace. Celui-ci me combla de prévenances. J’étais heureux et fier quand je dtnals dans la rue de Tournon chez le grand géomètre. Mon esprit et mon cœur étaient Ires-disposé* & tout admirer, Il tout respecter, chez celui qui avait \037

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DE MA JEUNESSE. t7 \037la rauaa lia VÀfiitattnn aAe>ii\ati>A An la !̃•«<• \037L-t. 3 \037découvert la cause de l’équation séculaire do la lune, trouvé dans le mouvement de cet astre les moyens de calculer t’aplatissement de la terre, rattaché à l’attraction tes grandes inégalités de Jupiter et de Saturne, etc., etc. Mais, quel ne fut pas mon désenchantement, lorsque, un jour, j’entendis madame de Laplace s’approcher de son mari, et lui dire*. « Voulez-vous me confier la clef du sucre? » \037Quelques jours après, un second incident m’affecta plus vivement encore. Le Ois de M. de Laplace se préparait pour tes examens de l’École polytechnique. Il venait quelquefois me voir à l’Observatoire. Dans une de ses visites, je lui expliquai la méthode des fractions continues, à l’aide de laquelle Lagrange obtient les racines des équations numériques. Le jeune homme en parla à son père avec admiration. Je n’oublierai jamais la fureur qui suivit lea paroles d’Émile de Laplace, et l’ôpreté des reproches qui me furent adressés pour m’être fait le patron d’un procédé qui peut être très-long en théorie, mais auquel on ne peut évidemment rien reprocher du côté do l’élégance et de la rigueur. Jamais une préoccupation jalouse ne s’était montrée plus à nu et sous des formes plus acerbes. Ah 1 me disais-je, que les anciens furent bien inspirés lorsqu’ils attribuèrent des faiblesses à celui qui cependant faisait trembler l’Olympe en fronçant le sourcil. » \037IX. \037Ici se place, par sa date, une circonstance qui aurait \037

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48 IIISTOIRB \037a a a. • t « • \037pu avoir pour moi les conséquences les plus fatales voici le fait. \037J’ai raconté plus haut la scène qui fit expulser le fils de Brissot do l’École polytechnique. Je Pavais totalement perdu de vue depuis plusieurs mois, lorsqu’il vint me rendre visite à l’Observatoire, ot me plaça dans la position la plus délicate, la plus terrible où on honnête homme se soit jamais trouvé. \037< Je ne vous ai pas vu, me dit-il, parce que, depuis ma sortie de l’École, je me suis exercé chaque jour à tirer le pistolet; je suis maintenant d’une* habileté peu commune, et je vais employer mon adresse à débarrasser la France du tyran qui a confisqué toutes ses libertés. Mes mesures sont prises; j’ai loué une petite chambre sur te Carrousel, tout près de l’endroit où Napoléon, après être sorti de la cour, vient passer la revue de la cavalerie c’est de l’humble fenêtre de mod appartement que partira la balle qui lui traversera la tête. » Je laisse à deviner avec quel désespoir je reçus cette confidence. Je Os tous les efforts imaginables pour détourner Brissot de son sinistre projet; je lui fis remarquer que tous ceux qui s’étaient lancés dans dos entreprises de cette nature avaient été qualifiés par l’histoire du nom odieux d’assassin. Rien ne parvint à ébranler sa fatale résolution; j’obtins seulement de lui, sur l’honneur, la promesse que l’exécution serait quelque peu ajournée, et je me mis en quête des moyens de la faire avorter. \037L’idée de dénoncer le projet de Brissot à l’autorité ne traversa pas même ma pensée. C’était une fatalité qui \037

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• \037DE MA JBONB8SB. 4* \037• « h • _̃ a • h • ̃ • \037venait me frapper, et dont je devais subir les conséquences, quelque graves qu’elles pussent être. Je comptais beaucoup sur les sollicitations de ta mère de Brissot, déjà si cruellement éprouvée pendant la révolution je me rendis chez elle, rue de Condé, et la priai à mains jointes de sa réunir à moi pour empêcher son fils de donner suite à sa résolution sanguinaire. c Eh! Monsieur, me répondit cette femme, d’ailleurs modèle de douceur, si Sylvain (c’était le nom de l’ancien élève de l’École) croit qu’il accomplit un devoir patriotique, je n’ai ni l’intention, ni le désir de le détourner de ce projet. » \037C’était en moi-môme que je devais désormais puiser toutes mes ressources. J’avais remarqué que Brissot .s’adonnait à la composition de romans et de pièces de vers. Je caressai cette passion, et tous les dimanches. surtout quand je savais qu’il devait y avoir une revue, j’allais le chercher, et l’entralnais à la campagne dans les environs de Paris. J’écoutais alors complaisamment la lecture des chapitres de ses romans qu’il avait composés dans la semaine. \037Les premières courses m’effrayèrent un peu, car, armé de ses pistolets, Brissot saisissait toutes les occasions de montrer sa grande habileté; et jo réfléchissais que cette circonstance me ferait considérer comme son complice, si jamais il réalisait son projet. Enfin, sa prétention à la gloire littéraire, que je flattai de mon mieux, les espérances que je lui fis concevoir sur la réussite d’une passion amoureuse dont il m’avait confié le secret, ct à laquelle je ne croyais nullement, lui firent recevoir \037

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30 HISTOIRE \037avec attention les réflexions que je lui présentais sans cesse sur son entreprise. Il se détermina à faire un voyage d’outre-mer, et me tira ainsi de la plus grave préoccupation que j’ai éprouvée dans ma vie. Brissot est mort après avoir couvert les murs de Paris d’affiches imprimées en faveur de la restauration bourbonnienne. \037X. \037A peine entré à l’Observatoire, je devins le collaborateur de Biot dans des recherches sur la réfraction des gaz, jadis commencées par Borda. \037Durant ce travail, nous nous entretînmes souvent, le célèbre académicien et moi, de l’intérêt qu’il y aurait a reprendre en Espagne la mesure interrompue par la mort de Méchain. Nous soumîmes notre projet à Laplace, qui l’accueillit avec ardeur, fit faire les fonds nécessaires, et le Gouvernement nous confia, à tous deux, cette mission importante. \037Nous partîmes de Paris, M. Biot et moi, et le commissaire espagnol Rodriguez, au commencement de 1800. Nous visitâmes, chemin faisant, les stations indiquées par Méchain; nous flmes à la triangulation projetée quelques modifications importantes, et nous nous mîmes aussitôt à l’œuvre. \037Une direction inexacte donnée aux réverbères établis Il Iviza sur la montagne Campvey, rendit les observations faites sur le continent extrêmement difficiles. Ln lumière du signal de Campvey se voyait très-rarement, et je fus, pendant six mois, au Desierto de lai Palmat, \037

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DE MA JEUNESSE. 91 \037,< 4-< t~t. <«~ 1. <<&M ~t~t~)!~ \037sans l’apercevoir, tondis que plus tard la lumière établie au Desierto, mais bien dirigée, se voyait, tous les soirs, de Campvey. On concevra facilement quel ennui devait •’prouver un astronome actif et jeune, confiné sur un pic clevé, n’ayant pour promenade qu’un espace d’une vingtaine de mètres carrés, et pour distraction que la conversation de deux chartreux dont le couvent était situé au pied de la montagne, et qui venaient en cachette enfreindre la règle de leur ordre. \037Au moment où j’écris ces lignes, vieux et infirme, avec des jambes qui peuvent à peine me soutenir, ma pensée se reporte involontairement sur cette époque de ma vie où, jeune et vigoureux, je résistais aux plus grandes fatigues et marchais jour et nuit dans les contrées mon»lagncuscs qui séparent les royaumes de Valence et de Catalogne du royaume d’Aragon, pour aller rétablir nos signaux géodésiques que les ouragans avaient renversés. XI. \037J’étais à Valence vers le milieu d’octobre 1806. Un matin, de bonne heure, je vis entrer chez moi le consul de France, tout effaré < Voici une triste nouvelle, me dit M. Lanusse, faites vos préparatifs de départ; la ville est toute en émoi; une déclaration de guerre contre la France vient d’être publiée; il parait que nous avons éprouvé un grand désastre en Prusse. La reine, assuret-on, s’est mise à la tête de la cavalerie et de la garde royale; une partie de l’armée française a été taillée en pièces; le reste est en complète déroute. Nos vies ne \037

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Il histoire \037̃ • Alt» •••! .1 \037seraient pas en sûreté si nous restions ici; l’ambassadeur de France à Madrid me préviendra quand un bâtiment américain, à l’ancre au Grao de Valence, pourra nous prendre à son bord, et moi, je vous avertirai dès que le moment sera venu. » Co moment ne vint pas, car, peu de jours après, la fausse nouvelle qui, on doit le supposer, avait dicté la proclamation du prince de la Paix, fut remplacée par le bulletin de la bataille d’Iéna. Les gens qui d’abord faisaient tes fanfarons et menaçaient de tout pourfendre, étaient subitement devenus d’une platitude honteuse nous pouvions nous promener dans la ville, tête levée, sans craindre désormais d’être insultés. Cette proclamation, dans laquelle on parle des circonstances critiques où était la nation espagnole, des difficultés qui entouraient ce peuple, du salut de la patrie, des palmes et du Dieu de la victoire, d’ennemis avec lesquels on devait en venir aux mains, ne renfermait pas le nom de la France. On en profita, le croirait-on? pour soutenir qu’elle était dirigée contre le l’ortugal. Napoléon fit semblant de croire à cette burlesque interprétation; mais, dès ce moment, il fut évident que l’Espagne serait tôt ou tard obligée de rendre un compte sévère des intentions guerroyantes qu’elle avait subitement montrées en 1800 ceci, sans justifier les événement* de Bayonne, les explique d’une manière fort naturelle. XII. \037J’attendais à Valence M. Biot, qui «’était chargé d’ap-^ porter de nouveaux instrumenta avec lesquels nous de- \037

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DE MA JEUNESSE. si 1_a.!&JI- .¡¡- il \037vionfl mesurer la latitude de Fomentera. Je profitera! de cea courts instants de repos pour consigner ici quelques détails de mœurs qu’on lira peut-être avec intérêt. Je rapporterai d’abord une aventure qui faillit me coûter la vie dans des circonstances assez singulières. Un jour, par délassement, je crus pouvoir aller, avec un compatriote, t la foire de Murviedro, l’ancienne Sagonte, qu’on me disait être très-curieuse. Je rencontrai, dons la ville, la fille d’un Français résidant è Valence, mademoiselle B* Toutes les hôtelleries étaient combles mademoiselle B* noua invita à aller prendre une collation chez sa grand’mère; noua acceptâmes. Mais, t au sortir de la maison, elle noua apprit que notre visite n’avait pas été du goût de son fiancé, et que nous devions nous attendre à quelque guet-apena de sa façon. Nous allâmes incontinent acheter des pistolets chez un armurier, et nous nous remîmes en route pour Valence. Chemin faisant, je dis au caletero, homme que j’employais depuis longtemps et qui m’était très-dévoué fsidro, j’ai quelques raisons de croire que nous serons arrêtés; je vous en avertis, afin que voua ne eoyes pas surpris par les coups de feu qui partiront do la caleza.» ie Isidro, assis aur le brancard, suivant l’habitude du pays, répondit \037• Vos pistolets sont parfaitement inutiloa, Messieurs .· laissez-moi faire; il suffira d’un cri pour que mu mulo nous débarrasso de deux, de trois et même de quatre hommes. » \037Une minute s’était à peine écoulée depuis que le calezero avait prononce ces paroles, lorsque deux homme» \037

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U HISTOIRE \037se présentèrent devant la mule et la saisirent par les naseaux. A l’instant, un cri formidable, qui ne s’effacera jamais de mon souvenir, le cri de capitanal fut poussé par loidro. La mule se cabra presque verticalement, on soulevant l’un des deux hommes, retomba et partit au grand galop. Le cahot qu’éprouva la voiture nous lit trop bien comprendre ce qui venait d’arriver. Un long silence succéda à cet événement; il ne fut interrompu que par ces mots du calezero Ne trouvez-vous pas, Messieurs, que ma mule vaut mieux que des pistolets? • Le lendemain, le capitaine général, don Domingo Izquierdo me raconta qu’on avait trouvé un homme écrasé sur la route de Murvicdro. Je lui rendis compte de la prouesse de la mule d’Isidro, et tout fut dit. XIII. \037Une anecdote prise entre mille, et l’on verra quelle vie aventureuse menait le délégué du Bureau ie$ longitude». Pendant mon séjour sur une montagne voisine de Cullera, au nord de l’embouchure du rio Xucar, et au sud de l’Albuféra, je conçus, un moment, le projet d’établir une station sur les montagnes élevées qui se voient en face. J’allai la visiter. L’alcade d’un des villages voisine m’avertit du danger auquel j’allais m’exposer. Ces,montagnes, me dit-il, servent de repaire à une foule de voleurs de grand chemin. Je requis la garde nationale, comme j’en avais le pouvoir. Mon escorte fut prise par les voleurs pour une expédition dirigée contre eux, et ils se répandirent aussitôt dans la riche plaine que \037

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DE MA JRUNBSSE. 15 \037le Xucar arrose. A mon retour, je trouvai le combat engagé entre eux et les autorités de Cullera. Il y eut des blessés des deux parts, et si je me le ra ppclle bien, un alguazil resta même sur le carreau. \037Le lendemain matin, je regagnai ma station. La nuit suivante fut horrible; il tombait une pluie diluvienne. Vers minuit, on frappa à la porte de ma cabane. Sur la question s «Qui va là? on répondit Un garde de la douane, qui vous demande un refuge pour quelques heures. » Mon domestique ayant ouvert, je vis entrer un homme magni fique, armé jusqu’aux dents. Il eo coucha par terre et s’endormit. Le matin, pendant que je causais avec lui, à la porte de ma cabane, ses yeux s’animèrent en voyant sur le penchant de la montagne deux personnes, l’alcade de Cullera et son principal alguazil, qui venaient me rendre visite. « Monsieur, s’écrla-t-il il ne faut rien moins que la reconnaissance que je vous dois, à raison du service que vous m’avez rendu cette nuit, pour que je ne saisisse pas cette occasion de me débarrasser, par un coup de carabine, de mon plus cruel ennemi. Adieu, Monsieur I Et il partit, léger comme une gazelle, sautant de rocher en rocher. \037Arrivés à la cabane l’alcade et son alguazil reconnu- rent dans le fugitif le chef de tous les voleurs de grands chemins de la contrée. \037Quelques jours après, le temps étant redevenu trèsmauvais, je reçus une seconde visite du prétendu garde de la douane, qui s’endormit profondément dans ma cabane. Je vis que mon domestique, vieux militaire, qui avait entendu le récit des faits et gestes de cet homme, \037

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16 H1STOIRB \037«-♦ uAi a!1 L I a AaSAM T« <̃ jtaai xi X UllM *1 A MAAM 1*4 <1a 4t \037s’apprêtait à le tuer. Je mutai à bas de mon lit de camp, et prenant mon domestique à la gorge < Êtes-vous fou? t lui dis-je est-ce que nous sommes chargés de faire la police dans le pays? Ne voyez-vous pas d’ailleurs que ce serait nous exposer au ressentiment de tous ceux qui obéissent aux ordres de ce chef redouté? Et nous nous mettrions dans l’impossibilité de terminer nos opérations. » \037Le matin, au lever du soleil, j’eus avec mon hôte une conversation que je vais essayer de reproduire fidèlement, \037Votre situation m’est parfaitement connue je sais que vous n’êtes pas un garde de la douane j’ai appris de science certaine que vous êtes le chef des voleurs de la contrée. Dites-moi si j’ai quelque chose à redouter de vos affidés? \037L’idée de vous voler nous est venue; mais nous avons songé que tout votre argent était dans les villes voisines; que vous ne portiez pas do fonds sur le sommet des montagnes, où vous ne sauriez qu’en faire, et que notre expédition contre vous n’aurait aucun résultat fructueux. Nous n’avons pas d’ailleurs la prétention d’être aussi forts que le roi d’Espagne. Les troupes du roi nous laissent assez tranquillement exercer notre industrie; mais le jour où nous aurions molesté un envoyé de rempereur dea Français, on dirigerait contre nous plusieurs régiments et nous aurions bientôt succombé. Permettezmoi d’ajouter que la reconnaissance que je vous dois est votre plus sûre garantie. \037Eh bien, je veux avoir confiance dans vos paroles; \037

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DE MA J&UNES8E. 17 \037• ̃•,»_ j__ _# **• i » \037je réglerai ma conduite sur votre réponse, Dites-moi si je puis voyager la nuit? Il m’est pénible de me transporter, le jour, d’une station a l’autre, sou» l’action brûlente du soleil i. \037Vous le pouvez, Monsieur; j’ai déjà donné des ordres en conséquence ils ne seront pas enfreints, » Quelques jours après, je partais pour Dénia; il était minuit, lorsque je via acourir à moi des hommes à cheval qui m’adressèrent ce discours \037«Halte-là! senor; les temps sont durs il faut quo ceux qui possèdent viennent au secours de ceux qui n’ont rien. Donne&-nous les clef. de vos malles; nous ne prendrons que votre superflu, » \037J’avais déjà déféré à leurs ordres, lorsqu’il me vint a l’esprit de m’écrier: \037« On m’avait dit cependant que j? pourrais voyager sans risque. \037Comment vous appelez-vous, Monsieur ? 1 \037Don Francisco Arago. \037– Ilombre I vaya usted con Dioi (que Dieu vous accompagne). » \037Et nos cavaliers, piquant des deux, se perdirent rapidement dana un champ d’algarroboa. \037Lorsque mon ami le voleur de Cullera m’assurait que je n’avais rien à redouter de ses subordonnés, il m’apprenait en même temps que son autorité ne s’étendait pas au nord de Valence. Les détrousseurs de grand chemin de la partie septentrionale du royaume obéissaient à d’autres chefs, k celui, par exemple, qui, après avoir été pris, condamné et pendu, fut partagé en quatre quartiers \037

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U HISTOIRE \037qu on attacha à des poteaux sur quatre route» royales, mais non sans les avoir préalablement fait bouillir dans de l’huile afin d’assurer leur plus longue conservation. Cette coutume barbare ne produisait aucun effet; car à peine un chef était abattu qu’il s’en présentait un autre pour le remplacer. \037De tous ces voleurs de grand chemin, ceux qui avaient la plus mauvaise réputation opéraient dans les environs d’Oropeza. Les propriétaires des trois mules sur lesquelles nous chevauchions un soir dans ces parages, M. Rodriguez, moi et mon domestique, nous racontaient des haut$ fait$ de ces voleurs qui, même en plein jour, auraient fait dresser les cheveux sur la tête, lorsque, à la lucur de la lune, nous aperçûmes un homme qui sc cachait derrière un arbre nous étions six, et cependant cette vedette eut l’audace de nous demander la bourse ou la vie mon domestique lui répondit sur-le-champ t Tu nous crois donc bien lâches retire-toi, ou je t’abats d’un coup de ma carabine. Je me retire repartit ce misérable mais vous aurez bientôt de mes nouvelles. > Encore pleins d’effroi au souvenir des histoires qu’ils venaient de nous raconter, les trois arieros nous supplièrent de quitter la grande route et de nous jeter dans un bois qui était sur notre gauche. Nous déférâmes à leur invitation mais nous nous égarâmes. • Descendez, dirent-ils, les mules ont obéi à la bride et vous les avez mal dirigées. Revenons sur nos pas jusqu’à ce que nous soyons dans le chemin, et abandonnez les mules à elles-mêmes; elles sauront bien retrouver la route. • A peine avionsnous effectué cette manœuvre, qui nous réussit à mer- \037

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DR MA JEUNESSE. t9 \037veille, que nous entendîmes une vive discussion qui avait lieu à peu de distance. Les uns disaient i < II faut suivre la grande route, et nous les rencontrerons. Les autres prétendaient qu’il fallait se jeter à gauche dans le bois. Les aboiements des chiens dont ces individus étaient accompagnés ajoutaient au vacarme. Pendant ce temps nous cheminions silencieusement, plus morts que vifs. Il était deux heures du matin. Tout à coup nous vîmes une faible lumière dans une maison isolée c’était pour le navigateur comme un phare au milieu de la tempête, et le seul moyen de salut qui nous restât. Arrivés à la porte de la ferme, nous frappâmes et demandâmes l’hospitalité. Les habitants, très-peu rassurés, craignaient que nous ne fussions des .voleurs, et ne s’empressaient pas d’ouvrir. Impatienté du retard, je m’écriai, comme j’en avais reçu l’autorisation « Au nom du roi, ouvrez I On obéit à un ordre ainsi formulé nous entraînes pôlc-mêle et en toute hâte, hommes et mules, dans la cuisine qui était au rez-de-chaussée, et nous nous empressâmes d’éteindre tes lumières, afin de ne pas éveiller les soupçons des bandits qui nous cherchaient. Nous les entendîmes, en effet, passer et repasser près de la maison, vociférant de toute la force de leurs poumons contre leur mauvaise chance. Nous ne quittâmes cette maison isolée qu’au grand jour, et nous continuâmes notre route pour Tortose, non sans avoir donné une récompense convenable a nos hôtes. Je voulus savoir par quelles circonstances providentielles ils avaient tenu une lampe allumée à une heure indue. • C’est, me dirent-ils, que nous avions tué un cochon dans la journée, et que nous nous occupions \037

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30 HISTO1RB \037̃ _« _r. st.. • *• m-m • \037de la préparation du boudin, Faites vivre le cochon un jour de plus ou supprimez les boudins, je ne serais certainement plus de ce monde, et je n’aurais pas l’occasion «le raconter l’histoire des voleurs d’Oropeza. XIV. \037Jamais je n’ai mieux apprécié la mesure Intelligente par laquelle l’Assemblée constituante supprima l’ancienne division de la France en provinces, et lui substitua la division en départements, qu’en parcourant pour ma triangulation les royautés espagnoles limitrophes, de Catalogne, de Valence et d’Aragon. Les habitants de ces trois provinces se détestaient cordialement, et il ne fallut rien moins que le lien d’une haine commune pour les faire agir simultanément contre les Français. Telle était leur animo.sité, en 1807, que je pouvais à peine me servir à la fois de Catalans, d’Aragonais et de Valenciens, lorsque je me transportais avec mes instruments d’une station à l’autre. Les Valenciens en particulier étaient traités de peuple léger, futile, inconsistant, par les Catalans. Ceux-ci avaient l’habitude de me dire En el reino de Vakncia la carne « verdora, la verdura agua, lot hmbret mugeret, ht tnugeret nada; ce qui peut se traduire ainsi s Dans le royaume de Valence, la viande est légume, les légumes de l’eau, les hommes des femmes, et les femmes rien. » \037D’autre part, les Valehciens, parlant des Aragonais, les appelaient tchwot. \037Ayant demandé à un pâtre de cette province, qui \037

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DE HA JBUNESSE. 31 \037avait mené des chèvres près d’une de mes stations, quelle était l’origine de cette dénomination, dont ses compatriotes se montraient si offensés t \037< Je ne sais, me dit-il en souriant finement, si je dols vous répondre. –Aller, allez, lui dis-je, je puis tout entendre sans me fâcher. Eh bien, le mot de schurot veut dire qu’à notre grande honte, nous avons quelquefois été gouvcrnés par des rois français. Le souverain, avant de prendre le pouvoir, était tenu de promettre sous serment de respecter nos franchises et d’articuler à haute voix les mots solennels h Juro 1 Comme il no savait pas prononcer la Jota, il disait tchuro. Êtes-vous satisfait, scôorf Je lui répondis: Oui, oui Je vois que la vanité, que l’orgueil ne sont pas morts dans ce pays-ci. » Puisque je viens de parler d’un pâtre, je dirai qu’en Espagne, la classe d’individus des deux sexes préposée à la garde des troupeaux m’apparut toujours moins éloignée qu’en France des peintures que les poëtes anciens nous ont laissées des bergers et des bergères, dans leurs poésies pastorales. Les chants par lesquels ils cherchent à tromper les ennuis de leur vie monotone sont plus distiagués dans la forme et dans le fond que chez les autres nations de l’Europe auprès desquelles j’ai eu accès. Je* ne me rappelle jamais sans surprise qu’étant sur une montagne située au point de jonction des royaumes de Valence, d’Aragon et de Catalogne, je fus tout à coup enveloppé dans un violent orage qui me força de me réfugier sous ma tente et de m’y tenir tout blotti. Lorsque l’orage se fut dissipé et que je sortis de ma retraite, j’entendis, à mon prand étonnement, sur un pic isolé \037

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si HISTOIRE \037qui dominait ma station, une bergère qui chantait une chanson dont je me rappelle seulement ces huit vers, qui donneront une idée du reste \037A los que ampr no saben \037Ofroces las dulzuras \037Y a mi las amarguras \037Que té lo que es amar. \037Us gracias al me certé \037Eratj cuadro de flores \037Te cantaban amores \037Por hacerte callar. \037Oh! combien il y a de sève dans cette nation espa. gnolel quel dommage qu’on ne veuille pas lui faire produire des fruits 1 \037XV. \037En 1807, le tribunal de l’inquisition existait encore à Valence et fonctionnait quelquefois. Les révérends Pères ne faisaient, il est vrai, brûler personne; mais ils prononçaient des sentences où le ridicule le disputait à l’odieux. Pendant mon séjour dans cette ville, le saintoffice eut à s’occuper d’une prétendue sorcière il la fit promener dans tous les quartiers, à califourchon sur un Ane la figure tournée vers la queue la partie supérieure du corps, depuis la ceinture, n’offrait aucun vêtement; seulement, pour obéir aux règles les plus vulgaires de la décence, la pauvre femme avait été enduite d’une substance gluante, de miel, me dit-on, sur laquelle adhérait une énorme quantité de petites plumes; en sorte que, \037

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DE MA JEUNESSE. 33 \037l.–l. 1. 3 \037h vrai dire, la victime ressemblait à une poule ayant une icHc humaine. Le cortége, je laisse à deviner s’il y avait foule, stationna quelque temps sur la place de la cathédrale, où je demeurais. On me rapporta que la sorcière fut frappée sur le dos d’un certain nombre de coups de pelle; mais je n’oserais pas l’affirmer, car j’étais absent au moment où cette hideuse procession passa devant mes fciiftivs. \037Voila cependant quels spectacles on donnait au peuple, au commencement du xix* siècle, dans une des principales villes d’Fspagne, siége d’une université célèbre et patrie de nombreux citoyens distingués par leur savoir, leur courage et leurs vertus. Que les amis de l’humanité et de la civilisation ne se désunissent pas; qu’ils forment, ou contraire, un faisceau indissoluble, car la superstition veille toujours et guette le moment de ressaisir sa proie. \037XVI. \037J’ai raconté, dans le cours de ma relation, que deux chartreux quittaient souvent leur couvent du Desierlo de las palmat, et venaient, en contrebande, me voir à ma dation, située environ deux cents mètres plus haut, Quelques détails pourront donner une idée de ce qu’étaient certains moines, dans la Péninsule, en 1807. L’un des deux, le père Trivulce, était vieux; l’autre, nu contraire, était très-jeune. Le premier, d’origine franruise avait joué un rôle à Marseille, dans les événements contre révolutionnaires dont cette ville fut le \037

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U HISTOIRE \037théâtre au commencement de notre première révolution. Son rôle avait été très-actif on en voyait la preuve aux cicatrices de coups de sabre qui sillonnaient sa poitrine. Ce fut lui qui vint le premier. En voyant monter son jeune camarade, il se cacha; mais, dès que celui-ci fut entré en pleine conversation avec moi, Ic père Trivulce se montra tout à coup. Son apparition fit l’effet de la tête de Méduse. « Rassurez-vous, dit-il à son jeune confrère: ne nous dénonçons pas réciproquement, car notre prieur n’est pas homme à nous pardonner d’être venus ici enfreindre notre vœu de silence, et nous recevrions tous les deux une punition dont nous conserverions longtemps le souvenir. Le traité fut conclu aussitôt, et à partir de ce jour, les deux chartreux vinrent très-souvent s’entretenir avec moi. \037Le plus jeune de nos deux visiteurs était Aragonais; sa famillc l’avait fait moine contre sa volonté. Il me racontait un jour, devant M. Biot, revenu de Tarragone, où il s’était réfugié pour se guérir de la fièvre, des détails qui, suivant lui, prouvaient qu’il n’y avait plus en Espagne que des simulacres de religion. Ces détails étaient surtout empruntés au mystère de la confession. M, B;ot témoigna brusquement le déplaisir que cette conversation lui causait il y eut même, dans ses paroles, quel(lues mots qui portèrent le moine à supposer que M. Biot le prenait pour une sorte d’espion. Dès que ce soupçon eut traversé son esprit, il nous quitta sans mot dire, et le lendemain matin je le vis monter de bonne heure, anné d’un fusil. Le moine français l’avait précédé, et m’avait dit à l’oreille quel danger menaçait mon confrère. Joi- \037

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DE MA JEUNESSE. » \037giicz-vou» à moi, ajouta-t-il pour détourner le jeune moine aragonais de son projet homicide. Je n’ai pas besoin de dire que je m’employai avec ardeur dans cette négociation, où j’eus le bonheur de réussir. Il y avait là, comme on le voit, l’étoffe d’un chef de guérillero*. Je .serais bien étonné que mon jeune moine n’eût pas joué un rôle dans la guerre de l’indépendance. \037XVII. \037L’anecdote que je vais raconter prouvera amplement que la religion était, pour les moines chartreux du Iksierto de las Palmai, non la conséquence de sentiments élevés, mais une simple réunion de pratiques superstitieuses. \037La scène du fusil toujours présente à mon esprit, me semblait établir que le jeune moine aragonais, poussé par ses passions, serait capable des actions les plus criminelles. Aussi, je fus très-désagréablement impressionné, lorsqu’un dimanche, étant descendu pour entendre la messe, je rencontrai ce moine qui, sans mot dire, me con. duisit, par une série de sombres corridors, dans une chapelle où le jour ne pénétrait que par une très-petite fenêtre. U je trouvai le père Trivulce, qui se mit en mesure de dire la messe pour moi seul. Le jeune moine la servait. Tout à coup, un instant avant la consécration, Ic père Trivulce, se tournant de mon côté, me dit ces propres paroles « Nous avons la permission de dire la messe avec du vin blanc; nous nous servons pour cela de celui que nous recueillons dans nos vignes ce vin est très-bon. \037

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16 HISTOIRE \037Demandez au prieur de vous en faire goûter, lorsque, en sortant d’ici, vous irez déjeuner avec lui. Au surplus, vous pouvez vous assurer à l’instant de la vérité de ce que je vous dis.. Et il me présenta la burette pour’me faire boire. Je résistai fortement, non-seulement à cause de ce que je trouvai d’indécent dans cette invitation jetée au milieu de la messe, mais encore parce que, je dois l’avouer, je conçus un moment la pensée que les moines voulaient, en m’empoisonnant, se venger sur moi de l’avanie que M. Biot leur avait faite. Je reconnus que je m’étais trompé, que mes soupçons n’avaient aucun fondement car le père Trivulce reprit la messe interrompue, but, et but largement le vin blanc renfermé dans une des burettes. Quoi qu’il en soit, lorsque je fus sorti des mains des deux moines, et que je pus respirer l’air pur de la campagne, j’éprouvai une vive satisfaction. XVIII. \037Le droit d’asile accordé à quelques églises était un des plus hideux privilèges parmi ceux dont la révolution de 89 débarrassa la France. En 1807, ce droit existait encore en Espagne, et appartenait, je crois, è toutes les cathédrales. J’appris, pendant mon séjour à Barcelone, qu’il y avait, dans un petit clottre attenant à la plus grande église de cette ville, un voleur de grand chemin, un homme coupable de plusieurs assassinats, qui y vivait tranquillement, garanti contre toute poursuite par la sainteté du lieu. Je voulus m’assurer par mes yeux de la réalité du fait, et je me rendis avec mon ami Rodriguez \037

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DB MA JBUNB8SE. 31 \037dans le petit clottre en question. L’assassin prenait alors un repas qu’une femme venait de lui apporter. Il devina aisément le but de notre visite, et fit incontinent des démonstrations qui nous prouvèrent que si l’asile était sûr pour le détrousseur de grands chemins, il ne le serait guère pour nous. Nous nous retirâmes sur-le-champ en déplorant que dans un pays qui se disait civilisé, il existât encore des abus aussi criants, aussi monstrueux. XIX. \037Pour réussir dans nos opérations géodésiques, pour obtenir le concours des habitants des villages voisins de nos stations, nous avions besoin d’être recommandés aux curés. Nous allâmes donc, M. Lanusse, vice-consul de France, M. Biot et moi, rendre visite à l’archevêque de Valence, afin de solliciter sa protection. Cet archevêque, t homme de très-haute taille, était alors général des franciscains; son costume, plus que négligé, sa robe grise, couverte de tabac, contrastaient avec la magnificence du palais archiépiscopal. Il nous reçut avec bonté, et nous promit toutes les recommandations désirables: mais, au moment de prendre congé de lui, nos affaires semblèrent se gâter. M. Lanusse et M. Biot sortirent de la salle de réception sans baiser la main de Monseigneur, (luoiqu’il l’eût présentée à chacun d’eux très-gracieusement. L’archevêque se dédommagea sur ma pauvre personne. Un mouvement qui faillit me casser tes dents, un geste que je pourrais justement appeler un coup de poing, me prouva que le général des franciscains, malgré son \037

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38 HISTOIRE \037vœu d’humilité, avait été choqué du sans-façon de mes deux compagnons de visite. J’allais me plaindre de la brusquerie dont il usait à mon égard; mais j’avais devant les yeux les nécessités de nos opérations trigonométriques, et je me tus. \037D’ailleurs, à l’instant où le poing serré de l’archevéque s’appliqua sur mes lèvres, je songeais encore aux belles expériences d’optique qu’il eût été possible de faire avec la magnifique pierre qui ornait son anneau pastoral. Cette idée, je le dis franchement, m’avait préoccupé pendant toute la durée de la visite. \037XX. \037M. Biot étant enfin venu me retrouvera Valence, où j’attendais, comme je l’ai dit, de nouveaux instruments, nous nous rendtmes à Formentera, extrémité méridionale de notre arc, dont nous déterminâmes la latitude. M, Biot me quitta ensuite pour retourner à Paris, pendant que je joignais géodésiquement l’tle Maynrque à Iviza et à Formentera, obtenant ainsi, à l’aide d’un seul triangle, la mesure d’un arc de parallèle de un degré et demi. \037Je me rendis ensuite à Mayorque, pour y mesurer la latitude et l’azimut. \037A cette époque, la fermentation politique, engendrée par l’entrée des Français en Espagne, commençait i envahir toute la Péninsule et les Iles qui en dépendent. Cette fermentation n’atteignait encore, à Mayorque, que )fts ministres*, les partisans et les parents du prince de In \037

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DG MA JEUNESSE. %9 \037Paix. Tous les soirs, je voyais traîner en triomphe, sur In place de Palma, capitale do l’tle Mayorque, tantôt tes voitures en flammes du ministre Sollcr, tantôt les voitures de l’évéque, et même celles de simples particuliers soupçonnés d’être attachés à la fortune du favori Godoï. J’étais loin de soupçonner alors que mon tour allait bientôt arriver. \037Ma station mayorquino, le Clopde Calaxo, montagne très-élevée était située précisément au-dessus du port oii débarqua don Jayme el Conquistador lorsqu’il alla enlever les Iles Baléares aux Maures. Le bruit se répandit dans la population que je m’étais établi là pour favoriser l’arrivée de l’armée française, et que tous les soirs je lui faisais des signaux. Ces bruits toutefois ne devinrent menaçants pour moi qu’au moment de l’arrivée à Palma, le 27, mai 1808, d’un officier d’ordonnance de Napoléon. Cet officier était M. Berthemie il portait à l’escadre espagnole, à Mahon, l’ordre de se rendre en toute hAte à Toulon. Un soulèvement général, qui mit la vie de cet officier en danger, suivit la nouvelle de sa mission. Le capitaine -général Vives ne parvint même à lui sauver la vie qu’en le faisant enfermer dans le château fort de Bel ver. On se souvint alors du Français établi au Clop île Galaxo et l’on forma une expédition populaire pour aller s’en saisir. \037M. Damian patron du mistic que le gouvernement espagnol avait mis à ma disposition, prit les devants et m’apporta un costume à l’aide duquel je me déguisai. En me dirigeant vers Palma, en compagnie du brave marin, nous r^ncontrAmes l’attroupement qui allait à ma re- \037

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40 HISTOIRB \037cherche. On ne me reconnut pas, car je parlais parfaitement le mayorquin. J’encourageai fortement les hommes de ce détachement à continuer leur route, et je m’acheminai vers Palma. La nuit, je me rendis à bord du mistic, commandé par don Manuel de Vacaro, que Ic gouvernement espagnol avait placé sous mes ordres. Je demandai à cet officier s’il voulait me conduire à Barcelone, occupé par tes Français, lui promettant que, si l’on faisait mine de le retenir, je reviendrais sur-le-champ me constituer prisonnier» \037Don Manuel, qui jusqu’alors avait montré envers moi une obséquiosité extrême, n’eut que des paroles de rudesse et de défiance. Il se fit, sur le môle, où le mistic était amarré, un mouvement tumultueux que Vacaro m’assura être dirigé contre moi. « Soyez sans inquiétude me dit-il; si l’on pénètre dans le navire, vous vous cacherez dans ce bahut, J’en fis l’essai mais la caisse qu’il me montrait était si exiguë que mes jambes étaient tout entières en dehors, et que le couvercle ne pouvait pas se fermer. Je compris parfaitement ce que cela voulait dire, et je demandai à M. Vacaro de me faire enfermer aussi au château de Belver. L’ordre d’incarcération du capitaine-général étant arrivé, je descendis dans la chaloupe où les matelots du mistic me reçurent avec effusion. Au moment où ils traversaient la rade, la populace m’aperçut, se mit à ma poursuite, et ce ne fut qu’avec l>caucoup de peine que j’atteignis Belver sain et sauf. Je n’avais, en effet, reçu dans ma course qu’un léger coup de poignard à la cuisse. On a vu souvent des prisonniers s’éloigner à toutes jambes de leur cachot je suis le \037

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DE MA JEUNESSE. U \037premier, peut-être, è qui il ait été donné de faire l’inverse. Cela ee passait le 1" ou le 2 juin 1808. Le gouverneur de Belver était un personnage tresextraordinaire. S’il vit encore, il pourra me demander un certificat de priorité sur les hydropathes modernes le capitaine grenadin soutenait que l’eau pure, administrée convenablement, était un moyen de traiter toutes les maladies, même les amputations. En écoutant ses théories tres-patiemment et sans jamais l’interrompre, je conquis ses bonnes grâces. Ce fut sur ea demande, et dans l’intérêt de notre sûreté qu’une garnison suisse remplaça la troupe espagnole qui jusque-là avait été employée à la garde de Belver. Ce fut aussi par lui que j’appris un jour qu’un moine avait proposé aux soldats qui allaient chercher ma nourriture en ville, de verser du poison dans l’un des plats. \037Tous mes anciens amis de Mayorque m’avaient abandonné au moment de ma détention. J’avais eu avec don Manuel de-Vacaro une correspondance très-acerbe pour obtenir la restitution du sauf-conduit que l’amirauté anglaise nous avait délivré. M. Rodriguez seul osait venir me visiter en plein jour, et m’apporter toutes le» consolations qui étaient en son pouvoir. \037XXI. \037L’excellent 11. Rodriguez, pour tromper les ennuis de mon incarcération, me remettait de temps en temps les journaux qui se publiaient alors sur divers points de la JV’tiinsulo. Il nu; le» envoyait souvent sans les lire. l’ne \037

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M HISTOIRE \037fois, je vis dans ces journaux le récit des horribles massacres dont la ville de Valence, je ine trompe, dont la place des ’taurcauoo avait été le théâtre, et dans lesquels disparut, sous la pique du toréador, la presque totalité des Français établis dans cette ville (plus de 350). Un autre journal renfermait un article portant ce titre JWaftûn <~ ~o dAo~o~MM <<c~ «~ ~r<t~ e < <~or B~ cion d$ la ahorcadura del sefbr Arago e del teHor Berthemie littéralement Relation du supplice de Ht. Arago et de M. Berthemie. Cette relation parlait des deux supplicié* dans des termes très-différents. M. Berthemie était un huguenot, il avait été sourd à toutes les exhortations il avait craché à la figure de l’ecclésiastique qui t’assistait, et même sur l’image du Christ. Pour moi, je m’étais conduit avec beaucoup de décence et m’étais laissé pendre sans soulever aucun scandale. Aussi, l’auteur de la relation témoignait ses regrets de ce qu’un jeune astronome avait eu la faiblesse de s’associer à une trahison, en venant, sous le couvert de la science, favoriser l’entrée de l’armée française dans un royaume ami. Après la lecture de cet article, je pris immédiatement mon parti • Puisqu’on parle de mon supplice, dis-je à mon ami Rodriguez, l’événement ne tardera pas à arriver j’aime mieux être noyé que pendu je veux m’évader de cette forteresse c’est à vous de m’en fournir les moyens. » Rodriguez, sachant mieux que personne combien mes appréhensions étaient fondées, se mit aussitôt à l’œuvre. II alla chez le capitaine-général et lui fit sentir tous les dangers de sa position si je disparaissais dans une émeute populaire, ou même s’il avait la main forcée pour se débarrasser de moi. Ses observations furent d’autant mieux \037

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DE MA JEUNESSE. 41 \037comprises, que personne ne pouvait alors prévoir quelle serait l’issue de la révolution espagnole. « Je prends l’engagement, dit le capitaine-général Vives à mon colla»Orateur Rodriguez, de donner au commandant de la forteresse l’ordre de laisser sortir, quand le moment sera venu, M. Arago et même les deux ou trois autres Français qui sont avec lui dans le château de Belver. Ils n’auront donc nullement besoin des moyens d’évasion qu’ils se sont procurés; mais j’entends rester en dehors de tous les préparatifs qui deviendront nécessaires pour faire sortir de l’lie les fugitif.; je laisse tout cela sous votre responsabilité. » \037Rodriguez s’entendit immédiatement avec le brave patron Damian; il fut convenu entre eux que Damian prendrait le commandement d’une barque à demi pontée que le vent avait poussée sur la plage, qu’il l’équipcrait comme s’il voulait aller à la poche, qu’il nous porterait à Alger, après quoi sa rentrée à Palma, avec ou sans poisson, n’inspirerait aucun soupçon. \037Les choses furent exécutées suivant ces conventions, et malgré la surveillance inquisitoriale que don Manuel de Vacaro exerçait sur le patron de son mistic. \037Le 28 juillet i808, nous descendions silencieusement la colline sur laquelle Belver est bâtie, au moment mcme où la famille du ministre Soller entrait dans la forteresse pour se soustraire aux fureurs de la populace. Parvenus sur le rivage, nous y trouvâmes Damian, sa barque et trois matelots. Nous nous embarquâmes sur-le-champ et mimes à la voile; Damian avait eu la précaution de réunir aussi wir ce fréïo navire les instruments de prix qu’il \037

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41 HISTOIRE \037avait enlevés à ma station du Clop de Galazo. La mer était mauvaise; Damian crut prudent de s’arrêter à la petite tic de Cabrera, destinée à devenir, peu de temps npri-s, si tristement célèbre par les souffrances qu’y éprouvèrent les soldats de l’armée de Dupont, après la honteuse capitulation de Baylen. Là, un incident singulier faillit tout compromettre. Cabrera assez voisine de l’extrémité méridionale de Mayorque, est souvent visitée par des pécheurs venant de cette partie de l’Ile. M. Berthemie craignait assez justement que, le bruit de l’évasion étant répandu, on ne dépéchât quelques barques pour se saisir de nous. Il trouvait notre relâche inopportune; je soutenais qu’il fallait s’en rapporter à la prudence du patron. Pendant cette discussion, les trois marins que Damian avait enrôlés virent que M. Berthemie, que j’avais fait passer pour mon domestique, soutenait son opinion contre moi sur le pied d’égalité. Ils s’adressèrent alors en ces termes au patron \037« Nous n’avons consenti à prendre part à cette expédition qu’à la condition que l’aide de camp de l’Empereur, renfermé à Belver, ne figurerait pas au nombre des personnes que nous enlèverions. Nous ne voulions nous prêter qu’à la fuite de l’astronome. Puisqu’il en est autrement, il faut que vous laissiez cet officier ici, à moins que vous ne préfériez le jeter à la mer. » \037Damian me fit part aussitôt des dispositions impératives de son équipage. M. Berthemie convint avec moi qu’il souffrirait quelques brutalités qui ne pouvaient être tolérées que par un domestique menacé par son maître; tous le-* soupçons disparurent. \037

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DE MA JEUNESSE. 4* \037Damian, qui craignait aussi pour lui-même l’arrivée de quelques pécheurs mayorquains, s’empressa de mettre à la voile, le 29 juillet 1808, dès le premier moment favorable, et nous arrivâmes à Alger le 3 août. XXII. \037Nos regards se portaient avec anxiété sur le port pour deviner la réception qui nous y attendait. Nous fûmos rassurés par la vue du pavillon tricolore qui flottait sur deux ou trois bâtiments. Mais nous nous trompions; ces bâtiments étaient hollandais. Dès notre entrée, un Espagnol, que nous primes, à son ton d’autorité, pour un foncliunnaire supérieur de la régence, s’approcha de Damian et lui demanda: Que portez-vous? Je porte, rélondit le patron, quatre Français. Vous allez Ics remporter sur-le-champ; je vous défends de débarquer. » Comme nous faisions mine de ne pas obtempérer à son ordre, notre Espagnol, c’était l’ingénieur constructeur des navires du dey, s’arma d’une perche, et se mit à nous assommer de coups. Mais, incontinent, un marin génois, monté sur un bateau voisin, s’arma d’un aviron et frappa d’estocet de taille notre assaillant. Pendant ce combat animé, nous desccndtmcs à terre sans que personne s’y y opposât. Nous avions conçu une singulière idée de la manière dont la police se faisait sur la côte d’Afrique. Nous nous rendtmes chez le consul de France, M. Du.bois-ThainviUe; il était a sa campagne. Escortés par le janissaire du consulat, nous nous acheminâmes vers cette campagne, l’une des anciennes résidences du dey, située \037

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40 r) HISTOIRE \037non loin de la porte de Bub-.Uoun. Le consul et sa famille nous reçurent avec une grande aménité et nous donnèrent l’hospitalité. \037Transporté subitement sur un continent nouveau, j’attendais avec anxiété le lever du soleil pour jouir de tout ce que l’Afrique devait offrir de curieux à un Européen, lorsque je me crus engagé dans une aventure grave. A lu lueur du crépuscule, je vis un animal qui se mouvait au pied de mon lit. Je donnai un coup de pied; tout mouvement cessa. Après quelque temps, je sentis le mémo mouvement s’exécuter sous mes jambes; une brusque secousse le fit cesser aussitôt. J’entendis alors les éclats de rire du janissaire, couché, sur un canapé, dans la r.ième chambre que moi, et je vis bientôt qu’il avait simplement, pour s’amuser de mon inquiétude, placé sur mon lit un gros hérisson. \037Le consul s’occupa, te lendemain, de nous procurer le passage sur un bâtiment de la Régence qui devait partir pour Marseille. M. Ferrier, chancelier du consulat français était en même temps consul d’Autriche. Il nous procura deux faux passe-ports qui nous transformaient, M. Berthcmie et moi, en deux marchands ambulants, l’un de Schmkat, en Hongrie, l’autre de Leoben. XXIII. \037Le moment du départ était arrivé le 13 août 1808, nous étions à bord; l’équipage n’était pas encore embarqué. Le capitaine en titre, Rai Braham Ouled Mustapha Goja, s’étant aperçu que le dey était sur sa terrasse, et \037

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DE MA JEUNESSE. 47 \037craignant une punition s’il tardait à mettre à la voile, compléta son équipage aux dépens des curieux qui regardaient sur le môle, et dont la plupart n’étaient pas marins ces pauvres gens demandaient en grâce la permis- sion d’aller informer leurs familles de ce départ précipité, et de prendre quelques vêtements. Le capitaine resta sourd à ces réclamations. Nous levâmes l’ancre. Le navire appartenait à l’émir de Seca directeur de la Monnaie. Son commandant réel était un capitaine grec, appelé Spiro Calligero. La cargaison consistait en un grand nombre de groupes. Parmi les passagers se trouvaient cinq membres de la famille à laquelle tes Bakri avaient succédé comme rois des Juifs deux marchands de plumes d’autruche, Marocains; le capitaine Krog, de Berghen en Norvège, qui avait vendu son bâtiment à Alicante deux tiens que le dey envoyait à l’empereur Napoléon, et un grand nombre de singes. Les premiers jours de notre navigation furent très-heureux. Par le travers de la Sardaigne nous rencontrâmes un bdtiment américain qui sortait de Cagliari. Un coup de canon (nous étions armés de quatorze pièces de petit calibre) avertit le capitaine de venir se faire reconnaître. Il apporta à bord un certain nombre de talons de passeports, dont l’un s’ajusta parfaitement avec celui dont nous étions porteurs. Le capitaine se trouvait ainsi en r^gle, et ne fut pas médiocrement étonné lorsque je lui ordonnai, au nom du capitaine Braham, de nous fournir du thé, du café et du sucre. Le capitaine américain protesta il nous appela brigands, écumeurs de mer, furbans Ic capitaine Braham admit sans difficulté toutes \037

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iti HISTOIRE \037cos qualifications, et n’en persista pas moins à exiger du Hicre, du café et du thé. \037L’Américain, poussé alors jusqu’au dernier terme de l’exaspération, s’ adressant à moi qui servais d’interprète Oh coquin de renégat I s’écria-t-il, si jamais je te rencontre en terre sainte, je ferai sauter ta tète en éclats. – Croyez-vous donc, lui répondis-je, que je sois ici pour mon plaisir, et que, malgré votre menace, je ne m’en irais pas avec vous, si je le pouvais? Ces paroles le calmèrent; il apporta le sucre, le café et le thé réclamés par le chef maure, et nous remîmes à la voile, mais sans nous être donné le farewell d’usage. \037XXIV. \037Nous étions déjà entrés dans le golfe de Lyon, et nous approchions de Marseille, lorsque, le 16 août 1808 nous rencontrâmes un corsaire espagnol de Patamos, armé à la proue de deux canons de 24. Nous fîmes force do voiles; nous espérions lui échapper; mais un coup de canon, dont le boulet traversa nos voiles, nous apprit qu’il marchait beaucoup mieux que nous. \037Nous obéîmes à une injonction ainsi formulée, et attendîmes la chaloupe du corsaire. Le capitaine déclara qu’il nous faisait- prisonniers, quoique l’Espagne fût en paix avec les Barbaresques, sous le prétexte que nous violions le blocus qu’on venait de mettre sur toutes les côtes de France; il ajouta qu’il allait nous mener à Robas, et que là les autorités décideraient de notre sort. J’étais dans la chambre du bâtiment; j’eus la curiosité \037

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DB MA JBUNB8SB. t9 \037w t* -~ttt~––~Jt-<t-~< ~ti* \0371 0 J’ I. 1. 4 \037de regarder furtivement l’équipage de la chaloupe, et j’y y aperçus, avec un déplaisir que tout le monde concevra, un des matelots du mistic commandé par don Manuel de Vacaro, le nommé Pablo Blanco, de Palamos, qui m’avait souvent servi de domestique pendant mes opérations géodésiques. Mon faux passe-port devenait dès ce moment inutile, si Pablo me reconnaissait. Je me couchai aussitôt, j’enveloppai ma tête dans ma couvertun!, et je ne bougeai pas plus qu’une statue. \037Dans tes deux jours qui n’écouleront entre notre capturc et notre entrée dans la rade de Rosas, Pablo, que la curiosité conduisait souvent dans la chambre, s’écriait Voilà un passager dont je n’ai pas encore réussi à voir la figure.. » \037Lorsque nous fûmes arrivés à Rosas, on décida que nous serions mis en quarantaine dans un moulin à vent démantelé, situé sur la route qui conduit à Figucras. J’eus le soin de m’embarquer sur une chaloupe à laquelle Pablo n’appartenait pas. Le corsaire partit pour une nouvelle croisière, et je fus un moment débarrassé des préoccupations que me donnait mon ancien domestique. XXV. \037Notre bâtiment était richement chargé; les autorités espagnoles désiraient dès lors beaucoup le déclarer de bonne prise ils firent semblant de croire que j’en étais le propriétaire, et voulurent, pour brusquer les choses, m’intorroger, même sans attendre la fin de la quarantaine. On lendit deux cordes entre le moulin et la plage, et un \037

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M HISTOIRE \037juge se pla<;a en face de moi. Comme l’interrogatoire se faisait de très-loin, le nombreux public qui nous entourait prenait une part directe aux questions et aux réponses. Je vais essayer de reproduire ce dialogue avec toute la fidélité possible \037« Qui étes-vous? \037Un pauvre marchand ambulant. \037D’où êtes-vous? \037D’un pays où certainement vous n’avez jamais été. Enfin, quel est ce pays? » \037Je craignais de répondre, car les passe-ports, trempés dans le vinaigre, étaient dans les mains du juge instructeur, et j’avais oublié si j’étais de Schwekat ou de Lcobcn. Je répondis, enfin, à tout hasard \037f Je suis de Schwekat. • \037Et cette indication se trouvait heureusement conforme à celle du passe-port. \037< Vous êtes de Schwekat comme moi me répondit le juge. Vous êtes espagnol, et même espagnol du royaume de Valence, comme je le vois à votre accent. Vous allez me punir, Monsieur, de ce que la nature m’a donné le don des langues. J’apprends avec facilité les dialectes des contrées où je vais exercer mon commerce j’ai appris, par exemple, le dialecte d’Iviza. – Eh bien, vous serez pris au mot J’aperçois ici un soldat d’Iviza; vous allez lier conversation avec lui. \037J’y consens; je vais même chanter la chanson de» chèvres. » \037Les vers de ce chant (si vers il y a) sont séparés de \037

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DE MA JEUNESSE. M \037deux en deux par une imitation du Moment de la chèvre. \037Je me mis aussitôt, avec une audace dont je suis actuellement étonné, à entonner cet air chanté par tous les bergers de l’Ile \037Ab graclad» «clora \037Una canzo bouil canta \037Ln~ caMO bout) canta \037M bè bè M. \037No sera gatra pulida, \037Sosé ai vo» agradara \037D~ bè I~ 1~. \037Voilà mon Ivizanero, pour qui cet air faisait l’elfet du ranz des vaches sur les Suisses, déclarant, tout en pleurs, que je suis originaire divisa. \037Je dis alors au juge que s’il veut me mettre en contact avec une personne sachant la langue française, on arri.vera à une solution tout aussi embarrassante. Un officier émigré, du régiment de Bourbon, s’offre incontinent pour faire l’expérience, et, apre. quelques phrases échangées entre nous, affirme sans hésiter que je suis Français, Le juge, impatienté, s’écrie Mettons fin à ces épreuves qui ne décident rien. Je vous somme, Monsieur, do me dire qui vous êtes. Je vous promets la vie sauve fi vous me répondez avec sincérité. \037Mon plus grand désir serait de voua faire une n>ponse qui vous satisfit. Je vais donc cssayer; mais je vous préviens que je ne vais pas dire la vérité. Je suis le fi!» de l’aubergiste de Mntnrù. \037Je connais cet aubergiste vous n’êtes pas son fils. Vous avez raison. Je vous ai annoncé que je varic- \037

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Si HISTOIRE \037rai* mes réponses jusqu’à ce qu’il y en eut une qui vous convint. Je reprends donc, et je vous dis que je suis un litirilero (joueur de marionnettes), et que j’exerçais à Lerida. » \037l’n énorme éclat de rire de tout le public qui nous entourait accueillit cette réponse, et mit fin aux questions. Je jure par le diable, s’écria le juge, que je découvrirai tôt ou tard qui vous êtes I » \037Et il se retira. \037XXVI. \037Les Arabes, les Marocains, les Juifs, témoins de cet interrogatoire, n’y avaient rien compris; ils avaient vu seulement que je ne m’étais pas laissé intimider. A la fin de l’entretien, ils vinrent me baiser la main, et m’accordèrent, dès ce moment, leur entière confiance. Je devins leur secrétaire pour toutes les réclamations Individuelles ou collectives qu’ils se croyaient en droit d’adresser au gouvernement espagnol et ce droit était incontestable. Tous les jours j’étais occupé à rédiger des pétitions, surtout au nom des deux marchands de plumes d’autruche, dont l’un se disait assez proche parent de l’empereur de Maroc. Émerveillé de la rapidité avec laquelle je remplissais une page de mon écriture, ils imaginèrent sans doute que j’écrirais aussi vite en caractères arabes, lorsqu’il s’agirait de transcrire les passages du Koran que ce serait là pour moi et pour eux la source d’une brillante fortune, et ils me sollicitèrent, à mains jointes, de me faire mahométun. \037

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DE MA JEUNESSE. na \037Tros-pcu rassuré par les dernières paroles du juge instructeur, je cherchai momentanément mon salut d’un autre côté. \037J’étais possesseur d’un sauf-conduit de l’amirauté anglaise j’écrivis donc une lettre confidentielle au capitaine d’un vaisseau anglais, f Aigle, je crois, qui avait jeté l’ancre depuis quelques jours dans la rade de Kosos. Je lui expliquai ma position, f Vous pouvez, lui disais-je, me réclamer, puisque j’ai un passe-port anglais. Si cette démarche vous coûte trop, ayez la bonté de prendre mes manuscrits et de les envoyer à la Société royale de Londres. • Un des soldats qui nous gardaient et à qui j’avais eu le bonheur d’inspirer quelque intérêt, se chargea de remettre ma lettre. Le capitaine anglais vint me voir il s’appelait si j’ai bonne mémoire, (îeorge Eyre. Nous eûmes une conversation particulière sur le bord de li r plnge. George Eyre croyait peut-être que les manuscrits de mes observations étaient contenus dans un registre relié en maroquin et doré sur tranche. Lorsqu’il vit que ces manuscrits se composaient de feuilles isolées, couvertes de chiffres, que j’avais cachées sous ma chemise, le dédain succéda à l’intérêt, et il me quitta brusquement. Revenu à son bord, il m’écrivit une lettre que je retrouverais au besoin, et dans laquelle il me disait Je ne puis pas me mêler de votre affaire. Adressez-vous au gouvernement espagnol j’ai la persuasion qu’il fera droit a votre réclamation, et ne vous molestera pas. Comme je n’avais pas la même persuasion que le capitaine George Kyre je pris le parti de ne tenir aucun compte de ses conseils. \037

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5i HISTOIRE \037Quelque temps après, je dois dire qu’ayant raconté ces détails en Angleterre, chez sir Joseph Banks, la conduite de George Eyre fut sévèrement blâmée; mais, lorsqu’on déjeune et dlne au son d’une musique harmonieuse, peut-on accorder son intérêt à un pauvre diable couche sur la paille et rongé de vermine, eût-il des manuscrits sous sa chemise? Je puis ajouter que j’eus le malheur d’avoir affaire à un capitaine d’un caractère exceptionnel. Quelques jours plus tard, en effet, un nouveau vaisseau, le Colo$su$, étant arrivé en rade, et le capitaine norvégien Krog, quoiqu’il n’eût pas comme moi de passe-port de l’amirauté, s’étant adressé au commandant de ce nouveau bâtiment, fut immédiatement réclamé, et arraché a notre captivité. \037XXVII. \037\a bruit que j’étais un Espagnol transfuge et propriétaire du bâtiment s’accréditant de plus en plus, et cette position étant la plus dangereuse de toutes, je résolus d’en sortir. Je priai le commandant de la place, M. Alloy, de venir recevoir mu déclaration, et je lui annonçai que j’étais Français. Pour lui prouver la vérité de mes paroles, je l’invitai à faire venir Pablo Blanco, matelot embarqué sur le corsaire qui nous avait pris, et qui était depuis peu de temps rentré de sa croisière. Cela fut fait ainsi que je le désirais. En descendant sur la plage, Pablo Blanco, qui n’avait pas été prévenu, s’écria avec surprise :<Quoi! vous, don Francisco, mêlé à tous ces mécréants Ce matelot donna au gouverneur des ren- \037

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DE MA JBUNBSSE. »!> \037geignements circonstanciés sur la mission que je remplissais avec deux commissaires espagnols. Ma nationalité se trouvait ainsi constatée. \037Le jour même, Alloy fut remplacé dans le commandement de la forteresse par le colonel irlandais du régiment d’Ultonia le corsaire partit pour une nouvelle croisière, emmenant Pablo Blanco, et je redevins le marchand ambulant de Schwekat. \037Du moulin à vent où nous faisions notre quarantaine, je voyais flotter le pavillon tricolore sur la forteresse de Figueras. Des reconnaissances de cavalerie venaient quelquefois jusqu’à la distance de cinq à six cents mètres il ne m’eût donc pas été très-difficile de m’échopper. Cependant, comme les règlements contre ceux qui violent les lois sanitaires sont très-rigoureuses en Espagne, comme ils prononcent la peine de mort contre celui qui les enfreint, je ne me déterminai à m’évader que la veille de notre entrée en libre pratique. \037La nuit étant venue, je me glissai à quatre pattes le long des broussailles, et j’eus bientôt dépassé la ligne des sentinelles qui nous gardaient. Une rumeur bruyante que j’entendis parmi les Maures me détermina à rentrer, et je trouvai ces pauvres gens dans un état d’inquiétude indicible ils se croyaient perdus, si je partais; je restai donc. Le lendemain, un fort piquet de troupes se présenta devant le moulin. Les manœuvres qu’il faisait nous inspirèrent à tous des inquiétudes, notamment au capitaine Krog Que veut-on faire de nous?. s’écria-t-il. Hélas! vous ne le verrez que trop tôt, » répliqua l’officier espagnol. Cette réponse fit croire à tout le monde \037

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fit HISTOIRE \037qu’on allait nous fusiller. Ce qui aurait pu me fortifier dans cette idée, c’était l’obstination que le capitaine Krog et deux autres individus de petite taille mettaient à se cacher derrière moi. Un maniement d’armes nous fit penser que nous n’avions plus que quelques secondes à vivre. En analysant les sensations que j’éprouvai dans cette circonstance solennelle, je suis arrivé à me persuader qu’un homme que l’on conduit à la mort n’est pas aussi malheureux que le public se l’imagine. Cinquante idées se présentaient presque simultanément à mon esprit, et je n’en creusais aucune; je me rappelle seulement les deux suivantes, qui sont restées gravées dans mon souvenir en tournant la tête vers ma droite, j’apercevais le drapeau national flottant sur les bastions de Figueras, et je mo disais r Si je me déplaçais de quelques centaines de mètres, je serais entouré de camarades, d’amis, de concitoyens, qui me serreraient affectueusement tes mains; ici, sans qu’on puisse m’imputer aucun crime, je vais, à vingt-deux ans, recevoir la mort. Mais voici ce qui m’émut le plus profondément en regardant les Pyrénées, j’en voyais distinctement les pics, et je réfléchis que ma mère, de l’autre côté de la chatne, pouvait en ce moment suprême les regarder paisiblement. \037XXVIII. \037Les autorités espagnoles, reconnaissant que pour racheter ma vie je ne me déclarais pas le propriétaire du bâtiment, nous firent conduire, sans autre molestation, ù la forteresse de Rosas. Ayant à défiler devant presque \037

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DE MA JBUNESSE. 87 \037tous les habitants de la ville j’avais d’abord voulu par un sentiment de fausse honte, laisser dans le moulin les restes de nos repas de la semaine. Mais II. Berthemie, plus prévoyant que moi, portait sur l’épaule une grande quantité de morceaux de pain noir passés dans une ficelle; je l’imitai je me munis bravement de notre vieille marmite, la mis sur mon épaule, et c’est dans cet accoutrement que je fis mon entrée dans la fameuse forteresse. \037On nous plaça dans une casemate où nous avions à peine respace nécessaire pour nous coucher. Dans le moulin à vent, on nous apportait, de temps en temps, quelques provisions venant de notre navire. Ici, le gouvernement espagnol pourvoyait à notre nourriture; nous recevions tous les jours du pain et une ration de riz mais, comme nous n’avions aucun moyen de cuisson, nous étions en réalité réduits au pain sec. \037Le pain sec était une nourriture bien peu substantiel pour qui voyait à la porte de sa prison, de sa casemate, une vivandière vendant des raisins à deux liards la livre et faisant cuire, à l’abri d’un demi-tonneau, du lard et des harengs; mais nous n’avions pas d’argent pour nous mettre en rapport avec cette marchande. Je me décidai alors, quoique avec un très-grand regret, à vendre une montre que mon père m’avait donnée. On m’en offrit a peu près le quart de sa valeur il fallut bien accepter, puisqu’il n’y avait pas de concurrents. \037Possesseurs de soixante francs, nous pûmes, M. Berthemie et moi, assouvir la faim dont nous souffrions de. puis longtemps mais nous ne voulûmes pas que ce re- \037

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r.8 HISTOIRE \037tour de fortune ne profitât qu’à nous seuls, et nous fîmes des libéralités qui furent très-bien accueillies par nos compagnons de captivité. Si cette vente de ma montre nous apportait quelque soulagement, elle devait plus tard plonger une famille dans la douleur. \037La ville de Rosas tomba au pouvoir des Français, après une courageuse résistance. La garnison prisonnière fut envoyée en France, et passa naturellement à Perpignan. Mon père, en quête de nouvelles, allait partout où des Espagnols se trouvaient réunis. Il entra dans un café au moment où un officier prisonnier tirait de son gousset la montre que j’avais vendue à Rosas. Mon bon père vit dans ce fait la preuve de ma mort et tomba évanoui. L’officier tenait la montre de troisième main, et ne put donner aucun détail sur le sort de la personne à qui elle avait appartenu. XXIX. \037La casemate étant devenue nécessaire aux défenseurs de la forteresse, on nous transporta dans une petite chapelle dù l’on déposait pendant vingt-quatre heures les morts de l’hôpital. Là, nous étions gardés par des paysans venus, à travers la montagne, de divers villages et particulièrement de Cadaquès. Ces paysans, très-empressé de raconter ce qu’ils avaient vu de curieux pendant leur campagne d’un jour, me questionnaient sur les faits et gestes de tous mes compagnons d’infortune. Je satisfaisais amplement leur curiosité, étant le seul de la troupe qui sût parler l’espagnol. \037l’our capter leur bienveillance, je les questionnais moi- \037

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DE MA JEUNESSE. M \037intime longuement sur ce qu’était leur village, sur les travaux qu’on y exécutait, sur la contrebande, leur principale industrie, etc., etc. Ils répondaient à mes questions avec la loquacité ordinaire aux campagnards. Le lendemain, nos gardiens étaient remplacés par d’autres habitants du même village. • En ma qualité de marchand ambulant, dis-je à ces derniers, j’ai été jadis à Caduques, et me voilà leur parlant de ce que j’avais appris la veille, de tel individu, qui se livrait à la contrebande avec plus de succès que les autres, de sa belle habitation, des propriétés qu’il possédait près du village, enfin d’une foule de particularités qui ne semblaient pouvoir être connues que d’un habitant de Cadaquès. Ma plaisanterie produisit un effet inattendu. Des détails si circonstanciés, se dirent nos gardiens, ne peuvent pas être connus d’un marchand ambulant; ce personnage que nous trouvons ici, dans une si singulière société, est certainement originaire de Cadaquès; et le fils de l’apothicaire doit avoir a l>cu près son Age. Il était allé en Amérique tenter la fortune c’est évidemment lui qui craint de se faire connaître, ayant été rencontré avec toutes ses richesses sur un bâtiment qui se rendait en France. Le bruit grandit, prend de la consistance, et parvient aux oreilles d’une soeur de l’apothicaire, établie à Rosas. Elle accourt, croit me reconnaître et me saute au cou. Je proteste contre l’identité Bien joué! me dit-elle; le cas est grave, puisque vous avez été trouvé sur un bâtiment qui se rendait en France; persistez toujours dans vos dénégations; les circonstances deviendront peut-être plus favorables, et j’en profiterai pour assurer votre délivrance. \037

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CO HISTOIRE \037En attendant, mon cher neveu, je ne vous laisserai manquer de rien. Et, en effet, nous recevions, tous les mutins, M. Berthemie et moi, un repas confortable. XXX. \037l/t’glisc étant devenue nécessaire è la garnison pour en faire un magasin, on nous transporta, le 25 septembre 1808, dans un fort de la Trinité, dit le Bouton de lio&as, citadelle située sur un monticule à l’entrée de la rade, et nous fûmes déposés dans un souterrain profond, où la lumière du jour ne pénétrait d’aucun côté. Nous ne restâmes pas longtemps dans ce lieu infect; non parce qu’on eut pitié de nous, mais parce qu’il offrit un refage à une partie de la garnison attaquée par les Français. On nous fit descendre la nuit jusqu’au bord de la mer, et l’on nous transporta, le 17 octobre, au port de Palamos. Nous fûmes renfermés dans un ponton; nous jouissions cependant d’une certaine liberté; on nous laissait aller à terre pendant quelques heures et promener nos misères et nos haillons dans la ville. C’est là que je fis la connaissance de la duchesse douairière d’Orléans, mère de Louis-Philippe. Elle avait quitté la ville de Figueras, où elle résidait, parce que, me dit-elle, trente-deux bombes, parties de la forteresse, étaient tombées dans son habitation. Elle avait alors le projet de se réfugier à Alger, et elle me demanda de lui amener le capitaine du bâtiment dont elle aurait peut-être à Invoquer la protection. Je racontai à mon rats les malheurs de la princesse; il en fut tfinu, c je le conduisis chez elle. En entrant, il ôta par \037

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n~ MA JEUNESSE. 61 \037t~t~ -< _t. \037respect ses babouches, comme s’il avait pénétré dans une mosquée, et, les tenant à la main, il alla baiser un pan de la robe de madame d’Orléans. La princesse fut effrayée à l’aspect de cette mâle figure portant la plus longue barbe que j’aie jamais vue; elle se remit bientôt, et tout se passa avec un mélange de politesse française et de courtoisie orientale. \037Les soixante francs de Rosas étaient dépensés. Mndamc d’Orléans aurait bien voulu nous venir en aide; mais elle (’tait cllc-mémc sans argent. Tout ce dont elle put nous gratifier fut un morceau de sucre en pain. Le soir de notre visite, j’étais plus riche que la princesse. Pour soustraire à la fureur du peuple les Français qui avaient échappé aux premiers massacres, le gouvernement cspagnol les renvoyait en France sur de frôles bâtiments. L’un des cartels vint jeter l’ancre à côté de notre ponton. Un des malheureux expatriés me reconnut et m’offrit une prise de tabac. En ouvrant la tabatière, j’y trouvai una onza de oro (une once d’or), l’unique «lébris de sa fortune. Je lui remis cette tabatière, avec force remerciements, après y avoir renfermé un papier contenant ces mots: Le compatriote porteur de ce billet m’a rendu un grand service; traitez-le comme un de vos enfants. Ma demande, comme de raison, fut exaucée; c’est par ce morceau de papier, grand comme la onza de oro, que ma famille apprit que j’existais encore, et que ma mère, modèle de piété, put cesser de faire dire dos messes pour le repos de mon âme. \037Cinq jours après, un de mes hardis compatriotes arrivait a Palamos, après avoir traversé les lignes des postes \037

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r,i HISTOIRE \037français et ct$pagiio*s en présence, portant à un négociant qui avait des amis è Perpignan l’invitation de me fournir tout ce dont j’aurais besoin. L’Espagnol se montra trèsdisposé à déférer à l’invitation; mais je ne profitai pas de sa bonne volonté, à cause des événements que je rapporterai tout à l’heure. \037L’Observatoire de Paris est très-près de la barrière dans ma jeunesse, curieux d’étudier les mœurs du peuple, j’allais me promener en vue de ces cabarets que le besoin de se soustraire au paiement de l’octroi a multipliés hors des mure de la capitale; dans mes courses, j’étais souvent humilié de voir des hommes se disputer un morceau de pain, comme l’eussent fait des animaux. Mes sentiments ont bien changé à ce sujet depuis que j’ai été personnellement en butte aux tortures de la faim. J’ai reconnu, en effet, qu’un homme, quelles qu’aient été son origine, son éducation et Res habitudes, se laisse gouverner, dans certaines circonstances, bien plus par son estomac que par son intelligence et son coeur. Voici le fuit qui m’a suggéré ces réflexions. \037Pour féter l’arrivée inespérée d’una onsa de oro, nous nous étions procuré, M. Berthcmie et moi, un immense plat de pommes de terre; l’officier d’ordonnance de l’empereur le dévorait déjà du regard, quand un Marocoin qui faisait ses ablutions près de nous avec un de ses compagnons, le remplit involontairement d’ordurcs. M. Berlhemie ne put maîtriser sa colère, s’élança sur le maladroit Musulman, et lui infligea une rude punition. Je restais spectateur impassible du combat, lorsque le second Marocain vint au secours de son compatriote. La \037

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DE MA JEUNESSE. 61 \037partie notant plus égale, je pris moi-même part à lu lutte, en saisissant le nouvel assaillant par la barbe. Le combat cessa à l’instant parce que le Marocain ne voulut pas porter la main sur un homme qui écrivait si rapidement une pétition. le conflit, comme les luttes dont j’avais été souvent témoin hors des barrières de Paris, n’en avait pas moins eu pour cause un plat de pommes de terre. XXXI. \037Les Espagnols caressaient toujours l’idée que le bâtiment et sa cargaison pourraient être confisqués; une commission vint de Girone pour nous interroger. Elle se composait de deux juges civils et d’un inquisiteur. Jo servais d’interprète. Lorsque le tour de M. Berthemie fut arrivé, j’allai le chercher, et lui dis • Faites semblant de parler styrien, et soyez tranquille, je ne vous compromettrai pas en traduisant vos réponses. » \037II fut fait ainsi qu’il avait été convenu; malheureuscment la langue que parlait M. Bcrthcmie était très-peu vniïée, et les sacrement der teufel qu’il avait appris eu ADemugne lorsqu’il était aide de camp de d’IIautpoul dominaient trop dans ses discours. Quoi qu’il en soit, les juges reconnurent qu’il y avait une trop grande conformité entre ses réponses et celles que j’avais faites moi- même pour qu’il fût nécessaire de continuer un interrogatoire qui, pour le dire en passant, m’inquiétait beaucoup. Le désir de le terminer fut encore pUis vif de la part des juges, lorsque arriva le tour d’un matelot, nommé Méhémet. Au lieu de le faire jurer sur le Koran de dire lu \037

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Ci HISTOIRE \037vérité, Ic juge s’obstina à lui faire placer le pouce sur l’index de manière à figurer la croix. Je l’avertis .qu’il allait en résulter un grand scandale; et, en effet, lorsque Méhémct s’aperçut de la signification de ce signe, il se mit à cracher dessus avec une inconcevable violence. La séance fut levée incontinent. \037Le lendemain, les choses avaient totalement changé de face; un des juges de Girone vint nous déclarer que nous étions libres de partir, et de nous rendre avec notre bâtiment où bon nous semblerait. Quelle était la cause de ce brusque revirement? La voici. \037Pendant notre quarantaine dans le moulin à vent de Rosas, j’avais écrit, au nom du capitaine Braham, une lettre au dey d’Alger. Je lui rendais compte de l’arrestation illégale de son bâtiment et de la mort d’un des lions que le dey envoyait à l’Empereur. Cette dernière circonstance transporta de fureur le monarque africain, II manda sur-le-champ le consul d’Espagne, M. Onis, réclama des dédommagements pécuniaires pour son cher lion, et menaça de la guerre si l’on ne relâchait pas surle-champ son bâtiment. L’Espagne avait alors à pourvoir à trop de difficultés pour s’en mettre, de gaieté de cœur, une nouvelle sur les bras, et l’ordre de relâcher le navire si vivement convoité arriva à Girone et de là à l’alamos. XXXII. \037Cette solution à laquelle notre consul d’Alger, M. Du.bois Thainville, n’était pas resté étranger, nous parvint au moment où nous nous y attendions le moins. Nous fîmes \037

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DE MA JEUNESSE. 66 \037l.-i. 5 \037Hii’-le-cliaiiip nos préparatifs de déport, et, le 28 novembre 1808, nous mimes à la voile le cap sur Marseille. Mais il était écrit là-haut, comme disaient les Musulmans à bord du navire, que nous n’entrerions pas dans cette ville. Nous apercevions déjà les bâtisses blanches qui couronnent les collines voisines de Marseille, lorsqu’un coup de mistral d’une violence extrême nous poussa du nord au’sud. \037Je ne sais quelle route nous suivîmes, car j’étais couché dans la chambre, abîmé par le mal de mer; je puis donc, quoique astronome, avouer sans honte qu’au moment où nos inhabiles pilotes se prétendaient par le travers des Baléares, nous abordions, le 5 décembre, a Bougie. \037Un on prétendit que pendant les trois mois d’hivernage toute communication avec Alger, par les petites barques nommées sandales, serait Impossible, et je me résignai lt la pénible perspective d’un si long séjour dans un lieu alors presque désert. Un soir, je promenais mes tristes relaxions sur le pont du navire, lorsqu’un coup de fusil parti de la côte vint frapper le bordage à côté duquel je passais. Ceci me suggéra la pensée de me rendre à Alger par terre. \037J’allai le lendemain, accompagné de bl. Bcrthemic et du capitaine Spiro Calligero, chez le caïd de la ville s « Je veux, lui dis-je, me rendre à Alger par terre. » Cet homme, tout effrayé, s’écria Je ne puis vous le permettre; vous seriez certainement tué en route; votre consul portcrait plainte au dey, et je serais dé capit^. \037

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06 HISTOIRE \037.1 Il. \037– Ijua cela ne ticnne 1 je vais vous donner une décharge. » \037Elle fut immédiatement rédigée en ces termes Nous, soussignés, certifions que le caïd de Bougie a voulu nous détourner de nous rendre à Algcr par » lerre qu’il nous a assuré que nous serions massacré» en route; que, malgré ses représentations vingt fois renouvelées, nous avons persisté dans notre projet. Nous prions les autorités algériennes particulièrement notre « consul de ne pas le rendre responsable de cet événe«  ment, s’il arrive. Nous le répétons de nouveau, c’est « contre son gré que le voyage a été entrepris. • Signé: Arago et Bkrtiikmie. » \037Cette déclaration remise au caïd, nous croyions être quittes envers ce fonctionnaire; mais il s’approcha de moi, défit, sans mot dire, le nœud de ma cravate, la détacha et la mit dans sa poche. Tout cela se fit si vile, que je n’eus pas le temps, je dirai même que je n’eus pas l’envie de réclamer. \037Au sortir de cette audience, terminée d’une manière si singulière, nous ftmes marché avec un marabout qui nous promit de nous conduire h Alger pour la somme de vingt piastres fortes et un manteau rouge. La journée fut employée à nous déguiser tant bien que mal, et nous partîmes le lendemain matin, uccompagnés de plusieurs matelots maures appartenant à l’équipage du bâtiment, et après avoir montré au marabout que nous n’avions pas un soa vaillant; en sorte que, si nous étions tute sur la route, il perdrait inévitablement tout salaire. \037

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DE MA JEUNESSE. i>7 \037JV’tiiis allé, au dernier moment, prendre congé du seul lion qui fût encore vivant, et avec lequel j’avais vécu en très-bonne harmonie; je voulais aussi foire mes adieux aux singes qui, pendant près de cinq mois, avaient été également mes compagnons d’infortune Ce» singes, dans notre affreuse misère, nous avaient rendu un service que j’ose à peine mentionner, et dont ne se doutent guère les habitants de nos cités, qui prennent ces animaux comme objet de divertissement ils nous délivraient de la vermine qui nous rongeait, et montraient particulièrement une habileté remarquable à chercher les hideux insectes qui se logeaient dans nos cheveux. Pauvres animaux ils me paraissaient bien malheureux d’être renfermés dans l’étroite enceinte du bâtiment, lorsque, sur la côte voisine, leurs pareils, comme pour les narguer, venaient sur les branches des arbres faire des preuves sans nombre d’agilité, \037Au commencement de la journée nous vîmes sur la route deux Kabyles, semblables à des soldats de Jugurtha, et dont la mine rébarbative tempéra assez fortement notre humeur vagabonde. Le soir, nous fûmes témoins d’un tumulte effroyable qui semblait dirigé contre nous. Nous sûmes plus tard que le marabout en avait été l’ohjet, de la part de quelques Kabyles que, dans un \0371. l>e retour a Paris, Je m’empressai d’aller au Jardin des Plantes rendre visite au lion, mais il me reçut avec un grincement de dents tr.Vpeu amical. Croyez ensuite à cette merveilleuse histoire du lion de t’lorence, dont la gravure s’est emparée, et qui est offerte, sur IVlalage de tous les marchands d’estampes, aux yeux des passant» étonnés et émus. \037

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68 1118TOIR£ \0371. ~t. :1 ~t~. \037de leurs voyages à Bougie, il avait fait désarmer. Cet incident, qui semblait devoir se renouveler, nous inspira un moment la pensée de rétrograder; mais les matelots insistèrent, et nous continuâmes notre hasardeuse entreprise. \037A mesure que nous avancions, notre troupe s’augmentait d’un certain nombre de Kabyles, qui voulaient se rendre à Alger, pour y travailler en qualité de manœuvres, et qui n’osaient entreprendre seuls ce dangereux voyage. \037Le troisième jour, nous campâmes à la belle étoile, à l’entrée d’un fourré. Les Arabes allumèrent un trèsgrand feu disposé en cercle, et se placèrent au milieu. Vers les onze heures, je fus réveillé par le bruit que faisaient les mules, essayant toutes de rompre leurs liens. Je demandai quelle était la cause de ce désordre. On me répondit qu’un tcbâd était venu rôder dans le voisinage. J’ignorais alors qu’un tebâd fût un lion, et je me rendormis. Le lendemain, en traversant le fourré, la disposition de la caravane était changée on l’avait massée dans le plus petit espace possible un Kabyle était en tête, le fusil en joue; un autre en queue, dans la même posture. Je m’enquis, auprès du propriétaire de ma mule, de la cause de ces précautions inusitées; il me répondit qu’on craignait l’attaque d’un sebdà, et que, si la chose arrivait, l’un de nous serait emporté avant qu’on eût eu le temps de se mettre en défense. Je voudrais, lui dis-je, être spectateur, et non acteur, dans la scène que vous m’unnoncoz; en conséquence, je vous donnerai deux piastres de plus, si vous maintenez toujours votre mule \037

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DE MA JEUNESSE. 08 \037au centre du groupe mobile. Ma proposition fut acceptée. C’est alors, pour la première fois, que je vis que mon Arabe portait sous sa tunique un yatagan, dont il se wrvit pour piquer sa mule pendant tout le temps que nous fumes dans le fourré. Soins superflus 1 le sebdri ne se montra pas. \037Chaque village étant une petite république dont nous ne pouvions traverser le territoire sans obtenir la permission et un passe-port du marabout président, le marabout conducteur de notre caravane nous abandonnait dans les champs et s’en allait quelquefois dans un village assez éloigné solliciter la permission sans laquelle il eût été dangercux de continuer notre route. Il restait des heures entières sans revenir, et nous avions alors l’occasion du réfléchir tristement sur l’imprudence de notre entreprise. Nous couchions ordinairement au milieu des habitations. Une fois, nous trouvâmes les rues d’un village barricadée», parce qu’on y craignait l’attaque d’un village voisin. l/avont-gurde de notre caravane écarta les obstacles; mais une femme sortit de sa maison comme une furie et nous assomma de coups de perches. Nous remarquâmes qu’elle était blonde, d’une blancheur éclatante, et fort jolie. \037Une autre fois, nous couchâmes dans une cachette décorée du beau nom de caravansérail. Le matin, ’au lever du soleil, les cris de Houmil Houmil 1 nous apprirent que nous avions été reconnus. Le matelot Méhémet, celui de la sc«’>ne du serment de Palamos, entra tristement dan* le bouge ou nous étions réunis, et nous fit comprendre qmj les cris de Iloumi 1 vociférés dans cette ciminstanro \037

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70 IIISTOIRB \037étaient l’équivalent d’une condamnation à mort. Attendez, dit-il, il me vient à l’idée un moyen de vous sauver. • Méhémet rentra quelques moments après, nous dit que son moyen avait réussi et m’invita a me joindre aux Kabyles, qui allaient faire la prière. \037Je sortis en effet, et me prosternant vers l’orient, j’imitai servilement les gestes que je voyais faire autour de moi, en prononçant les paroles sacramentelles La etah ill’ Atlah! oua Mohammed raçoul Allah! C’était la scène du Mamamouchi du Bourgeoii gentilhomme, que j’avais vu jouer si souvent par Dugazon, avec la seule différence que, cette fois, elle ne me faisait pas rire. J’ignorais cependant la conséquence qu’elle pouvait avoir pour moi, à mon arrivée à Alger. Après avoir fait la profession de foi devant des mahométans n’y a qu’un Dieu, et Mahomet est son prophète, si j’avais été dénoncé au muphti, je serais devenu inévitablement musulman, et on ne m’aurait pas permis de sortir de la Régence. \037Je ne dois pas oublier de raconter par quel moyen Méhémet nous avait sauvés d’une mort inévitable, Vous avez deviné juste, dit-il aux Kabyles il y a deux chrétiens dans le caravansérail, mais ils sont mahométans de cœur, et vont à Alger pour se faire affilier par le muphti a notre sainte religion. Vous n’en douterez pas, lorsque je vous dirai que j’étais, moi, esclave chez les chrétiens, et qu’ils m’ont racheté de leurs deniers. – In cha Allah I » s’écria-t-on tout d’une voix. Et c’est alors qu’eut lieu la scène que je viens de décrire. \037Nous arrivâmes en vue d’Alger, le 25 décembre 1808. Nous primes ccngé des Arabes propriétaires de nos \037

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DE MA JEUNESSE. 7< \037mules, qui marchaient à pied à côté de nous, et nous piqudmes des deux, afin d’atteindre la ville avant la fermeture des portes. En arrivant, nous apprîmes que le dey, a qui nous devions notre première délivrance, avait été décapité. La garde du palais, devant laquelle nous passâmes, nous arrêta, en nous demandant d’où nous venions. Nous répondîmes que nous venions de Bougie, par terre. « Ce n’est pas possible! s’écrièrent les janissaires tout d’une voix le dey lui-même n’oserait pas entreprendre un pareil voyage 1 Nous reconnaissons que nous avons fait une grande imprudence; nous ne recommencerions pas ce voyage, nous donnat-on un million; mais le fait que nous venons de déclarer est de la plus stricte vérité. » \037Arrivés à la maison consulaire, nous fûmes, comme la première fois, reçus très-cordialement; nous eûmes la visite d’un drogman envoyé par le dey, qui demanda si nous persistions à soutenir que Bougie avait été notre point de départ, et non le cap Matifou, ou quelque lieu voisin. Nous affirmâmes de nouveau la réalité de notre récit il fut confirmé, le lendemain, à l’arrivée des propriétaires de nos mules. \037XXXIII. \037A Palamos, pendant les divers entretiens que j’eus avec la duchesse douairière d’Orléans, une circonstance m’avait particulièrement ému. La princesse me parlait sans cesse du désir qu’elle avait d’aller rejoindre un de ses fils qu’elle croyait plein de vie, et dont cependant j’avais \037

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7* HISTOIRE \037appris la mort par une personne de sa maison; j’étais donc disposé à faire tout ce qui dépendrait de moi pour adoucir un malheur qu’elle ne pouvait tarder à connaître. \037Au moment où je quittai l’Espagne pour Marseille, la duchesse me confia deux lettres que je devais faire parvenir à leur adresse. L’une était destinée à l’impératrice mère, de Russie, l’autre à l’impératrice d’Autriche. A peine arrivé à Alger, je parlai de ces deux lettre. à M. Dubois-Thainville, et le priai de les envoyer en France par la première occasion. Je n’en ferai rien, me réponditil aussitôt. Savez-vous que vous vous êtes comporté dans cette circonstance comme un jeune homme sans expérience, tranchons le mot, comme un étourdi? Je m’étonne que vous n’ayez pas compris que l’Empereur, avec son esprit quinteux, pourrait prendre ceci en fort mauvaise part, et vous considérer, suivant le contenu des deux lettres, comme le fauteur d’une intrigue en faveur de la famille exilée des Bourbons. Ainsi, les conseils poterneUdu consul de France m’apprirent que, pour tout ce qui touche de près ou de loin à la politique, on ne peut s’abandonner sans danger aux inspirations de son cœur et de sa raison. \037J’enfermai mes deux lettres dans une enveloppe, portant l’adresse d’une personne de confiance, et je les remis aux moins d’un corsaire qui, après avoir touché à Alger, se rendait en France. Je n’ai jamais su si clics parvinrent, \037

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DB MA JBUNBSSE. 73 \037XXXIV. \037Le dey régnant, successeur du dey décapité, remplissait antérieurement dans les mosquées l’humble office d’épileur de corps morts. Il gouvernait la Régence avec iissez de douceur, ne s’occupant guère que de son harem. Cola dégoûta ceux qui l’avaient élevé à ce poste éminent, et ils résolurent de s’en défaire. Nous fûmes informés du danger qui le menaçait en voyant les cours et les vestibules de la maison consulaire se remplir, suivant l’usage en pareil cas, de juifs portant avec eux ce qu’ils avaient de plus précieux. Il était de règle, à Alger, que tout ce qui se passait dans l’intervalle compris entre la mort du dey et l’intronisation de son successeur ne pouvait pas être poursuivi en justice et restait impuni. On conçoit dès lors comment les fils de Moïse cherchaient leur sûreté dans les maisons consulaires, dont les habitants européens avaient le courage de s’armer pour se défendre dès que le danger était signalé, et qui, d’ailleurs, avaient un janissaire pour les garder. \037Tandis que le malheureux dey épileur était conduit vers le lieu où il devait être étranglé, il entendit le canon qui annonçait sa mort et l’installation de son successeur. On se presse bien, dit-il que gagnerez-vous h pousser les choses à bout? Envoyez-moi dans le Levant; je vous promets de ne jamais revenir. Qu’avez-vous a me reprocher ? – Rien, répondit son escorte, si ce n’est votre nullité. Au reste, on ne peut pas vivre en simple parti- \037

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74 HISTOIRE \037culier quand on a été dey d’Alger. Et le malheureux expira par lu corde. \037XXXV. \037Les communications par mer entre Bougie et Alger n’étaient pas aussi difficiles, même avec des sandale», que le caïd de cette première ville avait bien voulu me l’assurer. Le capitaine Spiro fit débarquer des caisses qui m’appartenaient; le caïd chercha à découvrir ce qu’elle» renfermaient; et, ayant aperçu par une fente quelque chose de jaunâtre, il s’empressa de faire parvenir au dey la nouvelle que les Français qui s’étaient rendus à Alger par terre avaient dans leurs bagages des caisses remplies de sequins destinés à révolutionner la Kabylie. On fit expédier incontinent ces caisses à Alger, et à l’ouverture, devant le ministre de la marine, toute la fantasmagorie de sequins, de trésor, de révolution, disparut à la vue des pieds et des limbes de plusieurs cercles répétiteurs en cuivre. \037XXXVÏ. \037• \037Nous allons maintenant séjourner plusieurs mois à Alger; j’en profiterai pour rassembler quelques détails de mœurs qui pourront intéresser comme le tableau d’un état antérieur à celui de l’occupation de la Régence par les Français. Cette occupation, il fuut le remarquer, a déjà altéré profondément les manières, les habitudes de la population algérienne. \037

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DE MA JEUNESSE. 71 \037Je vais rapporter un fait curieux et qui montrera que la politique, qui s’infiltre dans l’intérieur des familles les plus unies et y porte la discorde, était parvenue, chose extraordinaire, à pénétrer jusque dans le bagne d’Alger, J«es esclaves appartenaient à trois nations; il y avait, en 1800, dans ce bagne, des Portugais, des Napolitains et des Siciliens; dans ces deux dernières classcs, on comptait les partisans de Murat et les partisans de Ferdinand de Naples. Un jour, au commencement de l’année, un drogman vint, au nom du dey, inviter M. Dubois-Thainville à me rendre sans retard au bagne, où les amis des Français et leurs adversaires se livraient un combat acharné; déjà plusieurs avaient succombé. L’arme avec laquelle ils se frappaient était la grosse et longue chafno attachée 6 leurs jambes. \037XXXVII. \037Chaque consul, ainsi que je l’ai dit plus haut, avait un janissaire préposé à sa garde; celui du consul do France était Candiote on l’avait surnommé la Terreur. Toutes les fois que, dans les cafés, on annonçait quelque nouvelle défavorable à la France, il venait s’informer au consulat de la vérité du fait, et lorsque nous lui avions déclaré que les autres janissaires avaient propagé une nouvelle fausse, il allait les rejoindre, et là, le yatagan à la main, déclarait vouloir combattre en champ clos ceux qui soutiendraient encore l’exactitude de la nouvelle. Comme ces menaces incessantes pouvaient le compromettre, car elles ne s’appuyaient que sur son courage de \037

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7« HISTOIIIB \037Ix’le fauve, nous avions voulu le rendre habile dans le maniement des armes, en lui donnant quelques leçons d’escrime; mais il ne pouvait endurer l’idée que des chrétiens le touchassent è tout coup avec des fleurets; alors il nous proposait de substituer au simulacre de duel un combat effectif avec le yatagan. \037On se fera une idée exacte de cette nature brute, lorsque je raconterai qu’un jour, ayant entendu un coup de pistolet dont le bruit partait de sa chambre, on accourut, et on le trouva baigné dans son sang; il venait de se tirer une balle dans le bras pour se guérir d’une douleur rhumatismale. \037Voyant avec quelle facilité les deys disparaissaient, je dis un jour à notre janissaire Avec cette perspective devant les yeux, consentiriez-vous à devenir dey. Oui, sans doute, répondit-il. Vous paraissez ne compter pour rien Ic plaisir de faire tout ce qu’on veut, ne fût-ce qu’un seul jour! » \037Lorsqu’on voulait circuler dans la ville d’Alger, on se faisait généralement escorter par le janissaire attaché à la maison consulaire; c’était le seul moyen d’échapper aux insultes, aux avanies et même à des voies de fait. Je viens de dire c’était le seul moyen; je me suis trompé, il y en avait un autre c’était d’aller en compagnie d’un lazariste français Agé de soixante-dix ans, et qui s’appelait, si j’ai bonne mémoire, le père Josué; il résidait dans ce pays depuis un demi-siècle. Cet homme, d’une vertu exemplaire, s’était voué avec une abnégation admirnble au service des esclaves de la Régence, Abstraction fuite de toutes considérations de nationalité. l,o l’or- \037

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DE MA JEUNESSE. 77 \037tugais, le Napolitain, le Sicilien, étaient également ses frères. \037Dans les temps de peste, on le voyait jour et nuit porter des secours empresses aux Musulmans; aussi, sa vertu avait-elle vaincu jusqu’aux haines religieuses; et partout où il passait, lui et les personnes qui l’accompngnaient recevaient des gens du peuple, des janissaires, et même des desservants des mosquées, les salutations les plus respectueuses. \037XXXVIII. \037Pendant nos longues heures de navigation sur le Intiment algérien, de notre séjour obligé dans les prisons de llosas et sur le ponton de Palamos, j’avais recucilli sur la vie intérieure des Maures ou des Coulouglous des renseignements qui, meïne à présent qu’Alger est tombé sous la domination de la France, mériteraient peut-être d’£lre conservés. Je me bornerai cependant à rapporter à peu près textuellement une conversation que j’eus avec RaîsBraham, dont le père était un Turc fin, c’est-à-dire un Turc né dans le Levant \037.Comment consentez-vous, lui dis-je, à vous marier civec une jeune fille que vous n’avez jamais vue, et à trouver peutrétre une femme excessivement laide, au lieu de la beauté que vous aviez rôvéeî \037Nous ne nous marions jamais sans avoir pris des informations auprès des femmes qui servent, en quotité do domestiques, dans les bains publics. Les juives sont d’ailleurs, dans ce cas, des entremetteuses très-utiles. \037

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7* HISTO1RK \037– Combien avez-vous de femmes légitimes? 1 – J’en ni quatre, c’est-à-dire le nombre autorisé par le Koran. \037Vivent-elles en bonne intelligence? \037Ah! 1 Monsieur, ma maison est un enfer. Je ne rentre jamais sans les trouver au pas de la porto ou au bas de l’escalier; là, chacune veut me faire entendre la première les plaintes qu’elle a à porter contre ses compagnes. Je vais prononcer un blasphème, mais je crois que notre sainte religion devrait interdire la multiplicité des femmes à qui n’est pas assez riche pour donner à chacune une habitation à port. \037Mais, puisque le Koran vous permet de répudier mémo les femmes légitimes, pourquoi no renvoyez-vous pas trois d’entre elles à leurs parents? \037Pourquoi ? parce que cela me ruinerait le jour du mariage, on stipule une dot avec le père de la jeune fille qu’on va épouser, et on en paie la moitié. L’autre moitié est exigible le jour où la femme est répudiée. Ce serait donc trois demi-dots que j’aurais à payer si je renvoyais trois de mes femmes. Je dois, au reste, rectifier ce qu’il y a d’inexact dans ce que je disais tout à l’heure, que jamais mes quatre femmes n’avaient été d’accord. Une fois, elles se trouvèrent unies entre elles dans le senti* ment d’une haine commune. En passant au marché, j’avais acheté une jeune négresse. Le soir, lorsque je me retirais pour me coucher, je m’aperçus que mes femmes ne lui avaient pas préparé une couche, et que la malheureuse était étendue sur le carreau je roulai mon pantalon, et le mis sous sa tête en guise d’oreiller. Le matin, \037

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DE MA JEUNESSE. 79 \037les cri»s déchirants de la pauvre esclave me tirent accourir, et je la trouvai succombant presque sous les coups de inca quatre femmes; cette fois, elles s’entendaient h merveille. » \037XXXIX. \037En février 1809, le nouveau dey, le successeur de lYpileur de corps morts, peu de temps après être entré on fonctions, réclama de deux à trois cent mille francs, je ne me rappelle pas exactement la somme, qu’il prétendait lui être dus par le gouvernement français. M. DuboisThainville répondit qu’il avait reçu de l’Empereur l’ordre de ne pas payer un centime. \037Le dey, furieux, décida qu’il nous déclarait la guerre. t’ne déclaration de guerre à Alger était immédiatement suivie de la mise au bagne de tous les nationaux. Cette fois, on ne poussa pas les choses jusqu’à cette limite extrême. Nos noms durent bien figurer dans la liste des esclaves de la Régence mais en fait, pour ce qui me concerne, je restai libre dans la maison consulaire. Sous une garantie pécuniaire contractée par le consul de Suéde, M. Nordcrling, on me permit même d’habiter sa campagne, t située près du fort de l’Empereur. \037XL. \037L’événement le plus insignifiant suffisait pour modificr le» dispositions de ces barbares. J’étais descendu, un jour, en ville, et j’étais assis à table chez M. Dubois-Thainvillc, \037

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80 IUSTOI1 E \037I <feH>< *̃*̃ «^^ l^% A^^Bftmal ^m’ m n#klnffAMitA H llliknbliilf At*tfl \037lorsque Ic consul d’Angleterre, M. Blunkley, arriva est toute hâte, annonçant à notre consul l’entrée au port d’une prise française. Je n’ajouterai jamais inutilement, dit-il avec bienveillance, aux rigueurs de la guerre; je viens vous annoncer, mon collègue, que je vous rendrai vos prisonniers sur un reçu qui me permettra la délivrance d’un nombre égal d’Anglais détenus en France. Je vous remercie, répondit M. Dubois-Thainville, mais je n’en déplore pas moins cet événement qui retardera indéfiniment peut-être le règlement de compte dans lequel je suis engagé avec le dey. » \037Pendant cette conversation, armé d’une lunette, je regardais par la fenêtre de la sulle à manger, cherchant à me persuader du moins que le bâtiment capturé n’avait pas une grande importance. Mais il fallut céder à l’évidence il était percé d’un grand nombre de sabords. ’fout a coup, le vent ayant déployé les pavillons, j’aperçois uvec surprise le pavillon français sur le pavillon anglais. Je fais part de mon observation à M. Blankley il me répond sur-le-champ s Vous ne prétendez pas «ans doute mieux observer avec votre mauvaise lunette que je ne l’ai fait avec mon dollon. Vous ne prétendez pas, lui dis-je à mon tour, mieux voir qu’un astronome de pro.fession je suis sûr de mon fait. Je demande à M. Thainville ses pouvoirs, et vais à l’instant visiter cette prise mystérieuse. » \037Je m’y rendis en effet, et voici ce que j’appris Le général Duhesme, gouverneur de Barcelone, voutant se débarrasser de ce que sa garnison renfermait de plus indiscipliné, en forma la principale partie de l’équi- \037

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». \037DE MA JEUNESSE. 81 \037I.-I. 1. d \037page d’un bâtiment, dont il donna le commandement à un lieutenant de Babastro, célèbre corsaire de la Méditerranée. \037On voyait, parmi ces marins Improvisés, un hussard, un dragon, deux vétérans, un sapeur avec sa longue harbe, etc., etc. Le bâtiment, sorti de nuit de Barcelone, échappa à la .croisière anglaise, et se rendit à l’entrée du port de Mahon. Une lettre de marque anglaise sortait du port; la garnison du bâtiment français sauta à l’abordage, et il s’engagea sur le pont un combat acharné dans Icqucl les Français eurent le dessus. C’était cette lettre de marque qui arrivait à Alger. \037Investi des pleins pouvoirs de M. Dubois-Thainville, j’annonçai aux prisonniers qu’ils allaient être immédiatement rendus à leur consul. Je respectai même la ruse du capitaine qui, blessé de plusieurs coups de sabre, s’était fait envelopper la tête de son principal pavillon. Je rassurai sa femme mais tous mes soins se portèrent particulièrement sur un passager que je voyais amputé d’un bras. \037«Où est le chirurgien, lui dis-je, qui vous a opéré? -Ce n’est pas notre chirurgien, me dit-il; il a fui lâchement avec une partie de l’équipage, et s’est sauvé à terre. \037Qui donc vous a coupé le bras? t \037Cest le hussard que vous voyez ici. \037Malheureux t m’écriai-je, qui a pu vous porter, vous dont ce n’est pas le métier, à faire cette opération ? 1 – La demande pressante du blessé. Son bras avait acquis déjà un énorme volume; il voulait qu’on le lui cou- \037

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n histoire \037a.. -1 \037pat d’un coup de hache. Je lui répondis qu’en KgypLe, étant à l’hôpital, j’avais vu faire plusieurs amputations, que j’imiterais ce que j’avais vu, que peut-être réussiraisje qu’en tout cas, cela vaudrait mieux qu’un coup de hache. Tout fut convenu; je m’armai de la scie du char. pentier, et l’opération fut faite. » \037Je sortis sur-le-champ, et j’allai au consulat d’Amérique réclamer l’intervention du seul chirurgien digne de confiance qui fût alors a Alger. M. Triplet, je crois me rappeler que c’est le nom de l’homme de l’art distingué dont j’invoquai le concours, vint aussitôt à bord du bâtiment, visita l’appareil, et déclara, à ma très-vive satisfaction, que tout était bien, et que l’Anglais survivrait à son horrible blessure. \037Le jour même nous fîmes transporter sur des bran.cards les blessés dans la maison de M. Blankley cette opération, exécutée avec un certain apparat, modifia un tant soit peu les dispositions du dey à notre égard, dispositions qui nous devinrent encore plus favorables à la suite d’un autre événement maritime, pourtant fort insignifiant. \037On vit un jour, à l’horizon, une corvette armée d’un très-grand nombre de canons et se dirigeant vers le port d’Alger survint, immédiatement après, un brick de guerre anglais, toutes voiles dehors; on s’attendait à un combat, et toutes les terrasses de la ville se couvrirent de spectateurs le brick paraissait avoir une marche supérieure et nous semblait pouvoir atteindre la corvette mais celle-ci, ayant viré de bord, sembla vouloir engager le combat le bâtiment anglais fuit devant elle; la corvette vira de bord \037

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DE MA JEUNESSE. M \037une seconde fois et dirigea de nouveau m route vers Alger, où on aurait cru qu’elle avait une mission spéciale à remplir. Le brick changea de route à son tour, mais il se tint constamment hors de portée du canon de la corvette enfin, les deux bâtiments arrivèrent successivement dans le port et y jetèrent l’ancre, au vif désappointcmei.t de la population algérienne, qui avait espéré assister sans danger à un combat maritime entre des chiens ék chrétien* appartenant à deux nations également détestées au point de vue religieux mais elle ne put cependant réprimer de grands éclats de rire, en voyant que la corvette était un bâtiment marchand et qu’elle n’était armée que de simulacres de canons en bois. On dit dans la ville que les matelots anglais, furieux, avaient été au moment do .se révolter contre leur trop prudent capitaine. J’ai bien peu de choses a rapporter en faveur des Algériens j’accomplirai donc acte de justice, en disant que la corvette partit le lendemain pour les Antilles, sa destination, et qu’il ne fut permis au brick de mettre à la voile que le surlendemain. \037XLI. \037Bakri venait souvent au consulat de France traiter do nos affaires avec M. Dubois-Thainville « Que voulezvous ? disait celui-ci, vous êtes Algérien, vous serez la première victime de l’obstination du dey. J’ai déjà écrit à Livourne pour qu’on se saisisse de vos familles et de vos biens. Lorsque les bâtiments chargés de coton, que vous avez dans ce port, arriveront à Marseille, ils seront \037

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8i HISTOIRE \037immédiatement confisquas c’est a vous de voir s’il ne vous convient pas mieux de payer la somme que réclame le dey que de vous exposer à une perte décuple et certaine. » Le raisonnement était sans réplique, et quoi qu’il pût lui en coûter, Bakri se décida à payer la somme demandée à la France. \037La permission de partir nous fut immédiatement accordée je m’embarquai le 21 juin 1801), sur un bâtiment dans lequel prenaient passage M. Dubois-Thainville et sa famille. \037XLII. \037l.a veille de notre départ d’Alger, un cor6aire déposa, clicz le consul, la malle de Mayorque qu’il avait prise sur un bâtiment dont il s’était emparé c’était la collection complète des lettres que les habitants des Baléares écrivaient à leurs amis du continent. Tenez, me dit M. Dubois-Thainville, voilà de quoi vous distraire pendant la traversée, vous qui gardez presque toujours la chambre à cause du mal de mer; décachetez et lisez toutes ces lettres, et voyez si elles renferment quelques renseignements dont on puisse tirer parti pour venir en aide aux malheureux soldats qui meurent de misère et de désespoir dans la petite lle de Cabrera. • \037A peine arrivé à bord de notre bâtiment je me mis br l’œuvre et remplis sans scrupule et sans remords le rôle d’un employé du cabinet noir, avec cette seule différence que les lettres étaient décachetées sans précaution. J’y trouvai plusieurs dépêches dans lesquelles l’amiral Colling- \037

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DR MA JEUNESSE. 85 \037wood signalait au gouvernement espagnol la facilité qu’on aurait à délivrer les prisonniers. Dès notre arrivée 6 Marseillo, on envoya ces lettres au ministre de la marine, qui, je crois, n’y fit pas grande attention. \037Je connaissais presque tout le grand monde à Palm.i capitale de Mayorque. Je laisse à deviner avec quelle curiosité je lisais les missives dans lesquelles les belles dames de la ville exprimaient leur haine contre lot maldilos cavachios [Françait), dont la présence en Espagne avait rendu nécessaire le départ pour le continent d’un magnifique régiment de hussards combien de personnes j’aurais pu intriguer, si, sous le masque, je m’étais trouvé avec elles au bal de l’Opéra! l \037Plusieurs de ces lettres, dans lesquelles il était question de moi, m’intéressèrent particulièrement j’étais sûr pour le coup que rien n’avait gêné la franchise de ceux (lui les avaient écrites. C’est un avantage dont peu de gens peuvent se vanter d’avoir joui au même degré. Le bâtiment sur lequel j’étais, quoique chargé de balles de coton, avait des papiers de corsaire de la Régence, et était censé l’escorte de trois bâtiments marchands richement chargés qui se rendaient en France. \037Nous étions devant Marseille le i" juillet, lorsqu’une Wgule anglaise vint nous barrer le passage Je ne vous prends pas, disait le capitaine anglais; mais venez devant Ics Iles d’Hyères, et l’amiral Collingwood décidera do votre sort. J’ai reçu, répondait le capitaine barbaresque la mission expresse de conduire ces bâtiments a Marseille, et je l’exécuterai. -Vous ferez individuellement ce que bon vous semblera, reprit l’Anglais; qunnt \037

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86 HISTOIRE \037aux bâtiments marchant sous votre escorte, ils seront, je vous le répète, conduits devant l’amiral Collingwood.i Et il donna sur-le-champ à ces bâtiments l’ordre de faire voile à l’Est. \037La frégate s’était déjà un peu éloignée, lorsqu’elle s’aperçut que nous nous dirigions vers Marseille. Ayant appris alors, des équipages des bâtiments marchands, que nous étions nous-mêmes chargés de coton, elle vira de bord pour s’emparer de nous. \037Elle allait nous atteindre, lorsque nous pûmes entrer dans le port de la petite Ile de Pomègue. La nuit, elle mit ses chaloupes à la mer pour tenter de nous enlever mais l’entreprise était trop périlleuse, et elle n’osa pas la tenter. \037Le lendemain matin, 2 juillet 1809, je débarquai au lazaret. \037XLIII. \037On va aujourd’hui d’Alger à Marseille en quatre jours; j’avais employé onze mois pour faire la même traversée. Il est vrai que j’avais fait çà et là des séjours involontaires. Mes lettres, parties du lazaret de Marseille, furent considérées par mes parents et mes amis comme des certificats de résurrection; car, depuis longtemps, on me supjwsait mort. Un grand géomètre avait même proposé au bureau des longitudes de ne plus payer mes appointements à mon fondé de pouvoirs; ce qui peut sembler d’autant plus cruel que ce fondé de pouvoirs était mon père. La première lettre que je reçus de Paris renfermait \037

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DR MA JBUNESSR. 87 \037_1_ -1. -L.I- .1-- 1’LIl~:Wal. 1.. \037des témoignages de sympathie et des félicitations sur la fin de mes pénibles et périlleuses aventures; elle était d’un homme déjà en possession d’une réputation européenne, mais que je n’avais jamais vu. M. de Humboldt, sur ce qu’il avait entendu dire de mes malheurs, m’offrait son amitié. Telle fut la première origine d’une liaison qui date de près de quarante-deux ans, sans qu’aucun nuage l’ait jamais troublée. \037M. Dubois-Thainville avait de nombreuses connaissances à Marseille; sa femme était née dans cette ville, et sa famille y résidait. Ils recevaient donc l’un et l’autre de nombreuses visites au parloir. La cloche qui les y appelait n’était muette que pour moi, et je restais seul, délaissé, aux portes d’une ville peuplée de cent mille de mes concitoyens comme je l’avais été au milieu de l’Afrique. Un jour, cependant, la cloche- du parloir tinta trois fois (c’était le nombre de coups correspondant au numéro de ma chambre) je crus à une erreur. Je n’en 0$ rien parattre, toutefois; je franchis fièrement, sous l’escorte de mon garde de santé, le long espace qui sé- pare le lazaret proprement dit du parloir, et j’y trouvai, avec une très-vive satisfaction, M. Pons, concierge de l’observatoire de Marseille le plus célèbre dénicheur de comètes dont les annales de l’astronomie aient eu à enregistrer les succès. \037En tout temps, la visite de l’excellent M. Pons, que j’ai vu depuis directeur de l’observatoire de Florence, m’eût été très-agréable; mais, pendant ma quarantaine, elle fut pour moi d’une inappréciable valeur. Elle me prouvait que j’avais retrouvé le sol natal. \037

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S* HISTOIRB \037Deux ou trois jours avant notre entrée en libre pratique, t nous éprouvâmes une perte vivement ressentie par chacun de nous. Pour tromper les ennuis d’une sévère quarantaine, la petite colonie algérienne avait l’habitude de se rendre dans un enclos voisin du lazaret, où était renfennée une très-belle gazelle appartenant à M. Dubois-Thflinville elle bondissait là en toute liberté, avec une grâce qui excitait notre admiration. L’un de nous essaya d’arrêter dans sa course l’élégant animal; il le saisit malheureusement par la jambe et la lui cassa. Nous accourûmes tous, mais seulement, hélas 1 pour assister à une scène qui excita chez nous une profonde émotion. \037La gazelle, couchée sur le flanc, levait tristement la l«He; ses beaux yeux (des yeux de gazelle 1) répandaient des torrents de larmes; aucun cri plaintif ne s’échappait de sa bouche; elle fit sur nous cet effet que produit toujours une personne qui, frappée subitement d’un irréparable malheur, se résigne et ne manifeste ses profondes angoisses que par des pleurs silencieux. \037XLIV. \037Après avoir terminé ma quarantaine, je me rendis d’abord à Perpignan, au sein de ma famille, où ma nii’-rc, la plus respectable et la plus pieuse des femmes, fit dire force messes pour célébrer mon retour, comme elle en avait demandé pour le repos de mon âme, lorsqu’elle me croyait tombé sous le poignard des Espagnols. Mai» je quittai bientôt ma ville natale pour rentrer à \037

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DE MA JRUNBSSF. M \037Pnris, et je déposai au Bureau des Longitudes et è l’Académie des Sciences, mes observations que j’étais parvenu à conserver, au milieu des périls et des tribulations de ma longue campagne. \037Peu de jours après mon arrivée, le i8 septembre 1809, je fus nommé académicien, en remplacement de Lalande, Il y avait cinquante-deux votants; j’obtins quarante-sept voix, M. Poisson, quatre, et M. Nouet, une. J’avais alors vingt-trois ans, · \037XLV. \037Une nomination fuite à une telle majorité semhle, au premier abord, n’avoir pu donner lieu à des difficullfc sérieuses; et, cependant, il n’en fut pas ainsi. L’intervention de M. de Laplace, avant le jour du scrutin, fut active et incessante pour faire ajourner mon admission jusqu’à l’époque où une place vacante, dans la section de géométrie, permettrait à la docte assemblée de nommer M. Poisson en même temps que moi. L’auteur de b Mécanique céle$le avait voué au jeune géomètre un attachement sans bornes, complètement justifié, d’ailleurs, par les beaux travaux que la science lui devait déjà. M. de Laplace ne pouvait supporter l’idée qu’un astronome, plus jeune de cinq ans que M. Poisson, qu’un élfcve, en présence de son professeur à l’École polytechnique, deviendrait académicien avant lui. Il me fit donc proposer d’écrire à l’Académie que je désirais n’être élu que lorsqu’il y aurait une seconde place à donner à Poi»son; je répondis par un refus formel et motivé en co* \037

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90 HISTOIRE \037termes s Je ne tiens nullement à être nommé en ce moment je suis décidé à partir prochainement pour le Thibet avec M. de llumboldt; dans ces régions sauvages, le titre de membre de l’Institut n’aplanirait pas les difficultés que nous devons rencontrer. Mais je ne me rendrai pas coupable d’une inconvenance envers l’Académie. En recevant la déclaration qu’on me demande, les savants dont se compose ce corps illustre, n’auraient-ils pas le droit de me dire Qui vous assure qu’on a pensé à vous? Vous refusez ce qu’on ne vous a pas offert. » En voyant ma ferme résolution de ne pas me prêter à la démarche inconsidérée qu’il m’avait conseillée, M. de Laplace agit d’une autre façon il soutint que je n’avuis pas assez de titres pour mon admission à l’Académie. Je ne prétends pas qu’à l’Age de vingt-trois ans mon bagage scientifique fût très -considérable, à l’apprécier d’une manière absolue; mais, lorsque je jugeais par comparaison, je reprenais courage, surtout en songeant que les trois dernières années de ma vie avaient été consacrées à la mesure d’un arc de méridien dans un pays étranger qu’elles s’étaient passées au milieu des orages de la guerre d’Espagne assez souvent dans les cachots, ou, ce qui était encore pis, dans les montagnes de la Kabylie et à Alger, séjour alors fort dangereux. Voici, au surplus, mon bilan de cette époque; je le livre à l’appréciation impartiale du lecteur \037Au sortir de l’École polytechnique, j’avais fait, de concert avec M. Biot, un travail étendu et très-délicat sur la détermination du coefficient des tables de réfraction atmosphérique. \037

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DB MA JEUNESSE. M \037Nous avions aussi mesuré la réfraction de différents gaz, ce qui, jusque là, n’avait pas été tenté. lTne détermination, plus exacte qu’on ne l’avait alors, du rapport du poids de l’air au poids du mercure, avait fourni une valeur directe du coemeient de la formule barométrique servant au calcul des hauteurs. \037J’avais contribué, d’une manière régulière et trèsassidue, pendant près de deux ans, aux observations qui s’étaient faites de jour et de nuit à la lunette méridienne et au quart de cercle mural à l’Observatoire de Paris. J’avais entrepris avec M. Bouvard les observations relatives à la vérification des lois de la libration de la tune, Tous les calculs étaient préparés; il ne me restait plus qu’à mettre les nombres dans les formules, lorsque je fua., par ordre du Bureau des longitudes, forcé de quitter Paris pour aller en Espagne. J’avais observé diverses comètes et calculé leurs orbites. J’avais, de concert avec M. Bouvard, calculé, d’après la formule de Laplace, la table de réfraction qui a été publiée dans le Recueil det fables du Bureau des longitudes et dans la Connaissance des temps. Un travail sur la vitesse de la lumière, fait avec un prisme placé devant l’objectif de la lunette du cercle mural, avait prouvé que les mêmes tables de réfraction peuvent servir pour Ic soleil et toutes les étoiles, Enfin je venais de terminer dans des circonstances trt>s-dilBcilcs la triangulation la plus grandiose qu’on eut jamais exécutée, pour prolonger la méridienne de France jusqu’à l’lie de Formentera. \037M. de Laplace, sans nier l’importance et l’utilité de ces travaux et de ces recherches, n’y voyait qu’une espé- \037

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91 HISTOIRE \037ranco alors, M. Lngrnnge lui dit en Urines formels Vous-même, monsieur de laplace, quand vous entrâtes à l’Académie, vous n’aviez rien fait de saillant; vous donniez seulement des espérances. Vos grandes découvertes ne sont venues qu’après. » \037Lagrange était le seul homme en Europe qui pût avec autorité lui adresser une pareille observation. M. de Laplace ne répliqua pas sur lé fait personnel mois il ajouta • Je maintiens qu’il est utile de montrer aux jeunes savants une place de membre de l’Institut comme une récompense pour exciter leur zèle. » Vous ressemblez, répliqua M. Halle à ce cocher de fiacre qui, pour exciter ses chevaux à la course, attachait une botte de foin au bout du timon de sa voiture. Les pauvres chevaux redoublaient d’efforts, et la botte de foin fuyait toujours devant eux. En fin de compte, t cette pratique amena leur dépérissement, et bientôt après leur mort. » \037Delambre, Legendre, Biot, insistèrent sur le dévouement et ce qu’ils appelaient le courage avec lesquels j’avais combattu des difficultés inextricables, soit pour achever les observations, soit pour sauver les instruments et les résultats obtenus. Ils firent une peinture animée des dangers que j’avais courus. M. de Laplace finit par se rendre en voyant que toutes les notabilités de l’Académie m’avalent pris sous leur patronage et, le jour de l’élection, il m’accorda sa voix. Ce serait pour moi, je l’avoue, un sujet de regrets, même aujourd’hui, après quarantedeux ans, si j’étais devenu membre de l’Institut sans avoir obtenu le suffrage de fauteur de la Mécanique céleste. \037

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DE MA JEUNESSE. f3 \037XLV!. \037Les membres de l’Institut devaient toujours être présenté l’Empereur après qu’il avait confirmé Icurs nominations. Lo jour désigné, réunis aux présidents, aux secrétaires des quatre classes et aux académiciens qui avaient des publications particulières à offrir au chef de l’Etat ils se rendaient dans un des salons des Tuileries. Lorsque l’Empereur revenait de la messe, il passait une sorte de revue de ces savants, de ces artistes, de ces littérateurs en habits verts. \037Je dois le déclarer, le spectacle dont je fus témoin le jour de ma présentation ne m’édifia pas. J’éprouvai mémo un déplaisir réel à voir t’empressement que mettaient les membres de l’Institut à se faire remarquer. \037Vous êtes bien jeune, me dit Napoléon en s’approchant de moi et, sans attendre une réplique flatteuse qu’il n’cût pas été ’difficile de trouver, il ajouta } Comment vous appelez-vous? Et mon voisin de droite ne me laissant pas le temps de répondre à la question assurément très-simple qui m’était adressée en ce moment, s’empressa de dire Il s’appelle Arago.. » \037« Quelle est la science que vous cultivez? î \037Mon voisin de gauche répliqua aussitôt \037• cultive l’astronomie. > \037• Qu’est-ce que vous avez fait? » \037Mon voisin de droite, jaloux de ce que mon voisin de gauche avait empiété sur ses droits à la seconde question, m; hâta de prendre la parole et dit a \037

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9* HISTOIRE \037.Il vient de mesurer la méridienne d’Espagne. «  1/ Empereur, s’imaginant sans doute qu’il avait devant lui un muet ou un imbécile, passa à un autre membre de l’Institut. Celui-ci n’était pas un nouveau venu c’était un naturaliste connu par de belles et importantes découvertes, c’était M. Lamarck. Le vieillard présente un Uvre à Napoléon. \037Qu’est-ce quo cela dit -celui-ci. C’est votre absurde Météorologie, c’est cet ouvrage dans lequel vous faites concurrence à Matthieu Lœnsberg, cet annuaire qui des.honore vos vieux jours; faites de l’histoire naturelle, et je recevrai vos productions avec plaisir. Ce volume, je ne le prends que par considération pour vos cheveux blancs. – Tenez t » Et il passe le livre à un aide de camp. Le pauvre M. Lamarck, qui, à la fin de chacune des paroles brusques et offensantes de l’Empereur, essayait inutilement de dire « C’est un ouvrage d’histoire naturelle que je vous présente, eut la faiblesse de fondre en larmes. \037L’Empereur trouva immédiatement après un jouteur plus énergique dans la personne de M. Lanjuinais. Celuici s’était avancé un livre à la main Napoléon lui dit en ricanant \037Le Sénat tout entier va donc se fondre à l’Institut? –Sire, répliqua Lanjuinais, c’est le corps de l’État auquel il reste le plus de temps pour s’occuper de littérature. » L’Empereur, mécontent de cette réponse, quitta brusquement les uniformes civils et se mêla aux grosses épaulettes qui remplissaient le salon. \037

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DE MA JEUNESSE. 9» \037XL Vil. \037Immédiatement après ma nomination, je fus en butte h d’étranges tracasseries de la part de l’autorité militaire. J’étais parti pour l’Espagne, en conservant le titre d’élève de l’École polytechnique. Mon inscription sur les contrôles ne pouvait pas durer plus de quatre ans; en conséquence, on m’avait enjoint de rentrer en France pour y subir les examens de sortie. Mais, sur ces entrefaites, Lalandc mourut; et, par suite, une place devint vacante au Burcnu des longitudes je fus nommé astronome adjoint. Ces places étant soumises à la nomination de l’Empereur, M. Lacuée, directeur de la conscription, crut voir dans cette circonstance que j’avais satisfait à la loi, et je fus autorisé à continuer mes opérations. \037M. Matthieu Dumas, qui lui succéda, envisagea la question sous un point de vue tout différent il m’enjoignit de fournir un remplaçant, ou de partir moi-même avec le contingent du 12* arrondissement de Paris. \037Toutes mes réclamations, toutes celles de mes amis ayant été sans effet, j’annonçai à l’honorable général que je me rendrais sur la place de l’Estrapade, d’où les conscrits devaient partir, en costume de membre de l’Institut, et que c’est ainsi que je traverserais à pied, la ville de Paris. Le général Matthieu Dumas fut effrayé de l’effet t que produirait cette scène sur l’Empereur, membre de l’Institut lui-même, et s’empressa, sous le coup de ma menace, de confirmer la décision du général LacueV, \037

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9$ HISTOIRE \037XLV1II. \037Dans l’année 1H09 je fus choisi par le conseil de perfectionnement de l’École polytechnique pour succéder à M. Monge, dans sa chaire d’analyse appliquée d la géométrie. Les circonstances de cette nomination sont restées un secret; je saisis la première occasion qui s’offre moi de les faire connattre. \037M. Monge prit la peine de venir un jour, à l’Observatoire, me demander de le remplacer. Je déclinai cet honneur, à cause d’un projet de voyage que je devais faire dans l’Asie centrale avec M. de Humboldt. Vous ne partirez certainement que dans quelques mois, dit l’illustre géomètre; vous pourrez donc me remplacer temporairement. -Votre proposition, répliquai-je, me flatte infiniment mais je ne sais si je dois accepter. Je n’ai jamais lu votre grand ouvrage sur les équations aux différences partielles; je n’ai donc pas la certitude que je serais en mesure de faire des leçons aux élèves de l’École polytech.nique sur une théorie aussi difficile. Essayez, dit-il et vous verrez que cette théorie est plus claire qu’on ne le croit généralement. » J’essayai, en effet, et l’opinion de M. Monge me parut fondée. \037Le public ne comprit pas, à cette époque, comment le bienveillant M. Monge refusait obstinément de confier son coursa M. Binet, son répétiteur, dont le zèle était bien connu. C’est ce motif que je vais dévoiler. \037Il y avait alors au bois de Boulogne une habitation nommée la Maison grise, où se réunissaient, autour de \037

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DE MA JEUNESSE. »7 \037"8 J’ V.V -V -Y.Y. "’1-- -1~, L-l. l~ 7 \037M. Cocssin, grand prêtre d’une religion nouvelle, un certain nombre d’adeptes, tels que Lcsueur, le musicien, Colin, répétiteur de chimie à l’École, M. Binet, etc. Un rapport du préfet de police avait signalé à Empereur les hôtes de la Maison grise comme étant affiliés à la Compagnie de Jésus. L’Empereur s’en montra inquiet et irrité « Eh bien t dit-il à M. Monge, voilà vos chers élèves devenus les disciples de Loyola t Et Monge de nier. « Vous niez, reprit l’Empereur; eh bien, sachez que le répétiteur de votre cours est dans cette clique. Tout le monde comprendra qu’après une telle parole, Monge ne pouvait pas consentir à se faire remplacer par M. Binet. XLIX. \037Arrivé a l’Académie, jeune, ardent, passionné, je me mêlai des nominations beaucoup plus que cela n’eût convenu à ma position et à mon âge. Parvenu à une époque de la vie où j’examine rétrospectivement toutes mes actions avec calme et impartialité, je puis me rendre cette justice que, sauf dans trois ou quatre circonstances, ma voix et mes démarches furent toujours acquises au candidat le plus méritant, et plus d’une fois je parvins à empêcher l’Académie de faire des choix déplorables. Qui pourrait me blâmer d’avoir soutenu avec vivacité la candidature de Malus, en songeant que son concurrent, M. Girard, inconnu comme physicien, obtint 22 voix sur 53 votants, et qu’un déplacement de 5 voix lui eût donné la victoire sur le savant qui venait de découvrir la polarisation par voie de réflexion, sur le savant que l’Europe \037

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98 II1STO1RB \037aurait nommé par acclamation. Les mêmes remarques sont upplirahlcs à la nomination de Poisson, qui aurait échoué contre ce même M. Girard, w quatre voix s’étaient déplacées. Cela ne suffit-il pas pour justifier l’ardeur inusitée de mes démarches? Quoique dans une troisième épreuve la majorité de l’Académie se soit prononcée en faveur du même ingénieur, je ne puis me repentir d’avoir soutenu jusqu’au dernier moment, avec conviction et vivacité, la candidature de son concurrent M, Dulong. Je ne suppose pas que, dans le monde scientifique, personne soit disposé à me blâmer d’avoir préféré M. Liouville à M. de Pontécoulant. \037L. \037Parfois, il arriva que le gouvernement voulut prescrire des choix à l’Académie; fort de mon droit je résistai invariablement à toutes les injonctions. Une fois, cette résistance porta malheur à un de mes amis, au vénérable Legendre; quant à moi, je m’étais préparé d’avance à toutes les persécutions dont je pourrais être l’objet. Ayant reçu du ministère de l’intérieur l’invitation de voter pour 11. Binet et contre M. Navier, à propos d’une place vacante dans la section de mécanique, Legendre répondit noblement qu’il voterait en son âme et conscience. Il fut immédiatement privé d’une pension que son grand Age et ses longs services lui avaient valu. l,e protégé de l’autorité échoua, et l’on attribua, dans le temps, ce résultat à l’activité que je mis à éclairer les membres de l’Académie sur l’inconvenance des procédés du ministère. \037

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DE MA JEUNESSE. W \037-.1 • i ̃ » t • J 14 A \037Dans une autre circonstance le roi voulait que l’Académie nommât Dupuytren, chirurgien éminent, mais a«qucl on reprochait des torts de caractère des plus graves. Dupuytren fut nommé mais plusieurs billets blancs protestèrent contre l’intervention de l’autorité dans les t’Ieclions académiques. \037LI. \037J’ai dit plus haut que j’avais épargné à l’Académie quelques choix déplorables je n’en citerai qu’un seul, à l’occasion duquel j’eus la douleur de me trouver en opposition avec M. de La place. L’illustre géomètre voulait qu’on accordât une place vacante dans la section d’astronomie à M. Nicollet, homme sans talent, et de plus soupçonné de méfaits qui entachaient son honneur de la manière la plus grave. A la suite d’un combat que je soutins visière levée, malgré les dangers qu’il pouvait y avoir à braver ainsi les protecteurs puissants de M. Nicollet, l’Académie passa au scrutin le respectable M. Damoiseau dont j’avais soutenu la candidature obtint 45 voix sur 48 votants. M. Nicollet n’en réunit donc que 3. \037« Je vois, me dit M. de Laplace, qu’il ne faut pas lutter contre les jeunes gens; je reconnais qu’un homme qu’on appelle le grand Électeur de l’Académie, est plus puissant que moi. – Non, répondi»-je M. Arago parviendra à balancer l’opinion justement prépondérante de M. de Laplacc alors seulement que le bon droit sera sans contestation possible de son coté. » \037

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400 HISTOIRB \037Peu de temps après, M. Nicollet était en fuite pour l’Amérique, et le Bureau des longitudes faisait rendre une ordonnance pour l’expulser ignominieusement do son sein. \037LU. \037J’engagerai les savant* qui, entras de bonne heure à l’Académie, seraient tentés d’imiter mon exemple, à ne compter que sur le témoignage de leur conscience; je les préviens, en connaissance de cause, que la reconnaissance leur fera presque toujours défaut. \037L’académicien nommé, dont vous avez exalté le mérite quelquefois outre mesure, prétend que vous n’avez fait que lui rendre justice, que vous avez rempli un devoir, et qu’il ne doit conséquemment vous en tenir aucun compte. \037lui. \037Delambrc mourut le 19 août 1823. Après les détais obligés on procéda à son remplacement. La place de secrétaire perpétuel n’est pas de celles qu’on peut laisser longtemps vacantes. L’Académie nomma une commission pour lui présenter des candidats elle était composée de MM. de Laplace, Arago, Legendre, Rossel, Prony, Lacroix. La liste de présentation se composait de MM. Biot, Fourier et Arago. Je n’ai pas besoin de dire avec quelle persistance je m’opposai à l’inscription de mon nom sur cette liste; je dus céder à la volonté de mes collègues, \037

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DE MA JEUNESSE. 40t \037mai* Je saisis la première occasion de déclarer publiquement que je n’avais ni la prétention ni le désir d’obtenir un seul suffrage; qu’au surplus je cumulais autant d’emplois que j’en pouvais remplir, qu’à cet égard M. Biot «’tait dans la même position; en telle sorte que je faisais des vœux pour la nomination de M. Fouricr. On a prétendu, mais je n’ose me flatter que Ic fait soit exact, que ma déclaration exerça une certaine influence sur le résultat du scrutin. Ce résultat fut le suivant M. Fourier réunit 38 voix et M. Biot 10. Dans une circonstance de cette nature, chacun cache soigneusement son vote afin de ne pas courir la chance d’un futur désaccord avec celui qui sera investi de l’autorité que l’Académie accorde au secrétaire perpétuel. Je ne sais si on me pardonnera de raconter un incident dont l’Académie s’égaya beaucoup dans le temps. \037M. de Laplace, au moment de voter, prit deux billets blancs; son voisin eut la coupable indiscrétion de regarder et vit distinctement que l’illustre géomètre écrivait le nom de Fourier sur les deux. Après les avoir ployé* tranquillement M. de Laplace mit les billets dans son chapeau, le remua, et dit à ce même voisin curieux « Vous voyez f j’ui fait deux billets je vais en déchirer un, je mettrai l’autre dans l’urne, j’ignorerai ainsi moiini’inc pour lequel des deux candidats j’aurai voté. Le* choses se passèrent comme l’avait annoncé le rW’brc académicien seulement tout le monde sut avec certitude que son suffrage avait été pour Fourier, et le (iilcul des probabilités ne fut nullement nécessaire pour arrivée ce résultat. \037

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10} IIISTOIBB DR MA JEUNESSE. \037Après avoir rempli tes fonctions de secrétaire avec beaucoup de distinction, mais non sans quoique mollesse, sans quelque négligence, à cause de Ra mauvaise santé, Fourier mourut le 16 mai 1850. Je déclinai plusieurs fois l’honneur que l’Académie paraissait vouloir me faire de me nommer pour lui succéder je croyais, sans fausse modestie, ne pas avoir les qualités nécessaires pour remplir convenablement cette place importante. Lorsque 59 voix sur 41i votants m’eurent désigné, il fallut bien que je cédasse a une opinion si flatteuse et si nettement formulée; le 7 juin 1850, je devins donc secrétaire perpétuel de l’Académie pour les sciences mathématiques, mais conformément aux idées sur le cumul dont je m’étais fait un argument pour appuyer, en novembre 1822, la candidature de Fourier, je déclarai que je donnerais ma démission de professeur à l’École polytechnique. Ni les sollicitations du maréchal Soult, ministre de la guerre, ni celles des membres les plus éminents de l’Académie, ne parvinrent à me faire renoncer à cette résolution. \037141 V. \037

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NOTICES BIOGRAPHIQUES \037

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UW»bjo do r~ 0 m w’lrf~ ~rl, A ~11 ~dqll 1I i; 11~ IAr/lc~tr ~r ~Irdr~Ir ~ülol~r 1r I~ut~r I~ha~ 1r 1~1 ~nl trj~ll~ 1~f. I~r r’1~41oW te~l Ar I~t~i~ll 1~. frt~ I~ ~niru! ,adI8. tMt, la 4r ~W’f~<~M~<M<0<MM<M~~<<W~tft*tnt<~ rr~~ paUt~ls ~1r ay lcieWt d~r 1 lest ..w~ j.ld ~d~l «~w. w p.twew ~ul, ~1 y r~at~· A ~<Mtm< )M ~Ht~<t MHWM MM Il <t<tMM 8MUnII" ~.r Ir~l. ~aw ~rioo~ hI OatHN~é~ ’Mt1tD8f" !u ~r 1rr ta. W~nr. ""JkM t1n wl~rllt~M A f ~lod p~pr1 < <«CM<n~, \037top rrH 1~ f~ llmlirrr, l~or pau6~s dargo <M< 4at)<~ t~~ a~~ <f)MK pe~ba4~ 41*m, 0 ro*o 00 *-erg r» ~MM~<~<<M~M~W~t~~t~~M~~<M~M~M~ 14’f« ~w <MA~ ~M~w f8I1’ rd" e~naajt, t \037Au Il biote de a~~nLpe1 ~ltr ~BttttoW A ~ll~eww 1r m.. r.rulrlyr~ pM d OtM<tMt< 4or lllAcrllb r~klEnyl! <~ <MX«  r N boum eskiow tuer. M%dt~4 0»4i«dt,4», l’la·d! .rry t~~d*~ ut, ot«4ç«o IdM11~ d~t«, MM, la ~w’~a< tMftobtw .t. l’4wrl~~ufr, dr pl~wuymY’ wtw fI" tlta.l~b.~T t:4,’ A "~1.1 <tf Ivilr IY’N~il~l~ u11 ?<* IIXN1lI~ 11a fy~:rl "’Wh \037

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dont les appointements de membre do l’Institut étaient la «mie ressource. Ces observations, présentée* avec force, m’ébranlerent. Le débat, néanmoins, «’envenima | je pouvais consentir a lire l’£lofn> <!o Fresnel, mai» je refusai obstinément d’on retrancher der pansage» <iul, la teille, avaient paru Irréprochables, sur la nécessité d’exécuter strictement la Charte »! on ne voulait pan rouvrir la carrière des révolution». Cuvlor, par amitié pour moi, et dan» l’intérêt de l’Académie, était surtout ardent pour obtenir ce» suppressions, Je 11» part île cette circonstance à Villeinaln, qui «ans s’apercevoir que le grand naturaliste pouvait l’entendre, sVcrla s « C’est une insigne lâcheté. • De là, des querelles, des personnalité», dontjft me ferai» un scrupule de consigner Ici le souvenir. Voilà ce qui arriva dans cette circonstance regrettable. Le» passage» en question furent conservé» la lecture, et devinrent l’objet, de la part du public, d’applaudissements frénétique» qui ne semblaient mérités ni par le fond ni par la forme. J’avoue même que je fus tres-surprls lorsqu’on sortant de la séance, le duc de Raguse me dit à l’oreille i « Dieu veuille que demain Je n’ate pas à aller chercher de vos nouvelle» à Vincenne* • \037

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NOTICES BIOGRAPHIQUES \037FRESNEL’ \037«ooiurHii ici m ttAxct rvtuQit pr i.’acapéiiii! vu tam:r.; LI l« jiiur.T ,<ISI. \037Messieurs, il est des hommes à qui l’on succède et f que personne ne remplace. Ces paroles d’un des plus honorables écrivains de notre temps, si souvent reproduites comme la formule convenue d’une modestie de cir.constance, sont aujourd’hui dans ma bouche l’expression fidèle de ce que j’éprouve. Comment pourrais-je, en effet, sans la plus vive émotion, venir occuper à cette tribune une place qu’a si dignement remplie, pendant huit années, le géomètre illustre dont la mort inattendue ne laisse pas moins de regrets à l’amitié qu’aux sciences et aux lettres. Cet aveu sincère de ma juste défiance, ce n’est pas ici, Messieurs, qu’on l’entend pour la première fois. Presque tous les membres de l’Académie ont été tour à tour les confidents de mes scrupules, et leur encourageante bienveillance est à peine parvenue h les surmonter. Voué 1. (Envrc | jothume. \037

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40» FRBSNEL \037depuis longtemps à des recherches purement scientifiques; tout à fait dépourvu des titres littéraires qui, jus. qu’à ce moment, avaient paru Indispensables dans les difficiles fonctions qu’on m’a confiées, je ne pouvais avoir aux yeux de l’Académie que le facile mérite d’un zèle soutenu, d’un dévouement sans bornes à ses intérêts, et du désir ardent qu’en toute occasion j’ai manifesté de voir la renommée qu’elle s’est acquise, grandir, si c’est possible, et s’étendre en tout lieu. Le vide que M. Fourier hisse parmi nous, je l’ai reconnu le premier, je l’ai reconnu sans réserve, se fera surtout sentir dans ces réunions solennelles c’est alors que vous vous rappellerez ce langage dans lequel la plus rigoureuse précision s’alliait ei heureusement à l’élégance et à la grâce. Aussi j’ai dû me persuader que l’indulgence de l’Académie me présageait en quelque sorte celle dont le public daignerait m’honorer; autrement aurais-je osé faire entendre ici une voix inexpérimentée après l’éloquent interprète que nous venons de perdre, à côté de celui que nous avons le bonheur de posséder 1 \037Cet éloge, au reste, je me hâte de le déclarer, s’écarte de la forme ordinaire. Je demanderai même qu’on veuille bien le considérer comme un simple Mémoire scientifique dans lequel à l’occasion des travaux de notre confrère, j’examine les progrès que plusieurs des branches les plus importantes de l’optique ont faits de nos jours. A une époque où les cours du Collège de France, de la Faculté de Paris, du Jardin du Roi, attirent une si grande aflluance d’auditeurs, il m’a semblé que l’Académie dos Sciences pourrait ellc-ntfmc entretenir directement le \037

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PRKSNBL 100 \037public, ami de nos études, qui veut bien assiaU’r à ce* réunions, do quelques-unes des questions variées dont elle s’occupe spécialement. Toutefois c’est ici de ma part un simple essai sur lequel on voudra bien m’ éclairer; la critique me trouvera docile. J’espère cependant que la satisfaction de se voir initié en peu d’instants aux plus curieuses découvertes de notre siècle pourra paraltre une compensation suffisante de l’inévitable fatigue qu’amèneront tant de minutieux détails. \037De mon côté l’indulgence sur laquelle je compte no me dispensera pas de faire tous mes efforts pour tacher d’être clair. Fontenelle, dans une occasion semblable, demandait à son auditoire (je cite ses propres expres.sions) « la même application qu’il faut donner au roman de la Princesse de Clèves, si on veut en suivre bien Fin«  trigue et en connattre toute la beauté. Je n’aurais pas le droit, je le sais, d’être aussi peu exigeant; mais j’ai, d’une autre part, l’avantage de parler devant une assemblée familiarisée avec des études sérieuses, et dont on peut réclamer avec confiance une attention que Fontenelle lui-même, au commencement du xvm* siècle, aurait difficilement obtenue de la société frivole à laquelle il s’adressait. \037BNiuiice de fresneu – soir entrée k i/école polytechniq.ce ET DAN» LU CORP» DES PONTS ET CHAINES. *K DEÏTIK’TIO!» POUR AVOIR lit REJOINDRE L’ARMER ROTAU A LA PALUD. Augustin-Jean Fhesnel naquit le 10 mai 4788, à Broglie, pn’’s de Bernay, dans cette partie de l’ancienne province de Normandie qui forme aujourd’hui le dt’par- \037

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tlO FHBSNBL. \037tentent de l’Hure. Sun père était architecte, et, en cette qualité, le génie militaire lui avait confié la construction du fort de Querque ville, è l’une des extrémités de la rade de Cherbourg mais la tourmente révolutionnaire l’ayant forcé d’abandonner ces travaux, il se retira avec toute sa famille dans une modeste propriété qu’il possédait près de Caen, à Mathieu, petit village qui déjà n’était pas sans quelctue illustration, puisque c’est la patrie du poëte Jean Ma rut, père du célèbre Clément. Madame Fresnel, dont le nom de famille (Mérimée) devait aussi un jour devenir cher aux arts et aux lettres, était douée des plus heureuses qualités du cœur et de l’esprit; l’instruction solide et variée qu’elle avait reçue dans sa jeunesse, lui permit de s’associer activement pendant huit années consécutives aux efforts que faisait son mari pour l’éducation de leurs quatre enfants. Les progrès du fils aîné furent brillants et rapides. Augustin, au contraire, avançait dans ses études avec une extrême lenteur à huit ans il savait à peine lire. On pourrait attribuer ce manque de succès à la complexion très-délicate du jeune écolier et aux ménagemonts qu’elle prescrivait; mais on le comprendra mieux encore, quand on saura que Fresnel n’eut jamais aucun goût pour l’étude des langues, qu’il fit toujours très-peu de cas des exercices qui s’adressent seulement à la mémoire que la sienne, d’ailleurs assez rebelle en général, se refusait presque absolument à retenir des mots, dès qu’ils ne se rattachaient pas à une argumentation clairc et ourdie fortement. Aussi, je dois l’avouer sans détour, ceux dont toutes les prévisions concernant l’avenir d’un enfant, se fondent sur le recensement complet des pre- \037

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FRE8NKI, 4)4 \037mlère* places qu’il a obtenues au collége, en thème ou en version, n’auraient jamais Imaginé qu’Augustin Fresncl deviendrait un des savants les plus distingué de notre époque. (Juant a ses jeunes camarades, ils l’avaient au contraire jugé avec cette sagacité qui les trompe rarement ils l’appelaient l’homme de génie. Ce titre pom- peux lui fut unanimement décerné à l’occasion de recherches expérimentales (on me passera cette expression, elle n’est que juste) auxquelles il se livra à l’âge de neuf ans, f soit pour fixer les rapports de longueur et de calibre qui donnent la plus forte portée aux petites canonnières do sureau dont les enfants se servent dans leurs Jeux, suit pour déterminer quels sont les bois verts ou secs qu’il convient d’employer dans la fabrication des arcs, sous lo double rapport de l’élasticité et do la durée. Le physicien de neuf ans avait exécuté en effet ce petit travail avec tant de succès, que des hochets, jusque là fort inof. fensifc, étaient devenus des armes dangereuses, qu’il eut l’honneur de voir proscrire par une délibération expresse des parents assemblés de tous les combattants. En 1801, Fresnel, âgé de treize ans, quitta le foyer paternel, et se rendit à Caen avec son frère aîné. L’école centrale de cette ville, où l’instruction a toujours été en honneur, présentait alors une réunion de professeurs du plus rare mérite. Les excellentes leçons de mathématiques de M. Quenot, le cours de grammaire générale et de logique de l’abbé de la Rivière, contribuèrent éminemment a développer chez le jeune élève cette sagacité, cette rectitude d’esprit, qui plus tard l’ont guidé avec tant de bonheur dans le dédale en apparence inextricable des \037

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III HlBfNEL. \037|4iAiMnenen naturel* qu’il est (Nirvvnu à débrouiller, U conmiuntatlon du m voir e*t de (ou* les bienfaits que nom rm-vons daiw notre jeunes», celui dont un camr bien nd nNMcrve le plut profond souvenir, Aussi la reconnais.mimx qu’ivf it vouée Prcsnel 4 ses digne* profc**rur« do lîaen, fuMIe constamment vive ci respectueuse, l/sa tcoU’* rriifrclcf ellc«-tn*inc» rurent loujour» une lirgo |iart daiu «on Muvrnir et j’ai quelques ral*on» do croira qu’mi aurait trouvé diverses réminiscences de ces anrkiincs institution* dans un plan d*étudcs qu’il voulait puhl"’r. \037Kn «ri rntra à vlus ans et demi à racole polytech- nique, où son (rtro Biné l’avait précédé d’une année, £̃ miiI/ Malt alors eitr^meincnt fsiblo, et faisait craindra qu’il no pût pas su|iporter les fatigues d’un tuui rude nos triât { mais ce carpe débile rcnfprmait l’Imo la plus >igourcu*>, et, tn toutes cnosm, Is forme voient* do r^uuir c4 d^jà la moitié du succès j d’ailleurs Is do^tdrité de PrcjwH pour les’ srt* graphiques était pn»que «ans {%»\e, et, sous c* rapfiori, il pouvait marcher de pair av<r les plu* habiles do ses camarades, tout en s’impoMnt un travail journalier beaucoup moins long, borique rVwt suivait les cours de CrVole polyUvIinkiuc, un M vaut, dont Tlgo n’o pas refroidi M «Me, que l’AradA.mie des fr-tence* « la bonheur de compter parmi ses membre* k* plus actifs, les plus ssuldus, H qu’il me faudra d^tfigner, puisqu’il m’entend, par le x-ul litro de <k»)in des gtemèlrcs vivants, remplissait les fonction» d’etaminsteur. Dons le courant de l’année 180J il pro|n>u aux élèves comme sujet de concours, une question \037

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FRESNEL, m \0371.-1. · 8 \037de géométrie. Plusieurs la résolurent; mais la solution de Fresnel fixa particulièrement l’attention de notre confrère, car les hommes supérieurs jouissent de l’heureux privilège de découvrir, môme sur de légers indices, les talents qui doivent jeter un grand éclat. M. Legendre, son nom m’échappe, complimenta publiquement le jeune lauréat. Des témoignages d’encouragement partant de si haut mirent Fresnel, peut-être pour la première fois, dans le secret de son propre mérite, et vainquirent une défiance outrée qui, chez lui, produisait les plus fâcheux résultats, puisqu’elle l’empêchait de tenter des routes nouvelles, \037En sortant de l’École polytechnique, Frcsnel passa dans celle des ponts et chaussées. Lorsqu’il eut obtenu le titre d’ingénieur ordinaire, il fut envoyé dans le département de la Vendée, où le gouvernement cherchait à effacer les traces de nos déplorables discordes civiles, relevait tout ce que la guerre avait renversé, ouvrait des communications destinées à vivifier le pays, et posait les fondements d’une ville nouvelle. Tout élève, quelque carrière qu’il veuille embrasser, attend avec la plus vive impatience l’instant où il pourra déposer ce titre. Pour lui, en vingt-quatre heures, le inonde alors change complétement d’aspect il recevait des leçons, il va créer. Son avenir semble d’ailleurs lui promettre tout ce qu’un siècle a offert d’événements brillants à quelques rares individus favorisés du sort. \037Peu d’ingénieurs, par exemple, reçoivent leurs diplômes sans se croire, dès ce moment, appelés soit (nouveau\ Ilicquet) à joindre l’Océan à la Méditerranée par un gnuul \037

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IU PREBNEL. \037canal qui conduira les navires du commerce jusqu’au centre du royaume, soit à tracer sur la croupe des Alpes la route sinueuse et hardie dont la sommité se perd dans la région des frimas éternels, et que le voyageur cependant peut affronter sans crainte, même au cœur de l’hiver. Celui-ci a conçu l’espoir d’orner la capitale d’un de ces ponts légers et toutefois inébranlables, où le hardi ciseau d’un David viendra quelque jour animer le marbre; l’autre, renouvelant les gigantesques travaux de Cherbourg, arrête les tempétes à l’entrée de certaines rades, prépare d’utiles refuges aux navires de commerce, s’associe enfin à la gloire des escadres nationales, en leur fournissant de nouveaux moyens d’attaque et de défense. Les moins ambitieux ont songé à redresser le cours des principaux fleuves, à rendre, par des barrages, leurs eaux moins rapides et plus profondes; à arrêter ces montagnes mouvantes qui, sous le nom de dunes, envahissent graduellement de riches contrées, et les transforment en de stériles déserts. \037Je n’oserais pas affirmer que malgré l’extrême modération de ses désirs, Fresnel échappa tout à fait à ces heureux rêves du jeune âge. En tout cas le réveil ne se fit pas attendre î niveler de petites portions de route; chercher, dans la contrée placée dans sa circonscription, des bancs de cailloux présider à l’extraction de ces matériaux; veiller à leur placement sur la chaussée ou dans les ornières; exécuter. ça et là, un ponceau sur des canaux d’irrigation; rétablir quelques mètres de digue que le torrent a emportés dans sa crue; exercer principalement sur les entrepreneurs une survtil- \037

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FRESNEL. H5 \037lance active; vérifier leurs états de compte, toistT scrupuleusement leurs ouvrages, telles étaient les fonctions fort utiles, mais très-peu relevées, très-peu scientifiques, que Fresnel eut à remplir pendant huit à neuf années dans la Vendée, dans la DrOmc, dans l’I Ile-etVilaine. Combien un esprit de cette portée ne devait-il pas être péniblement affecté quand il comparait l’usage qu’il aurait pu faire de ces heures qui paient si vite, avec la manière dont il les dépensait I Mais chez Fresnel, l’homme consciencieux marchait toujours en première ligne; aussi s’acquitta-t-il constamment de ses devoirs d’ingénieur avec le plus rigoureux scrupule. La mission de défendre les deniers de l’État, d’en obtenir le meilleur emploi possible, se présentait è ses yeux comme une question d’honneur, Le fonctionnaire, quel que fût son rang, qui lui soumettait un compte louche, devenait à l’instant l’objet de son profond mépris. Fresnel ne comprenait pas les ménagements auxquels des personnes, d’ailleurs très-estimables, se croient quelquefois tenues par esprit de corps. Toute confraternité cessait pour lui, malgré les similitudes de titres et d’uniformes, dès qu’on n’avait pas une probité à l’abri du soupçon. Dans ces circonstances, la douceur habituelle de ses manières disparaissait, pour faire place à une raideur, je dirai même à une âpreté qui, dans ce siècle de concessions, lui attira de nombreux désagréments. \037Les opinions purement spéculatives d’un homme de cabinet, concernant l’organisation politique de la société, doivent en général trop peu intéresser le public, pour qu’il soit nécessaire d’en faire mention mais l’influence \037

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ne kh esn el. \037qu’elles ont exercée sur la carrière de Fresnel ne me permet pas de les taire. \037l’reMiel, comme tant de bons esprits, s’associa vivement en 1814 aux espérances que le retour de la famille des Bourbons faisait naître. La Charte de 1814, exécutée sans arrière-pensée, lui paraissait renfermer tous les germes d’une sage liberté. 11 y voyait l’aurore d’une régénération politique qui devait, sans secousses, s’étendre de la France à toute l’Europe. Son cœur de citoyen s’émouvait en songeant que notre beau pays allait exercer cette pacifique influence sur le bonheur des peuples. Si, pondant le régime impérial, les grandes journées d’Austerlitz, d’iéna, de Friedland, n’avaient pas fortement excité son imagination, c’est seulement parce qu’elles lui semblaient destinées à perpétuer le despotisme sous lequel la France se trouvait alors courbée. Le débarquement de Cannes, en 1815, lui parut une attaque contre la civilisation; aussi, sans être arrêté par le délabrement de sa santé, s’empressa-t-il d’aller rejoindre l’un des détachements de l’armée royale du Midi. Fresnel s’était flatté de n’y trouver que des hommes de sa trempe, si j’en juge par l’impression pénible qu’il éprouva dès sa première entrevue avec le général sous les ordres duquel il allait se placer, Touché de l’air maladif de son nouveau soldat, le chef lui témoigne combien il est surpris qu’il veuille, dans un tel état, s’exposer aux fatigues et aux dangers d’une guerre civile. Vos supérieurs, « Monsieur, lui dit- il, vous ont peut-être commandé • cette démarche. –Non, général, je n’ai pris con«  sei! que de moi. Je vous en prie, parlez-moi sans \037

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FRESNEL. 1(7 \037< détour; vous a-t-on menacé do ne pas payer vos api pointements?-Aucune menace semblable ne m’a été « faite mes appointements étaient régulièrement payé». « -Fort bien; mais je dois, entre nous, vous prévenir « qu’il ne faut guère compter ici que sur le casuel. – J’ai « compté sur mes seules ressources; je n’espère et ne < claire aucune récompense je me présente à vous pour remplir un devoir. – A merveille, Monsieur; c’est ainsi que tout bon serviteur de la cause royale doit penser et agir; je partage vos honorables sentiments; comptez » sur ma bienveillance. » Cette bienveillance, en effet, ne se démentit point, et les questions qui d’abord avaient Messe Fresnel, montraient seulement que son interlocuteur, moins novice dans les affaires de ce bas monde, savait, par expérience, qu’un rassemblement populaire, de quelque couleur qu’il se pare, renferme plus d’un individu dont le dévouement, sous des apparences trompeuses, cache des intérêts personnels. \037Freanel rentra à Nyons, sa résidence habituelle, presque mourant. La nouvelle des événements de la Palud l’y avait précédé; la populace, on sait ce que signifie ce terme dans les départements du Midi, lui prodigua mille outrages. Peu de jours après, un commissaire impérial vint prononcer sa destitution et le placer sous la surveillance de la haute police. Loin de moi la pensée d’atténuer ce qu’une semblable mesure avait d’odieux. Je dois dire cependant qu’elle fut exécutée sans trop de rigueur, que Fresnel obtint la permission de passer par Paris; qu’il y Ajourna sans être inquiété qu’il y put renouer connaissance avec d’anciens condisciples et se préparer ainsi aux \037

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418 FRESNEL. \037recherche* scientifiques dont il comptait s’occuper dans la retrnite 0(1 ses jeunes années s’étaient écoulées. A cette époque Fresnel avait à peine une idée confuse des brillantes découvertes qui, dans les premières années de ce siècle, changèrent totalement la face de l’optique. PREMIERS MÉMOIRE! Dl HEINE!» \037Le premier mémoire de science que Fresnel ait rédigé, remonte à cette même année 1814. C’était un essai destiné à rectifier l’explication fort imparfaite du phénomène de l’aberration annuelle des étoiles qui, généralement, est suivie dans les ouvrages élémentaires; la géométrie et la physique pouvaient également avouer la nouvelle démonstration mais malheureusement, elle ressemblait beaucoup à celle de Bradley lui-méme et de Clairaut, Je dis malheureusement, car si l’on croyait que de telles rencontres satisfont l’amour-propre d’un débutant et stimulent son zèle on se ferait étrangement illusion. Et d’ailleurs, un auteur supporterait avec philosophie, je veux bien J’admettre, le déplaisir d’avoir inutilement usé ses force? pendant des années entières à la recherche d’une vérité déjà aperçue auparavant; il renoncerait de la meilleure grâce à la flatteuse espérance de voir son nom attaché à quelque brillante découverte mais ne doitil pas être vivement inquiet, quand il peut craindre que pour avoir ignoré l’existence de tel ouvrage auquel personne ne songeait, il sera peut-être traité de plagiaire quand il peut craindre qu’une vie sans tache ne Mit pas une sauvegarde suffisante contre de telles imputations. \037

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FHKSNEL. «19 \037Le public, nonobstant les dénégations les plus expresses, suppose prcsquo toujours qu’un auteur a connu tout ce qu’il a pu connattre, et le droit dont il est investi de truiter avec une sévérité implacable ceux qui sciemment &o sont emparés des travaux de leurs prédécesseurs, est l’origine de plus d’une injustice. Aussi Lagrange racontait-il que, dans sa jeunesse, il éprouva un si profond chagrin en trouvant, par hasard, dans les œuvres de Lcibnitz, une formule analytique dont il avait parlé à l’Académie de Turin, comme d’une découverte à lui, qu’il s’évanouit complètement. Peu s’en fallut même, que dès ce jour, il ne renonçât tout à fait aux études mathématiques. La démonstration de l’aberration était trop peu importante pour inspirer à Fresnel un pareil découragement; d’ailleurs, il ne l’avait point imprimée; toutefois, cette cir. constance le rendit extrêmement timide, et depuis il ne publia jamais de mémoire sans s’être assuré, par le témoignage d’un de ses amis à qui les collections académiques étaient plus familières, qu’il n’avait pas, suivant un dicton populaire devenu chez lui une formule habituelle, enfoncé des portes ouvertes. \037Les premières recherches expérimentales de Fresnel ne datent que du commencement de 1815 mais à partir de celle époque, les mémoires succédèrent aux mémoires, les découvertes aux découvertes, avec une rapidité dont l’histoire des sciences offre peu d’exemples. Le 28 dé.cembre 1814, Fresnel écrivait de Nyons:t Je ne sais ce qu’on entend par polarisation de la lumière t priez « M. Mérimée, mon oncle, de m’envoyer les ouvrages « dans lesquels je pourrai l’apprendre. » Huit mois \037

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410 FKESNEL. \037s’étaient à peine écoulés et déjà d’ingénieux travaux l’avaient placé parmi les plus célèbres physiciens de notre époque. En 1819, il remportait un prix proposé par l’Académie sur la question si difficile de la diffraction. En 1823, il devenait l’un des membres de cette compagnie, à l’unanimité des suffrages, genre de succès fort rare, car il ne suppose pas seulement un mérite du premier ordre, mais encore de la part de tous les compétiteurs, un aveu d’infériorité bien franc, bien explicite. En 1825 la Société royale de Londres admettait notre confrère au nombre de ses associés. Enfin» deux ans plus tard, elle lui décernait la médaille fondée par le comte de Rumford. Cet hommage d’une des plus illustres académies de l’Europe, ce jugement prononcé chez une nation rivale, par les compatriotes les plus éclairés de Newton, en faveur d’un physicien qui n’attachait guère de prix ses découvertes qu’autant qu’elles ébranlaient un système dont ce puissant génie s’était fait le défenseur, me semble avoir tous les caractères d’un arrêt de la postérité, J’espère donc qu’il me serait permis de l’invoquer, si malgré tout mon désir de rester dans les strictes bornes de la vérité, et la conviction que j’ai de ne pas les avoir pas franchies, il arrivait par hasard qu’on trouvât cet éloge empreint d’une légère exagération. Ce serait là, au reste, je dois l’avouer, un reproche que je ressentirais faiblement, comme ami de Fresnel. S’il m’importe de le repousser, c’est seulement en qualité d’organe de l’Académie le ministère que je remplis aujourd’hui, au nom de mes confrères, doit être exact et sévère comme sont rigoureuses et exactes les sciences dont ilss’occupent. \037

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FRBSNEL. 411 \037«inaction. \037Les travaux de Fresnel sont presque tous relatifs à l’optique. Afin d’éviter des répétitions fatigantes, je les classerai, sans égard pour l’ordre des dates, de manière à réunir dans un seul groupe tous ceux qui se rapportent à des questions analogues. Les phénomènes de la réfraction m’occuperont les premiers. \037Un bAton dont une partie plonge dans l’eau parait brisé; les rayons qui nous font voir la portion immergée doivent donc avoir changé de route, ou s’être brisés euxmêmes, en passant de l’eau dans l’air. Naguère on réduit-nit à cette remarque les connaissances des anciens sur le phénomène de la réfraction. Mais en exhumant de la poussière des bibliothèques où tant de trésors sont encore enfouis, un manuscrit de l’Optique de Ptolémée, on a trouvé que l’école d’Alexandrie ne s’était pas bornée à constater le fait de la réfraction, car cet ouvrage renferme, pour toutes les incidences, des déterminations numériques passablement exactes de la déviation des rayons, soit quand ils passent de l’air dans l’eau ou dans le verra, soit lorsqu’ils n’entrent dans le verre qu’en sortant de l’eau. \037Quant à la loi mathématique de ces déviations, que l’Arabe Alhasen, que le Polonais Vitellio, que Képler, et d’autres physiciens avaient inutilement cherchée, c’est à Descartes qu’on la doit. Je dis Descartes, et Descartes seulement, car si les réclamations tardives d’Huygens en faveur de son compatriote Snellius étaient accueillies, il \037

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lij FRBSNKL. \037faudrait renoncer à jamais écrire l’histoire des scienc?*». Vnc loi mathématique a plus d’importance qu’une découverte ordinaire /car elle est elle-même une source de découvertes. Do simples transformations analytiques signalent alors aux observateurs une foule de résultats plus ou moins cachés, dont ils se seraient difficilement avisés; mais ces résultats ne peuvent être accueillis sans réserre tant que la vérité de la loi primordiale repose uniquement sur des mesures. Il importe pour la science, qu’en remontant aux principes de la matière, cette loi reçoive le caractère de rigueur que les expériences les plus précises ne sauraient lui donner. \037Descartes essaya donc d’établir sa loi de la réfraction par des considérations purement mathématiques; peutêtre même est-ce ainsi qu’il la trouva? Fermât combattit la démonstration de son rival, la remplaça par une méthode plus rigoureuee, mais qui avait le grave inconvénient de s’appuyer sur un principe métaphysique dont rien ne montrait la nécessité. Huygens arriva au résultat, en partant des idées qu’il avait adoptées sur la nature de la lumière; Newton enfin, car cette loi a occupé les plus grands géomètres du xvu’ siècle, la déduisit du principe de l’attraction. \037La question était parvenue à ce terme, lorsqu’un voya. geur revenant de l’Islande apporta à Copenhague de beaux cristaux qu’il avait recueillis dans la baie de Roërford. tour grande épaisseur, leur remarquable diaphanéité, les rendait très-propres à des expériences de réfraction. Bartholin, a qui on les avait remis, s’empressa de les soumettre è divers essais; mais quel ne fut \037

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FRESNEL U3 \037pas son étonnement, lorsqu’il aperçut que la lumière s’y partageait en deux faisceaux distincts, d’intensités précisément égales, lorsqu’il eut reconnu, en un mot, qu’à travers ces cristaux d’Islande qu’on a trouvés depuis dans une multitude de localités, car ils ne sont que du carbonate de chaux, tous les objets se voient doubles. La théorie de la réfraction tant de fois remaniée, avait donc besoin d’un nouvel examen tout au moins elle était incomplète, puisqu’elle ne parlait que d’un rayon et qu’on en voyait deux. D’ailleurs, le sens et la valeur de l’écartement de ces deux rayons changeaient en apparence de la manière la plus capricieuse, quand on passait d’une face de cristal’ à l’autre, ou lorsque sur une face donnée la direction du rayon incident variait. Huygens surmonta toutes ces difficultés; une loi générale se trouva comprendre dans son énoncé les moindres détails du phénomène; mais cette loi, malgré sa simplicité, malgré son élégance, fut méconnue. Les hypothèses avaient été pendant tant de siècles des guides inutiles ou infidèles; on les avait si longtemps considérées comme toute la physique, qu’à l’époque dont je parle, les expérimentateurs en étaient venus sur ce point à une sorte de réaction; or dans Ics réactions, même en matière de science, il est rare qu’on garde un juste milieu. Huygens donne sa loi i oimne le fruit d’une hypothèse, on la rejette sans examen tes mesures dont il l’étaie ne rachètent pas tout ce qu’on trouve de vicieux dans son origine. Newton luimême se range parmi les opposants, et, dès ce moment, les progrès de l’optique sont arrêtés pour plus d’un siècle. Depuis, il n’a fallu rien moins que les nombreuses expé- \037

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414 FRESNEL. \037m m ̃ ̃ #fc A ̃ MA \037riences de deux membres les plus célèbre» de cette Académie, MM. Wollaston et Malus, pour replacer la loi d’Huygensau rang qui lui appartient. \037Pendant les longs débats des physiciens sur la loi mathématique d’après laquelle la double réfraction s’opère dans le tristal d’Islande, l’existence du second faisceau étant généralement considérée comme une anomalie qui n’atteignait que la moitié de la lumière incidente l’autre moitié, au moins, disait-on, obéit à l’ancienne loi de la réfraction donnée par Descartes; le carbonate de chaux, en tant que cristal jouit ainsi de certaines propriétés particulières, mais sans avoir perdu celles dont tous les corps diaphanes ordinaires sont doués. Tout cela était exact dans le cristal d’Islande; tout cela paraissait sans trop de hardiesse pouvoir être généralisé. Eh bien, on se trompait. Il existe des cristaux où le principe de la réfraction ordinaire ne se vérifie pas, où les deux faisceaux en lesquels la lumière incidente se partage, éprouvent l’un et l’autre des réfractions anomales, où la lui de Descartes ne ferait connattre la route d’aucun rayon 1 \037Lorsque Fresnel publia pour la première fois ce fait inattendu, il ne l’avait encore vérifié qu’à l’aide d’une méthode indirecte, remarquable par l’étrange circonstance que la réfraction des rayons se déduit d’expé. riences dans lesquelles aucune réfraction ne s’est opérée. Aussi notre confrère trouva-t-il plus d’un incrédule. La singularité de la découverte commandait peut-être quelque réserve; peut-être aussi, aux yeux de diverses personnes, avait-elle, comme l’ancienne loi d’IIuygens, le tort \037

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FRE8NEL. 425 \037d’être le fruit d’une hypothèse! Quoi qu’il en soit, Kresncl aborda la difficulté de front. En montrant dans un parallélipipède de topaze formé de deux prismes de môme angle adossé», qu’aucun rayon ne passait entre deux faces opposées et parallèles sans être dévié, il rendit toute objection inutile, \037Les physiciens, je pourrais citer ici les noms les plus célèbres, qui avaient cherché à renfermer dans une seule règle tous les cas possibles de la double réfraction, s’étaient donc trompés, car ils admettaient unanimement, et comme un fait dont on ne pouvait douter, que pour la moitié de la lumière, que pour les rayons qu’ils appelaient ordinaires, les déviations devaient être les mêmes à égalité d’incidence, dans quelque sens qu’on eût coupé le criblai, La vraie loi de ces phénomènes compliqués, loi (lui renferme comme cas particuliers les lois de Descartes et d’lluygens est due à Fresnel. Cette découverte exigeait au plus haut degré la réunion du talent des expériences et de l’esprit d’invention. \037Je viens de l’avouer, les phénomènes de la double réfraction récemment analysés par Fresnel et les lois qui les enchalnent, ne sont pas exempts d’une certaine complication. C’est là un sujet de regrets, je dirai presque de lamentations chez quelques esprits paresseux qui réduiraient volontiers chaque science à ces notions superficielles dont on peut, sans effort, se rendre maltre en quelques heures de travail. Mais ne voit-on pas que, avec ces idées, les sciences ne feraient aucun progrès; que négliger tel phénomène, parce que notre faible intelligence trouverait quelque peine à le saisir, ce serait man- \037

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«20 FRESNEL. \037quer à son mandat, que souvent on passerait ainsi à côté des plus importantes découvertes Y \037L’astronomie aussi, bornée à la connaissance des constellations et à quelques remarques insignifiantes sur les levers et les couchers des étoiles, était à la portée de tous les esprits; mais alors pouvait-on l’appeler une science? Lorsqu’à la suite du travail le plus colossal qu’aucun homme ait jamais exécuté, Kepler substitua des mouvements elliptiques non uniformes aux mouvements circulaires et réguliers qui, d’après les anciens, devaient régir les planètes, ses contemporains eurent le droit de crier à la complication. Eh t bien, peu de temps après, dans les mains de Newton, ces mouvements compliqué» en apparence, furent la base de la plus grande découverte des temps modernes, d’un principe tout aussi simple qu’il est fécond; ils servirent à prouver que chaque planète est maîtrisée dans sa course elliptique par une force unique, par une attraction émanée du soleil, Les observateurs qui, à leur tour, renchérissant sur Képler, montrèrent qu’il ne suffit pas des mouvements elliptiques pour représenter les vrais déplacements des planètes, ne simplifièrent pas la science; mais, outre que les dérangements connus sous le nom de perturbations n’en auraient pas moins existé, si, en haine de toute complication, on s’était obstiné à ne les point voir, je dois dire qu’en les étudiant avec soin, on a été conduit, entre tant d’autres importants résultats, au moyen de comparer les masses des divers astres dont notre système solaire se compose, et que si nous savons aujourd’hui, par exemple, qu’il ne faudrait pas moins de trois cent cinquante mille \037

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FRE8NBL. 117 \037globes terrestres pour former un poids égal à celui du soleil, on le doit à l’observation do très-petites inégalités qu’auraient certainement négligées ceux qui, à tout prix, ne veulent que des phénomènes simples. \037Sans pousser plus loin ces remarques, je pourrai donc avouer que l’optique était plus facile, plus à la portée du commun des hommes, plus susceptible de démonstration dans les cours publics, avant tous les progrès qu’elle a faits de nos jours. Mais ces progrès sont une richesse réelle; ils ont donné lieu aux plus curieuses applications; ils signalent déjà dans diverses théories de la lumière des impossibilités qui doivent prendre rang parmi les découvertes, car dans la recherche des causes, nous sommes souvent réduits à procéder par voie d’exclusion; sous ce rapport, il n’y a jamais d’expérience inutile; on ne saurait trop les multiplier. Un homme d’un esprit universel qui prenait souvent plaisir à cacher le sens le plus profond sous des formes burlesques, Voltaire, comparait toute théorie à une souris: elle passe, disait-il dans «neuf trous, mais elle est arrêtée par le dixième. C’est en multipliant indéfiniment le nombre de ces trous, ou pour parler d’une manière moins triviale, le nombre des épreuves auxquelles une théorie doit satisfaire, que l’astronomie s’est placée au rang qu’elle occupe dans l’estime des hommes, qu’elle est devenue la première des sciences. \037C’est en suivant la même marche qu’on pourra aussi donner à diverses branches de la physique le caractère d’évidence dont elles manquent encore à quelques égards. Dans chaque science d’observation, il faut distinguer \037

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m FRBSNBL, \037les fuite, les lois qui les lient entre eux, et les causes. Souvent les difficultés du sujet arrêtent les expérimentateurs après le premier pas; presque jamais ils ne franchissent le troisième. Les progrès que Fresnel avait faits sous les deux premiers rapports, dans l’étude de la double réfraction, devaient naturellement le conduire à rechercher d’où pouvait dépendre un si singulier phénomène or, là encore il a obtenu d’éclatants succès. Mais, pressé par le temps, je pourrai seulement faire connaître le plus saillant de ses résultats. \037Lorsque Huygens publia son Traité de la lumière, on connaissait seulement deux gemmes doués de la double réfraction, le carbonate de chaux et le quartz. Aujourd’hui, il serait beaucoup plus court de dire quels cristaux n’ont pas cette propriété, que de nommer ceux qui la possèdent. Anciennement, il fallait qu’un corps diaphane eût présenté distinctement la double image pour qu’on pût se permettre de l’assimiler au cristal d’Islande. Toutes les fois que l’écartement de deux faisceaux était très-petit, échappait à l’œil, l’observateur restait dans le doute, il n’osait prononcer. Maintenant, à l’aide de la méthode très-simple qu’un membre de cette Académie a signalée, l’existence de la double réfraction se manifeste, par des caractères tout à fait indépendants, de la séparation des deux images; aucune substance, quelque mince qu’elle puisse être, douée de cette propriété, ne saurait échapper au nouveau moyen d’investigation mais s’il était certain que la double réfraction ne peut exister sans qu’on aperçoive les phénomènes très-apparents sur lesquels la méthode se fonde, il ne paraissait pas aussi incon- \037

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FRESNEL. no \037t 1.- w 0 \037tcstable qu’elle dût nécessairement les accompagner. Le doute, à cet égard, semblait d’autant plus naturel que l’auteur de la méthode avait trouvé lui-même des plaques de verre qui, sans séparer les images d’une manière perceptible, donnaient cependant naissance a tous les phénomènes en question; qu’un savant distingué de Berlin, M. Sccbeck, prouva plus tard que tout verre brusquement refroidi jouit des mêmes propriétés; qu’enfin, un trèshabile physicien d’Édimbourg les faisait nattre en comprimant des masses de verre avec force dans certains sens. Montrer qu’une plaque de verre ordinaire, ainsi modifiée par refroidissement ou par compression, sépare toujours la lumière en deux faisceaux, rendre cette séparation incontestable, tel est le problème important que se proposa Fresnel, et qu’il résolut avec son bonheur accoutumé. \037En plaçant sur une même ligne et dans une monture en fer portant de fortes vis ingénieusement disposées, quelques prismes de verre que ces vis soumettaient à de trèsfortes pressions, Fresnel fit nattre une double réfraction manifeste. Sous les rapports optiques, cet assemblage de pièces de verre ordinaire était donc un véritable cristal d’Islande; mais ici la séparation des images et toutes les autres propriétés qui en découlent résultaient exclusivement de l’action des vis de pression. Or, cette action, analysée avec soin, ne devait produire qu’un seul effet s le rapprochement des molécules du verre dans le sens suivant lequel elle s’exerçait, tandis que dans la direction perpendiculaire ces molécules conservaient leurs distances primitives. Pouvait-on douter, après cette remarquable \037

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130 FRESNEL. \037/̃ n i • • i ̃ i r i • i \037expérience qu’une disposition moléculaire analogue produite dans l’acte de la cristallisation, ne fût aussi en général cause de la double réfraction du carbonate de chaux et du quartz et de tous les minéraux de même espèce? Si l’on considère avec attention les ingénieux appareils à l’aide desquels Fresnel, en donnant ainsi artificiellement la double réfraction au verre ordinaire, a fait faire un si grand pas à la science, on est frappé de tout ce que l’esprit d’invention emprunte de secours, soit à la connaissance des arts, soit à cette dextérité manuelle qu’avait si bien caractérisée Franklin, quand il drmandait aux physiciens de savoir scier avec une lime et limer avec une scie. \037I.e- défaut de temps ne me permettra pas de citer ici divers autres travaux de notre confrère également relatifs a la réfraction de la lumière et dont je suis certain de ne pas exagérer l’importance en disant qu’ils sufliraient à la réputation de plusieurs physiciens du premier ordre. Je me hâte donc de passer à une théorie de l’optique non moins intéressante et toute moderne, à celle qu’on a désignée par le nom de théorie des interférences. Elle me fournira de nouvelles occasions de faire ressortir l’ébnnaiite perspicacité de Fresnel et les intarissables ressources de son esprit inventif. \037INTF.RKKKKNCES. \037Le nom même d’interférence n’est guère sorti jusqu’à à présent de l’enceinte des académies, et cependant j’ignore si aucune branche des connaissances humaines présente \037

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FRESNEL. 131 \037nr Wm wai·in~. mlm ~·m·inmr mlm ~:In:wm~~ \037des phénomènes plus variés, plus curieux, plus étranges. Essayons de dégager le fait capital (jui domine cette théorie, du langage scientifique dans lequel il c.-t ordinairement enveloppé, et j’espère qu’ensuite on reconnaîtra qu’elle mérite au plus haut degré de fixer l’attention du public. \037Je supposerai qu’un rayon de lumière solaire vienne rencontrer directement un écran quelconque, une belle feuille de papier blanc, par exemple. La partie du papier que le rayon frappera, comme de raison, sera resplendissante; mais me croira-t-on maintenant, si je dis qu’il dépend de moi de rendre cette portion éclairée complètement obscure, sans que pour cela il soit nécessaire d’arrêter le rayon ou de touclier au papier? \037Quel est donc le procédé magique qui permet de transformer a volonté la lumière en ombre, le jour en nuit? Ce procédé excitera plus de surprise encore que le fait en lui-même ce procédé consiste à diriger sur le papier, mais par une route légèrement différente, t.n second rayon lumineux qui, pris isolément aussi, l’aurait fortement éclairé. Les deux rayons en se mêlant semblaient devoir produire une illumination plus vive; le doute à cet égard ne paraissait pas permis; eh bien! ils te détruisent quelquefois tout à fait et l’on se trouve a\oir créé les ténèbres en ajoutant de la lumière à de la lumière. \037l’n fait neuf exige un mot nouveau. Ce phénomène dans lequel deux rayons, en se mêlant, se détruisent tout a fait ou seulement en partie, s’appelle une interférence. (ji imaldi avait déjà aperçu, avant 1005, une légère trace \037

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tU l-’RKSNEL. \037de l’action qu’un faisceau de lumière peut exercer sur un aulrc faisceau; mois dans l’expérience qu’il cite, cette action était à peine apparente; d’ailleurs les circonstances qui la rendent possible n’avaient point été indiquées; aussi aucun physicien ne donna suite à l’observation. En recherchant la cause physique de ces couleurs irisées si remarquables dont brillent les bulles de savon, llookc crut qu’elles étaient le résultat d’interférences; il assigna même très-ingénieusement quelques-unes des circonstances qui peuvent les faire naître; mais c’était là une théorie dénuée de preuves; et comme Newton, qui la connaissait, ne daigna seulement pas, dans son grand ouvrage, en faire la critique, elle resta plus d’un siècle dans l’oubli. \037La démonstration expérimentale et complète du fait des interférences, sera toujours le principal titre du docteur Thomas Young à la reconnaissance de la postéri’.é. Les recherches de cet illustre physicien dont les sciences déplorent la perte récente, avaient déjà conduit aux principes généraux dont je ne crois pas devoir m’abstenir (le consigner ici l’énoncé, lorsque le génie de Fresncl s’en empara, ks étendit, et montra toute leur fécondité. Deux rayons lumineux ne pourront jamais se détruire, s’ils n’ont pas une origine commune, c’est-à-dire s’ils n’émanent pas l’un et l’autre de la môme particule d’un corps incandescent. Les rayons d’un des bords du soleil n’interfèrent donc pas avec ceux qui proviennent du bord opposé ou du centre. \037Parmi les mille rayons de nuances et de réfrangibilités diverses dont la lumière blanche se compose, ceux-là \037

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F R ESN EL. 133 \037seulement sont susceptibles de se détruire qui possèdent dos couleurs et des réfrangi!)ilité\s identiques; ainsi, de quelque manière qu’on s’y prenne, un rayon rouge n’anéantira jamais un rayon vert. \037Quant aux rayons de même origine et de même couleur, ils se superposent constamment sans s’influencer; ils produisent des effets représentés par la somme des intensités, si au moment de leur croisement ils ont parcouru des chemins parfaitement égaux. \037l’ne interférence ne peut donc avoir lieu que si les routes qu’ont parcourues les rayons sont inégales; mais toute inégalité de cette espèce n’amène pas nécessairement une destruction de lumière; il est telle différence de roule qui fait que les rayons, au contraire, s’ajoutent. Quand on connaît la plus petite différence de chemin parcouru pour laquelle deux rayons se superposent ainsi sans s’influencer, on obtient ensuite toutes les différences de chemin qui donnent le même résultat, d’une manière hirn simple, car il suffit de prendre le double, le triple, le quadruple, etc. du premier nombre. \037si l’on a noté de môme la plus petite différence de route qui amène la destruction complète de deux rayons, tout multiple impair de ce premier nombre sera aussi l’indice d’une semblable destruction. \037Quant aux différences de route, qui ne sont numériquement comprises ni dans la première ni dans la seconde dis deux séries que je viens d’indiquer, elles correspondent seulement à des destructions partielles de lumière, à ùe simples affaiblissements. \037Ces séries de nombres, à l’aide desquels on peut savoir \037

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4.54 FRESNEL. \037si nu moment <le leur croisement deux rayons doivent intci Iïtit ou seulement s’ajouter sans se nuire, n’ont pns la même valeur pour les lumières diversement colorées; les plus petits nombres correspondent aux rayons violets, indigos, bleus; les plus grands aux rouges, oranges, jaunes et verts. Il résulte de là que si deux rayons blancs se croisent en un certain point, il sera possible que dans la série, infinie de lumières diversement colorées dont ces rayons se composent, le rouge, par exemple, disparaisse tout seul et que le point de croisement paraisse vert, err le vert c’est du hlanc moins le rouge. \037Les interférences qui, dans le cas d’une lumière homogène, produisaient des changements d’intensité, se manifestent donc, quand on opère avec de la lumière blanche, par des phénomènes de coloration. A !;• suite de tant de singuliers résultats, on sera peut-être curieux de trouver la valeur numérique de ces différences de routes, dont j’ai si souvent parlé, et qui placent deux rayons lumineux dans des conditions d’accord ou de destruction complète. Je dirai donc que pour la lumière rouge on passe de l’un à l’autre de ces deux états, des qu’on fa !t \aricr la longueur du chemin parcouru par l’un des rayons, de trois dix-millièmes de millimètre. I*oui* que la différence de chemins détermine seule si deux rayons de même origine et de même teinte s’ajouteront ou se détruiront mutuellement, il est nécessaire qu’ils aient l’un et l’autre parcouru un seul et même corps solide, liquide ou gazeux. Des qu’il n’en est plus ainsi, il faut encore tenir compte, comme un membre de cette Académie l’a prouvé par des expériences incontestables, \037

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1"U ESN EL. <35 \037do iV’Iondue et do la réfrangibilité dos corps h 1 ni vers lesquels les rayons se sont séparément propagé.15, l’n fai.suit varier graduellement l’épaisseur de ces corps, les rayons qui les traversent pourront alors se détruire ou s’ajouter, bien qu’ils aient parcouru des chemins parfaitei nent égaux. \037Il n’arrive presque jamais qu’une région quelconque de l’espace reçoive seulement de la lumière directe cent rayons de la môme origine lui parviennent par des ville.vions ou des réfractions plus ou moins obliques. Or, après ce que je viens de dire, on conçoit à combien de phénomènes cet entre-croisement de lumière doit donner lieu cl à quel point il eut été superflu d’en chercher la raison tant que les lois des interférences n’étaient pas connue*. Remarquons seulement que rien, jusqu’ici, ne dit m ces lois sont également applicables, lorsque, avant de se mêler, les rayons ont reçu les modifications particulières dont j’ai déjà parlé, et qu’on désigne sous lo nom de polarisation. Cette question était importante; elle a île l’objet d’un travail difficile que Fresnel entreprit avec un de ses amis (Arago). L’exemple qu’ils ont donné, en le publiant, d’indiquer pour quelle part chacun d’eux avait contribué, sinon à l’exécution matérielle des diverses expériences, du moins à leur invention, mériterait, je cruis, d’être suivi car les associations de ce genre tournent souvent a mal, parce que le public s’obstinanl, quelquefois par un pur caprice, à ne pas traiter les intéressés sur le pied d’une égalité parfaite met ainsi en jeu l’amoiir-propre d’auteur, cette peut-être de toutes les passion-» humaines qui exige lo plus do ménagements. \037

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436 FRESNEL. \037Voici les résultats des recherches en question, car, sans parler des importantes conséquences qu’on en a déduites, ils méritent d’être cités, ne fût-ce qu’à raison de leur bizarrerie. \037Deux rayons que l’on fait passer directement de l’état de lumière naturelle à l’état de rayons polarisés dans le même sens, conservent, après avoir reçu cette modificfition, la propriété d’interférer ils s’ajoutent ou se détruisent comme des rayons ordinaires, et dans les mêmes circonstances. \037Deux rayons qui passent, sans intermédiaire, de l’état naturel à celui de rayons polarisés rectangulairement perdent pour toujours la faculté d’interférer; modifiez ensuite de mille manières les chemins parcourus par ces rayons, la nature et les épaisseurs des milieux qu’ils tra.versent; il y a plus: ramenez-les, à l’aide de réflexions convenablement combinées, à des polarisations parallèles, rien de tout cela ne fera qu’ils puissent se détruire. Mais si deux rayons actuellement polarisés dans deux sens rectangulaires, et qui dès lors ne sauraient agir l’un sur l’autre, avaient d’abord reçu des polarisations parallèles, en sortant de l’état naturel, il suffira, pour qu’ils puissent de nouveau s’anéantir, de leur faire reprendre, comme on voudra, le genre de polarisation dont iU avaient été primitivement doués. \037On ne saurait se défendre de quelque étonnement, 1 quand on apprend, pour la première fois, que deux rayons lumineux sont susceptibles de s’entre-détruire que l’obscurité peut résulter de la superposition de deux lumières; mais cette propriété des rayons une fois con- \037

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FRESNEL. 137 \037slatée, n’est-il pas encore plus extraordinaire qu’on pu Use les en priver? que tel rayon la perde momentanément, et (|iic toi autre, au contraire, en soit dépouillé à tout jjimais? La théorie des interférences, considérée sous ce point de vue, semble plutôt le fruit des rêveries d’un cerveau malade, que la conséquence sévère, inévitable, d’expériences nombreuses et à l’abri de toute objection. Au reste, ce n’est pas seulement à cause de sa singularité que cette théorie devait fixer l’attention du physicien Fresncl y a trouvé la clef de tous les beaux phénomènes de coloration qu’engendrent les plaques cristallisées douées de la double réfraction il les a analysés dans tous les détails; il en a déterminé les lois les plus cachées il a prouvé qu’ils étaient des cas particuliers des interférences; il a renversé ainsi, de fond en comble, plusieurs romans scientifiques dont ces phénomènes avaient été l’occasion, et qui faisaient déjà plus d’un prosélyte, soit à raison de tout ce qu’on y remarquait de piquant, soit à cause du mérite distingué de Icurs auteurs. Enfin, ici, comme dans toute science qui marche vers sa perfection, les faits ont paru se compliquer, parce qu’on les examinait de plus près et avec une attention plus minutieuse mais, en même temps, les causes pont devenues plus simples. \037POLARISATION. \037Quoique je sache à quel point on s’expose à lasser l’aurlitoire le plus bienveillant quand on lui parle longtemps dit îiH’me objet, je me vois encore ramené par la nature \037

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138 F R ESN EL. \037des travaux de l’Yesnel au phénomène de la double réfraction mais cette fois, au lieu de m’occuper de la manière dont les rayons se partagent en traversant certains cristaux, j’examinerai les modifications permanentes qu’ils y reçoivent je présenterai, en un mot, les principaux traits de la nouvelle branche de l’optique qui’porte le nom de polarisation de la lumière. \037Tout faisceau lumineux qui rencontre même perpcndiculairement une face quelconque, naturelle ou artificielle, d’un de ces cristaux diaphanes qu’on appelle carbonate de chaux, spath calcaire ou cristaux d’Islande, s’y dédouble; une moitié de ce faisceau traverse la matière du cristal sans se dé\ier on l’appelle faisceau ou rayon ordinaire; l’autre, au contraire, éprouve une réfraction très-sensible, et, par cette raison, on la nomme fort justement le faisceau ou le rayon extraordinaire. Les faisceaux ordinaire et extraordinaire sont contenus dans un seul et même plan perpendiculaire à la face du cristal. Ce plan est très-important à considérer, car c’est lui qui détermine dans quel sens le rayon extraordinaire se dirigera on lui a, en conséquence, donné un nom spécial il s’appelle la seclion principale. \037Ces prémisses posées, je supposerai, pour fixer les idée?, quV/i eerlain cristal d’Islande ait sa section principale dirigée du nord ait midi. Au-dessous, et a quelque dislance que ce soit, nous placerons un autre cristal, orienté de même, c’est-à-dire de manière que sa section principale soit aussi contenue dans le méridien. Que résultera-t-il de cette disposition si la lumière traverse tout le système? Un faisceau unique vient frapper le premier \037

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FHESNEL. 139 \037mais il en sort deux faisceaux: chacun de ceuxla semble devoir éprouver la douhle réfraction dans le cristal «rivant dès lors, on peut s’attendre à avoir quatre faisceaux émergents distincts; il n’en est rien cependant les rayons provenant du premier cristal ne se bifurquent pas dans le second; le faisceau ordinaire reste seulemcnt faisceau ordinaire le faisceau extraordinaire éprouve tout entier la réfraction extraordinaire. Ainsi, en traversant le cristal supérieur, les rayons lumineux ont changé de nature; ils ont perdu un de leurs anciens caractères spécifiques celui d’éprouver constamment la double réfraction en traversant le cristal d’Islande. \037Qu’on veuille bien se rappeler ce que sont des rayons de lumière, et peut-être accordera-t-on alors qu’une expérience à l’aide de laquelle on change leurs propriétés primitives d’une manière aussi manifeste mérite d’être connue, même de ceux pour qui les sciences sont un simple objet de curiosité. \037L’idée qui, de prime abord, se présente à l’esprit, quand on veut expliquer le singulier résultat dont je viens de rendre compte, consiste à supposer qu’originairement il y a dans chaque rayon lumineux naturel deux espèces de molécules distinctes; que la première espèce doit toujours subir la réfraction ordinaire; que la seconde est destinée à suivre seulement la route extraordinaire; mais une expérience très-simple renverse cette hypothèse de fond en comble. En effet, lorsque la section principale du second cristal, an lieu d’être dirigée du nord au midi, comme je l’avais d’abord suppose, s’étend de t’ouest à l’est, le rayon qui était ordinaire dans le cristal supérieur \037

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4(0 FHESNRL. \037flnvîniït o\t m nrrliimïi’n rlano Puni i«*a nt rA/»ï \037devient extraordinaire dans t’autre, et réciproquement. (Ju’y a-t-il de différent, en réalité, entre deux expériences qui donnent des résultats aussi dissemblables? une circonstance fort simple et de bien peu d’importance au premier aspect; c’est que d’abord la section principale du second cristal coupait les rayons provenant du premier par leurs côtés nord et sud, et qu’ensuite elle les a coupes dans les côtés est et ouest. \037Il faut donc que, dans chacun de ces rayons, les côtés nord et sud diffèrent en quelque chose des côtés est et ouest; de plus, les côtés nord-sud du rayon ordinaire doivent avoir précisément les mêmes propriétés des côtés estoursl du rayon extraordinaire en sorte que si ce dernier rayon faisait un quart de tour sur lui-même, il serait impossible de le distinguer de l’autre. Les rayons lumineux sont si déliés, que des centaines de milliardsde ces rayons peuvent passer simultanément par un trou d’aiguille sans se nuire. Nous voilà cependant amenés à nous occuper de leurs côtés, à reconnaître à ces côtés les propriétés les plus dissemblables. \037Lorsqu’en parlant d’un gros aimant naturel ou artificiel, les physiciens affirment qu’il a des pôles, ils entendent .seulement, par là, que certains points de son contour ?c trouvent doués de propriétés particulières qu’on ne rencontre pas du tout dans les autres points, ou qui du moins s’y manifestent plus faiblement. On a donc pu, avec autant de raison, dire la même chose des rayons lumineux ordinaires et extraordinaires provenant du dédoublement qu’éprouve la lumière dans le cristal d’Islande; on a pu, par opposition avec les rayons naturels, \037

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FRESNKL. 441 \037où tous les points du contour semblent pareil, les appeler des rayons polarisés. \037l’our qu’on n’étende pas au delà des bornes légitimes l’analogie d’un rayon polarisé et d’un aimant, il importe, toutefois, de bien ronnrquer que sur le rayon les pôles diamétralement opposés paraissent avoir exactement les mêmes propriétés; quant aux pôles dissemblables, ils se trouvent constamment sur des points du rayon situés dans deux directions rectangulaires. \037Les lignes des espèces de diamètres qui sur chaque rayon joignent les pôles analogues méritent une attention tinte particulière. Lorsque, sur deux rayons séparés, ces lignes sont parallèles, on dit les rayons polarisés dans le même plan. Je n’ai donc pas besoin d’ajouter que deux rayons polarisés à angle droit doivent avoir les pôles identiques dans deux directions perpendiculaires l’une à l’autre. Les deux rayons ordinaire et extraordinaire, par exemple, donnés par quelque cristal que ce soit, sont toujours polarisés angle droit. \037Tout ce que je viens de rapporter sur la polarisation de l;i lumière, Huygens et Newton le connaissaient déjà mant la fin du xvu" siècle; jamais, certainement, un plus curieux sujet de recherches ne s’était offert aux méditations des physiciens; et néanmoins il faut franchir un intervalle de plus de cent années pour trouver, je ne dirai I as des découvertes, mais même de simples travaux destinés à perfectionner cette branche de l’optique. L’histoire de toutes les sciences présente une multitude do bizarreries pareilles; c’est que pour chacune d’elles il arrive périodiquement des époques où, après de grands \037

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H;! FRESNEL \037cllbrls, on les suppose généralement parvenues nu terme de leurs progrès. Alors les expérimentateurs sont en général Ires-timides; ils se croiraient, coupables d’un manque de modestie, d’une sorte de profanation, s’ils osaient porter une main indiscrète sur les barrières que d’illustres devanciers avaient posées; aussi se contententils ordinairement de perfectionner les éléments numérique* ou de remplir quelques lacunes, au prix d’un travail souvent fort difficile, et qui cependant attire à peine les regards du public. \037En résumé, les expériences d’Huygens avaient nettement établi que la double réfraction modifie les propriétés primordiales de la lumière de manière qu’après l’avoir subie une première fois, les rayons restent simples ou se dédoublent, suivant le coté par lequel un nouveau cristal se présente à eux; mais ces modifications se rapportent-elles exclusivement à la double réfraction tou:es les antres propriétés sont-elles demeurées intactes? Ce sont les travaux d’un de nos plus illustres confrères, comme Fresnel enlevé très-jeune aux sciences dont il était l’espoir, qui nous permettront de répondre à ce-.te importante question Malus découvrit, en effet, que, dans l’acte de la réllexion, les rayons polarisés se comportent autrement que les rayons naturels; ceux-ci, tout le monde le sait, se réfléchissent en partie quand ils tombent sur les corps même les plus diaphanes, quelles que soient d’ailleurs l’incidence et la position de la surface réfléchissante par rapport aux côtés du rayon. Quand il s’agit, nu contraire, de lumière polarisée, il y a toujours une situation du miroir relativement aux pôles, dans laquelle \037

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1KESNEL. 4jJ klk’IPQlt Cl ftll In /’•llklklllfl n\- 1\ llll nlirrln \037toute réflexion disparaît si on la combine avec un angle spécial, et qui varie seulement d’un miroir à t’autre, suivant la nature de la matière dont ils sont formés. Si après cette curieuse observation, la double réfraction cessait d’être l’unique moyen de distinguer la lumière polarisée de la lumière ordinaire, du moins semblait-elle encore la seule voie par laquelle des rayons lumineux pussent devenir polarisés; mais bientôt une nouvelle découverte de Malus apprit au monde savant, à sa trèsgrande surprise, qu’il existe des méthodes beaucoup moins cachées pour faire naître cette modification. Le plus simple phénomène de l’optique, la réflexion .sur un miroir diaphane, est un grand moyen de polarisation. La lumière qui s’est réfléchie à la surface de l’eau sous l’angle de 37 degrés, à la surface d’un miroir de verre commun sous l’inclinaison de 35 degrés 25 minutes seulement, est tout aussi complètement polarisée que les deux faisceaux ordinaire et extraordinaire sortant d’un cristal d’Islande. La réflexion de la lumière occupait déjà les observateurs du temps de Platon et d’Euclide; depuis celle époque elle a été l’objet de mille expériences, de cent spéculations théoriques la loi suivant laquelle elle s’opère sert de base à un grand nombre d’instruments anciens cl modernes. Eh bien dans cette multitude d’esprits éclairés, d’hommes de génie, d’artistes habiles, (;ui durant plus de deux mille trois cents ans s’étaient occupés de ce phénomène, personne n’y avait soupçonné ̃mire chose que le moyen de dévier les rayons, de lis réunir ou de les écarter; personne n’avait imaginé que la lumière réfléchie ne dût pas avoir toutes les propriétés \037

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14* FRESNEL. \037de la lumière incidente, qu’un changement de route pût être la cause d’un changement de nature. Les générations d’observateurs se succèdent ainsi pendant des milliers d’années, touchant chaque jour aux plus belles découvertes sans les faire. \037Malus, comme je l’ai déjà expliqué, donna un moyen de polariser la lumière différent de celui qu’Huygcns avait anciennement suivi; mais les polarisations engendrées par les deux méthodes sont identiques; les rayons réfléchis et ceux qui proviennent d’un cristal d’Islande jouissent exactement des mêmes propriétés. Depuis, un membre de cette Académie (Arago) a découvert un genre de polarisation entièrement distinct et qui se manifeste autrement que par des phénomènes d’intensité. Les rayons qui l’ont subie, par exemple, donnent toujours deux images en traversant un cristal d’Islands; mais ces images sont teintes dans tous leurs points d’une couleur vive et uniforme. Ainsi, quoique la lumière incidente soit blanche, le faisceau ordinaire est complètement rouge, complètement orangé, jaune, vert, bleu, violet, suivant le côté par lequel la section principale du cristal pénètre dans le rayon; quant au faisceau extraordinaire, il ne serait pas suffisant d’annoncer qu’il ne ressemblera jamais par la suite au rayon ordinaire; il faut dire qu’il en diffère autant que possible; que si l’un se montre coloré de rouge, l’autre sera du plus beau vert, et ainsi de même pour toutes les autres nuances prismatiques. Quand la nouvelle espèce de rayons polarisés se réfléchit sur un miroir diaphane, on aperçoit des phénomènes non moins curieux. \037

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FRESNEL. 145 \037J. – i. 10 \037Concevons, en olTct, pour fixer les idées, qu’un de ces rayons soit vertical et qu’il rencontre un miroir réfléchissant du verre le plus pur, sous un angle d’environ 35" cc miroir pourra se trouver à droite du rayon; il pourra, l’inclinaison restant constante, être à sa gauche, en avant, en arrière, dans toutes les directions intermédiaires. On se souvient que le rayon incident était blanc eh bien, dans aucune des positions du miroir de verre, le rayon réfléchi n’aura cette nuance il sera tantôt rouge, tantôt orangé, jaune, vert, bleu, indigo, violet, suivant le côté par lequel la lame de verre se sera présentée au rayon primitif, et c’est précisément dans cet ordre que les nuances se succéderont si l’on parcourt graduellement toutes les positions possibles. Ici, ce ne sont pas seulement quatre pôles placés dans deux directions rectangulaires qu’il faut admettre dans le rayon on voit qu’il y en a des milliers que chaque point du contour a un caractère spécial que chaque face amène la réflexion d’une nuance particulière. Cette étrange dislocation du rayon naturel (on me passera ce terme puisqu’il est exact) donne ain.-i le moyen de décomposer la lumière blanche par voie de réflexion. Les couleurs, il faut l’avouer, n’ont pas toute l’homogénéité de celles que Newton obtenait avec le prisme; mais aussi les objets n’éprouvent aucune délorin.iiion, et, dans une multitude de recherches, c’est là le point capital. \037l\>ur reconnaître si un rayon a reçu soit la polarisation dlluygens et de Malus, soit celle dont je viens de parler, d qu’on a appelée la polarisation chromatique, il suflit, comme on a vu, de lui faire (’prouver la double réfruc- \037

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446 FRESNEL. \037tiou; mais de ce qu’un faisceau en traversant un cristal d’ Islande donnerait toujours deux images blanches également vive:?, il ne s’ensuivrait pas qu’il est formé de lumière ordinaire; c’est là encore une découverte de Fresnel. C’est lui qui le premier a fait voir qu’un rayon peut avoir les mêmes propriétés sur tous les points de son contour et n’être pas cependant de la lumière naturelle. Pour montrer, par un seul exemple, que ces deux espèces de lumière se comportent différemment et ne doivent pas être confondues, je dirai qu’en éprouvant la double réfraction un rayon naturel qui vient de traverser une lame cristalline donne deux images blanches, tandis que dans les mêmes circonstances le rayon de Fresnel se décompose en deux faisceaux vivement colorés. \037On imprime aux rayons polarisés ordinaires cette modification nouvelle qui, n’étant pas relative à leurs divers côtés, a été désignée par le nom de polarisation circulaire, en leur faisant subir deux réflexions totales sur des surfaces vitreuses convenables. \037Le plaisir d’avoir attaché son nom à un genre de polarisation jusque-là inaperçu, eût probablement suffi à la vanité d’un physicien vulgaire, et ses recherches n’cussent pas été plus loin mais Fresnel était conduit par des sentiments plus élevés à ses yeux rien n’était fait tant qu’il restait quelque chose à faire; il chercha donc s’il n’y aurait pas d’autres moyens de produire la polarisation circulaire, et, comme d’habitude, une découverte remarquable fut le prix de ses efforts. Cette découverte peut être énoncée en deux mots il y a un genre parlieuli< r de double réfraction qui communique aux rayons la \037

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FRESNEL. U7 \037polarisation circulaire, comme la double réfraction du cristal d’Islande leur donne la polarisation d’Huygcns. Cette double réfraction spéciale résulte non de la nature du cristal, mais bien de certaines coupes que Fresnel a signalées. Les propriétés des rayons polarisés circulaiivinenl conduisirent aussi notre confrère à des moyens nouveaux et très-curieux de faire naître la polarisation colorée. Dans tous les temps et dans tous les pays, on trouve des esprits moroses qui, assez disposés a proclamer la gloire dos morts, ne traitent pas à beaucoup près leurs contemporains avec la mtonc faveur. Des qu’une découverte apparaît, ils la nient; ensuite ils contestent sa nouveauté, et feignent de l’apercevoir dans quelque ancien passage bien obscur et bien oublié enfin, ils soutiennent qu’elle a été seulement le fruit du hasard. \037,1e ne sais si les hommes de notre siècle sont meilleurs ([ne leurs devanciers; toujours est-il qu’aucun doute ne s’est élevé ni sur l’exactitude, ni sur la nouveauté, ni sur l’importance des découvertes dont je viens de rendre compte. Quant au hasard, l’envie la plus aveugle n’eût pas osé ici l’invoquer, tant les appareils employés par l’resnel dans l’étude de la polarisation circulaire étaient compliqués, minutieux et allaient droit au but qu’il se proposait. l’eut-être même serait-il convenable d’avertir qu<> la plupart d’entre eux avaient été suggérés par des idées théoriques; car, sans cela, plusieurs des expériences de notre confrère sembleraient offrir des combinaisons dont i! eût été pour ainsi dire impossible que personne s’avisât. Si en écrivant l’histoire des sciences il est juste de mettre (huis tout leur jour les découvertes de ceux qui lis oui \037

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<18 FRESNEL. \037cultivées avec gloire, il importe aussi, ce me semble, d’éviter qu’on y puisse trouver un sujet de découragement. CARACTÈRES PRINCIPAUX DU SYSTÈME DE L’ÉMISSION ET DE CELUI DES ONDES.– MOTIFS SUR LESQl tLS FRESNEL S’ÉTAIT FONDÉ POUR REJETER SANS RÉSERVE LE SYSTÈME DE L’ÉMISSION. Après avoir étudié avec tant de soin les propriétés des rayons lumineux, il était naturel de se demander en quoi la lumière consiste. Cette question scientifique, l’une des plus grandes, sans contredit dont les hommes se soient jamais occupés, a donné lieu à de vifs débats. Fresnel y a pris une part active. Je vais donc essayer de la caractériser avec précision je présenterai ensuite une analyse succincte des curieuses expériences qu’elle a fait naître. Les sens de l’ouïe et de l’odorat nous font découvrir l’existence des corps éloignés de deux manières totalement différentes. Toute substance odorante éprouve une espèce d’évaporation; de petites parcelles s’en détachent sons cesse elles se mêlent à l’air qui leur sert de véhicule, et les répand en tous sens. Le grain de musc, dout les subtiles émanations pénètrent dans toutes les parties d’une vaste enceinte, s’appauvrit de jour en jour; il finit par se dissiper, par disparaître en totalité. \037Il n’en est pas de même d’un corps sonore. Tout le monde sait que la cloche éloignée dont le tintement ébranle fortement notre oreille, ne nous envoie cependant aucune molécule d’airain; qu’elle pourrait résonner sans interruption pendant cent années consécutives sans rien perdre de son poids. Lorsqu’un marteau vient la frapper, \037

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FRESNEL. HO \037scs parois s’ébranlent; elles éprouvent un mouvement vibratoire qui se communique d’abord aux couches d’air voisines, et ensuite, de proche en proche, à toute l’atmosphère. Ce sont ces vibrations atmosphériques qui constituent les sons. \037Nos organes, quels qu’ils soient, ne sauraient être mis en rapport avec les corps éloignés, que de l’une ou de l’autre de ces deux manières; ainsi, ou le soleil lance incessamment, comme les corps odorants, des particules matérielles par tous les points de sa surface, avec une vitesse de 77,000 lieues par seconde, et ce sont ces petits fragments solaires qui, en pénétrant dans l’œil, produisent la vision; ou bien l’astre, en cela semblable à une cloche, excite seulement un mouvement ondulatoire dans un milieu éminemment élastique dont l’espace est rempli, et ces vibrations viennent ébranler notre rétine comme les ondulations sonores affectent la membrane du tympan. \037De ces deux explications des phénomènes de la lumière, l’une s’appelle la théorie de l’émission; l’autre est connue mais le nom de système des ondes. On trouve déjà des tri’ccs de la première dans les écrits d’Empédoclc. Chez les modernes, je pourrais citer parmi ses adhérents, Kepler, Newton, Laplace. Le système des ondes ne compte pas dos partisans moins illustres AriMoto, Départes, Ilooke, Ifiiygon»!, Kiiler, l’avaient adopté. De tels nom, rcndraù’iit un choix bien difficile, si en matière de science les noms les plus illustres pouvaient être des autorités délermin.i nies. \037Au le.-le, si l’on sYlonn.’til de voir d’au<>i grands \037

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<S0 FRESNEL. \037génies ainsi divisés, je dirais que de leur temps la question en litige ne pouvait être résolue, que les expériences nécessaires manquaient, qu’alors les divers systèmes sur la lumière étaient, non des déductions logiques des faits, mais, si je puis m’exprimer ainsi, de simples vérités de sentiment; qu’enfin, le don de l’infaillibilité n’est pas accordé même aux plus habiles, dès qu’en sortant du domaine des observations, et, se jetant dans celui des conjectures, ils abandonnent la marche sévère et assurée dont les sciences se prévalent de nos jours avec raison, et qui leur a fait faire de si incontestables progrès. Avant de parcourir les larges brèches qu’on a faites récemment au système de l’émission, il sera peut-être convenable de jeter un coup d’cril sur les vives attaques dont il avait été l’objet sous la plume des Euler, des Franklin, etc., et de montrer que les partisans de Newton pouvaient alors sans trop de présomption considérer la solution comme ajournée a long terme. Les effets qu’un boulet de canon peut produire dépendent si directement de la masse et de la vitesse, que l’on peut, sans les altérer, changer à volonté l’un de ces éléments, pourvu qu’on fasse varier l’autre proportionnellement et en sens inverse. Ainsi, un boulet de deux kilogrammes renverse un mur; un boulet d’un kilogramme le renversera aussi, pourvu qu’on lui imprime une vitesse double. Si le poids du boulet était réduit au 10’. au 100’ de sa valeur primitive, il faudrait pour l’identité d’effet que la vitesse devînt 10 fois, 100 fois plus grande. Or nous savons que la vitesse d’un boulet est la six cent quarante millième partie de colle do ta lumière; si le poids d’une molécule lumineuse était la six cent quarante \037

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FllESNKL. 151 \037m illième partie de celui du boulet de canon, comme ce boulet elle renverserait les murs. \037Ces déductions sont certaines; voyons maintenant les faits. (Jnemolécule lumineuse, non-seulement ne renverse pas les murs, mais elle pénètre dans un organe aussi délirât que l’oeil sans occasionner aucune douleur, mais elle ne produit aucun eflet dynamique sensible; disons plus, dans les expériences destinées à apprécier les impulsions de la lumière, les physiciens ne se sont pas contentés d’employer un moyen isolé, ils ont fait agir simultanément l’immense quantité de lumière qu’on peut condenser au foyer de la plus large lentille ils n’ont pas opposé ;m choc dos rayons des obstacles très-résistants, mais bien dos corps si délicatement suspendus, qu’un souille eût suffi pour les déranger énormément ils ont agi par exemple» sur l’extrémité d’un levier très-léger attaché horizontalement à un fil d’araignée. Le seul obstacle au mouvement de rotation d’un semblable appareil serait Ja force de réaction qu’acquerrait le fil en se tordant. Mris cette ferce doit être considérée comme nulle, car, de sa nature, elle augmente toujours rapidement avec la torsion, et ici cependant, l’un des observateurs dontj’anahsc les expériences, n’en aperçut aucune trace après avoir eu la patience de faire tourner le levier sur lui-même 1 ’l,000 fois. \037Il est donc bien constaté que, malgré leur excessive vitesse, des milliards de rayons lumineux, agissant simultanément, ne produisent aucun choc appréciable; m;iis on a été au delà des conséquences légitimes que cette intéressante expérience autorise, quand on en a conclu qu’un \037

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<5» Fit ESN EL. \037rayon ne se compose pas d’éléments matériels doués d’un vif mouvement de translation. On peut bien déduire de l’absence de toute rotation du levier suspendu au fil d’araignée, sous l’action d’une quantité énorme de lumière, que les particules élémentaires des rayons lumineux n’ont pas des dimensions comparables à la millionième partie des molécules pesantes les plus ténues. Mais comme rien ne montre qu’il y ait absurdité à les supposer un million, un milliard de fois plus petites encore, ce genre d’expériences et d’arguments dont on doit la première idée à l’YanldD, ne pourra jamais rien fournir de décisif. Parmi les objections qu’Euler a présentées dans ses ouvrages contre le système de l’émission, deux que je vais signaler et sur lesquelles il a plus particulièrement insisté, lui semblaient irrésistibles. « Si le soleil, dit ce grand géomètre, lance continuellement des parties de sa propre substance en tous sens, et avec une excessive vitesse, il linira par s’épuiser et puisque tant de siècles se sont écoulés depuis les temps liistoriques, la diminution devrait tire déjà sensible. Mais, n’cst-il pas évident que cctlo diminution est liée à la grosseur des particules lumineuses? Or, rien n’empêche de leur supposer de tels diamètres qu’après des millions d’années d’une émission continue, le volume du soleil on soit a peine altéré. Aucune obsorv; lion exacte ne prouve, d’ailleurs que cet asIie ne s’épuise pas, que son diamètre est ausM grand aujourd’lui qu’au siècle d’Ilipparque. \037Personne n’ignore que des milliards de rayons peuvent pénélrcr simultanément dans une chambre obscure par le plus petit trou d’épingle, et y former des images Irès- \037

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FRESNEL. *5* \037net les de tous les objets extérieurs. En se croisant dans un si petit espace, les éléments matériels dont on suppose cette multitude de rayons formés sembleraient cependant devoir s’entre-choquer avec une grande impétuosité, changer de direction de mille manières, et se mêler sans aucun ordre. Cette difficulté est sans doute très-spécieuse, mais elle ne semble pas insurmontable. La chance que des molécules partant de deux points différents et passant par un même trou se rencontreront, dépend à la fois du diamètre absolu de ces molécules et des intervalles qui les séparent. On pourrait donc, en diminuant convenablement les diamètres, rendre les chances de choc presque nulles; mais nous avons ici, dans l’intervalle des molécules, un autre élément qui seul conduirait largement au but. En effet, toute sensation lumineuse dure un certain temps; l’objet incandescent (jui a lancé des rayons dans l’oeil se voit encore, l’expérience l’a prouvé, au moins un centième de seconde après que cet objet a disparu. Or, en un centième de seconde, un rayon parcourt 770 lieues. Ainsi les molécules lumineuses, qui forment chaque rayon, pourraient être à 770 lieues les ’ines des autres, et produire néanmoins une sensitkm continue de lumière. Avec de telles distances, que (IcuVnnent ces chocs répétés dont parlait Euler, et qui, en toute circonstance, devaient mettre obstacle a la proposition régulière des rayons? On se sent presque humilié, quand on voit un géomètre do ce rare génie se croire nu–l’irisé, par des objections si futiles, à qualifier le système de l’émission, un égarement de Newton, une erreur grossière dont le crédit, dit-il, ne pourrait s’expliquer qu’en \037

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)5( FRESNEL. \037K! rappelant cette remarque de Cicéron, qu’on ne saurait imaginer rien de si absurde que les philosophes ne soient capables de le soutenir. \037Le système de l’émission a maintenant très-peu de partisans mais ce n’est pas sous les coups d’Euler qu’il a succombé. Des objections insurmontables ont été puisées dans des phénomènes variés dont cet illustre géomètre ignorait même l’existence. Ce grand progrès de la science appartient aux physiciens de nos jours il est dû en partie aux travaux de Fresnel. Cette seule considération m’obligerait à le signaler ici en détail, lors même que l’intérêt de la question ne m’en ferait pas aussi un devoir. Si la lumière est une onde, les rayons de différentes couleurs, semblables en cela aux divers sons employés dans la musique, se composeront de vibrations inégalement rapides, et les rayons rouges, verts, bleus, violets, se transmettront à travers les espaces éthérés, comme toutes les notes de la ganune dans l’air, avec des vitesses exactement égales. \037Si la lumière est une émanation, les rayons de diverses couleurs se seront formés de molécules nécessairement différentes quant à leur nature ou à leur masse, et qui, de plus, pourront être douées de vitesses dissemblables. l’ne inspection attentive des bords des ombres que produisent les satellites de Jupiter, dans leur passage sur le disque lumineux de la planète, et mieux encore, l’observation des étoiles changeantes, a prouvé que tous les rayons colorés se meuvent également vite. Ainsi se trouve \éiïfié le trait caractéristique du système des ondes. Dans l’un et dans l’autre des deux systèmes sur la \037

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FRESNEL. (65 \037lumière, la vitesse primordiale d’un rayon détermine la réfraction qu’il doit (prouver, quand il rencontre obliquement la surface d’un corps diaphane. Si cette vitesse augmente, la réfraction deviendra plus petite, et réciproquement une diminution de vitesse se manifestera par une déviation croissante. La réfraction devient ainsi un moyen assuré de comparer les vitesses de toutes sortes de rayons. En se livrant à cette recherche avec des moyens tellement précis qu’ils auraient fait ressortir des différences (le un cinquante-millième, on a pu reconnaître que. la lumière de tous les astres, que la lumière de nos foyers, celle des bougies et des lampes à double courant d’air, disons plus, que les faibles rayons lancés par les vers luisants, parcourent tout aussi bien 77,000 lieues par seconde (|iic la lumière éblouissante du soleil. \037On concevra aisément comment ce résultat est une conséquence mathématique du système des ondes, si l’on veut bien remarquer que toutes les notes musicales se propagent également vite dans l’air, soit qu’elles émanent de la voix d’un chanteur, de la corde d’acier d’un cla\ccin, de la corde à boyau d’iui violon, de la surface vitreuse d’un harmonica, ou des parois métalliques d’un énorme tuyau d’orgue. Or, il n’y a aucune raison pour que les notes lumineuses (on me passera, j’espère, cette expression), se comportent autrement dans l’Ivtlier. Dans lliypcthèse de l’émission, l’explication n’est pas aussi simple. Si la lumière se compose d’éléments matériels, elle se trouvera soumise à l’attraction universelle; à peine se sera-t-elle élancée d’un corps incandescent, que l’action de ce corps tendra à l’y ramener. (’ne diminution \037

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156 FRESNEL. \037graduelle de sa vitesse originaire est donc indubitable; il fallait seulement rechercher si les observations pourraient la faire découvrir. C’était là une simple question de calcul. Or, en faisant sur la constitution physique de quelques (’toiles, c’est-à-dire, à l’égard de leur volume et de leur densité, des suppositions qui ne semblent avoir rien d’outré, on trouve qu’elles pourraient, par leur force attractive, anéantir totalement la vitesse d’émission des molécules lumineuses qu’après être parvenues à une distance donnée, ces molécules, qui, jusque-là, se seraient éloignées du corps, y retourneraient par un mouvement rétrograde. Ainsi, certains astres pourraient être aussi resplendissantsque le soleil, jusqu’à la distance de 40,000, 000 de lieues, par exemple, et paraître ensuite subitement tout à fait obscurs, 40,000,000 de lieues étant tout juste la limite qu’aucun de leurs rayons ne saurait dépasser. Changez beaucoup les volumes et les densités qui fournissent ces résultats; prenez pour les étoiles de première grandeur de telles dimensions qu’aucun astronome ne refuserait de les considérer comme probables, elles ne présenteront plus alors d’aussi étranges phénomènes «Iles ne seront plus éblouissantes ici et complètement obscures un peu plus loin; mais la vitesse de leur lumière changera avec la distance, et si deux de ces astres sont fres-divorsemont éloignés de la terre, leurs rayons nous arriveront avec dos \itessrs dissemblables. N’est-ce donc pas contre le système de l’émission une objection formidable que cette parfaite égalité de vitesse, dont toutes les observations font foi. \037II existe un moyen tres-s-iinple d’altérer notablement, \037

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FRESNEL. 4V7 \037sinon la vitesse absolue d’un rayon, au moins sa vitesse rotative; c’est de l’observer pendant sa course annuelle, quand la terre se dirige soit vers l’astre d’où ce rayon Liliane, soit vers la région diamétralement opposée. Dans le premier cas, c’est comme si la vitesse du rayon se trouvait accrue de toute celle de notre globe; dans le second, le changement a numériquement la même valeur, mais la vitesse primitive est diminuée. Or, personne n’ignore que la vitesse de translation de la terre est comparable à celle de la lumière, qu’elle en est la dix-millième partie. Observer dPabord une étoile vers laquelle la terre marche et ensuite une étoile que la terre fuit, c’est avoir opéré sur des rayons dont les vitesses diffèrent entre elles de un cinq-millième. De tels rayons doivent être inégalement réfractés. La théorie de l’émission fournit les moyens de dire en nombres à combien l’inégalité s’élèvera et l’on peut voir ainsi qu’elle est fort supérieure aux petites erreurs des observations. Eh bien, des mesures précises ont complètement démenti le calcul les rayons émanés de toutes les étoiles, dans quelque région qu’elles soient situées, éprouvent précisément la même réfraction. Le désaccord entre la théorie et l’expérience ne pouvait pas être plus manifeste, et dès ce moment le système de l’émission semblait renversé de fond en comble; ou est cependant parvenu à ajourner cet arrêt définitif à. l’aide d’une supposition dont je pourrai rendre compte en deux mots, car elle consiste à admettre que les corps incandescents lancent des rayons avec toutes sortes de vitesses, mais qu’une vitesse spéciale et déterminée est nécessaire pour qu’ils soient de la lumière. Si un dix-mil- \037

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158 FRESNEL. \037lième d’augmentation ou de diminution dans leur vitesse enlève aux rayons leurs propriétés lumineuses, l’égalité de déviation observée est la conséquence nécessaire de cette supposition, car dans la multitude des molécules qui viendront le frapper, l’œil, qu’il s’éloigne d’une étoile ou qu’il marche à sa rencontre, apercevra en toute occasion celles de ces molécules dont la vitesse relative sera la même mais cette hypothèse, on ne saurait en disconvenir, enlèverait au système de l’émission la grande simplicité qui faisait son principal mérite. Les entre-chocs des molécules, sur lesquels Euler a tant insisté, deviendraient alors la conséquence inévitable de leur inégalit6 de vitesse, et amèneraient dans la propagation des rayons un trouble qu’aucune observation n’a fait ressortir. \037La lumière exerce une action frappante sur certains corps elle change promptement leur couleur. Le nitrate d’argent, vulgairement connu sous le nom de pierre infernale, possède, par exemple, cette propriété à un très-haut degré il suffit de l’exposer durant quelques secondes à ta lumière diffuse d’un jour nébuleux, pour qu’il perde sa blancheur primitive et devienne d’un noir bleuâtre. Dans la lumière solaire, le changement est presque instantané. Les chimistes ont cru voir dans cette décoloration un phénomène analogue à ceux qu’ils produisent journellement. Suivant eux, la lumière serait un véritable réactif, qui, en s’ajoutant aux principes constituants du composé sur lequel elle agit, en modifierait quelquefois les propriétés primitives. Quelquefois aussi la matière lumineuse déterminerait seulement par son action le dégagement \037

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FRKSNEL 159 \037d’un ou de plusieurs cléments des corps qu’elle iruit frapper. \037Ces explications, quoique basées sur des analogies spécieuses, ne paraissent pas pouvoir être admises depuis qu’il est constaté que, en interférant, les rayons lumineux perdent aussi des propriétés chimiques dont ils étaient doués. Comment concevoir, en effet que la matière de deux rayons puisse se combiner avec une substance donnée, si chaque rayon va la frapper isolément, et qu’aucune combinaison, au contraire, n’ait lieu, quand ces mêmes rayons frappent simultanément, après avoir parcouru, car cette condition est nécessaire, des routes différant les unes des autres de quantités comprises dans une certaine série régulière de nombres. \037En géométrie, pour démontrer l’inexactitude d’une proposition, on la suit dans toutes ses conséquences jusqu’à ce qu’il en ressorte un résultat complètement absurde. Ne faut-il pas ranger dans cette catégorie une action chimique qui naîtrait ou disparaîtrait suivant la longueur du chemin qu’aurait suivi le réactif? \037Les phénomènes naturels se présentent ordinairement à nous sous des formes très-compliquées, et le véritable mérite de l’expérimentateur consiste à les dégager d’une multitude de circonstances accessoires qui ne permettraient pas d’en saisir les lois. \037Si, par exemple, on n’avait observé les ombres des corps opaques qu’en plein air, si on n’avait jamais éclairé ces corps avec des points lumineux très-resserrés, personne n’eût deviné combien un phénomène si vulgaire offre de curii.’uv sujets de recherches; mais placez au milieu d’iue \037

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<60 FRESNEL. \037chambre noire et dans le faisceau de lumière homogène qui diverge, soit d’un petit trou du volet, soit du foyer d’une lentille de verre, tcl corps opaque qu’il vous plaira de choisir, et son ombre se montrera entourée d’une série de stries contiguës, les unes très-lumineuses, les autres complètement obscures. Substituez de la lumière blanche au faisceau homogène, et des stries semblables, vivement irisées, viendront occuper la place des précédentes. Grimaldi aperçut le premier ces singuliers accidents de lumière, auxquels il donna le nom de diffraction. Newton en fit ensuite l’objet d’une recherche toute spéciale; il crut y voir des preuves manifestes d’une action attractive et répulsive très-intense, qu’exerceraient les corps sur les rayons qui passent dans leur voisinage. Cette action, en la supposant réelle, ne pourrait s’expliquer qu’en admettant la matérialité de la lumière. Le phénomène de la diffraction méritait donc, par cette seule raison, de fixer au plus haut degré l’attention des physiciens. \037Plusieurs, en effet, l’étudièrcnt, mais par des méthodes très-inexactes; Fresnel, enfin, donna à ce genre d’observations une perfection inespérée, en montrant qu’il n’est pas nécessaire pour voir les bandes diffractées de les recevoir sur un écran, comme Newton et tous les autres expérimentateurs l’avaient fait jusque-là qu’elles se forment nettement dans l’espace même où l’on peut les suivre avec toutes les ressources qui résultent de l’emploi du micromètre astronomique armé d’un fort grossissement. D’après les expériences précises faites par Fresnel à l’aide de ses nouvelles méthodes d’observation, si l’on voulait attribuer encore les effets de la diffraction à des forces \037

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FRESNEL. 46. \037!l. i. 11 \037attractives et répulsives agissant sur des éléments matériels, il faudrait admettre que ces actions sont totalement indépendantes de la nature et de la densité des corps, car un fil d’araignée et un fil de platine produisent des bandes parfaitement semblables; les masses n’auraient plus d’inlluence, puisque le dos et le tranchant d’un rasoir se comporlent exactement de même. On se trouverait enfin amené inévitablement à cette conséquence, qu’un corps ngït sur les rayons voisins de sa surface avec d’autant moins d’énergie que ces rayons viennent de plus loin, c:r l’ m, en mettant le point lumineux à un centimètre de ditlance, la déviation angulaire est 12, elle ne s’élèvera pas tout a fait à 4, dans les circonstances pareilles, à l’égard de la lumière provenant d’une distance décuple. \037Ces divers résultats, et surtout le dernier, ne peuvent se concilier avec l’idée d’une attraction. Les expériences de Fresnel anéantissent donc complètement tous les arguments qu’on avait puisés dans les phénomènes de dilfractiun pour établir que la lumière est une matière. \a branche importante de l’optique qui traite de l’intensité de la lumière réfléchie, transmise et absorbée par les corps; celle qu’on a désignée sous le nom de photométrie est dans son enfance; elle ne se compose encore que de résultats isolés dont on pourrait même contester l’exactitude. Les lois générales et mathématiques manquent presque complètement. Quelques essais, faits depuis peu d’années, ont cependant conduit à une règle très-simple, (lui, pour toute espèce de milieux diaphanes, lie les angles de la première et de la seconde surface, sous lesquels les ivlkxions égales. \037

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462 FRESNEL. \037Dans le système de l’émission, ces deux angles n’ont aucune dépendance nécessaire; le contraire a lieu si les rayons lumineux sont des ondes, et la relation, qu’en partant de cette hypothèse un de nos illustres confrères a déduite de sa savante analyse, est précisément celle que l’expérience avait fournie. Un tel accord entre le calcul et l’observation doit prendre place aujourd’hui parmi les plus forts arguments qu’on puisse produire à l’appui du système des vibrations, \037Les interférences des rayons ont occupé une trop grande place dans cette biographie pour que je puisse me dispenser d’indiquer comment elles se rattachent aux deux théories de la lumière; or, dans la théorie de l’émission, je n’hésite pas à le dire, si on n’admet aucune dépendance entre les mouvements des diverses molécules lumineuses ( et j’ignore quelle dépendance on pourrait vouloir établir entre des projectiles isolés), le fait et surtout les lois des interférences semblent complétement inexplicables. J’ajouterai encore qu’aucun des partisans du système de l’émission n’a tenté, dans un écrit public, de lever la difficulté, sans que j’en veuille conclure qu’elle a élS dédaignée. \037Quant au système des ondes, les interférences s’en déduisent si naturellement, qu’il y a quelque raison d’être étonné que les expérimentateurs les aient signalées les premiers. Pour s’en convaincre, il suffit de remarquer qu’une onde, en se propageant à travers un tluide élastique, communique aux molécules dont il se compose un mouvement oscillatoire en vertu duquel elles se déplacent t-ucccssivemcnt dans deux sens contraires; cela posé, il \037

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FRESNEL. 163 \037est évident qu’une série d’ondes détruira complètement l’cllet d’une série différente si en chaque point du fluide, le mouvement dans un sens, que la première onde produirait isolément, coïncide avec le mouvement en sens opposé qui résulterait de la seule action de la deuxième onde. Les molécules, sollicitées simultanément par des forces égales et diamétralement opposées, restent alors en repos, tandis que, sous l’action d’une onde unique, elles eussent librement oscillé. Le mouvement a détruit le mouvement, or le mouvement, c’est de la lumière. \037Je ne pousserai pas plus loin cette énumération, car on peut déjà juger sur combien de points les antagonistes du système de l’émission ont été heureux dans leurs attaques. /.es expériences si nombreuses, si variées, si délicates que j’ai citées, ne témoignent pas seulement toute l’importance que la question leur semblait avoir il faut les considérer encore comme une éclatante marque de respect envers le grand homme dont le nom s’était pour ainsi dire identifié

uec la théorie qu’ils pensaient devoir rejeter. Quant au

systèmo des ondes, les N’ewtoniens ne lui ont pas fait l’honneur de le discuter avec le même détail; il leur a semblé qu’une seute objection suffirait pour l’anéantir, et cette objection ils l’ont puisée dans la manière dont le son se propage dans l’air. Si la lumière, disent-ils, est une vibration, comme tes vibrations sonores, elle se transmettra dans tcutcs les directions; de même qu’on entend le tintement d’une cloche éloignée quand on en est séparé par un écran qui la cache aux yeux, de même on devra apercevoir la lumière solaire derrière toute espèce de corps opaque. Tels sont les termes auxquels il faut réduire la \037

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461 FRESNEL. \037difficulté-, car l’analogie ne permettrait pas de dire que la lumière doit se répandre derrière les écrans sans perdre de son intensité, puisque le son lui-môme, comme tout le monde le sait, n’y pénètre qu’en s’affaiblissant d’une manière sensible. En parlant ainsi de l’impossibilité du passage de la lumière dans l’ombre géométrique d’un corps comme d’une difficulté insurmontable, Newton et ses adhérents ne soupçonnaient certainement pas la réponse qu’elle amènerait; cette réponse est cependant directe et simple. Vous soutenez que les vibrations lumineuses doivent pénétrer dans l’ombre, eh bien 1 elles y pénètrent; vous dites que dans le système des ondes l’ombre d’un corps opaque ne serait jamais complètement obscure, eh bien 1 elle ne l’est jamais; elle renferme des rayons nombreux qui y donnent lieu à une multitude de curieux phénomènes dont vous pourriez avoir connaissance, car Grimaldi les avait déjà aperçus en partie avant 1633. Fresnel, et c’est là incontestablement l’une de ses plus importantes découvertes, a montré comment et dans quelles circonstances cet éparpillement de lumière s’opère; il a d’abord fait \oir que, dans une onde complète qui se propage librement, les rayons sont seulement sensibles dans les directions qui, prolongées, aboutissent au point lumineux, quoique dans chacune de ses positions successives les diverses par.ties de l’onde primitive soient réellement elles-mêmes des centres d’ébranlement d’où s’élancent de nouvelles ondes dans toutes les directions possibles; mais ces ondes obliques, ces ondes secondaires, interfèrent les unes avec les autres, elles se détruisent entièrement; il ne reste donc que les ondes normales, et ainsi se trouve expliquée dans \037

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FRESNEL. 165 \037Ic système des vibrations la propagation rectiligne de la lumière. \037Quand l’onde primitive n’est pas entière, quand elle se trouve brisée ou interceptée par la présence d’un corps opaque, le résultat des interférences, car dans ce cas encore elles jouent un grand rôle, n’est pas aussi simple; les i ïiyons partant obliquement de toutes les parties de l’onde non interceptées, ne s’anéantissent plus nécessairement, ÏA ils conspirent avec le rayon normal, et donnent lieu à un vif éclat ailleurs, ces mêmes rayons se détruisent mutuellement, et toute lumière a disparu. Dès qu’une onde est brisée, sa propagation s’effectue donc suivant des lois spéciales; la lumière qu’elle répand sur un écran quelconque n’est plus uniforme, elle doit se composer de stries lumineuses et obscures régulièrement placées. Si le corps opaque intercepteur n’est pas très-large, les ondes obliques qui viennent se croiser dans son ombre, donnent lieu aussi par leurs actions réciproques à des stries analogues mois différemment distribuées. \037Je m’aperçois que, sans le vouloir, en suivant les spéculations théoriques de Fresnel, je viens de mentionner les principaux traits de ces curieux phénomènes de diffraction que j’ai déjà cités sous un autre point de vue, auxquels Newton a consacré un livre tout entier de son Traité d’op.tique. Newton avait cru ne pouvoir en rendre compte, tant ils lui semblaient difficiles à expliquer, qu’en admettant qu’un rayon lumineux ne saurait passer dans le voisinage d’un corps sans y éprouver un mouvement sinueux qu’il comparait a celui d’une anguille. D’après les explications <l< IYcmuI, cette étrange supposition est superflue; le \037

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106 FRESNEL. \037corps opaque qui semblait la cause première des stries diffraclées, n’agit sur les rayons ni par attraction ni par répulsion il intercepte seulement une partie de l’onde principale; il arrête, à raison de sa largeur, un grand nombre de rayons obliques, qui sans cela seraient allés dans certains points de l’espace, se mêler à d’autres rayons, et interférer plus ou moins avec eux. \037Dès lors, il n’est plus étonnant que le résultat, comme l’observation l’a prouvé, soit indépendant de la nature et de la masse du corps. Les maxima et minima périodiques de lumière, tant en dehors qu’en dedans de l’ombre, se déduisent d’ailleurs de la théorie de notre confrère avec un degré de précision dont auparavant aucune recherche de physique, peut-être, n’avait offert un si frappant exemple. Aussi, quelque réserve qu’il soit prudent de s’imposer quand on se hasarde à parler des travaux de nos successeurs, j’oserai presque affirmer qu’à l’égard de h diffraction, ils n’ajouteront rien d’essentiel aux découvertes dont Fre.-nel a enrichi la science. \037Les théories ne sont, en général, que des manières plus ou moins heureuses d’enchaîner un certain nombre de faits déjà connus. Mais quand toutes les conséquences nouvelles qu’on en fait ressortir s’accordent avec l’expérience, elles prennent une tout autre importance. Ce genre de succès n’a pas manqué à Fresnel. Ses formules s de dillraction renfermaient implicitement un résultat fort étrange qu’il n’avait pas aperçu. Un de nos confrères, je n’aurai pas besoin de décliner son nom, si je dis qu’il s’est placé depuis longtemps parmi les plus grands géomètres de ce siècle, tant par une multitude d’importants travaux \037

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FRESNEL. 167 \037d’analyse pure que par les plus heureuses applications au système du monde et à la physique, aperçut d’un coup d’œil la conséquence dont je veux parler; il montra qu’en admettant les formules de Fresnel, le centre de l’ombre d’un (’cran opaque et circulaire devait être aussi éclairé que si l’écran n’existait pas. Cette conséquence si paradoxale a été soumise à l’épreuve d’une expérience directe, et l’observation a parfaitement confirmé le calcul. Dans la longue et difiicile discussion que la nature de la lumière a fait naitre, et dont je viens de tracer l’histoire, la tâche des physiciens a été à peu près épuisée. Quant à celle des géomètres, elle olîre malheureusement encore quelques lacunes. J’oserais donc, si j’en avais le droit, adjurer le grand géomètre à qui l’optique est redevable de l’important résultat dont je viens de faire mention, d’essayer si les formules à moitié empiriques par lesquelles Fresnel a prétendu exprimer les intensités de la lumière réfléchie sous toutes sortes d’angles et pour toute espèce de surfaces, ne se déduiraient pas aussi des équations générales du mouvement des fluides élastiques. Il reste surtout à expliquer comment les diverses ondulations peuvent subir des déviations inégales à la surface de séparation des corps diaphanes. \037PHARES. \037Dans une Académie des sciences, si elle apprécie convenablement son mandat, l’auteur d’une découverte n’est jamais exposé à cette question décourageante qu’on lui adresse si souvent dans le moi;de à quoi bon? La, cha- \037

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168 FRESNEL. \037cun comprend que la vie animale ne doit pas être la seule occupation de l’homme; que la culture de son intelligence, qu’une étude attentive de cette variété infinie d’êtres animés et de matières inertes dont il est entouré, forment la plus belle partie de sa destinée. \037Et d’ailleurs, lors même qu’on ne voudrait voir dans les sciences que des moyens de faciliter la reproduction des substances alimentaires; de tisser avec plus ou moins d’économie et de perfection les diverses étoffes qui servent à nous vêtir; de construire avec élégance et solidité ces habitations commodes dans lesquelles nous échappons aux icissitudes atmosphériques; d’arracher aux entrailles de la terre tant de métaux et de matières combustibles dont les arts ne sauraient se passer d’anéantir cent obstacles matériels qui s’opposeraient aux communications des habitants d’un même continent, d’un même royaume, d’une même ville d’extraire et de préparer les médicaments destinés à combattre les nombreux désordres dont nos organes sont incessamment menacés, la question à quoi bon? porterait à faux. Les phénomènes naturels ont entre eux des liaisons nombreuses, mais souvent cachées, dont chaque siècle lègue la découverte aux siècles à venir. Au moment où ces liaisons se révèlent, des applications importantes surgissent, comme pW enchantement, d’expériences qui jusque-la semblaient devoir éternellement rester dans le domaine des simples spéculations. Un fait, qu’aucune utilité directe n’a encore recommandé à l’attention du public, est peut-être l’échelon sur lequel un homme de génie s’appuiera, soit pour s’élever à ces vérités primordiales qui changent la face des sciences, soit pour \037

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FRESNEL. 16} \037créer quelque moteur économique que toutes les industries adopteront ensuite, et dont le moindre mérite ne sera pas de soustraire des millions d’ouvriers aux pénibles travaux (lui les assimilaient à des brutes, ruinaient promptement leur santé, et les conduisaient à une mort prématurée. Si, pour fortifier ces réflexions, des exemples paraissaient nécessaires, je n’éprouverais que l’embarras du choix; mais rien ne m’oblige ici d’entrer dans ces détails, car, à toutes les recherches théoriques déjà signalées, Fresnel a juint lui-même un travail important, d’une application immédiate, qui placera certainement son nom dans un rang distingué parmi ceux des bienfaiteurs de l’humanité. Ce travail, tout le monde le sait, a eu pour objet l’amélioration des phares. Je vais essayer d’en tracer t’analyse, et j’aurai terminé ainsi le tableau que je devais vous présenter de la brillante carrière scientifique de notre confrère. \037Les personnes étrangères à l’art nautique sont toujours saisies d’une sorte d’en’roi lorsque le navire qui les porte, (rès-éloigné des continents et des îles, a pour uniques témoins de sa marche les astres et les flots de l’océan. La vue de la côte la plus aride, la plus escarpée, la plus inhospitalière, dissipe comme par enchantement ces craintes indéfinissables qu’un isolement absolu avait inspirées, lundis que, pour le navigateur expérimenté, c’est près de terre seulement que commencent les dangers. \037Il est des ports dans lesquels un navigateur prudent n’entre jamais sans pilote; il en existe où, même avec ce secours, on ne se hasarde pas à pénétrer de nuit. On conCuua donc aisément combien il est indispensable, si l’on \037

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HO FRESNEL. \037veut éviter d’irréparables accidents, qu’après le coucher du soleil, des signaux de feu bien visibles avertissent, dans toutes les directions, du voisinage de la terre il faut de plus que chaque navire aperçoive le signal d’assez loin pour qu’il puisse trouver dans des évolutions, souvent fort difficiles, les moyens de se maintenir à quelque distance du rivage jusqu’au moment où le jour paraîtra. Il n’est pas moins désirable que les divers feux qu’on allume dans une certaine étendue des côtes ne puissent pas être confondus, et qu’à la première vue de ces signaux hospitaliers, le navigateur qu’un ciel peu favorable a privé pendant quelques jours de tout moyen assuré de diriger sa route, sache, par exemple, en revenant d’Amérique, s’il doit se préparer à pénétrer dans la Gironde, dans la Loire ou dans le port de Brest. \037A cause de la rondeur de la terre, la portée d’un phare dépend de sa hauteur. A cet égard, on a toujours obtenu sans difficulté l’amplitude que les besoins de la navigation exigeaient c’était une simple question de dépense. Tout le monde sait, par exemple, que le grand édifice dont le fameux architecte Sostrate de Gnide décora, près de trois siècles avant notre ère, l’entrée du port d’Alexandrie, et que la plupart des phares construits par les Romains s’élevaient bien au-dessus des tours modernes les plus célèbres. Mois, sous les rapports optiques, ces phares étaient peu remarquables; les faibles rayons qui partaient des feux de bois ou de charbon de terre allumés en plein air à leurs sommets ne devaient jamais traverser les épaisses vapeurs qui, dans tous les climats, souillent les basses régions de l’atmosphère. \037

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FRESNEL. <71 \037Naguère encore, quant à la force de la lumière, les phares modernes étaient à peine supérieurs aux anciens. La première amélioration importante qu’ils aient reçue date de la lampe à double courant d’air d’Argant, invention admirable, qui serait beaucoup mieux appréciée si, de même que nos musées renferment les œuvres des siècles de décadence dans un but purement historique, les conservatoires industriels offraient de temps à autre aux regards du public les moyens d’éclairage si ternes, si malpropres, si nauséabonds, qu’on employait il y a cinquante ans, à côté de ces lampes élégantes dont la lumière vive et pure le dispute à celle d’un beau jour d’été. Quatre ou cinq lampes à double courant d’air réunies donneraient, sans aucun doute, autant de clarté que les larges feux qu’entretenaient les Romains, à si grands frais, sur les tours élevées d’Alexandrie, de Pouzzole, de Ravenne; mais, en combinant ces lampes avec des miroirs réfléchissants, leurs effets naturels peuvent être pro- digieusement agrandis. Les principes de cette dernière invention doivent nous arrêter un instant, car ils nous frront apprécier les travaux de Fresnel à leur juste valeur. \037La lumière des corps enflammés se répand uniformément dans toutes les directions. Une portion tombe vers le sol, où elle se perd; une portion différente s’élève et se dissipe dans l’espace le navigateur, dont vous voulez éclairer la route, profite des seuls rayons qui se sont élancés, peu près horizontalement, de la lampe vers la mer; tous les rayons, même horizontaux, dirigés du côté de la toi re ont été produits en pure perte. \037

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172 FRESNEL. \037Cotte zone de rayons horizontaux forme non-seulement une très-petite partie de la lumière totale; elle a de plus le grave inconvénient de s’afiaiblir beaucoup par divergence, de ne porter au loin qu’une lueur a peine sensible. Détruire cet éparpillement fâcheux, profiter de toute la lumière de la lampe, tel était le double problème qu’on avait à résoudre pour étendre la portée ou l’utilité des phares. Les miroirs métalliques profonds, connus sous le nom de miroirs paraboliques, en ont fourni une solution satisfaisante. \037Quand une lampe est placée au foyer d’un tel miroir, tous les rayons qui en émanent sont ramenés, par la réflexion qu’ils éprouvent sur les parois, à une direction commune; leur divergence primitive est détruite ils forment, en sortant de l’appareil, un cylindre de lumière parallèle à l’axe du miroir. Ce faisceau se transmettrait aux plus grandes distances avec le même éclat si l’atmosphère n’en absorbait pas une partie. \037Avant d’aller plus loin, hâtons-nous de le reconnaître, cette solution n’est pas sans inconvénient. On ramène bien ainsi vers l’horizon de la mer une multitude de rayons qui auraient été se perdre sur le sol, vers l’espace ou dans l’intérieur des terres. On anéantit môme la divergence primitive de ceux de ces rayons qui naturellement se portaient vers le navigateur; mais le cylindre de lumière réfléchie n’a plus que la largeur du miroir la zone qu’il éclaire a précisément les mêmes dimensions à toute distance, et à moins qu’on n’emploie beaucoup de miroirs pareils diversement orientés, l’horizon contient de nombreux et larges espaces complétement obscurs où le pilote \037

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FRESNEL. 473 \037ne reçoit jamais aucun signal. On a vaincu cette grave dilliculté en imprimant, à l’aide d’un mécanisme d’horlogerie, un mouvement uniforme de rotation au miroir réfléchissant. Le faisceau lumineux sortant de ce miroir est alors successivement dirigé vers tous les points de l’horizon chaque navire aperçoit un instant et voit ensuite disparaître la lumière du phare et si dans une grande étendue de côte, de Bayonne à Brest, par exemple, il n’existe pas deux mouvements de rotation de même durée, tous les signaux sont, pour ainsi dire, individualisés. D’après l’intervalle qui s’écoule entre deux apparitions ou deux échpses successives de la lumière, le navigateur sait toujours quelle position de la côte est en vue il ne se trouve plus exposé à prendre pour un phare telle planète, telle étoile de première grandeur voisine de son lever ou de son coucher, ou bien ces feux accidentels allumés sur la côte par des pêcheurs, des bûcherons ou des charbonniers méprises fatales qui souvent ont été la cause des plus déplorables naufrages. \037Une lentille diaphane ramène au parallélisme tous les rayons lumineux qui la traversent, quel que soit leur degré primitif de divergence, pourvu que ces rayons partent d’un point convenablement situé qu’on appelle le foyer. Des lentilles de verre peuvent donc être substituées aux miroirs, et en effet, un phare leaticulaire avait été exécute depuis longtemps en Angleterre, dans l’idée, au premier aspect très-plausible, qu’il serait beaucoup plus brillant que les phares à réflecteurs. L’expérience, toutefois, était venue démentir ces prévisions les miroirs, malgré l’énorme perte de rayons qui se faisait à leur surface dans \037

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474 FRESNEL \037l’acte de la réflexion, portaient à l’horizon des feux plus intenses les lentilles furent donc abandonnées. Les auteurs inconnus de cette tentative avortée avaient marché au hasard. En s’occupant du même problème, Fresnel, avec sa pénétration habituelle, aperçut du premier coup d’oeil où gisait la difficulté. Il vit que des phares lenticulaires ne deviendraient supérieurs aux phares à réflecteurs qu’en augmentant considérablement l’intensité de la Ilamme éclairante, qu’en donnant aux lentilles d’énormes dimensions qui semblaient dépasser tout ce qu’on pouvait attendre d’une fabrication ordinaire. 11 reconnut encore que ces lentilles devraient avoir un très-court foyer; qu’en les exécutant suivant les formes habituelles, elles auraient une grande épaisseur et peu de diaphanéité, que leur poids serait considérable, qu’il fatiguerait beaucoup les rouages destinés à faire tourner tout le système, et qu’il en amènerait promptement la destruction. On évite cette épaisseur excessive des lentilles ordinaires, leur énorme poids et le manque de diaphanéité qui en seraient les conséquences, en les remplaçant par des lentilles d’une forme particulière, que Buffon avait imaginées pour un tout autre objet, et qu’il appelait des lentilles à échelons. 11 est possible aujourd’hui de construirc les plus grandes lentilles de cette espèce, quoiqu’on ne sache pas encore fabriquer d’épaisses masses de verre exemptes de défauts. Il suffit de les composer d’un cer. tain nombre de petites pièces distinctes, comme Condorcet l’avait proposé. \037Je pourrais affirmer ici qu’au moment où l’idée des lentilles à échelons se présenta à l’esprit de Fresnel il \037

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FRESNEL. «75 \037n’avait jamais eu connaissance des projets antérieurs de Buiïbn et de Condorcet mais des réclamations de cette nature n’intéressent que l’amour-propre de l’auteur elles n’ont point de valeur pour le public. A ses yeux, il n’y a, je dirai plus, il ne doit y avoir qu’un seul inventeur celui qui le premier a fait connaître la découverte. Après une aussi large concession, il me sera du moins permis de remarquer qu’en 1820 il n’existait pas encore une seule lentille à échelons dans les cabinets de physique; que d’ailleurs, jusque-là, on les avait envisagées seulement comme des moyens de produire de grands effets calorifiques; que c’est Fresnel qui a créé des méthodes pour les construire avec exactitude et économie; que c’est lui enfin, et lui tout seul, qui a songé à les appliquer aux phares. Toutefois, cette application, je l’ai déjà indiqué, n’aurai conduit à aucun résultat utile, si on ne l’eût pas combinée avec des modifications convenables de la lampe, si la puissance de la flamme éclairante n’avait pas été considérablement augmentée. Cette importante partie du système exigeait des études spéciales des expériences nombreuses et assez délicates. Fresnel et un de ses amis (Arago) s’y livrèrent avec ardeur, et leur commun travail conduisit à une lampe à plusieurs mèches concentriques dont l’éclat égalait 25 fois celui des meilleures lampes à double courant d’air. \037Dans les phares à lentilles de verre, imaginés par Fresnel, chaque lentille envoie successivement vers tous les points de l’horizon une lumière équivalente à celle de 3,000 à 4,000 lampes à double courant d’air réunies; c’est 8 foi, ce que produisent les beaux réflecteurs parabo- \037

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<76 FHESNEL. \037liques argentés dont nos voisins font usage c’est aussi l’éclat qu’on obtiendrait en rassemblant le tiers de la quantité totale des lampes à gaz qui tous les soirs éclairent les rues, les magasins et les théâtres de Paris. Un tel résultat ne paraîtra pas sans importance si l’on veut bien remarquer que c’est avec une seule lampe qu’on l’obtient. En voyant d’aussi puissants effets, l’administration s’empressa d’autoriser Fresnel à faire construire un de ses appareils, et elle désigna la tour élevée de Cordouan, à l’embouchure de la Gironde, comme le point où il serait installé. Le nouveau phare était déjà construit dès le mois de juillet 1823. \037Le phare de Fresnel a déjà eu pour juges, durant sept années consécutives, cette multitude de marins de tous les pays qui fréquentent le golfe de Gascogne. 11 a été aussi étudié soigneusement sur place par de très-habiles ingénieurs, venus tout exprès du nord de l’Écosse avec une mission spéciale du gouvernement anglais. Je serai ici l’interprète des uns et des autres en affirmant que la France, où déjà l’importante invention des feux tournants avait pris naissance, possède maintenant, grâce aux travaux de notre savant confrère, les plus beaux phares de l’univcrs. Il est toujours glorieux de marcher à la tête des sciences mais on éprouve surtout une vive satisfaction à réclamer le premier rang pour son pays, quand il s’agit d’une de ces applications heureuses auxquelles toutes les nations sont appelées à prendre une part égale, et dont l’humanité n’aura jamais à gémir. \03711 existe déjà aujourd’hui sur l’Océan et la Méditerranée douze phares plus ou moins puissants, construits d’après \037

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FRESNEL. 177 \037I. – 1. ij \037les principes de Fresnel. Pour compléter le système général d’éclairage de nos côtes, trente nouveaux phares paraissent encore nécessaires. Tout fait espérer que ces importants travaux seront exécutés promptement, et qu’on s’écartera le moins possible de l’heureuse direction imprimée à ce service par notre confrère. La routine et tes préjugés seraient ici sans pouvoir, puisque les intéressés, les véritables juges, les marins de toutes les nations, ont unanimement proclamé la supériorité du nouveau système. On ne saurait alléguer des motifs d’économie; car, à égalité d’effet, les phares lenticulaires n’exigent pas autant d’huile que les anciens, sont d’un entretien beaucoup moins dispendieux, et ils procureront en définitive à l’ filât une économie annuelle d’environ un demi-million. Cette belle invention devait donc prospérer, à moins qu’après la mort de Fresnel elle ne tombât dans les mains d’un de ces étranges personnages qui se croient propres à tous ks emplois, quoique sous les divers régimes i!s n’aient eu d’autres cabinets d’étude que les antichambres des ministres. Les candidatures, si je suis bien informé, ne manquèrent pas; mais heureusement, cette fois, l’intrigue succomba devant le mérite, et la haute surveillance des phares fut confiée au frère cadet do Fresnel, comme lui, ancien élève très-distingué de l’École polytechnique, comme lui, ingénieur des ponts et chaussées, habile, zélé, consciencieux. Sous son inspection, ta construction et le placement des grandes lentilles à échelons ont déjà reçu des améliorations importantes, et le public n’aura pas à craindre que quoique négligence prive ces beaux appareils d’une partie de leur puissance. Ce ne \037

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178 FRKSNEL. \037i i l’*i î ̃* «  \037sont pas les héritages de gloire qu’on laisse j.-un lis dépérir I \037VIE ET CARACTÈRE DE FRKSNEU-SA MORT. \037Les nombreuses découvertes dont je viens de présenter l’analyse ont été faites dans le court intervalle de 1 Si 5 a 1820, sans que les travaux confiés à Fresnel, soit comme ingénieur du pavé de Paris, soit comme secrétaire de la Commission des phares, en aient jamais souffert mais aussi notre confrère s’était entièrement soustrait à toutes ces occasions de désœuvrement dont Paris, plus qu’une autre ville, abonde, et que ceux qui s’y livrent suis réserve appellent des devoirs de société, afin d’apaiser leur conscience et de s’expliquer à eux-mêmes comment leur temps est si mal employé. Une vie de cabinet, une vie tout intellectuelle convenait au reste très-pou la frêle constitution de Fresnel. Cependant les soins empressés que sa respectable famille lui prodiguait; ce contentement intérieur de l’homme de bien, dont personne ne méritait de jouir a plus juste titre, et qui réagit si puissamment sur la santé; son extrême sobriété, enfin, faisaient espérer qu’il serait longtemps conservé aux sciences. Les émoluments des deux positions occupées par Fresnr I ceux d’ingénieur et d’académicien, auraient amplement suffi à ses modestes désirs, si le besoin des recherches scientifiques n’avait pas été chez lui une seconde nature; la cons’ruction et l’achat des instruments délicats sans lesquels, aujourd’hui, on ne saurait en physique rien produire d’exact, absorbait tous les ans une partie de sonpaiii- \037

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FKESNJIL. t*’J \037moine. Jl songea donc à se créer de nouvelles ressources. La place, si médiocrement rétribuée, d’examinateur temporaire des élèves de l’École polytechnique se présenta, Fresnel l’obtint; mais ses amis ne tardèrent pas à reconnaître qu’i! avait trop présumé de ses forces, que l’ardeur avec laquelle il remplissait ses nouvelles fonctions, que les inquiétudes vraiment exagérées dont il était saisi quand il fallait classer les élèves par ordre de mérite, altéraient gravement une santé déjà si chancelante; et toutefois comment conseiller un désistement d’où serait inévitablement résulté l’abandon d’une multitude de gloricux travaux? Sur ces entrefaites, l’une des plus belles places scientifiques, parmi toutes celles dont le gouvernement dispose, la place d’examinateur des élèves de la marine vint à vaquer. Cette place n’exige qu’un travail modéré. Le voyage annuel qu’elle nécessite était, aux yeux des médecins, une raison de plus pour désirer que l’resnel l’obtint. Il se détermina donc à se mettre sur les rangs; car alors tout le monde croyait qu’il n’y avait aucune inconvenance à demander un emploi auquel de longues études vous rendaient proprc et qu’on aurait rempli avec conscience. Les gens de lettres s’imaginaient qu’en s’imposant les plus pénibles travaux, ils pourraient mus crime aspirer à jouir, dans leur vieillesse, de cette indépendance que le moindre artisan de Paris est sûr d’obtenir un jour, pour peu qu’il soit laborieux et rangé. Personne encore n’avait soutenu qu’en toute chose il n’y eût pas convenance et profit à nommer le plus digne. La gloire que les Lagrange, les Laplace, les Legcndrc répandaient sur lc Bureau des Longitudes et sur l’Acadé- \037

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«80 FRESNEI-. \037mie, semblait pouvoir se concilier avec les éinincnts services que, a d’autres titres, ces illustres géomètres rendaient à l’ficolc polytechnique. Dans tes cours publics, les élèves demandaient à leurs professeurs d’être zélés, lucides, méthodiques; mais on ne leur conseillait pas encore de s’enquérir si d’autres auditeurs, dans un établissement différent, avaient déjà reçu des leçons de la même bouche. Les sciences, enfin ne paraissaient pas un vain luxe, et l’on pensait que l’apin inventant la machine à vapeur; que Pascal signalant la presse hydraulique; que Lebon imaginant l’éclairage au gaz; que Berthollet créant le blanchiment au chlore; que Leblanc enseignant à tirer du sel marin, la soude qu’anciennement il fallait aller demander à l’étranger au prix de tant de trésors, avaient noblement payé à la société la dette de la science. Si l’on devait en croire quelques personnes dont il nie semblerait plus aisé de louer les intentions que tes lumières, je viendrais d’énumérer une longue série de préjugés et j’aurais ici à excuser l’auteur de tant de belles découvertes, le créateur d’un nouveau système de phares, le savant dont les navigateurs béniront éternellement le nom, d’avoir désiré (je ne reculerai pas devant l’expression usitée) d’avoir désiré, parlée»»))// de deux places, se procurer un revenu annuel et viager de douze mille francs, dont la plus grande partie eut été certainement consacrée a de nouvelles recherches. L’apologie de notre confrère, je ne crois pas me faire illusion, serait une tâche facile mais je puis l’omettre Frosnel n’obtint point l’emploi qu’il sollicitait, et cela par des motifs que je laisserais volontiers dans l’oubli, s’ils ne me donnaient l’occasion de montrer \037

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FRESNEL. 481 \037que Ics gens de lettres dont récemment on a essayé de flétrir le caractère, en les représentant comme des harpies courant sans règle et sans mesure à la curée du budget, savent aussi renoncer noblement aux plus beaux emplois, à ceux-là même qu’ils pourraient réclamer comme une dette sacrée, aussitôt que leur dignité y est intéressée. J’ai dit combien les fonctions d’examinateur rt IKcole polytechnique compromettaient la santé de Fresin’l combien il devait désirer que sa demande d’une place moins pénible fût accueillie. L’incontestable supériorité de ses titres scientifiques, le désistement de tous ses compétiteurs, les démarches d’un de nos honorables confrères, l’un des plus grands géomètres de ce siècle, enfin les pressantes démarches de M. Bccquey qui, en toute occasion, traita Fresnel avec la bienveillance d’un père, avaient aplani divers obstacles. Le ministre de qui la place dépendait, s’était, dans sa jeunesse, occupé de t’étude des sciences d’une manière distinguée et il en avait conservé- le goût il désira voir notre confrère, et dès ce niomenl sa nomination nous parut assurée; car les manières réservées de l’resncl, la douceur de ses traits, la modestie sans apprêt de son langage, lui conciliaient surle-champ la bienveillance de ceux-là même qui ne connaissaient pas ses travaux; mais, hélas! à la suite des discordes civiles, à combien de mécomptes n’est-on pas exposé, quand on veut juger de ce qui sera par ce qui douait être Combien de petites circonstances, d’intérêts mesquins, d’éléments hétérogènes, viennent alors se mêler îiii\ alVaires tes plus simples, et prévaloir sur des droits incoiilfi-lables? l’our ma part, je ne saurais dire à quelle \037

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132 FRESNEL. \037occasion le ministre s’adressant au volontaire roya) do la Drômc, posa la question suivante, en l’avertissant sans détour, que de la réponse qu’il ferait dépendait sa nomination « Monsieur, êtes-vous véritablement des nôtres? – Si j’ai bien compris, Monseigneur, je répondrai qu’il « n’existe personne qui soit plus dévoué que moi a l’au«  guste famille de nos rois et aux sages institutions dont « la France lui est redevable. Tout cela, Monsieur, est « trop vague; nous nous entendrons mieux avec des noms « propres. A côté de quels membres de la Chambre siége«  riez-vous, si vous deveniez député ? – Monseigneur, tr répondit Fresnel sans hésiter, à la place de Camille Jor«  dan, si j’en étais digne. Grand merci de votre fran«  cliise, répliqua le ministre. Et le lendemain un inconnu fut nommé examinateur de la marine. Fresnel reçut cet échec sans proférer une plainte. lians son esprit, la question personnelle s’était entièrement effacée à côté de la peine qu’il éprouvait, en voyant, après trente années de débats et de troubles, les passions politiques encore si peu amorties. Lorsqu’un ministre dont les qualités privées o liraient droit aux hommages des gens de bien de tous les partis, se croyait obligé de demander un examinateur en matière de science, non des preuves d’incorruptibilité, de zèle et de savoir, mais l’assurance que s’il lui arrivait par hasard de devenir un jour député, il n’aurait pas l’intention d’aller s’asseoir à côté de Camille Jordan, un bon citoyen pouvait craindre que notre avenir ne fut pas exempt d’orages. \037Le corps enseignant de l’Kcole po); technique, sous tous les régimes, a peu souffert de ces influences politiques. La \037

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FRESNEL. «83 \037l’examinateur et le professeur doivent journellement payer de leurs personnes; là, sous les yeux d’une pépinière d’auditeurs habiles, et quelque peu enclins à la malice, des (’̃pures inexactes, de faux calculs, de mauvaises expériences de chimie et de physique, chercheraient vainement un refuge sous le manteau des opinions du jour. Fresncl pouvait donc espérer que malgré sa récente profession de foi, on ne lui retirerait pas la place d’examinateur temporaire. Cette place, d’ailleurs, est extrêmement pénible, et, l’expérience l’a suffisamment montré, ce sont les sinécures surtout qu’on poursuit avec ardeur. Fresnel reprit donc ses anciennes fonctions; mais à la suite des examens de 182/1, une attaque d’hémoptysie vint le condamner ù la retraite et vivement alarmer ses amis. A partir de ce moment, notre malheureux confrère fut obligé d’abandonner toute recherche scientifique (lui demandait de l’assiduité, et de consacrer au service des phares le peu de moments de relâche que sa maladie lui laissait. Les soins les plus tendres, les plus empressés, devinrent bientôt impuissants contre les rapides progrès du mal. On résolut alors d’essayer les cflets de l’air de la campagne. Ce projet de déplacement était, hélas un indice trop évident du découragement qu’éprouvait le médecin habile auquel Fresno! avait donné sa confiance. Cependant, pour ne point affliger sa famille, notre malheureux confrère eut la condescendance de paraître espérer encore, et au commencement de juin 1827, on lc transporta à Ville-d’Avray. La, il \it approcher la mort avec le calme et la résignation d’un honnie dont toute la conduite a été sans reproche. l jeune ingénieur très-distingué, M. Duleau, trouva \037

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481 FRESNEL. \037dans la vive amitié qui l’unissait à notre confrère, la force de s’associer aux tristes soins dont il était l’objet il la aussi s’établir à Ville-d’Avray. C’est M. Duleau qui nous r.pprit le premier combien peu Fresnel se faisait illusion sur son état. « J’eusse désiré, s’écriait-il quelquefois, quand la présence d’une mère et d’un frère qu’agitaient de si poignantes inquiétudes ne lui commandait pas une que sa tendresse n’enfreignit jamais; j’eusse désiré \ivre plus longtemps, car je sens qu’il y a dans l’inépuisable carrière des sciences, un grand nombre de questions d’utilité publique dont peut-être j’aurais eu le bonheur de trouver la solution. « Fresnel habitait déjà la campagne lorsque la Société royale de Londres me chargea de lui présenter la médaille de Rumford. Ses forces, alors presque épuisées, lui permirent à peine de jeter un coup d’œil sur ce signe, si rarement accordé, de l’estime de l’illustre Société. Toutes ses pensées s’étaient tournées vers sa fin prochaine, tout l’y ramenait Je vous remercie, me ditil d’une voix éteinte, d’avoir accepté cette mission; je devine combien elle a du vous coûter, car vous avez ressenti, n’est-ce pas, que la plus belle couronne est peu de chose, quand il faut !a déposer sur la tombe d’un ami?» J Hélas ces douloureux pressentiments ne tardèrent pas li s’accomplir. Huit jours encore s’étaient à peine écoulés, et la patrie perdait l’un de ses plus vertueux citoyens, l’Académie l’un de ses membres tes plus illustres, le inonde savant un homme de génie. \037Kn apprenant la mort prématurée de Côtes, jeune géonièlre dont les premiers travaux faisaient concevoir <l<- grandes espérances, Newton prononça ces mots, s/ \037

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FRESNEL. 185 \037simples, si expressifs, que l’histoire des sciences a recueillis « Si Côtes eût vécu, nous saurions quoique chose. • Dans la bouche de Newton ce court éloge pouvait se passer de commentaire il appartient au génie de dicter de tels arrets; on l’en croira toujours sur parole. Quant à moi, Messieurs, dépourvu de toute autorité, j’ai dû nie traîner péniblement sur de bien minutieux détails, car r j’avais non à dire, mais à prouver, que nous savons quel. que chose, quoique Fresnel ait peu vécu. \037

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ALEXANDRE VOLTA \037Ht"f,mPmt LIE T.S SKANCK PI’Bl.igl’F. DE L’aCAUïMIE DES SCIIMH, LE 20 HILLET 1831. \037Messieurs, l’ambre jaune, lorsqu’il a été frotté, atliro ivomcnt les corps légers, tels que des barbes de plumes, des brins de paille de la sciure de bois. Théophraste parmi les Grecs, Pline chez les Romains, citèrent déjà cutlc propriété, mais sans paraître y attacher plus d’impurtance qu’à un simple accident de forme ou de couleur. Ils ne se doutèrent pas qu’ils venaient de toucher au premier anneau d’une longue chaîne de découvertes; ils méconnurent l’importance d’une observation qui, plus tard, devait fournir des moyens assurés de désarmer les nuées orageuses, de conduire, dans les entrailles de la ti’rre, sans danger et même sans explosion, la foudre (jue ces nuées recèlent. \037Le nom grec de l’ambre, électron, a conduit au mot <’li\tiïcilé, par lequel on désigna d’abord la puissance attractive des corps frottés. Ce même mot s’applique maintenant à une grande variété d’effets, à tous les détails brillante science. \037L’électricité était restée longtemps, dans les mains des \037

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<S8 ALEXANDRE VOLTA. \037physiciens, le résultat presque exclusif de combinaisons compliquées que les phénomènes naturels présentaient rarement réunies. L’homme de génie, dont je dois aujourd’hui analyser les travaux, s’élança le premier hors de ces étroites limites. Avec le secours de quelques appareils microscopiques, il vit, il trouva l’électricité partout dans la combustion, dans l’évaporation, dans le simple attouchement de deux corps dissemblables. H assigna ainsi à cet agent puissant un rôle immense qui dans les phér.oinèncs terrestres, le cède a peine a celui de la pesanteur. \037La filiation de ces importantes découvertes m’a semblé devoir être tracée avec quelques développements. J’ai cru qu’A une époque où le besoin de connaissances positives est si généralement senti, les éloges académiques pourraient devenir des chapitres anticipés d’une histoire générale des sciences. Au reste, c’est ici de ma part un simple essai sur lequel j’appelle franchement la critique sévère et éclairée du public. \037NAISSANCE DE VOLTA; SA JEl’NESSE; SES PREMIERS TRWAIV. –BOl TEILLE DE 1.KÏDE. – ÉLECTROPHORE PERPÉTl EL. – PERFECTIONNEMENTS DE LA MACHINE ÉLECTRIO.I E. – ÉLKCTBOMKTBK CONDENSITEUR. – PISTOLET ÉLECTRIQUE. – l.AMI’E PERPÉTUELLE. – ElïiIOMETRE. \037Alexandre Volta un des huit associés étrangers de l’Académie des Sciences, naquit à Corne, dons le Milanais, le 18 février 17/J5, de Philippe Volta et de Madeleine do Conli Inzaghi. Il fit ses premières études sous \037

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ALEXANDRE VOLTA. 160 \037la surveillance paternelle, dans l’école publique de sa \ille natale. D’heureuses dipositions, une application soutenue, un grand esprit d’ordre, le placèrent bientôt à la tête de ses condisciples. \037A dix-huit ans, le studieux écolier était déjà en commerce de lettres avec Nollet, sur les questions les plus délicates de la physique. A dix-neuf ans, il composa un poëinc latin, qui n’a pas encore vu le jour, et dans lequel il décrivait les phénomènes découverts par les plus célèbres expérimentateurs du temps. On a dit qu’alors la vocation de Volta était encore incertaine pour moi, je ne saurais en convenir un jeune homme ne doit guère tarder a changer son art poétique contre une cornue, dès qu’il a eu la singulière pensée de choisir la chimie pour sujet de ses compositions littéraires. Si l’on excepte en clllt quelques vers destinés à célébrer le voyage de Saussure au sommet du Mont-Blanc, nous ne trouverons plus dans la longue carrière de l’illustre physicien que des travaux consacrés à l’étude de la nature. \037Volta eut la hardiesse, à l’âge de vingt-quatre ans, d’aborder, dans son premier Mémoire, la question si délicate de la bouteille de Leyde. Cet appareil avait été- découvert en 174G. La singularité de ses effets aurait amplement suffi pour justifier la curiosité qu’il excita dans toute l’Europe; mais cette curiosité fut duc aussi, en grande partie, à la folle exagération de Musschriibroeck; à l’inexplicable frayeur qu’éprouva ce physicien en recevant une faible décharge, à laquelle, disait-il emphatiquement, il ne s’exposerait pas de nouveau pour le plus beau royaume de l’univers. Au surplus, les nom- \037

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190 ALEXANDRE VOLTA. \037breusrs théories dont la bouteille devint siiccessivcnH’i:t l’objet, mériteraient peu d’être recueillies aujourd’hui. C’est à lYanklin qu’est di> riionneur d’avoir éclairei cit important problème, et le travail de Volta, il faut lc reconnaître, semble avoir peu ajouté à celui de l’illustre philosophc américain. \037Le second Mémoire du physicien de Corne parut dans l’année 1771. Ici on ne trouve déjà presque plus aucune idée systématique. L’observation est le seul guide de l’auteur dans lcs recherches qu’il entreprend pour déterminer la nature de l’électricité des corps recouverts de td ou tel autre enduit pour assigner les circonstances de température, de couleur, d’élasticité, qui font varier le phéromène; pour étudier soit l’électricité produite par frottement, par percussion, par pression; soit celle qu’on engendre à t’aide de la lime ou du racloir; soit enfin les propriétés d’une nouvelle espèce de machins électrique laquelle le plateau mobile et les supports isolants étaient de bois desséché. \037De ce côté-ci des Alpes, les deux premiers Mémoires de Volta furent à peine lus. En Italie, ils produisirent au contraire une assez vive sensation. L’autorité, dont Ire prédilections sont si généralement malencontreuses partout où dans son amour aveugle pour le pouvoir absolu clic refuse jusqu’au modeste droit de présentation à des jugrs compétents, s’empressa elle-même d’encourager le jeune expérimentateur. Elle le nomma régent do l’école royale de Corne, et bientôt après professeur do physique. \037Les missionnaires de Pékin, dans l’année 1755, eom- \037

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Al.liX ANDRE VOLTA. «01 <, 1 1 i- i-nirnn4u *̃» I F nr"AriA un f\» 1 f 1 i>lfif\I*f îl Vit \037rnuniquèrcnt aux savants de l’Europe un fait important que le hasard leur avait présenté, concernant l’électricité por influence qui, sur certains corps, se montre ou disparaît suivant que ces corps sont séparés ou en contact immédiat. Ce fait donna naissance à d’intéressantes recherches d’.Epinus, de Wilcke, de Cigna et de Beccaria. Volta à son tour en fit l’objet d’une étude particulière. Il y trouva le germe de Y électrophorc perpétuel, instrument i’.dmirablc, qui, même sous le plus petit volume, est une source intarissable du fluide électrique, où, sans avoir besoin d’engendrer aucune espèce de frottement, et (jiiellos que soient les circonstances atmosphériques, le physicien peut aller sans cesse puiser des charges d’égale force. \037Au Mémoire sur l’Électrophore succéda, en 1778, un nuire travail très-important. Déjà on avait reconnu qu’un corps donné, vide ou plein, a la même capacité électrique pourvu que la surface reste constante. Une observation de Lemonnier indiquait, de plus, qu’à égalité de Mirfacc la forme du corps n’est pas sans influence. GYt-t Volta toutefois, qui le premier, établit ce principe sur une brsc solide. Ses expériences montrèrent que, de doux cylindres de même surface, le plus long reçoit la plus forte charge, de manière que partout ou le local le permel il y a un immense avantage substituer aux larges conducteurs des machines ordinaires, un système <k très-petits cjlindrcs, quoiqu’on masse ceux-ci ne forment pas un volume plus grand. En combinant p.ir exemple, 16 files de minces bâtons argentés de 1,000 pieds de longueur chacune, on aurait, suivant \037

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iOl ALEXANDRE VOLTA. -1 1. 11. 11. 11 ’0" \037Voila, une machine dont tes étincelles, véritablement fulminantes, tueraient les plus gros animaux. \037Il n’est pas. une seule des découvertes du professeur de Corne qui soit le fruit du hasard. Tous les instruments dont il a enrichi la science, existaient en principe dans son imagination, avant qu’aucun artiste travaillât à leur exécution matérielle. Il n’y eut rien de fortuit, par exemple, dans les modifications que Volta fit subir h lY’Icctrophorc pour le transformer en condensateur, véritable microscope d’une espèce nouvelle, qui décèle la présence du fluide électrique là où tout autre moyen resterait muet. \037Les années 1776 et 1777 nous montreront Volta travaillant pendant quelques mois sur un sujet de pure chimie. Toutefois, l’électricité, sa science de prédilection, viendra s’y rattacher par les combinaisons les plus heureuses. \037A celte époque, les chimistes n’ayant encore trouvé le | gaz inflammable natif que dans les mines de charbon de I terre et de sel gemme, le regardaient comme un des 1 attributs exclusifs du règne minéral. Volta, dont les 1 réflexions avaient été dirigées sur cet objet par une f observation accidentelle du P. Campi, montra qu’on se J trompait. H prouva que la putréfaction des substances f. animales et végétales est toujours accompagnée d’une $ production de gaz inflammable; que, si l’on remue le fond d’une cou croupissante, la vase d’une lagune, ce | gaz s’échappe à travers le liquide, en produisant toutes tes apparences de l’ébullition ordinaire. Ainsi le rjaz < inflammable des marais qui a tant occupé les chimistes ’j \037

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ALEXANDRE VOLTA. 193 \037f.-i. 13 \037depuis quelques années, est, quant à son origine, une découverte de Volta. \037Cette découverte devait faire croire que certains phénomènes naturels, que ceux, par exemple, des terrains en lia m mes et des fontaines ardentes, avaient une cause semblable; mais Volta savait trop h quel point la nature te joue de nos fragiles conceptions, pour s’abandonner légèrement à desimpies analogies. Il s’empressa (1780) d’aller visiter les célèbres terrains de Pictra Mata, de Ycltrja; il soumit a un examen sévère tout ce qu’on lisait dans divers voyages sur des localités analogues, cl il parvint ensuite h établir, avec une entière évidence, contre tes opinions reçues, que ces phénomènes ne dépendent point de la présence du pétrole, du naphte ou du bitume; il démontra, de plus, qu’un dégagement de gaz inflammable en est l’unique cause. Volta a-t-il prouvé îivcc la mémo rigueur que ce gaz, en tout lieu, a pour (nï^ino une macération de substances animales ou végétales? Je pense qu’il est permis d’en douter. \037L’étincelle électrique avait servi de bonne heure à enflammer certains liquides, certaines vapeurs, certains gaz, tels que l’alcool, la fumée d’une chandelle nouvellement éteinte, lc gaz hydrogène; mais toutes ces expériences se faisaient à l’air libre. Volta est le premier qui lésait répétées dans des vases clos (1777). C’est donc à lui ([n’appartient l’appareil dont Cavendish se servit en 1781 pour opérer la synthèse de l’eau, pour engendrer ce liquide t’aide de ses deux principes constituants gazeux. \037Noire illustre confrère avait au plus haut degré deux \037

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i’jl ALEXANDRE VOI.TA. \037qualités qui morclicnt rurcmcnt réunies le génie créateur et l’esprit d’application. Jamais il n’abandonna un sujet, sans l’avoir envisagé sous toutes ses faces, sans avoir décrit ou du moins signalé les divers instruments que la science, l’industrie ou la simple curiosité pourraient y puiser. Ainsi, quelques essais relatifs à l’inflammation de l’air des marais, firent naître d’abord le fusil et lc pistolet électriques, sur lesquels il serait superflu d’in.-islcr, puisque des mains du physicien ils sont passif dans celles du bateleur, et que la place publique les offre journellement aux regards des oisifs ébahis; ensuite la lampe perpétuelle « fjaz hydroyenc, si répandue en Allemagne, et qui, par la plus ingénieuse application de l’électrophorc, s’allumo d’elle-même quand on le désire; enfin, Veudiomïlrc ce précieux moyen d’analyse dont [es chimistes ont tiré un parti si utile. \037La découverte de la composition de l’air atmosphérique a fait naître de nos jours cette grande question de philosophie naturelle La proportion dans laquelle les deux principes constituants de l’air se trouvent réunis, varict-clle avec la succession des siècles, d’après la position des lieux suivant les saisons? \037Lor.-qu’on songe que tous les hommes, que tous tes quadrupèdes, que tous les oiseaux consomment incessamment dans l’acte de la respiration un seul de ces deux principes, le gaz oxygène; que ce même gaz est l’a liment indispensable de la combustion, dans nos foyers domeMiques, dans tous les ateliers, dans les plus vastes usines; qu’on n’allume pas une chandelle, une lampe, un réverbère, tans qu’il aille ausM s’y absorber; que \037

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ALEXANDRE VOLTA. Itt \037l’oxygène, enfin, joue un rôle capital dans les phénomï’iies de la végétation, il est permis d’imaginer qu’a la longue l’atmosphère varie sensiblement dans sa composition qu’un jour elle sera impropre à la respiration; qu’alors tous les animaux seront anéantis, non à la suite d’une de ces révolutions physiques dont lcs géologues ont trouvé tant d’indices, et qui, malgré leur immense (’tendue, peuvent laisser des chances de salut à quelques individus favorablement placés; mais, par une cause générale et inévitable, contre laquelle les zones glacées du pôle, les régions brûlantes de l’équatcur, l’immensité de l’Océan, les plaines si prodigieusement élcvées de l’Asie ou de l’Amérique, lcs cimes neigeuses des Cordillères et de l’Hymalaya, seraient également impuissantes. Étudier tout ce qu’à l’époque actuelle ce grand phénomène a d’accessible, recueillir des données exactes que les siècles à venir féconderont, tel était le devoir que les physiciens se sont empressés d’accomplir, surtout depuis que l’cudiomètrc à étincelle électrique lcur en a donné les moyens, Pour répondre à quelques objections que tes premiers essais de cet instrument avaient fait naître MM. do lliimboldt et (lay-Lussac lc soumirent, en l’an xm, au plus scrupuleux examen. Lorsque de pareils juges déclarent qu’aucun des eudiomètres connus n’approche vn exactilude de celui de Volta, le doute même ne serait pas permis. \037DILATATION !>K l/AIIt. \037Puisque j’ai abandonné l’ordre chronologique, avant de m’oceiiper des deux plus importants travaux de notre \037

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106 ALEXANDRE VOLTA. \037vénérable confrère, avant d’analyser ses recherches sur l’élect/icité atmosphérique, avant de caractériser sa découverte de la pile, je signalerai, en quelques mots, tes expériences qu’il publia pendant l’année 1793, au sujet de la dilatation de l’air. \037CeUe question capitale avait déjà attiré l’attention d’un grand no:>i!>re de physiciens habiles, qui ne s’étaient accordés ni sur l’accroissement total de volume que l’air (’prouve entre les températures fixes de la glace fondante et de l’ébullition ni sur la marche des dilatations dans les températures intermédiaires. Volta découvrit la cause de ces discordances; il montra qu’en opérant dans un vase contenant de l’eau, on doit trouver des dilatations croiss; ntes; que s’il n’y a dans l’appareil d’autre humidité (jik; celle dont les parois vitreuses sont ordinairement recouvertes, la dilatation apparente de l’air peut être croissante dans le bas de l’échelle thennoinétrique, et décroissante dans les degrés élevés; il prouva, enfin, par des mesures délicates, que. l’air atmosphérique, s’il est renfermé dans un vase parfaitement sec, se dilate proportionnellement à sa température, quand celle-ci est mesurée sur un thermomètre à mercure portant des divisions égales; or, comme les travaux de Deluc et de Crawford paraissaient établir qu’un pareil thermomètre donne tes vraies mesures des quantités de chaleur, Voila se crut autorisé à énoncer la loi si simple qui découlait de .ses expériences, dans ces nouveaux termes dont chacun appréciera l’importance l’élasticité, d’un volume donné d’oir u’inospjiérique est proportionnelle à sa chaleur. Lorsqu’on échauffait de l’air pris a une basse tempéra- \037

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ALEXANDRE VOLTA. «7 \037turc et contenant toujours la même quantité d’humidité, sa force (Mastique augmentait comme celle de l’air sec. Volta en conclut que la vapeur d’eau ct l’air proprement dit se dilatent précisément de même. Tout le monde sait aujourd’hui que ce résultat est exact; mais l’expérience du physicien de Corne devait laisser des doutes, car aux températures ordinaires, la vapeur d’eau se mêle à l’air atmosphérique dans de très-petites proportions. Yolta appelait le travail que je viens d’analyser une simple ébauche. D’autres recherches très-nombreuses et du même genre auxquelles il s’était livré, devaient faire partie d’un Mémoire qui n’a jamais vu le jour. Au reste, sur ce point, la science paraît aujourd’hui complète, grâce à MM. Cay-Lussac et Dalton. Les expériences de ces ingénieux physiciens, faites à une époque où le Mémoire de Volta, quoique publié, n’était encore connu ni en France ni en Angleterre, étendent à tous les gaz, permanents ou non, la loi donnée par le savant italien. Elles conduisent de plus dans tous tes cas au même coefficient (!•; dilatation. \037ÉLECTRICITÉ ATMOSPHÉRIQUE. \037Je ne m’occuperai des recherches de Volta sur l’électricité atmosphérique qu’après avoir tracé un aperçu rapide des expériences analogues qui les avaient précédées. Pour juger vainement de la route qu’un voyageur a p;irco:.irue, il est souvent utile d’apercevoir d’un même coupd’n.’il le point de départ et la dernière station. Le l)r Wall, qui écrivait en 1708, doit être nommé ic i \037

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198 ALEXANDRE VOLTA. \037le premier, car on trouve dans un de ses Mémoires cette ingénieuse réflexion « La lumière et le craquement dos s « Corps électrisés semblent, jusqu’à un certain point, « représenter l’éclair et le tonnerre. » Stephen Grey publiait, à la date de 1735, une remarque analogue. « II «est probable, disait cet illustre physicien, qu’avec le « temps on trouvera les moyens de concentrer de plus c abondantes quantités de feu électrique, et d’augmenter «la force d’un agent qui, d’après plusieurs de mes expé«  riences, s’il est permis de comparer les grandes aux «petites choses, paraît être de la même nature que le « tonnerre et les éclairs » \037La plupart des physiciens n’ont vu dans ces passages que de simples comparaisons. Ils ne croient pas qu’en assimilant les effets de l’électricité à ceux du tonnerre, Wall et Grey aient prétendu en conclure l’identité des causes. Ce doute, au surplus, ne serait pas applicable aux aperçus insérés par i\ollet, en 17/jO, dans ses Leçons de physique expérimentale. Là en effet suivant l’auteur, une nuée orageuse, au-dessus des objets terrestres, n’est autre chose qu’un corps clcctrisé placé en présence d0 corps qui ne le sont pas. Le tonnerre, entre les înoins tic la nature, c’est l’électricité entre les mains des physiciens. Plusieurs similitudes d’action sont signalées; rien 113 manque, en un mot, à cette ingénieuse théorie, si ce n’est la seule chose dont une théorie ne saurait se passer pour prendre définitivement place dans la science, la sanction d’expériences directes. \037Les premières vues de Franklin sur l’analogie de l’électricité et du tonnerre n’étnient, comme les idées anté- \037

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ALEXANDRE VOLTA. <99 \037ricures de Noltot, que de simples conjectures. Toute la dill’ércncc, entre les deux physiciens, se réduisait alors à un projet d’expérience, dont Nollet n’avait pas parlé, et qui semblait promettre des arguments définitifs pour ou contre l’hypothèse. Dans cette expérience on devait, par un temps d’orage, rechercher si une tige métallique isolée et terminée par une pointe, ne donnerait pus des étincelles analogues à celles qui se détachent du conducteur de la machine électrique ordinaire. \037Sans porter atteinte <i la gloire de Franklin, je dois remarquer que l’expérience proposée était presque inutile. Les soldats de la cinquième légion romaine l’avaient d^ja faite pendant la guerre d’Afrique, !e jour où, comme César le rapporte le fer de tous les javelots parut en feu a la suite d’un orage. II en est de même des nombreux navigateurs à qui Castor et Pollux s’étaient montrés, soit aux pointes métalliques des mâts ou des vergues, soit sur d’autres parties saillantes de leurs navires. Knfm, dans certaines contrées, en Frioul, par exemple, au château de Duino, le factionnaire exécutait strictement ce que désirait Franklin, lorsque, conformément à sa consigne, et dans la vue de décider quand il fallait, en mettant une cloche en branle, avertir les campagnards de l’approche d’un orage, il allait examiner avec sa hallebarde si le fer d’une pique plantée verticalement sur le rempart donnait des étincelles. Au reste, soit que plusieurs de ces circonstances fussent ignorées, soit qu’on ne les trouvât pas démonstratives, des essais directs semblèrent nécessaires, et c’est h Dalibard, notre compatriote, que la science en a été redevable. 1-e 10 mai I7.V2, pendant un orage, la \037

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200 ALEXANDRE VOLTA. \037grande tige de métal pointue qu’il avait établie dans un jardin de Marly-la-Yillc, donnait de petites étincelles, comme le fait le conducteur de la machine électrique ordinaire quand on en approche un fil de fer. Franklin ne réalisa cette même expérience aux États-Unis, a l’aide d’un cerf-volant, qu’un mois plus tard. Les paratonnerres en étaient la conséquence immédiate. L’illustre physicien d’Amérique s’empressa de le proclamer. \037La partie du public qui, en matière de sciences, est réduite a juger sur parole, ne se prononce presque jamais à demi. Kllc admet ou rejette, qu’on me passe ce terme, avec emportement. Les paratonnerres, par exemple, de\inrent l’objet d’un véritable enthousiasme dont il est curieux de suivre les élans dans les écrits de l’époque. Ici, vous trouvez des voyageurs qui, en rase campagne, croient conjurer la foudre en mettant l’épée à la main contre les nuages, dans la posture d’Ajax menaçant tes dieux; la, des gens d’église, à qui leur coslumc interdil l’épée, regrettent amèrement d’être privés de ce talisnan conservateur; celui-ci propose sérieusement, comme un préservatif infaillible, de se placer sous une gouttière, des le début de l’orage, attendu qui; les étoiles mouillées sont d’excellents conducteurs de l’électricité; celui-là invente certaines coiffures d’où pendent de longues chaînes métalliques qu’il faut avoir grand soin de laisser constamment traîner dans le ruisseau, etc., etc. Quelques physiciens, il faut le dire ne partageaient pas cet engouement. Ils admettaient l’identité de la foudre et du fluide électrique., l’expérience- de Maily-la-Yille ayant a cet égard \037

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ALEXANDRE VOLTA. 2<>< \037prononcé (UTinitivcinent; mais les rares étincelles qui étaient sorties do la tige et leur petitesse, faisaient douter qu’on pût épuiscr«ainsi l’immense quantité de matière fulminante dont une nuée orageuse doit être chargée. Les rUVayantes expériences faites par Romas de Nérac ne vainquirent pas leur opposition, parce que cet observateur s’était servi d’un cerf-volant à corde métallique qui allait, à plusieurs centaines de pieds de hauteur, puiser le tonnerre dans la région même des nuages. Bientôt, cependant la mort déplorable de Richman occasionnée par la simple décharge provenant de la barre isolée du paratonnerre ordinaire que ce physicien distingué avait f;iit établir sur sa maison de Saint-Pétersbourg, vint fournir de nouvelles lumières. Les érudits virent dans cette fin tragique l’explication du passage où Pline le naturaliste rapporte que. Tullus Hostilius fut foudroyé pou- rvoir mis peu d’exactitude dans l’accomplissement des cérémonies a l’aide desquelles Numa, son prédécesseur, formait le tonnerre à descendre du ciel. D’autre part, et ceci avait plus d’importance, tes physiciens sans prévention trouvèrent dans le même événement une donnée qui leur manquait encore, savoir qu’en certaines circonstances, une barre de métal peu élevée arrache aux nuées orageuses non pas seulement d’imperceptibles étincelles, mais de véritables torrents d’électricité. Aussi, à partir de cette époque, les discussions relatives à l’efficacité des paratonnerres n’ont eu aucun intérêt. Je n’en excep’.e même pas le vif débat sur les paratonnerres terminés en f. l.o fi aont 1753. \037

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2>2 1 ALEXANDRE VOLTA. \037pointe ou en boule, qui divisa quelque temps tes savants anglais. Personne, eu effet, n’ignore aujourd’hui que George 111 était le promoteur de <fettc polémique; qu’il ko déclara pour les paratonnerres en boule, parce que lYanklin, alors son heureux antagoniste sur des questions politiques d’une immense importance, demandait qu’on tes terminât en pointe, et que cette discussion, tout bien considéré, appartient plutôt, comme très-petit incident, à l’histoire de la révolution américaine qu’A celle de la science. \037Les résultats de l’expérience de Marly étaient à peine connus, que Lemonnier, de cette Académie, fit établir dans son jardin de Saint-Germain-en-Laye une longue barre métallique verticale qu’il isola du sol avec quelques nouvelles précautions; eh bien des ce moment, les aigrettes électriques lui apparurent (juillet et septembre 1752), non-seulement quand le tonnerre grondait, non-sculei nent quand l’atmosphère était couverte de nuages menaçants, mais encore par un ciel parfaitement serein, lue belle découverte devint ainsi le fruit de la modification en apparence la plus insignifiante dans le premier appareil de Dalibard. \037Lemonnier reconnut sans peine que cette foudre des jours sereins dont il venait de dévoiler l’existence, était soumise toutes les vingt-qua’rc heures à des variations régulières d’intensité. Beccaria traça les lois de cette période diurne à l’aide d’excellentes observations. 11 é’.ablit de plus ce fait capital que dans toutes les saisons, à toutes les hauteurs, partons les vents, l’électricité, d’un ciel serein est constamment positive ou vitrée, \037

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ALEXANDRE VOLTA. 203 \037Ki) suivant ainsi par ordre de dates les progrès de nos connaissances sur l’électricité atmosphérique, j’arrive aux travaux dont Volta a enrichi cette branche importante do la météorologie. Ces travaux ont eu tour à tour pour objet le perfectionnement des moyens d’observation et l’examen minutieux des diverses circonstances dans lesquelles se développe le fluide électrique qui ensuite va envahir toutes lcs régions de l’air. \037Quand une branche des sciences vient de naître, les observateurs ne s’occupent guère que de la découverte (le nouveaux phénomènes, réservant leur appréciation numérique pour une autre époque. Dans l’électricité, par exemple, plusieurs physiciens s’étaient fait une réputation justement méritée: disons plus, la bouteille de Leydo ornait déjà tous les cabinets de l’Europe, et personne n’avait encore imaginé un véritable électromètre. Le premier instrument de ce genre qu’on ait exécuté ne remonte <ju’à l’année 1749. Il était dû à deux membres de cette Académie, Darcy et Le Roy. Son peu de mobilité dans 1rs petites charges empocha qu’il ne fût adopté. L’élecfromètre proposé par Nollet (1752) paraissait nu premier aperçu plus simple plus commode et surtout infiniment plus sensible. Il devait se composer de deux (ils qui, après avoir été électrisés, ne pouvaient manquer, par un cifet de répulsion, de s’ouvrir comme les dcux branches d’un compas. La mesure cherchée se serait uiii.-i réduite à l’observation d’un angle. \037Cavallo réalisa ce que Nollet avait seulement indiqué i^lTSO). Ses fils étaient de métal et portaient à leurs "xlrémités do petites sphères de moelle do sureau. \037

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201 ALEXANDRE VOLTA. \037Volta, enfin, supprima le sureau, et suhstitua des pailles sèches aux fils métalliques. Ce changement paraîtrait sans importance, si l’on ne disait que le nouvel éleclromèlre possède seul la propriété précieuse, et tout h fait inattendue, de donner entre 0 et 30° des éci’rteirunls angulaires des deux pailles exactement proportionnels a.ix charges électriques. \037La lettre à Lichtenberg, en date de 1780 dans laquelle Volta établit par de nombreuses expériences les propriétés des électromètres à pailles, renferme sur les moyens de rendre ces instruments comparables, sur la mesure des plus fortes charges, sur certaines combinaisons de l’électromètre et du condensateur, des vues intéressantes dont on est étonné de ne trouver aucune trace dans les ouvrages les plus récents. Cette lettre ne saurait être trop recommandée aux jeunes physiciens. Mlle les initiera à l’art si difficile des expériences; elle leur apprendra à se défier des premiers aperçus, à varier sans cesse la forme des appareils; et si une imagination impatiente devait leur faire abandonner la voie lente, mais certaine, de t’observation, pour de séduisantes rêveries, peut-être seront-ils arrêtés sur ce terrain glissent en voyant un homme de génie ne se laisser rebuter par aucun détail. Et d’ailleurs, à une époque ou, sauf quelques honorables exceptions, la publication d’un livre est une opération purement mercantile, où les traités de science, surtout, taillés sur le même patron, ne diffèrent entre eux que par des nuances de rédaction souvent imperceptibles, où chaque auteur néglige bien scrupuleusement toutes les expériences, toutes les théories, tous tes inshn- \037

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ALEXANDRE VOLTA. 203 \037nients que son prédécesseur immédiat a oublias ou mcconnus, on accomplit, je crois, un devoir en dirigeant t’attention des commençants vers les sources originales. C’est la, et là seulement, qu’ils puiseront d’importai]’* sujets do recherches; c’est là qu’ils trouveront l’histoire fidèle des découvertes, qu’ils apprendront à distinguer clairement le vrai de l’incertain, à se défier enfin des théories hasardées que les compilateurs sans discernement adoptent avec une aveugle confiance. \037Lorsqu’on profitant de la grande action que lcs pointes exercent sur le fluide électrique, .Saussure fut parvenu (1785), par la simple addition d’une tige de huit à neuf décimètres de long, à beaucoup augmenter la sensibilité de l’électromètrc de Cavallo lorsque, à la suite de tant de minutieuses expériences les fils métalliques portant des boules de moelle de sureau du physicien de Naples, eurent été remplacés par des pailles sèches, on dut croire que ce petit appareil ne pourrait guère recevoir d’aulx s nmi’-lionitions importantes. Volta, cependant, en 1787, parvint à étendre considérablement sa puissance sans rien changer à la construction primitive. lient recours, pmtr cela, au plus étrange des expédients il adapta à la pointe de la tige métallique introduite par Saussure, soit une bougie, soit même une simple mèche enflammée! Personne assurément n’aurait prévu un pareil résultat 1 Ias expérimentateurs découvrirent do bonne heure que la llannne est un excellent conducteur de l’électricité niais cela même ne devait-i) pas éloigner la pensée do l’emuloyer comme puissance collectrice? Au reste, Volta, • l’Miô d’un sens si droit, d’une logique si sévère, ne \037

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200 ALEXANDRE VOLTA. \037s’abandonna entièrement aux conséquences du fait (’(range qui venait de s’offrir à lui qu’après l’avoir expliqué. Il trouva que si une bougie amené sur la pointe qu’elle sur.monte trois ou quatre fois plus d’électricité* qu’on n’en recueillerait autrement, c’est à cause du courant d’air qu’engendre la flamme c’est h raison des communications multipliées qui s’établissent ainsi entre la pointe de mêla! et les molécules atmosphériques. \037Puisque des flammes enlèvent l’électricité à t’air beaucoup mieux que des tiges métalliques pointucs, ne s’cnsuit-il pas, dit Yolta, que le meilleur moyen de prévenir tes orages ou de les rendre peu redoutables, serait d’allumer d’énormes feux au milieu des champs, ou mieux encore, sur des lieux élevés. Après avoir réfléchi sur les grands effets du très-petit lumignon de l’élcclromètre on no voit rien de déraisonnable a. supposer qu’une large flamme puisse, en peu d’instants, dépouiller de tout fluide électrique d’immenses volumes d’air et de vapeur. \037Vo’.la désirait qu’on soumit cette idée h l’épreuve d’une expérience directe. Jusqu’ici ses vœux n’ont pas été entendus. Peut-être obtiendrait-on à cet égard quelques notions encourageantes si l’on comparait les observations météorologiques des comtés de l’Angleterre que tant de hauts-fourneaux et d’usines transforment nuit et jour en océans de feu, a. celles des comtés agricoles environnants. \037Les feux paratonnerres tirent sortir Voila de la gravité sévère qu’il s’était constamment imposée. Il essaya d’égayer son sujet aux dépens des érudits qui, semblables \037

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ALEXANDRE VOLTA. W \037iiii l’iiiiicu.x Dutcns, aperçoivent toujours, mais après coup, dans quelque ancien auteur, tes découvertes do leurs contemporains, Il les engage a remonter, dans ce en?, jusqu’aux temps fabuleux de la Grèce et de Rome; il appelle leur attention sur les sacrifices à ciel ouvert, sur les flammes éclatantes des autels, sur les noires colonnes de fumée qui, du corps des victimes, s’élevaient clans les airs; enfin, sur toutes les circonstances des cérémonies que le vulgaire croyait destinées a apaiser la colère des dieux, à désarmer le bras fulminant de Jupiter. Tout cela ne serait qu’une simple expérience de physique, dont les prêtres seuls possédaient le secret, et destinée à ramener silencieusement sur la terre l’électricité de l’air et des nuées. Les Grecs et tes Romains, auv époques les plus brillantes de leur histoire, faisaient, il est vrai, les sacrifices dans des temples fermés; mais, ajoute Volta, cette difficulté n’est pas sans réplique, puisqu’on peut dire que Pythagore, Aristote, Cicéron, Pline, Sénèquc, étaient des ignorants qui, même par simple tradition, n’avaient pas les connaissances scientifiques de Ictus devanciers 1 \037La critique ne pouvait être plus incisive; mais, pour en attendre quelque effet, il faudrait oublier qu’en chcrchant dans de vieux livres les premiers rudiments vrais ou faux des grandes découvertes, Ics zoïles de toutes tes époques se proposent bien moins d’honorer un mort que de déconsidérer un de leurs contemporains J \037Presque tous les physiciens attribuent les phénomènes électriques à deux fluides de nature diverse, qui, dans certaines circonstances, vont s’accumuler séparément h \037

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2’I8 ALEXANDRE VOLTA. \037la su’ïacc des corps. Cette hypothèse conduisoit naturellement à rechercher de quelle source émane l’électricité atmosphérique. Le problème était important. Une expérience délicate, quoique très-simple, mit sur la \oio de la solution. \037Dans cette expérience, un vase isolé d’où l’eau s’évapora il donna, à l’aide du condensateur de Volta des indices manifestes d’électricité négative. \037Je regrette de ne pouvoir dire, avec une entière certitude, à qui appartient cette expérience capitale. Volta l’apporte dans un de ses Mémoires qu’il y avait songé dès l’année 1778 mais que diverses circonstances l’ayant empêché de la tenter, ce fut à Paris seulement et dans le mois de mars 1780 qu’elle lui réussit en compagnie de quelques membres de l’Académie des sciences. D’une autre part, Lavoisier et Lnplace, à la dernière ligne du Mémoire qu’ils publièrent sur le même sujet, disent sculement Voila voulut bien assister à nos expériences et nous y être utile. \037Comment concilier deux versions aussi contradictoires! l’nc note historique, publiée par Volta lui-mémo, est loin de dissiper tous les doutes. Cette note, quand on l’c.viniinc attentivement, ne dit, d’une manière expresse, ni a qui l’idée de l’expérience appartient, ni lequel des (rois physiciens deu’na qu’elle réussirait a l’aide du condensateur. Le premier essai fait à Paris par Volta et tes deux savants français réunis fut infructueux, l’état hygrométrique de l’atmosphère n’ayant pas été favorable. Peu de jours après, à la campagne de Lavoisier, tes signes électriques devinrent manifestes quoiqu’on n’eût pas changé \037

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ALEXANDKK VOLTA. 209 ̃ ̃A ̃̃ V ̃ « Û M t M ̃*̃̃ V \037l.-i. 1. «4 \037les moyens d’observation. Volta n’assistait point à la dernière épreuve. \037Cette circonstance a été l’origine de toutes les diflicultés. Quelques physiciens, en thèse générale considèrent comme inventeurs, sans plus ample examen, ceux qui les premiers, appelant l’expérience à leur aide, ont constaté l’existence d’un fait. D’autres ne voient qu’un mérite secondaire dans le travail suivant eux presque matériel que les expériences nécessitent. Ils réservent leur estime pour ceux qui les ont projetées. \037Ces principes sont l’un et l’autre trop exclusifs. Pascal laissa à Perrier, son beau-frère, le soin de monter sur le Puy-de-Dôme pour y observer le baromètre, et le nom de Pascal est cependant le seul qu’on associe à celui de Toricelli, en parlant des preuves de la pesanteur de l’air. Michell et Cavendish, au contraire, aux yeux des physiciens éclairés ne partagent avec personne le mérite de leur célèbre expérience sur l’attraction des corps terrestres, quoique avant eux on eût bien souvent songé à la faire; ici, en effet, l’exécution était tout. Le travail de Volta, de Lavoisier et de Laplace, ne rentre ni dans l’une ni dans l’autre de ces deux catégories. Je l’admettrai, fi l’on veut, un homme de génie pouvait seul imaginer que l’électricité concourt à la génération des vapeurs; mais pour faire sortir cette idée du domaine des hypothèses, il fallait créer des moyens particuliers d’observation, et inrinc de nouveaux instruments. Ceux dont Lavoisier et Laplace se servirent étaient dus à Volta. On les construisit a Paris sous ses yeux; il assista aux premiers essai- Des preuves aussi multipliées, d’une coopération directe, \037

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210 ALEXANDRE VOLTA. \037il 1 1 -1- ’j- \037rattachent incontestablement le nom dc Volta à toute théorie de l’électricité des vapeurs; qui oserait, cependant, en l’absence d’une déclaration contraire et positive de ce grand physicien, affirmer que l’expérience ne fut pas entreprise à la suggestion des savants français? Dans le doute, ne sera-t-il point naturel, en deçà comme au delà des Alpes, de ne plus séparer, en parlant de ces phénomènes, les noms de Volta, de Lavoisier, de Laplace; de cesser d’y voir, ici une question de nationalité mal entendue, là un sujet d’accusations virulentes qu’on pourrait à peine excuser si aucun nuage n’obscurcissait la vérité? Ces réflexions mettront fin, je l’espère, à un fâcheux débat que des passions haineuses s’attachaient à perpétuer elles montreront, en tout cas, par un nouvel exemple, combien la propriété des œuvres de l’esprit est un sujet délicat. Lorsque trois des plus beaux génies du xvjn’ siècle, déjà parvenus au faîte de la gloire, n’ont pas pu s’accorder sur la part d’invention qui revenait à chacun d’eux dans une expérience faite en commun, devra-t-on s’étonner de voir naître de tels conflits entre des débutants? \037.Malgré l’étendue de cette digression je ne dois pas abandonner l’expérience qui l’a amenée sans avoir signalé toute son importance, sans avoir montré qu’elle est la base d’une branche très-curieuse de la météorologie. Deux mots, au reste, me suffiront. \037Lorsque le vase métallique isolé dans lequel l’eau s’évapore devient électrique1, c’est, dit Yolta, que pour 1. On sait aujourd’hui que l’exprrlonce ne n’-ussit pas (|iiainlon opère sur de l’eau distillée Cette circonstance, certainement fort \037

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ALEXANDRK VOLTA. îM \037passer de l’état liquide à l’état aéritbrinc cette eau emprunte aux corps qu’elle touche, non-seulement de la clialeur, mais aussi de l’électricité. Le fluide électrique est donc une partie intégrante des grandes masses de qui se forment journellement aux dépens des eaux de la mer, des lacs et des rivières. Ces vapeurs, en s’élevant, trouvent dans les hautes régions de l’atmosphère un froid qui les condense. Leur fluide électrique constituant s’y dégage, il s’y accumule, et la faible conductibilité de l’air empêche qu’il ne soit rendu à la terre, d’où il tire son origine, si ce n’est par la pluie, la neige, la grêle ou de violentes décharges. \037Ainsi, d’après cette théorie, le fluide électrique qui, dans un jour d’orage, promène instantanément ses éblouissantes clartés de l’orient au couchant, et du nord au midi; qui donne lieu à des explosions si retentissantes; qui, en se précipitant sur la terre, porte toujours avec lui la destruction, l’incendie et la mort, serait le produit de l’évaporation journalière de l’eau, la suite inévitable d’un phénomène qui se développe par des nuances tellement insensibles, que nos sens ne sauraient en saisir les progrès! Quand on compare les effets aux causes, la nature, il faut l’avouer, présente de singuliers contrastes! ( \037curieuse quant à la théorie de l’évaporation, n’atténue en rien l’importance météorologique du travail de Lavoisier, do Volta et de Lajilace, puisque l’eau des mers, des lacs et des rivières, n’est jamais parfaite nent pure. \037

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212 L ALliXAXDRK VOI.TA. \037I’ILE VOLTAÏQIE. \037J’arrive maintenant à l’une de ces rares époques dans lesquelles un fait capital et inattendu, fruit ordinaire de quelque heureux hasard, est fécondé par le génie, et devient la source d’une révolution scientifique. Le tableau détaillé des grands résultats qui ont été amenés par de très-petites causes ne serait pas moins piquant, peut-être, dans l’histoire des sciences que dans celle des nations. 8i quelque érudit entreprend jamais de le tracer, la branche de la physique actuellement connue sous le nom de galvanisme y occupera une des premières places. On peut prouver, en effet, que l’immortelle découverte de la pile se rattache, de la manière la plus directe, à un léger rhume dont une dame bolonaise fut attaquée en 1790, et au bouillon aux grenouilles que le médecin prescrivit comme remède. \037Quelques-uns dc ces animaux, déjà dépouillés par ta cuisinière de madame Galvani gisaient sur une table, lorsque, par hasard, on déchargea au loin une machine électrique. Les muscles, quoiqu’ils n’eussent pas été frappés par l’étincelle éprouvèrent, au moment de sa sortie, de vives contractions. L’expérience renouvelée réussit également bien avec toute espèce d’animaux, avec l’électricité artificielle ou naturelle, positive ou négative. Ce p’iénomène était très-simple. S’il se fùt offert à quelque physicien habile, familiarisé avec les propriétés du fluide électrique, il eût à peine excité son attention. L’extrême sensibilité de la grenouille, considérée comme é!ec- \037

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ALEXANDRE VOLT A. 213 \037troscope, aurait été l’objet de remarques plus ou moins étendues; mais, sans aucun doute, en se serait arrêté la. Heureusement, et par une bien rare exception, le défaut de lumières devint profitable. Galvani, très-savant annlomiste, était peu au fait de l’électricité. Les mouvements musculaires qu’il avait observés lui paraissant inexplicables, se crut transporté dans un nouveau monde. JI s’attacha donc à varier ses expériences de mille manières. C’est ainsi qu’il découvrit un fait vraiment étrange, ce fait, que les membres d’une grenouille décapitée mémo depuis fort longtemps éprouvent des contractions tresinlenses, sans l’intervention d’aucune électricité étrangère, quand on interpose une lame métallique, ou, mieux encore, deux lames de métaux dissemblables entre un muscle et un nerf. L’étonnement du professeur de Bologne fut alors parfaitement légitime, et l’Europe entière s’y associa. \037Une expérience dans laquelle des jambes, des cuisses, des troncs d’animaux dépecés depuis plusieurs heures, éprouvent les plus fortes convulsions, s’élancent au loin, paraissent enfin revenir à la vie, ne pouvait pas rester longtemps isolée. En l’analysant dans tous ses détails, Galvani crut y trouver les effets d’une bouteille de Leyde. Suivant lui, les animaux étaient comme des réservoirs de iluide électrique. L’électricité positive avait son siège dans les nerfs, l’électricité négative dans les muscles. Quant à la lame métallique interposée entre ces organes, c’était simplement le conducteur par lequel s’opérait la décharge. \037Os vues séduisirent le public les physiologistes s’en \037

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2U ALEXANDRE VOLTA. \037emparèrent l’électricité détrôna le fluide nerveux, qui alors occupait tant de place dans l’explication des phénomènes de la vie, quoique, par une étrange distraction, personne n’eût cherché à prouver son existence. On se flatta, en un mot, d’avoir saisi l’agent physique qui porte au semorvim les impressions extérieures; qui place chez les animaux la plupart des organes aux ordres de leur intelligence; qui engendre les mouvements des bras, des jambes, de la tête, dès que la volonté a prononcé. Hélas! 1 ces illusions ne furent pas de longue durée; tout ce beau roman disparut devant les expériences sévères de Volta. Cet ingénieux physicien engendra d’abord des convulsions non plus, comme Galvani, en interposant deux métaux dissemblables entre un muscle et un nerf, mais en leur faisant toucher seulement un muscle. \037Dès ce moment, la bouteille de Leyde se trouvait hors de cause; elle ne fournissait plus aucun terme de comparaison possible. L’électricité négative des muscles, l’électricité positive des nerfs, étaient de pures hypothèses sans base solide; les phénomènes ne se rattachaient plus à rien de connu; ils venaient, en un mot, de se couvrir d’un voile épais. \037Volta, toutefois, ne se découragea point. Il prétendit que, dans sa propre expérience, l’électricité était le principe des convulsions; que le muscle y jouait un rôle tout à fait passif, et qu’il fallait le considérer simplement comme un conducteur par lequel s’opérait la décharge. Quant au fluide électrique, Volta eut la hardiesse de supposer qu’il était le produit inévitable de l’attouchement des deux métaux entre lesquels le muscle se trouvait compris je \037

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ALEXANDRE VOLTA. Î15 \037dis des deux métaux, et non pas des deux lames, car, suivant Volta, sans une différence dans la nature des deux corps en contact, aucun développement électrique ne saurait avoir lieu. \037Les physiciens de tous les pays de l’Europe, et Volta lui-môme, adoptèrent, à l’origine du galvanisme, les vues de l’inventeur. Ils s’accordèrent à regarder les convulsions spasmodiques des animaux morts comme l’une des plus grandes découvertes des temps modernes. Pour peu qu’on connaisse le coeur humain, on a déjà deviné qu’une théorie destinée à rattacher ces curieux phénomènes aux lois ordinaires de l’électricité, ne pouvait être admise par (ialvani et par ses disciples qu’avec une extrême répugnance. En cffet, l’école bolonaise en corps défendit pied à pied l’immense terrain que la prétendue électricité animale avait d’abord envahi sans obstacle. \037Parmi les faits nombreux que cette célèbre éco!e apposa au physicien de Come, il en est un qui, par sa singularité", tint un moment les esprits en suspens. Je veux parler des convulsions que Galvani lui-même engendra en touchant les muscles de la grenouille avec deux lames, non pas dissemblables, comme Volta le croyait nécessaire, mais tirées toutes deux d’une seule et même plaque métallique. Cet effet, quoiqu’il ne fut pas constant, présentait en apparence une objection insurmontable contre la nouvelle tliéorie. \037Volta répondit que les lames employées par ses adversaires pouvaient être identiques quant au nom qu’elles portaient, quant à leur nature chimique, et différer cependant entre elles par d’autres circonstances, de manière à \037

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216 ALEXANDRE VOLTA. \037jouir de propriétés entièrement distinctes. Dans ses mains, en effet, des couples inactifs, composés de deux portions contiguës d’une même lame métallique, acquirent une certaine puissance dès qu’il eut changé la température, le degré de recuit ou le poli d’un seul des éléments. Ainsi, ce débat n’ébranla point la théorie du célèbre professeur. Il prouva seulement que le mot dissemblable, appliqué à deux éléments métalliques superposés, avait été compris, quant aux phénomènes électriques, dans un sens beaucoup trop restreint. \037Volta eut à soutenir un dernier et rude assaut. Cette fois, ses amis eux-mêmes le crurent vaincu sans retour. J,e docteur Valli, son antagoniste, avait engendré des convulsions par le simple attouchement de deux parties de la grenouille, sans aucune intervention de ces armures métalliques qui, dans toutes les expériences analogues, avaient été, suivant notre confrère, le principe générateur de l’électricité. \037Les lettres de Volta laissent deviner, dans plus d’un passage, combien il fut blessé du ton d’assurance avec lequel (je rapporte ses propres expressions) les galvajiistes, vieux et jeunes, se vantaient de l’avoir réduit au silence. Ce silence, en tout cas, ne fut pas de longue durée, Un examen attentif des expériences de Valli prouva bientôt à Volta qu’il fallait, pour leur réussite, cette double condition hétérogénéité aussi grande que possible entre les organes de l’animal amenés au contact; interposition entre ces mêmes organes d’une troisième substance. Le principe fondamental de la théorie voltaïque, loin d’être «’•branlé, acquérait ainsi une plus \037

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ALEXANDRE VOLTA. ?17 \037grande généralité. Les métaux ne formaient plus une classe à part. L’analogie conduisait à admettre que deux substances dissemblables, quelle qu’en fût la nature, donnaient lieu, par leur simple attouchement, à un développement d’électricité. \037A partir de cette époque, les attaques des galvanistes n’eurent rien de sérieux. Leurs expériences ne se restreignirent plus aux très-petits animaux. Ils engendrèrent dans les naseaux, dans la langue, dans les yeux d’un bœuf tué depuis longtemps, d’étranges mouvements nerveux, fortifiant ainsi plus ou moins les espérances de ceux auxquels le galvanisme était apparu comme un moyen de ressusciter les morts. Quant à la théorie, ils n’apportaient aucune nouvelle lumière. En empruntant des arguments, non à la nature, mais à la grandeur des ell’ets, les adeptes de l’école bolonaise ressemblaient fort à ce physicien qui, pour prouver que l’atmosphère n’est pas la cause de l’ascension du mercure dans le baromètre, imagina de substituer un large cylindre au tube étroit de cet instrument, et présenta ensuite comme une difficulté formidable, le nombre exact de quintaux de liquide soulevés. \037Volta avait frappé à mort l’électricité animale. Ses conceptions s’étaient constamment adaptées aux expérience?, mal comprises, à l’aide desquelles on espérait les saper. Cependant elles n’avaient pas, disons plus, elles ne pouvaient pas avoir encore l’entier assentiment des physiciens sans prévention. Le contact de deux métaux, de deux substances dissemblables, donnait naissance à un certain agent qui, comme l’électricité, produisait dos \037

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218 ALEXANDRE VOLTA. \037mouvements spasmodiques. Sur ce fait, point de doute; mais l’agent en question était-il véritablement électrique? Les preuves qu’on en donnait pouvaient-elles suffire? Lorsqu’on dépose sur la langue, dans un certain ordre, doux métaux dissemblables, on éprouve au moment de leur contact une saveur acide. Si l’on change ces métaux respectivement de place, la saveur devient alcaline. Or, en appliquant simplement la langue au conducteur d’une machine électrique ordinaire, on sent aussi un goût acide ou alcalin, suivant que le conducteur est électrisé en plus ou en moins. Dans ce cas-ci, le phénomène est incontestablement dû à l’électricité. N’est-il pas naturel, disait Volta, de déduire l’identité des causes de la ressemblance des eflets; d’assimiler la première expérience à la seconde de ne voir entre elles qu’une seule différence, savoir, le mode de production du fluide qui va exciter l’organe du goût? \037Personne ne contestait l’importance de ce rapproche. ment. Le génie pénétrant de Volta pouvait y apercevoir les bases d’une entière conviction le commun des physiciens devait demander des preuves plus explicites. Ces preuves, ces démonstrations incontestables devant lesquelles toute opposition s’évanouit, Volta les trouva dans une expérience capitale que je puis expliquer en peu de lignes. \037On applique exactement face à face, et sans intermédiaire, deux disques polis de cuivre et de zinc attachés à des manches isolants. A l’aide de ces mêmes manches, on sépare ensuite les disques d’une manière brusque; finalemei t on les présente, l’un après l’autre, au condensa- \037

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ALEXANDRE VOLTA. 219 \037leur ordinaire armé d’un électromètre ch bien 1 les pailles divergent à l’instant. Les moyens connus montrent d’ailleurs que les deux métaux sont dans des états électriques contraires; que le zinc est positif et le cuivre négatif. En renouvelant plusieurs fois le contact des deux disques, leur séparation et l’attouchement de l’un d’eux avec le condensateur, Volta arriva, comme avec une machine ordinaire, à produire de vives étincelles. Après ces expériences, tout était dit quant à la théorie des phénomènes galvaniques. La production de l’électricité par le simple contact de métaux dissemblables, venait de prendre place parmi les faits les plus importants et les mieux établis des sciences physiques. Si alors on pouvait encore émettre un vœu, c’était qu’on découvrit des moyens faciles d’augmenter ce genre d’électricité. De tels moyens sont aujourd’hui dans les mains de tous les expérimentateurs, et c’est au génie de Volta qu’on en est aussi redevable. \037Au commencement de l’année i800 (la date d’une aussi grande découverte ne peut être passée sous silence), à la suite de’quclques vues théoriques, l’illustre professeur imagina de former une longue colonne, en superposant successivement une rondelle de cuivre, une rondellc de zinc et une rondelle de drap mouillé avec la scrupuleuse attention de ne jamais intervertir cet ordre. Qu’attendre à priori d’une telle combinaison? Eh bien 1 je n’hésite pas à le dire, cette masse en apparence inerte, cet assemblage bizarre, cette pile de tant de couples de métaux dissemblables séparés par un peu de liquide, est, quant à la singularité, des effets, le plus \037

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220 ALEXANDRE VOLTA. \037merveilleux instrument que les hommes aient jamais inventé, sans en excepter le télescope et la machine à vapeur. \037J’échapperai ici, j’en ai la certitude, à tout reproche d’exagération, si, dans rénumération que je vais faire des propriétés de l’appareil de Volta, on me permet de citer à la fois et les propriétés que ce savant avait reconnues, et cellcs dont la découverte est due à ses successeurs. A la suite du peu de mots que j’ai dits sur la composition de la pile, tout le monde aura remarqué que ses deux extrémités sont nécessairement dissemblables; que s’il y a du zinc à la base, il se trouvera du cuivre au sommet, et réciproquement. Ces deux extrémités ont pris le nom de pâles. \037Supposons maintenant que deux fils métalliques soient attachés aux pôles opposés, cuivre et zinc, d’une pile voltaïque. L’appareil, dans cette forme, se prêtera aux diverses expériences que je désire signaler. \037Celui qui tient l’un des fils seulement n’éprouve rien, tandis qu’au moment même oit il les touche tous deux, il ressent une violente commotion. C’est, comme on voit, le phénomène de la fameuse bouteille de Leyde, qui en 1740, excita à un si haut degré t’admiration de l’Europe. Mais la bouteille servait seulement une fois. Après chaque commotion, il fallait la recharger pour répéter l’expérience. La pile, au contraire, fournit à mille commotions successives. On peut donc, quant à ce genre d’effets, la comparer à la bouteille de Leyde, sous la condition d’ajouter qu’après chaque décharge elle reprend subitement d’elle-même son premier état. \037

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ALEXANDRE VOLTA. ii\ \037Si le fil qui part du pôle zinc est appuyé sur le bout de la tangue, et le fil du pôle cuivre sur un autre point, on sent une saveur acide très-prononcée. Pour que cette saveur varie de nature, pour qu’elle devienne alcaline, il suffit de changer de place les deux fils. \037Le sens de la vue n’échappe pas à l’action de cet instrument protée. Ici le phénomène paraîtra d’autant plus intéressant que la sensation lumineuse est excitée sans qu’il soit nécessaire de toucher l’œil. Qu’on applique le bout de l’un des fils sur le front, sur les joues, sur le nez, sur le menton et même sur la gorge; à l’instant même où l’observateur saisit l’autre fil avec la main, il aperçoit, les yeux fermés, un éclair dont la vivacité et la forme varient suivant la partie de la face que le fluide électrique vient attaquer. \037Des combinaisons analogues engendrent dans l’oreille dos sons ou plutôt des bruits particuliers. \037Ce n’est pas seulement sur les organes sains que la pil<% agit elle excite, elle paraît ranimer ceux dans lesquels la vie semble tout à fait éteinte. Ici, sous l’action combinée des deux fils, les muscles d’une tête de supplicié éprouvaient de si effroyables contractions, que tes .spectateurs fuyaient épouvantés. Là le tronc de la victime se soulevait en partie; ses mains s’agitaient, elles frappaient les objets voisins, elles soulevaient des poids de quelques livres. Les muscles pectoraux imitaient les mouvements respiratoires; tous les actes de la vie enfin se reproduisaient avec tant d’exactitude, qu’il fallait se demander si l’expérimentateur ne commettait pas un acte coupable s’il n’ajoutait pas de cruelles souffrances a \037

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tti ALEXANDRE VOLTA. \037celles que la loi avait infligées au criminel qu’elle venait de frapper. \037Les insectes, eux mêmes soumis à ces épreuves, donnent d’intéressants résultats. Les fils de la pile, par exemple, accroissent beaucoup la lumière des vers luisants ils restituent le mouvement à une cigale morte ils la font chanter \037Si laissant de côté les propriétés physiologiques de la pile, nous l’envisageons comme machine électrique, nous nous trouverons transportés dans cette région de la science que Nicholson et Carlisle, Ilisinger et Berzelius, Davy, Œrsted et Ampère, ont cultivée d’une manière si brillante. \037D’abord, chacun des fils, considéré isolément, se montrera à la température ordinaire, à celle de l’air qui t’entoure. Au moment où ces fils se toucheront, ils acquerront une forte chaleur; suffisamment fins, ils deviendront incandescents; plus fins encore, ils se fondront tout à \037i. En imprimant un extrait de ÎY-Ioge de Volta dans l’Annuaire du iîurcau des longitudes de 183/i, sous le titre Notice historique sur la pile voltalque, M. Arago a ajouté « Les effets merveilleux de la pi e acquièrent chaque jour plus d’extension. Quant à ses propriétés médicales, quant à la faculté qu’elle possède, dit-on, de guérir, par ses décharges, certaines maladies d’estomac et les paralysies, j’ai dii, faute de renseignements suffisamment précis, no pas céder à Finvitation qu’on m’a faite de m’en occuper. Je dirai, toutsfols, que M. Marianini, de Venise, l’un des physiciens les plus distingués do notre époque, a obtenu récemment, dans huit cas de paralysie Intense, des résultats si complétement favorables, à l’aide de l’action habilement dirigée des électro-moteurs, qu’il y aurair, de la part des médecins, la négligence la plus coupable a ne |>as porter leur attention sur ce moyen do soulager l’humanité .souffrante. » \037

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ALEXANDRE VOLTA. îii \037fait, ils couleront comme un liquide, fussent-ils de platinc, c’est-à-dire du plus infusible des métaux connus. Ajoutons que, avec une pile très-forte, deux minces fils d’or ou de platine éprouvent au moment de leur contact une vaporisation complète, qu’ils disparaissent comme une vapeur légère. \037Des charbons adaptés aux deux extrémités de ces mêmes fils s’allument aussi dès qu’on les amène à se toucher. La lumière qu’ils répandent à la ronde est si pure, si éblouissante, si remarquable par sa blancheur, qu’on n’a pas dépassé les limites du vrai en l’appelant de la lumière solaire. \037Qui sait même si l’analogie ne doit pas être poussée plus loin si cette expérience ne résout pas un des plus grands problèmes de la philosophie naturelle; si elle ne donne pas le secret de ce genre particulier de combustion que le soleil éprouve depuis tant de siècles, sans aucune perte sensible ni de matière, ni d’éclat? Les charhons attachés aux deux fils de la pile deviennent, en cll’ct, incandescents, même dans le vide le plus parfait. Rien alors ne s’incorpore à leur substance, rien ne paraît en sortir. A la fin d’une expérience de ce genre, quelque durée qu’on lui ait donnée, les charbons se retrouvent, quant a leur nature intime et à leur poids, dans l’étut primitif. \037Tout le monde sait que le platine, l’or, le cuivre, etc. 1 n’agissent pas d’une manière sensible sur l’aiguille aimant<V. Des fils de ces divers métaux attachés aux deux pôles do la pile sont dans le même cas si on les prend isoléiiK’iit. Au contraire, dès le moment qu’ils se touchent, \037

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iîi ALEXANDRE VOLTA. \037une action magnétique très-intense se développe. Il y a plus, pendant toute la durée de leur contact, ces fils sont eux-mêmes de véritables aimants, car ils se chargent de limaille de fer, car ils communiquent une aimantation permanente aux lames d’acier qu’on place dans leur voisinage. \037Lorsque la pile est très-forte et que les fils au lieu de se toucher sont à quelque distance, une vive lumière unit leurs extrémités. Eh bien cette lumière est magnétique un aimant peut l’attirer ou la repousser. Si aujourd’hui, sans y être préparés, je veux dire avec les scules connaissances de leur temps, Franklin et Coulomb m’entendaient parler d’une flamme attirable à l’aimant, un vif sentiment d’incrédulité serait certainement tout ce que je pourrais espérer de plus favorable. \037Les mêmes fils, légèrement éloignés, plongeons-les tous les deux dans un liquide, dans de l’eau pure, par exemple. Dès ce moment l’eau sera décomposée les deux éléments gazeux qui la forment se désuniront; l’oxygène se dégagera sur la pointe même du fil aboutissant au pôle zinc; l’hydrogène, assez loin de là, à la pointe du fil partant du pôle cuivre. En s’élevant, les bulles ne quittent pas les fils sur lesquels leur développement s’opère; les deux gaz constituants pourront donc être recueillis dans deux vases séparés. \037Substituons à l’eau pure un liquide tenant en dissolution des matières salines, et ce seront alors ces matières que la pile analysera. Les acides se porteront vers le pôle zinc les alcalis iront incruster le fil du pôle cuivre. Ce moyen d’analyse est le plus puissant que l’on \037

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ALEXANDRE VOLTA. «5 1 \0371.- 1. 15 \037connaisse. Il a récemment enrichi la science d’une multitude d’importants résultats. C’est à la pile, par exemple, qu’on est redevable de la première décomposition d’un grand nombre d’alcalis et do terres qui jusqu’alors étaient considérés comme des substances simples c’est par la pile que tous ces corps sont devenus des oxydes; que la chimie possède aujourd’hui des métaux, tels que le potassium, qui se pétrissent sous les doigts comme de la cire; qui flottent à la surface de l’eau, car ils sont plus légers qu’elle; qui s’y allument spontanément en répandant la plus vive lumière. \037Ce serait ici le lieu de faire ressortir tout ce qu’il y a de mystérieux, je dirais presque d’incompréhensible, dans les décompositions opérées par l’appareil voltaïquc d’insister sur les dégagements séparés, complètement distincts, des deux éléments gazeux désunis d’un liquide; sir les précipitations des principes constituants solides d’uue même molécule saline, qui s’opèrent dans des points du fluide dissolvant fort distants l’un de l’autre; sur les étranges mouvements de transport que ces divers phénomènes paraissent impliquer; mais le temps me manque. Toutefois, avant de terminer ce tableau, je rcmarquerai que la pile n’agit pas seulement comme moyen d’analyse (pie si en changeant beaucoup les rapports électriques des éléments des corps, elle amène sotiu’iii leur séparation complète, sa force, délicatement ménagée, est devenue, au contraire, dans les mains d’un de nos confrères, le principe régénérateur d’un grand nombre de combinaisons dont la nature est prodigue, et que l’art jusqu’ici ne savait pas imiter. \037

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ÎÎO ALEXANDRE VOLTA. \037J’ajouterai encore (quelques mots pour indiquer diverses modifications que la pile a subies depuis qu’elle est sortie des mains de son illustre inventeur. \037La pile, dans ce qui la caractérise, se compose d’un grand nombre de couples ou combinaisons binaires de métaux dissemblables. Ces métaux sont ordinairement b cui\rc et le zinc. Les éléments, cuivre et zinc, de chaque couple, peuvent être soudés entre eux. \037Les couples se suivent dans le même ordre. Ainsi,, quand le zinc est en dessous dans le premier, il faut, indispcnsablcment qu’il soit aussi cn dessous dans tous les autres. Les couples, enfin, doivent être séparés par un liquide conducteur de l’électricité. Or, qui ne voit combien il est facile de satisfaire à ces conditions, sans superposer les éléments, sans les mettre en pile? Cette première disposition, qui, par parenthèse, est l’origine du nom que porte l’instrument, a été changée. Les couples, aujourd’hui, sont verticaux et se succèdent de manière a former, par leur ensemble, un parallélipipedo horizontal. Chacun d’eux plonge dans une case renfermant un liquide qui remplace lui-même avec avantage les rondelles de carton ou de drap, seulement mouillées, qui étaient employées à l’origine. \037Quelques physiciens ont exécuté, sous la dénomination de piles shltes, des appareils qui, comparativement, peuvent être appelés de ce nom, sans toutefois le mériter d’une manière absolue. Les plus connues, celles du professeur Zamboni, se composent de plusieurs milliers de disques d’un papier, dont une surface est clamée, taudis que l’autre se trouve recouverte d’une couche mince \037

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ALKXANDUK VOLTA. W \037d’oxyde de manganèse pulvérisé, qui est devenue adhérente par l’intermédiaire d’une colle formée de farine et do lait. Les disques, comme de raison, étant superposés dans le même ordre, leurs faces dissemblables, je veux dire les faces étain et manganèse de deux disques contigus, sont en contact. Voilà donc les deux éléments métalliques, de nature différente, qui composaient ce que nous appelions les couples dans la description de la première pile de Volta. Quant au liquide conducteur intermédiaire, ceux qui refusent aux piles de Zamboni le nom de piles skhes, le trouvent dans l’humidité que conserve toujours, en vertu de sa propriété hygrométrique, le papier interposé entre chaque lame d’élain et la couche de manganèse eu poudre. \037Les étonnants effets que les physiciens obtiennent avec les piles voltaïques dépendent, sans doute, en partie, des améliorations notables qu’ils ont apportées dans la construction de ces appareils; niais il faut en chercher la principale cause dans les énormes dimensions qu’ils sont parvenus à leur donner. Les couples métalliques, dans les premières piles de Yolta, n’étaient guère plus largos qu’une pièce de cinq francs. Dans la pile de M. Children, chacun des éléments avait une surface de trente-deux pieds anglais carrés 1 \037Volts, ainsi qu’on a pu le reconnaître dans l’analyse ((no j’ai donnée de ses idées, voyait la cause du développement d’électricité, dans le simple attouchement des deux métaux de nature différente (lui composent chaque couple. Quant au liquide interposé entre eux, il remplissait seulement l’oflicc de conducteur. Cette théorie, q:ii \037

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228 ALliXANDRK VOLTA. \037porte le nom de théorie du contact fut attaquée, de bonne heure par un des compatriotes de Volta, par l’obrcni. Celui-ci crut entrevoir que l’oxydation des faies métalliques des couples, opérée par le liquide qui les touche, était la cause principale des phénomènes de la pile. NVollaston, quelque temps après, développa cette même opinion avec sa sagacité ordinaire. Davy l’appuya, a son tour, d’ingénieuses expériences. Aujourd’hui, enfin, cette théorie chimique de la pile règne presque sans purtage parmi les physiciens. \037Je disais, Messieurs, tout à l’heure avec quelque timidité, (juc la pile est le plus merveilleux instrument qu’ait jamais créé l’intelligence humaine. Si dans l’énumération que vous venez d’entendre de ses diverses propriétés, ma voix n’avait pas été impuissante, je pourrais maintenant revenir sans scrupule sur mon assertion, et la regarder comir.c parfaitement établie. \037Suivant quelques biographes, la tête de Volta épuisée par de longs travaux, et surtout par la création de la pile, pc refusa à toute nouvelle production. D’autres ont v u clans un silence obstiné de près de trente années, reflet d’une crainte puérile, à laquelle l’illustre physicien n’aurait |>as eu le courage de se soustraire, Il redoutait, diton, qu’en comparant ses nouvelles recherches à celles de l’électricité, par contact, le public ne se h;\t;U d’en conclure que son intelligence s’était affaiblie. Ces deux ca plications sont sans doute très-ingénieuses, mais elles ont le grand défaut d’être parfaitement inutiles la pile, en effet, c.-t de 1800; or deux ingénieux Mémoires, l’un sur le Phénomène de la yrcle, l’autre sur la Périodicité des \037

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ALE\~1NDRE ~’OLTA, 339 -.1 m 7it-tt’<- \037orales cl le froid qui 1rs accompagne n’ont été publiés que six et dix-sept années après! 1 \037VIE DE VOLTA. FONCTIONS QU’IL A REMPLIES. SON CARACTÈRE. – SA MORT. \037Messieurs, je viens de dérouler devant vous le tableau de In brillante carrière <juc Volta a parcourue. J’ai essayé de caractériser les grandes découvertes dont ce puissent génie a doté les sciences physiques. Il ne me reste plus, pour me conformer à l’usage, qu’à raconter brièvement les principales circonstances de sa vie publique et privée. Les pénibles fonctions dont Volta se trouva chargé. |ircsqi;eau sortir de l’enfance, le retinrent dans sa ville nulale jusqu’en 1777. Cette année, pour la première fois, il s’éloigna des rives pittoresques du lac de Corne, et parcourut la Suisse. Son absence dura peu de semaines; die ne fut d’ailleurs marquée par aucune recherche importante. A Berne, Volta visita l’illustre Haller, qu’un usage immodéré de l’opium allait conduire au tombeau. De la :l se rendit a I’erncy, où tous les genres de mérite étaient assurés d’un bienveillant accueil. Notre immortel compatriote, dans le long entrelien qu’il accorda au jeune professeur, parcourut les branches si nombreuses, si riches, si variées de la littérature italienne; il passa en revue les savants, les poètes, les sculpteurs. les peint ivs dont cette littérature s’honore, avec une supériorité de vues, une délicatesse dégoût, une sûreté <Je jugement qui laissèrent dans l’esprit de Volta des traces iuHl’acablrs. \037

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230 ALEXANDRE VOLTA. \0371. 1. y \037A (ïcnfcvc, Yolta se lia d’une étroite amitié avec le célèbre historien des Alpes, l’un des hommes les plus capables d’apprécier ses découvertes. \037C’était un grand siècle, Messieurs, que celui oîi un voyageur, dans la môme journée, sans perdre lo Jura de vue, pouvait rendre hommage a Saussure, à Haller, à Jean-Jacques, à Voltaire. \037Yolta rentra en Italie par Aigue-Belle, apportant a ses concitoyens le précieux tubercule dont la culture, convenablement encouragée, rendra toute véritable famine impossible. Dans la Lombordie, où d’épouvantables orages détruisent en quelques minutes les céréales répandues pur de vastes étendues de pays, une matière alimentaire qui se développe, croît et mûrit au sein de la terre, à l’abri des atteintes de la grêle, était pour la population tout entière un présent inappréciable. \037Volta avait écrit lui-môme une relation détaillée de sa course en Suisse, mais elle était restée dans les archives lombardes. On doit sa publication récente à un us;gc qui, suivant toute apparence, ne sera pas adopté de si tôt dans certain pays où, sans être lapidé, un écrivain a pu appeler le mariage la plus sérieuse des choses bouffonnes. V.n Italie, où cet acte de notre vie est sans doute envisagé avec plus de gravité, chacun, dans sa sphère, cherche à le signaler par quelque hommage à ses concitoyens. Ce sont les noces de M. Antoine Reina, de Milan, qui, on 18k27, ont fait sortir l’opuscule de Volta des cartons officiels de l’autorité, véritables catacombes où, dans tous 1rs pays, une multitude de trésors vont s’ensevelir sans retour. \037

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AI.EXAXDRE VOLTA. 231 \037Los institutions humaines sont si étranges, que le sort, t le bien-être, tout l’avenir d’un des plus grands génies dont l’Italie puisse se glorifier, étaient à la merci de l’administrateur général de la Lombardie. En choisissant ce fonctionnaire, l’autorité, quand elle était difficile, exigeait, je le suppose, que certaines notions de finances se joignissent au nombre de quartiers de noblesse impérieusement prescrits par l’étiquette; et voilà cependant l’homme qui devait décider, décider sans appel, Messieurs, si Yolta méritait d’être transporté sur un plus vaste théAtre, ou bien si, relégué dans la petite école de. Comc, il serait toute sa vie privé des dispendieux appareils qui, certes, ne suppléent pas le génie, mais lui donnent une grande puissance. Le hasard, hâtons-nous de lo reconnaître, corrigea à l’égard de Volta ce qu’une telle dépendance avait d’insensé. L’administrateur, comte de Finnian, était un ami des lettres. L’école de Pavie devint l’objet do ses soins assidus. Il y établit une chaire de physique, et, en 1779, Volta fut appelé à la remplir. Là, pendant de longues années, une multitude déjeunes gens de tous les pays se pressèrent aux leçons de l’illustre professeur; là ils apprenaient, je ne dirai pas les détails de la science, car presque tous les livres les donnent, mais l’histoire philosophique des principales découvertes; mais de subtiles corrélations qui échappent aux intelligences vulgaires; mais une chose que très-peu de personnes ont le privilège dc divulguer la marche des inventeurs. \037Le largage de Volta était lucide, sans apprêt, inanimé quelquefois, mais toujours empreint de modestie et d’ur- \037

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2)2 ALEXANDRE VOLTA. \037banité, Ces qualités, quand elles s’allient à un mérite du premier ordre, séduisent partout la jeunesse. En Italie, où les imaginations s’exaltent si aisément, elles avaient produit un véritable enthousiasme. Le désir de se parer dans le monde du titre de disciple de Volta contribua pour une large part, pendant plus d’un tiers de Mècle, aux grands succès de l’université du Tésin. \037Le proverbial far mente des Italiens est strictement vrai quant aux exercices du corps. Ils voyagent peu et dans des familles très-opulentes, on trouve tel Romain que les majestueuses éruptions du Vésuve n’ont jamais arraché aux frais ombrages de sa villa; des Florcntins instruits auxquels Saint-Pierre et le Colisée ne sont connus que par des gravures; des Milanais qui toute leur vie croiront sur parole qu’a quelques lieues de distance, il existe une immense ville et des centaines de magnifiques palais bâtis au milieu des flots. Volta ne s’éloigna luimême des rives natales du Lario, que dans des vues scientifiques. Je ne pense pas qu’en Italie ses excursions se soient étendues jusqu’à Naples et à Rome. Si en 1780 nous le voyons franchir les Apennins pour se rendre de Bologne à Florence c’est qu’il a l’espoir de trouver sjv la route, dans les feux de pklra-mala l’occasion de soumettre à une épreuve décisive les idées qu’il a conçues sur l’origine du gaz inflammable natif. Sien 1782, accompagné du célèbre Scarpa, il visite les capitales de l’Allemagne, de la Hollande, de l’Angleterre, de la France, c’est pour faire connaissance avec Lichtcnberg VanMarum, l’n’esflcy, Laplace, Lavoisier; c’est pour enrichir le cabinet de Pavic de certains iiisliumonts de \037

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AI.KXANDRE VOLTA. Î33 t I~â-t’~ a_ a. \037recherches et de démonstration dont les descriptions et les figures les mieux exécutées ne peuvent donner qu’une idée imparfaite. \037D’après l’invitation du général Bonaparte, conquérant de. l’Italie, Voila revint à Paris en 1801. Il y répéta ses expériences sur l’électricité par contact, devant une commission nombreuse de l’Institut. Le premier consul voulut assister en personne à la séance dans laquelle ’es commissaires rendirent un compte détaillé de ces grands phénomènes. Leurs conclusions étaient h peine lues qu’il proposa de décerner à Volta une médaille en or destinée à consacrer la reconnaissance des savants français. Les usages, disons plus, les règlements académiques ne permettaient guère de donner suite à celte demande; mois les règlements sont faits pour des circonstances ordinaires, et le professeur de Pavie venait de se placer hors de ligne. On vota donc la médaille par acclamation; et comme Bonaparte ne faisait rien à demi, le savant vojageur reçut le même jour, sur les fonds de l’ filât, une somme de 2,000 écus pour ses frais de route. La fondation d’un prix de 00,000 francs en faveur de celui qui imprimerait aux sciences de l’électricité ou du magnétisme une impulsion comparable à celle que la première de ces sciences reçut des mains de Franklin et de Volta, n’est pas un signe moins caractéristique de l’enthousiasme que le grand capitaine avait éprouvé. Cette impression fut durable. Le professeur de l’avie était devenu pour Napoléon le type du génie. Aussi le vit-on, coup sur coup, décore" des croix de la Légion d’Honneur et de la Couronne de Fer; nommé membre de ta consulte italienne; \037

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33t ALEXANDRE YOt.TA. \037Il 1 t t ~1_·a( -1 ).11. ’-1- -.z-, \037élevé à la dignité de comte et à celle de sénateur du royaume lombard. Quand l’Institut italien se présentait au pa’ais, si Volta, par hasard, ne se trouvait pas sur les premiers rangs, les brusques questions Ou est Volta? serait-il malade? pourquoi n’est-il pas venu?» » montraient avec trop d’évidence, peut-être, qu’aux yeux du souverain les autres membres, malgré tout leur savoir, n’étaient que de simples satellites de l’inventeur de la pile. « Je ne saurais consentir, disait Napoléon en 1804, à la retraite de Volta. Si ses fonctions de professeur le fatiguent, il faut les réduire. Qu’il n’ait, si l’on \eut, qu’une leçon à faire par an; mais l’université de Pavie serait frappée au cœur le jour ou je permettrais qu’un nom aussi illustre disparût de la liste de ses membres; d’ailleurs, ajoutait-il, un bon général doit mourir au cliomp d’honneur. » Le bon général trouva l’argument irrésistible, et la jeunesse italienne, dont il était l’idole, put jouir encore quelques années de ses admirables leçons. \037Newton, durant sa carrière parlementaire, ne prit, dit-on, la parole qu’une seule fois, et ce fut pour inviter l’huissier de la chambre des commnnes à fermer mie fenêtre dont le courant d’air aurait pu enrhumer l’orateur qui discourait alors. Si les huissiers de L\ on, pendant la consulte italienne; si les huissiers du sénat, à Milan, t avaient été moins soigneux, peut-être que par bonté d’Ame, Voila, ne fût-ce qu’un moment, aurait vaincu son extrême réserve; mais l’occasion manqua, et l’illustre physicien sera inévitablement rangé dans la catégorie Je ces personnages qui, timides ou indifférents, traversent \037

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ALEXANDRE VOLTA. IVi \037pendant de longues révolutions les assemblées populaires les plus animées, sans émettre un avis, sans proférer un mil mot. \037On a dit que le bonheur, comme les corps matériel?, <e compose d’éléments insensibles. Si cette pensée de Franklin est juste, Volta fut heureux. Livré tout entier, malgré d’éminentes dignités politiques, aux travaux do cabinet, rien ne troubla sa tranquillité. Sous la loi de Solon on l’aurait même banni, car aucun des partis qui, pendant près d’un quart de siècle, agitèrent la Lombardie, ne put se vanter de le compter dans ses rangs. Le nom de l’illustre professeur ne reparaissait après la tempête, que comme une parure pour les autorités du jour. Dans l’intimité même, Volta avait la plus vive répugnance pour toute conversation relative aux affaires publiques il no se faisait aucun scrupule d’y couper court dès qu’il en trouvait l’occasion par un de ces jeux de mots qu’en Italie on appelle freddure, et en France calembour. Il faut croire qu’à cet égard une longue habitude ne rend pas infaillible, car plusieurs des freddure du grand physicien, qu’on n’a pas dédaigné de citer, sont loin d’être aussi irréprochables que ses expériences. \037Volta s’était marié en 179’|, h l’âge de quarante-neuf ans, avec mademoiselle Thérèse Peregrini. H en a eu trois fils deux lui ont survécu; l’autre mourut à dix-huit ans, nu moment où il faisait concevoir les plus brillantes espérances. Ce malheur est, je crois, le seul que no’rc philosophe ait éprouvé pendant sa longue carrière. Ses découvertes étaient sans doute trop brillantes pour n’avoir pas éveillé l’envie mais elle n’osa pas les attaquer, \037

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236 ALEXANDRE VOLTA. \037même sous son déguisement le plus habituel jamais elle n’cn contesta la nouveauté. \037Los discussions de priorité ont été de tout temps le supplice des inventeurs. La liaine, car c’est le sentiment qui ordinairement les fait naître, n’est pas difficile dans le choix des moyens d’attaque. Quand les preuves lui manquent, le sarcasme devient son arme de prédilection et elle, n’a que trop souvent le cruel avantage de le rendre incisif. On rapporte qu’llarvey, qui avait résisté avec constance aux nombreuses critiques dont sa découverte fut l’objet, perdit totalement courage lorsque certains adversaires, sous la forme d’une concession, déclareront qu’ils lut reconnaissaient le mérite d1 a coi r fait circuler la circulation ilu aaïuj. l’élicitons-nous, Messieurs, que Voila n’ait jamais essuyé de pareils débats; félicitons ses compatriotes de les lui avoir épargnés. L’école bolonaise crut longtemps sans doute à l’existence d’une électricité animale. D’honorables sentiments de nationalité, lui firent désirer que la découverte de Galvani restât entière; qu’elle ne rerlrât pas, comme cas particulier, dans les grands phénomènes de l’électricité voltaïque et toutefois, jamais elle ne parla de ces phénomènes qu’avec admiration; jamais une bouche italienne ne prononça le nom de l’inventeur de la pile sans l’accompagner & s témoignages les moins équivoques d’estime et de profond respect; sans t’unir a un mot bien expressif dans sa simplicité, bien doux surtout aux oreilles d’un citoyen jamais, depuis Hovérédo jusqu’à Messine, les gens instruits n’appelèrent le physicien de l’avic que uostro Voila. \037

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ALEXANDRE VOLTA. til \037J’ai dit de quclles dignités Napoléon le revêtit. Toutes les grandes académies de l’Europe t’avaient déjà appelé dans leur sein. Il était l’un des huit associés étrangère de la première classe de l’Institut. Tant d’honneurs n’éveillèrent jamais dans l’âme de Volta un mouveineit t d’orgueil. La petite ville de Corne fut constamment son si’jour favori. Les offres séduisantes et réitérées de la Russie ne purent le déterminer à échanger le beau ciel du Milancz contre les brumes de la Newa. \037Intelligence forte et rapide, idées grandes et justes, caractère affectueux et sincère, telles étaient les qualités dominantes de l’illustre professeur. L’ambition, la soif de l’or, l’esprit de rivalité, ne dictèrent aucune de ses actions. Chez lui l’amour de l’étude, c’est l’unicluc passion qu’il ait (prouve, resta pur de toute alliance mondaine. \037Volta avait une taille élevée, des traits nobles et réguliers comme ceux d’une statue antique, un front large que de laborieuses méditations avaient profondément sillonné, un regard où se peignaient également le calme de l’Ame et la pénétration de l’esprit. Ses manières conservèrent toujours quelques traces d’habitudes campagnardes contractées dans la jeunesse. Bien des personnes se rappellent avoir vu Volta à Paris, entrer journellement clicz les boulangers, et manger ensuite dans la rue en «  promenant les gros pains qu’il venait d’acheter, sans meïnc se douter qu’on pourrait en faire la remarque. On me pardonnera, je l’espère, tant de minutieuses particularités, l’ontenellc n’a-t-il pas raconté que Newton a\ait une épaisse chevelure, qu’il ne se servit jamais de \037

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?3ri ALEXAXDRËVOLTA. \0371 .& ~t~1 ,·i.~ \037lunettes, et qu’il ne perdit qu’une seule dent? D’uu.^i grands noms justifient et anoblissent les plus petits détails! 1 \037Lorsque Volta quitta définitivement, en 1819, la charge dont il était revêtu dans l’université du Tésin il se retira a Corne. A partir de cette époque, toutes ses relations avec le monde scientifique cessèrent. A peine recevait-il quelques-uns des nombreux voyageurs qui, attirés par sa grande renommée, allaient lui présenter leurs hommages. En 18*23, une légère attaque d’apoplexie amena de graves symptômes. Les prompts secours de la médecine parvinrent à les dissiper. Quatre ans après, en 1827, au commencement de mars, le vénérable vieillard fut atteint d’une fièvre qui, en peu do jours, anéantit le reste de ses forces. Le 5 de ce même mois, il s’éteignit sans douleur. Il était alors âgé de quatre-vingt-deux ans et quinze jours. \037Corne célébra les obsèques de Volta avec une grande pompe. Les professeurs et les élèves du lycée, les amis (\cs sciences, tous les habitants éclairés de la ville et des cm irons, s’empressèrent d’accompagner jusqu’à leur dernière demeure les restes mortels du savant illustre, du vertueux père de famille, du citoyen charitable. Le bc.iu monument qu’ils ont élevé à sa mémoire, près du pittoresque- village de Camnago, d’où la famille de Volta était originaire, témoigne d’une manière éclatante de la sincérité de leurs regrets. Au reste, l’Italie tout entière s’associa au deuil du Milanez. De ce côlé-ci des Alpes, l’impression fut beaucoup moins vive. Ceux qui ont paru .s’en élonner, avaient-ils remarqué que le même jour, \037

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ALEXANDRE VOLTA. 2J9 \037que presque à la même heure, la France avait perdu l’auteur de la Mécanique céleste? Volta, depuis six ans, n’existait plus que pour sa famille. Sa vive intelligence s’était presque éteinte. Les noms d’éïecfrophore de condensateur, le nom môme de la pile, n’avaient plus le privilège de faire battre son cœur! Laplace, au contraire, conserva jusqu’à son dernier jour cette ardeur, cette vivacité d’esprit, cet amour passionné pour les découvertes scientifiques, qui pendant plus d’un demi-siècle le rendirent l’âme de vos réunions. Lorsque la mort le surprit à l’Age de soixante-dix-huit ans, il publiait une suite au cinquième volume de son grand ouvrage. En réfléchissant à l’immensité d’une telle perte, on reconnaîtra, je ne saurais en douter, qu’il y a eu quelque injustice à reprocher à l’Académie d’avoir, au premier moment, concentré toutes ses pensées sur le coup funeste qui venait tic la frapper. Quant a moi, Messieurs, qui n’ai jamais pu me méprendre sur vos sentiments, toute ma craint o aujourd’hui est de n’avoir pas su faire ressortir au gri de vos désirs les immenses services rendus aux sciences par l’illustre professeur de l’avie. Je me (latte, en tout cas, qu’on ne l’imputera pas à un manque de conviclion. Dons cos moments de douce rêverie, où, passant en revue tous les travaux contemporains, chacun, suivant ses habitudes, ses goûts, la direction de son esprit, choisit avec tant de discernement celui de ces travaux <!<>nt il voudrait de préférence être l’auteur, la Mécanique céleste et la l’ile voltaïque venaient à la fois et toujours sur la même ligne s’offrir ma pensée! l’n académicien voué h l’élude des astres ne pourrait pas donner un \037

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2iO ALEXANDRE VOLTA. \037plus vif témoignage de l’admiration profonde <|ue lui ont toujours inspirée les immortelles découvertes de Volta. La place d’associé étranger, que la mort de Volta laissa vacante, a été remplie par le docteur Thomas Young. Les corps académiques sont heureux, Messieurs, luise m’en se recrutant, ils peuvent ainsi faire succéder le génie au génie. \037

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"&1" IV ,V, .IVI" ’J" ,loi l.-i. t6 \037THOMAS YOUNG \037MOGlUrillK LIE ES SÉANCE PlflLlQlE DE L ACAbl ’MIE lltS SIIKMl>, LE 26 NOVEMBRE 1832. \037Messieurs, la mort qui, sans relâche, éclaircit nos rangs semble diriger ses coups, avec une prédilection cruelle, contre la classe si peu nombreuse des associés étrangers. Dans un court espace de temps, l’Académie a vu disparaître de la liste de ses membres Ilerscliel, dont les idées hardies sur la composition de l’univers acquièrent chaque année plus de probabilité; Piazzi, qui, le premier jour de ce siècle, dota notre système solaire d’une nouvelle planète; Watt, qui fut, sinon l’inventeur de la machine à vapeur, car cet inventeur ctt un Français, du moins le créateur de tant d’admirables combinaisons, à l’aide desquelles le petit appareil de Papin est devenu le plus ingénieux, le plus utile, le plus puissant véhicule de l’industrie; Volta, que sa pile électrique conduira à l’immortalité; Davy, également célèbre par la décomposition des alcalis et par l’inappréciable lampe do sûreté des mineurs; Wollaston, que les Anglais appelaient le Pape, parce qu’il n’avait jamais failli ni dans \037

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îiï THOMAS YOUNG. \037t;es nombreuses expériences ni dans ses subtiles spéculations théoriques; Jenner, enfin, dont je puis me dispenser de qualifier la découverte devant des pères de famille. Payer à de si hautes illustrations le légitime tribut de regrets, d’admiration et de reconnaissance de tous les hommes voués à l’étude, est un des principaux devoirs imposés par l’Académie à ceux qu’elle investit du dangereux honneur de parler en son nom dans ces réunions solennelles. Acquitter cette dette sacrée dans le plus court délai passible ne semble pas une obligation moins impérieuse. En effet, Messieurs, l’académicien regnicole laisse toujours après lui, parmi les confrères que l’élection lui avait donnés, plusieurs confidents de ses plus secrètes pensées, de la filiation de ses découvertes, des vicissitudes qu’il a éprouvées. L’associé étranger, au contraire, réside loin de nous; rarement il s’assied dans cette enceinte; on ne sait rien de sa vie, de ses habitudes, de son caractère, si ce n’est par les récits de quelques voyageurs. Quand plusieurs années ont passé sur ces documents fugitifs, si vous en retrouvez encore des traces, re comptez plus sur leur exactitude les nouvelles littéraires, tant que la presse ne s’en est point saisie, sont une sorte de monnaie dont la circulation altère en même temps l’empreinte, le poids et le titre. \037Ces réflexions feront concevoir comment les noms des Ilcrschol, des Duvy, des Volta, ont dû être prononcés dans nos séances avant ceux de plusieurs académiciens célèbres que la mort a frappés au milieu de nous. Au surplus, d’ici à peu d’instants, je l’espère, personne ne pourra nier que Ic savant univers’ dont je vais raconter \037

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THOMAS YOUNG. 243 \037la vie et analyser les travaux, n’eût des droits réels à quelque préférence. \037NAISSANCE DE ÏOl’NG. – SON ENFANCE. -SES DÉBUTS SCIENTIFIQUES. \037Thomas Young naquit à Milvcrton, dans le comté do Somerset, le 13 juin 1773, de parents qui appartenaient à la secte des Quakers. Il passa ses premières années chez son grand-père maternel, M. Robert Davies, de Mineliead, que d’actives affaires commerciales, par une rare exception, n’avaient pas détourné de la culture des auteurs classiques. Young savait déjà lire couramment à l’Age de deux ans. Sa mémoire était vraiment extraordinaire. Dans les intervalles des longues séances qu’il faisait chez la maîtresse d’école du village voisin de Minehead, il avait appris par cœur, à quatre ans, un grand nombre d’auteurs anglais, et même divers poëmcs latins qu’il pouvait réciter d’un bout à l’autre, quoique alors il ne comprît pas cette langue. Le nom de Young, comme plusieurs autres noms célèbres déjà recueillis par les biographes, contribuera donc à nourrir les espérances ou les craintes de tant de bons pères de famille qui voient, dans quelques leçons récitées sans faute ou mal apprises, ici, les indices certains d’une éternelle médiocrité, là, le début infaillible d’une carrière glorieuse. Nous nous éloignerions étrangement de notre but si ces notices historiques devaient fortifier de tels préjugés. Aussi, sans vouloir affaiblir les émotions vives et pures qu’excitent chaque année les distributions de prix, nous rappellerons \037

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iil THOMAS YOUNG. \037îiiix uns, afin qu’ils ne s’abandonnent pas à des rêves que l’avenir pourra ne point réaliser, aux autres, dans la vue de les prémunir contre le découragement, que Pic de la Mirandole, le phénix des écoliers de tous les temps et de tous les pays, fut dans l’âge mûr un auteur insignifiant que Newton, cette puissante intelligence dont Voltaire a pu dire sans faire crier à l’exagération Confidents du Très-Haut, substances éternelles, \037Qui parez de vos feux, qui couvrez de vos ailes \037Le trône où votre maître est assis parmi vous, \037Pariez, du grand Newton n’étiez-vous point jaloux? 7 \037que le grand Newton, disons-nous, fit, en termes de collège, de tiès-inédiocres classes; que l’étude n’avait d’abord pour lui aucun attrait; que la première fois qu’il éprouva le besoin de travailler, ce fut pour conquérir la place d’un élève turbulent qui, assis, à cause de son rang, sur une banquette supérieure à la sienne, l’incommodait de ses coups de pied qu’à vingt-deux ans, il concourut pour un Fellowship de Cambridge, et fut vaincu par un certain Robert Uvedale, dont le nom, sans cette circonstance, serait aujourd’hui complètement oublié que Fontenelle, enfin, était plus ingénieux qu’exact, lorsqu’il appliquait à Newton ces paroles de Lucain « 11 t n’a pas été donné aux hommes de voir le Nil faible et « naissant. » \037A l’âge de six ans, Young entra chez un professeur de lîristol dont la médiocrité fut pour lui une bonne fortune. Ceci n’est point un paradoxe, Messieurs l’élève, ne pouvant se plier aux allures lentes et compassées du maître, \037

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THOMAS YOUNG. 245 \037devint son propre instituteur, et c’est ainsi que se développeront de brillantes qualités que trop de secours eussent certainement énervées. \037Young avait huit ans, lorsque le hasard, dont le rôle, dans les événements de la vie de tous les hommes, est plus considérable que leur vanité ne juge prudent de l’avouer, vint l’enlever à des études exclusivement littéraires et lui révéler sa vocation. Un arpenteur de beaucoup de mérite, à côté duquel il demeurait, le prit en grande affection. Il l’emmenait quelquefois sur le terrain, les jours de fête, et lui permettait de jouer avec ses instruments de géodésie et de physique. Les opérations à l’aide desquelles le jeune écolier voyait déterminer les distances et les élévations des objets inaccessibles, frappaient vivement son imagination; mais bientôt quelques chapitres d’un dictionnaire des mathématiques firent disparaître tout ce qu’elles semblaient avoir de mystérieux. A partir de ce moment, dans les promenades du dimanche, le quart de cercle remplaça le cerf-volant. Le soir, par voie de délassement, l’apprenti ingénieur calculait les hauteurs mesurées dans la matinée. \037De neuf ans à quatorze, Young demeura à Compton, dans le comté de Dorset, chez un professeur Thomson, dont la mémoire lui fut toujours chère. Pendant ces cinq iiiinéVs, tous les élèves de la pension s’occupèrent exclusivement, suivant les habitudes des écoles anglaises, d’une étude minutieuse des principaux écrivains de la Crècc et de Rome. Young se maintint sans cesse au preinifT rang de sa classe, et cependant il apprit, dans le inf-mo intervalle, le français, l’italien, l’hébreu, le persan \037

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216 THOMAS YOUNO. \037et l’arabe; le français et l’italien, par occasion, afin de satisfaire la curiosité d’un camarade qui avait en sa possession plusieurs ouvrages imprimés à Paris, dont il désirait savoir le contenu; l’hébreu, pour lire la Bible dans l’original; Ic persan et l’arabe, dans la vue de décider cette question qu’une conversation de réfectoire avait soulevée Y a-t-il entre les langues orientales des différences aussi tranchées qu’entre les langues européennes ? \037Je sens le besoin d’avertir que j’écris sur des documents authentiques, avant d’ajouter que pendant qu’il faisait de si fabuleux progrès dans les langues, Young, durant ses promenades autour de Compton, s’était pris d’une vive passion pour la botanique; que, dépourvu des moyens de grossissement dont les naturalistes font usage quand ils veulent examiner les parties les plus délicates des plantes, il entreprit de construire lui-même un microscope, sans autre guide qu’une description de cet instrument donnée par Benjamin Martin; que, pour arriver à ce difficile résultat, il dut acquérir d’abord beaucoup de dextérité dans l’art du tourneur; que les formules algébriques de l’opticien lui ayant présenté des symboles dont il n’avait aucune idée (des symboles de fluxions), il fut un moment dans une grande perplexité; mais que ne voulant pas, enfin, renoncer à grossir ses pistils et ses étamines, il trouva plus simple d’apprendre le calcul différentiel pour comprendre la malencontreuse formule, que d’envoyer à la ville voisine acheter un microscope. La brûlante activité du jeune Young lui avait fait dépasser les bornes des forces humaines. A quatorze ans, \037

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THOMAS YOUNG. 217 \037sa santé fut grièvement altérée. Divers indices firent môme craindre une maladie du poumon; mais ces symptômes menaçants cédèrent aux prescriptions de l’art et aux soins empressés dont le malade fut l’objet de la part de tous ses parents. \037Il est rare, chez nos voisins d’outre-mer, qu’une personne riche, en confiant son fils à un précepteur particulier, ne lui cherche pas un camarade d’étude parmi les jeunes gens du même âge qui déjà se sont fait remarquer par leurs succès. C’est à ce titre que Young devint, en 1787, le condisciple du petit-fils de M. David Barclay, dc. Youngsbury, dans le comté de Hertford. Le jour de son installation, M. Barclay, qui sans doute ne croyait pas avoir le droit de se montrer très-exigeant avec un écolier de quatorze ans, lui donna plusieurs phrases à copier, afin de s’assurer s’il avait une belle écriture. Young, peut-être humilié de ce genre d’épreuve, demanda, pour y satisfaire, la permission de se retirer dans une salle voisine. Son absence ayant duré plus longtemps que la transcription ne semblait devoir l’exiger, M. Barclay commençait à plaisanter sur le manque de dextérité du petit Quaker, lorsque enfin il rentra. La copie étail remarquablement belle un maître d’écriture n’aurait pas mieux fait. Quant au retard, il n’y eut plus moyen d’eu parler, car le petit Quaker, comme l’appelait M. Barclay, ne s’était pas contenté de transcrire les phrases anglaises proposées il les avait encore traduites dans neuf langues différentes. \037Le précepteur, ou, comme on dit sur l’autre rive de la Manche, le Tutor, qui devait diriger les deux écoliers \037

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218 THOMAS YOUNG. \037de Youngsbury, était un jeune homme de beaucoup de distinction, alors tout occupé à se perfectionner dans la connaissance des langues anciennes; c’était l’auteur futur de la Calligraphia grœca. Il ne tarda pas, cependant, ô b sentir l’immense supériorité de l’un de ses deux disciples, et il reconnaissait, avec la plus louable modestie, que, dans leurs communes études, le véritable Tulor n’était pas toujours celui qui en portait le titre. \037A cette époque, Young rédigea, en recourant sans cesse aux sources originales, une analyse détaillée des nombreux systèmes de philosophie qui furent professés clans les différentes écoles de la Grèce. Ses amis parlent de cet ouvrage avec la plus vive admiration. Je ne sais si le public est destiné à jamais en jouir. En tout cas il n’aura pas été sans influence sur la vie de son auteur, car en se livrant à un examen attentif et minutieux des bizarreries (je me sers d’un terme poli) dont fourmillent les conceptions des philosophes grecs, Young sentit s’affaiblir l’attachement qu’il avait eu jusque-là pour les principes de la secte dans laquelle il était né. Toutefois il ne s’en sépara entièrement que quelques années après, pendant son séjour à Édimbourg. \037La petite colonie studieuse de Youngsbury quittait pendant quelques mois d’hiver le comté de Hertford et allait habiter Londres. Durant l’un de ces voyages, Young rencontra un professeur digne de lui. JI fut initié à la chimie par le docteur Higgins, dont je puis d’autant moins me dispenser de prononcer ici le nom, que, malgré ses réclamations vives et nombreuses, on s’est obstiné à ne pas reconnaître la part qui lui revient légitimement \037

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THOMAS YOUNG. 2*9 \037dans la théorie des proportions définies, l’une des plus belles acquisitions de la chimie moderne. \037Le docteur Broklesby, oncle maternel de Young, et l’un des médecins les plus répandus de Londres, justement fier des éclatants succès du jeune écolier, communiquait parfois ses compositions aux savants, aux littérateurs, aux hommes du monde, dont l’approbation pouvait le plus flatter sa vanité. Young se trouva ainsi, de trèsbonne heure, en relation personnelle avec les célèbres Burke et Windham de !a chambre des communes, et avec Je duc de Richmond. Ce dernier, alors grand maître de l’artillerie, lui offrit la place de secrétaire assistant. Les deux autres hommes d’État, quoiqu’ils désirassent aussi l’attacher à la carrière administrative, lui recommandaient d’aller d’abord à Cambridge suivre un cours de droit. Avec d’aussi puissants patrons, Young pouvait compter sur un de ces emplois lucratifs dont les personnages en crédit ne sont jamais avares envers ceux qui les dispensent de toute étude, de toute application, et leur fournissent journellement les moyens de briller à la cour, au conseil, à la tribune, sans jamais compromettre leur vanité par quelque indiscrétion. Young avait, heureusement, la conscience de ses forces; il sentait en lui le germe des brillantes découvertes qui depuis, ont illustré son nom; il préféra la carrière laborieuse, mais indépendante, d’homme de lettres, aux chaînes dorées qu’on faisait briller à ses yeux. Honneur lui soit rendu! f Que son exemple serve de leçon à tant déjeunes gens que l’autorité détourne de leur noble vocation pour les transformer en bureaucrates; que, semblables à Young, les \037

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2.’iO THOMAS YOUNG. \037yeux tournés vers l’avenir, ils ne sacrifient pas à la futile et d’ailleurs bien passagère satisfaction d’être entourés de solliciteurs, les témoignages d’estime et de reconnaissance dont le public manque rarement de payer les travaux intellectuels d’un ordre élevé; et s’il arrivait que, dans les illusions de l’inexpérience, ils trouvassent qu’on leur prescrit un trop lourd sacrifice, nous leur demanderions de recevoir une leçon d’ambition de la bouche du grand capitaine dont l’ambition ne connut pas de bornes; de méditer ces paroles que le premier Consul que le vainqueur de Marengo, adressait à l’un de nos plus honorables collègues (M. Lemercier) le jour où celui-ci, fort coutumier du fait, venait de refuser une place alors très-importante, celle de conseiller d’Ktat \037t J’entends, Monsieur. Vous aimez les lettres et vous « voulez leur appartenir tout entier. Je n’ai rien à oppo«  ser à cette résolution. Oui! moi-même, pensez-vous « que si je n’étais pas devenu général en chef et rinslm«  ment du sort d’un grand peuple, j’aurais couru les « bureaux et les salons pour me mettre dans la dépeii«  danec de qui que ce fut, en qualité de ministre ou «d’ambassadeur? Non, non! je me serais jeté dais « l’étude des sciences exactes. J’aurais fait mon chemin « dons la route des Galilée, des Newton. Et puisque j’ai « réussi constamment dans mes grandes entreprises, eh » bien, je me serais hautement distingué aussi par d?s « travaux scientifiques. J’aurais laissé le souvenir de « belles découvertes. Aucune autre gloire n’aurait pu « tenter mon ambition! » \037Young fit choix de la carrière de la médecine, dans \037

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THOMAS YOUNG. 251 \037’1 \037laquelle il espérait trouver la fortune et l’indépendance. Ses études médicales commencèrent à Londres sous Baillie et Cruickshank il les continua à Edimbourg où brillaient alors les docteurs Black, Munro et Gregory; mais ce fut seulement à Gœttingue que, dans l’année suivante (1795), il prit son grade de docteur. Avant de se soumettre à cette formalité si vaine, et, toutefois, si impérieusement exigée, Young, à peine sorti de l’adolescence, s’était déjà révélé au monde scientifique par une note relative à la gomme Ladanum; par la polémique qu’il avait soutenue contre le docteur Bcddoës au sujet de lu théorie de Crawford sur le calorique par un mémoire concernant les habitudes des araignées et le .système de Fabricius, le tout enrichi de recherches d’érudition; enfin, par un travail sur lequel j’insisterai davantage a. cause de son grand mérite, de la faveur inusitée dont il fut l’objet en naissant, et de l’oubli dans lequel on l’a laissé depuis. \037La Société royale de Londres jouit, dans toute l’étendue des trois royaumes, d’une considération immense et méritée. Les Transactions philosophiques qu’elle public, t sont depuis plus d’un siècle et demi les glorieuses archives où le génie britannique tient à honneur de déposer ses titres à la reconnaissance de la postérité. Le désir de voir inscrire son nom dans la liste des collaborateurs de ce recueil vraiment national, à la suite des noms de Newton, de Bradley, de Pricstley, de Cavendish, a toujours été parmi les étudiants des célèbres universités de Cambridge, d’Oxford, d’Edimbourg, de Dublin, le plus vif comme le plus légitime sujet d’émulation. La, toutefois, \037

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2.J2 THOMAS YOUNG. \037est le dernier terme de l’ambition de l’homme de science; il n’y aspire qu’à l’occasion de quelque travail capital, et les premiers essais de sa jeunesse arrivent au public par une voie mieux assortie à leur importance, à l’aide d’une de ces nombreuses Revues qui, chez nos voisins, ont tant contribué aux progrès des connaissances humaines. Tel est le cours ordinaire des choses; telle, conséquetnment ne devait pas être la marche de Young. A vingt ans, il adresse un Mémoire à la Société royale; le Conseil, composé de toutes les notabilités contemporaines, honore ce travail de son suffrage, et bientôt il paraît dans les Transactions. 1.’auteur y traitait de la vision. \037THÉORIE DE LA VISION. \037Le problème n’était rien moins que neuf. Platon et ses disciples, quatre siècles avant notre ère, s’en occupaient déjà mais aujourd’hui leurs conceptions ne pourraient guère être citées que pour justifier cette célèbre et trèspeu flatteuse sentence de Cicéron On ne saurait rien imaginer de si absurde qui n’ait trouvé quelque philosophe capable de le soutenir » \037Après avoir traversé un intervallc de deux mille ans, il faut, de la Grèce, se transporter en Italie, quand on veut trouver sur l’admirable phénomène de la vision, des idées qui méritent un souvenir de l’historien. Là sans avoir jamais, comme le philosophe d’Kgine, interdit faslueuscment leur école tous ceux qui n’étaient pas géomètres, des expérimentateurs prudents jalonneront la \037

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THOMAS YOUNG. 253 \037aulc ruute par laquelle il soit donné à l’homme d’arriver sans faux pas à la conquête de régions inconnues; là, Maurolycus et Porta crieront à leurs contemporains que le problème de découvrir ce qui est présente assez de difficultés pour qu’il soit au moins bien présomptueux de se jeter dans le monde des intelligences à la recherche de ce qui doit être; là ces deux célèbres compatriotes d’Archimède commenceront à dévoiler le rôle des divers milieux dont l’œil est composé et se montreront résignés, comme le furent plus tard Galilée et Newton, à ne pas s’élever au-dessus des connaissances susceptibles d’être élaborées ou contrôlées par nos sens, et qu’on stigmatisait, sous les portiques de l’Académie, de la clualification dédaigneuse de simple opinion. Telle est, toutefois, la faiblesse humaine, qu’après avoir suivi, avec un rare bonheur, les principales inflexions de la lumière à travers la cornée et le cristallin Maurolycus et Porta, près d’atteindre le but, s’arrêtent tout à coup, comme devant une insurmontable difficulté, dès qu’on oppose à leur théorie que les objets doivent paraître sens dessus dessous si les images dans l’oeil sont elles-mêmes renversées. L’esprit aventureux de Kepler, au contraire, ne se laisse pas ébranler. C’est de la psychologie que pari l’attaque, c’est par de la psychologie claire, précise, mathématique, qu’il renverse l’objection. Sous la main puissante de ce grand homme, l’œil devient, définitivement, le simple appareil d’optique connu sous Ic nom de chambre obscure la rétine est le tableau, le cristallin remplace la lentille vitreuse. \037Cette assimilation, généralement adoptée depuis Kepler, \037

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25i THOMAS YOUNG. \0371 -1. a" .1.J:4~I.( 1. \037ne donnait prise qu’à une seule difficulté. La chambre obscure, comme une lunette ordinaire, doit être mise au point, suivant l’éloignement des objets. Quand ces objets .«o rapprochent, il est indispensable d’écarter le tableau de la lentille un mouvement contraire devient nécessaire si les objets s’éloignent. Conserver aux images toute la netteté désirable sans changer la position de la surface qui les reçoit, est donc impossible, à moins toutefois que la courbure de la lentille ne puisse varier qu’elle s’accroisse quand on vise à des objets voisins, qu’elle diminue pour des objets éloignés. \037Parmi ces divers modes d’obtenir des images distinctes, la nature a fait inévitablement un choix, car l’homme peut voir avec une grande netteté à des distances fort dissemblables. La question ainsi posée a été pour les physiciens un vaste sujet de recherches et de discussions; de grands noms figurent dans ce débat. \037Kepler, Descartes. soutiennent que l’ensemble du globe de l’oil est susceptible de s’allonger et de s’aplatir. l’oterfield, Zinn. veulent que la lentilte ci-istalliiie soit mobile; qu’au besoin elle puisse aller se placer plus ou moins loin de la rétine. \037Jurin, Musschenbrocck. croient à un changement dans la courbure de la cornée. \037Sauvages, Bourdclot.. font aussi intervenir une variation do courbure, mais dans le cristallin seulement. Tel est aussi le système de Young. Deux mémoires dont notre confrère fit successivement hommage à la Société royale de Londres, en reuferment le développement complet. \037

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THOMAS YOUNG. 2>5 \037Dans le premier, la question n’est guère envisagée que sous le point de vue anatomique. Young y démontre, à l’aide d’observations directes et très-délicates, que le cristallin est doué d’une constitution fibreuse ou musculaire, admirablement adaptée à toutes sortes de changemonts de forme. Cette découverte renversait la seule objection solide qu’on eût, jusque-là, opposée à l’hypothèse de Sauvages, de Bourdelot, etc. A peine fut-elle publiée que Hunter la réclama. Le célèbre anatomiste servait ainsi les intérêts du jeune débutant, puisque son travail resté inédit n’avait été communiqué à personne. Au surplus ce point de la discussion perdit bientôt toute importance un érudit montra, en effet qu’armé de ses puissants microscopes, Leuwenhoeck suivait et dessinait dt’ja dans toutes leurs ramifications, les fibres musculaires du cristallin d’un poisson. Pour réveiller l’attention publique fatiguée de tant de débats, il ne fallait rien moins que la haute renommée des deux nouveaux membres de la Société royale qui entrèrent en lice. L’un anatomiste consommé, l’autre, le plus célèbre artiste dont l’Angleterre puisse se glorifier, présentèrent à la Société royale un mémoire, fruit de leurs efforts combiné, et destiné à établir l’inaltérabilité complète de la forme du cristallin. Le monde savant aurait difficilement admis que sir Everard Home et Ramsden réunis eussent pu faire des expériences inexactes; qu’ils se fussent trompés dans des mesures micrométriques. Young luimé’me ne le crut point; aussi n’hésita-t-il pis a renoncer publiquement à sa théorie. Cet empressement à se reconnaître vaincu, si rare dans un jeune homme de vingt-cinq \037

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256 THOMAS YOUNG. \037ans, si rare surtout à l’occasion d’une première publication, était ici un acte de modestie sans exemple. Young, en effet, n’avait rien à rétracter. En 1800, après avoir retiré son désaveu, notre confrère développa de nouveau la théorie de la déformation du cristallin dans un mémoire auquel, depuis, on n’a pas fait d’objection sérieuse. \037Rien de plus simple que son argumentation rien dc plus ingénieux que ses expériences. Young élimine d’abord l’hypothèse d’une variation de courbure dans la cornée, à l’aide d’observations microscopiques qui auraient rendu les plus petites variations appréciables. I lisons mieux il place l’œil dans des conditions particulières où les changements de courbure seraient sans nul effet il le plonge dans l’eau, et prouve qu’alors môme la faculté de voir à diverses distances persiste en son entier. \037La seconde des trois suppositions possibles, celle d’une altération dans les dimensiojis de t’organe, est ensuite renversée par un ensemble d’objections et d’expériences auxquelles il serait difficile de résister. \037Le problème semblait irrévocablement résolu. Qui ne comprend, en effet, que si, de trois solutions possibîes, deux sont écartées, la troisième devient nécessaire; que le rayon de courbure de la cornée et le diamètre longitudinal de l’œil étant inaltérables, il faut bien que la forme du cristallin puisse varier? Young, toutefois, ne s’arrête pas là il prouve directement, par de subtils phénomènes de déformation des images, que le cristallin change réellement de courbure; il invente, ou du moins il perfec- \037

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THOMAS YOUNG. i-,1 \037i i i • i 1 1« If ̃ \037lionne un instrument susceptible d’être employé par les personnes les moins intelligentes, les moins habituées à des expériences délicates, et, armé de ce nouveau moyen d’investigation, il s’assure que tous les hommes chez lesquels n.anquc le cristallin à la suite de l’opération de la cataracle, ne jouissent plus de la faculté de voir nettement à dilîércntes distances. \037On peut véritablement s’étonner que cette admirable théorie de la vision, que ce réseau, si bien tissu, où le raisonnement et les plus ingénieuses expériences sc prêtent sans cesse un mutuel appui, n’occupe pas encore dans la science Ic rang distingué qui lui appartient; mais, pour expliquer cette anomalie, doit-on nécessairement recourir à une sorte de fatalité? Young aurait-il donc été, comme lui-même le disait souvent avec dépit, une nouvelle Cassandre proclamant sans relâche d’importantes vérités que ses contemporains ingrats refusaient d’accueillir? On serait moins poétique, et plus vrai ce me semble, en remarquant que les découvertes d’ Young n’ont pas été connues de la plupart de ceux qui auraient pu Ics apprécier les physiologistes ne lisent pas son beau mémoire, car il suppose plus de connaissances mathématiques qu’on n’en cultive ordinairement dans les facultés; les physiciens l’ont dédaigné à leur tour, parce que, dans les cours oraux ou dans les ouvrages imprimés, le public ne demande plus guère aujourd’hui que ces notions superficielles dont un esprit vulgaire se pênèlro sans aucune fatigue. Dans tout ceci, quoi qu’en ait pu croire notre illustre confrère, nous n’apercevons rien n d’exceptionnel comme tous ceux qui sondent les derJ.- r. 17 7 \037

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?58 THOMAS YOUNG. \037nicres profondeurs de la science, il a été méconnu de la foule mais les applaudissements de quelques hommes d’élite auraient dû le dédommager. En pareille matière, on ne doit pas compter les suffrages, il est plus sage de les peser. \037INTERFÉRENCES. \037La plus belle découverte du docteur Young, celle qoi rendra son nom à jamais impérissable, lui fut suggérée par un objet en apparence bien futile par ces bulles d’eau savonneuse, si vivement colorées, si légères, qui, à peine échappées du chalumeau de l’écolier, deviennent le jouet des plus imperceptibles courants d’air. Devant un auditoire aussi éclairé, il serait sans doute superflu de remarquer que la difficulté de produire un phénomène, sa rareté, son utilité dans les arts, ne sont pas les indices nécessaires de l’importance qu’il doit avoir dans la science. J’ai donc pu rattacher à un jeu d’enfant la découverte que je vais analyser avec la certitude qu’elle ne souffrirait pas de cette origine. En tout cas, je n’aurais besoin de rappeler ni la pomme qui, se détachant de sa branche et tombant inopinément aux pieds de Newton, éveilla les idées de ce grand homme sur les lois simples et fécondes qui régissent les mouvements célestes ni la grenouille et le coup de bistouri, auxquels la physique a été récemment redevable de la merveilleuse pile de Yolfa. Sans articuler, en effet, le nom de bulles de savon, je supposerais qu’un physicien eût choisi pour sujet de ses expériences l’eau distillée, c’est-à-dire un liquide qui dans son état de pureté, ne se revêt de quelques légères \037

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THOMAS VOUNC. *i9 \037nu.-inccsdc bleu et de vert, à peine sensibles, qu’a travers de grandes épaisseurs. Je demanderais ensuite ce qu’on penserait de sa véracité s’il venait, sans autre explication, annoncer que, cette eau si limpide, il peut a volonté lui communiquer les couleurs les plus resplendissantes; qu’il sait la rendre violette, bleue, verte; qu’il sait la rendre jaune comme l’écorce du citron rouge comme l’écarlatc, sans pour cela altérer sa pureté, sans la mêler à aucune substance étrangère, sans changer tes proportions de ses principes constituants gazeux. Le puhlic ne regarderait-il pas notre physicien comme indigne de toute croyance, lorsque après d’aussi étranges propositions, il ajouterait que, pour engendrer la couleur dans l’cau, il suffit de l’amener à l’état d’une véritable pellicule que mince est, pour ainsi dire, synonyme de coloré; que le passage de chaque teinte à la teinte la plus différente est la suite nécessaire d’une simple variation d’épaisseur de la lame liquide; que cette variation, dans le passage du rouge au vert, par exemple n’est pas la millième partie de l’épaisseur d’un cheveu Eh bien, ces incroyables théorèmes ne sont, cependant, que los conséquences inévitables des accidents de coloration présentés par les bulles liquides soufflées, et même par tes lames minces de toutes sortes de corps. \037Pour comprendre comment de tels phénomènes ont pendait plus de vingt siècles, journellement frappé les yeux des physiciens sans exciter leur attention, on a M’iiiment besoin de se rappeler à combien peu de personnes la nature départit la précieuse faculté de s’étonner a propos. \037

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200 THOMAS VOUNG. \037Boylc pénétra le premier dans cette mine féconde. Il se borna, toutefois, à la description minutieuse des circonstances variées qui donnent naissance aux iris. Hooke, son collaborateur, alla plus loin. Il crut trouver la cause de ce genre de couleurs dans les entre-croisements des rayons, ou, pour parler son propre langage, dans les entie-croi-onients des ondes réfléchies par les deux surfaces de la lame mince. C’était, comme on verra, un trait de génie; mais il ne pouvait être saisi à une époque où la nature complexe de la lumière blanche était encore ignorée. \037Newton fit des couleurs des lames minces l’objet de son étude de prédilection. Il leur consacra un livre tout entier de son célèbre traité d’optique; il établit les lois de leur formation par un enchaînement admirable d’ expériences que personne n’a surpassé depuis. En éclairant avec de la lumière homogène les iris si réguliers dont llooke avait déjà fait mention, et qui naissent autour du point de contact de deux verres lenticulaires superposés, il prouva que, pour chaque espèce de couleur simple, il existe dans les lames minces de toute nature une férié d’épaisseurs croissantes où aucune lumière ne se réfléchit. Ce résultat était capital il renfermait la clef do tous ces phénomènes. \037Newton fut moins heureux dans les vues théoriques que cette remarquable observation lui suggéra. Dire, avec lui, du rayon lumineux qui se réfléchit, qu’il est dans un areïs de facile réflexion; dire du rayon qui Iraverse la lame tout entier, qu’il est dans un acete de facile transmission, qu’est-ce donc autre chose qu’énon- \037

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TIIOMAS YOUNG. 251 \037cer en termes obscurs ce que l’expérience des deux lentilles nous avait appris? ’1 \037La théorie de Thomas Young échappe à cette critique. Ici on n’admet plus d’accès d’aucune espèce comme propriété primordiale des rayons. La tame mince se trouve d’ailleurs assimilée, sous tous les rapports, a un miroir épais de la même substance. Si, dans certains de ces points, aucune lumière ne se voit, Young n’en conclut pas que la réflexion y ait cessé il suppose que dans les directions spéciales de ces points les rayons réfléchis par la seconde face, allant à la rencontre des rayons réfléchis par la première, les anéantissent complétement. C’est ce conflit que l’auteur a désigné par le nom maintenant si fameux d’interférence. \037Voilà, sans contredit, la plus étrange des hypothèses 1 On devait certainement se montrer très-surpris de trouver la nuit en plein soleil, dans des points où des rayons de cet astre arrivaient librement mais qui se fut imaginé qu’on en viendrait à supposer que l’obscurité pouvait être engendrée en ajoutant de la lumière à de la lumière 1 \037Un physicien est justement glorieux quand il peut annoncer quelque résultat qui choque à ce degré-là les idées communes; mais il doit, sans retard, l’étayer de preuves démonstratives, sous peine d’être assimilé a ces écrivains orientaux dont les fantasques rêveries charmèrent mille et une nuits du sultan Schahriar. Young n’eut pas cette prudence. II montra d’abord que .«a théorie pouvait s’adapter aux phénomènes, mais sans aller au delà des possibilités. Lorsque, plus tard, il \037

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262 THOMAS YOUNO. \037arriva aux preuves véritables le public avait des préventions et il ne put pas les vaincre. Cependant, l’expérience dont notre confrère faisait alors surgir sa mémorable découverte ne saurait exciter l’ombre d’un doute. Deux rayons provenant d’une même source allaient, par des routes légèrement inégales, se croiser en un certain point de l’espace. Dans ce point, on plaçait une feuille de beau papier. Chaque rayon, pris isolément, la faisait briller du plus vif éclat; mais quand les deux rayons se réunissaient, quand ils arrivaient simultanément sur la feuille, toute clarté disparaissait la nuit la plus complète succédait au jour. \037Deux rayons ne s’anéantissent pas toujours complètement dans le point de leur intersection. Quelquefois on n’y observe qu’un affaiblissement partiel; quelquefois aussi les rayons s’ajoutent. Tout dépend de la différence de longueur des chemins qu’ils ont parcourus, et cela suivant des lois très-simples dont la découverte, dans tous les temps, eût suffi pour immortaliser un physicien. \037Les différences de route qui amènent entre les rayons, dos conflits accompagnés de leur destruction entière, n’ont pas la même valeur pour des lumières diversement colorées. Lorsque deux rayons blancs se croisent, il est donc possible que l’un de leurs principes constituants, le rouge, par exemple, se trouve seul dans des conditions de destruction. Mais le blanc moins le rouge, c’est du vert! Ainsi l’interférence lumineuse se manifeste alors par des phénomènes de coloration; ainsi, les diverses cojleurs élémentaires sont mises en évidence, sans qu’aucun \037

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THOMAS YOUNG. 563 \037prisme les ait séparées. Qu’on veuille bien, maintenant, remarquer qu’il n’existe pas un seul point de l’espace où mille rayons de même origine n’aillent se croiser après des réflexions plus ou moins obliques, et l’on apercevra, d’un coup d’oeil, toute l’étendue de la région inexplorée que les interférences ouvraient aux investigations des physiciens. \037Lorsque Young publia cette théorie, beaucoup de phénomènes de couleurs périodiques s’étaient déjà offerts aux observateurs; on doit ajouter qu’ils avaient résisté à toute cxplication. Dans le nombre, on peut citer les anneaux qui se forment par voie de réflexion, non plus sur de minces pellicules, mais sur des miroirs de verre épais légèrement courbes; les bandes irisées de diverses largeurs dont les ombres des corps sont bordées en dehors et parfois couvertes intérieurement, que Grimaldi aperçut le premier, qui plus tard exercèrent inutilement le génie do Newton, et dont la théorie complète était réservée à l’resnol les arcs colorés rouges et verts qu’on aperçoit tu nombre plus ou moins considérable immédiatement au-dessous des sept nuances prismatiques de l’arc-enciel principal, et qui semblaient si complètement inexplicables, qu’on avait fini par n’en plus faire mention dans les (mités de physique; ces couronnes, enfin, aux couleurs tranchées, aux diamètres perpétuellement variables, qui souvent paraissent entourer le soleil et la lune. Si je me rappelle combien de personnes n’apprécient les théories scientifiques qu’à raison des applications immédiates qu’elles peuvent offrir je ne saurais terminer celte ^numération de phénomènes que caractérisent dos \037

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264 THOMAS YOUNG. \037séries plus ou moins nombreuses de couleurs périodiques, sans mentionner les anneaux si remarquables par la régularité de leur forme et par la pureté de leur éclat, dont toute lumière un peu vive paraît entourée quand on l’examine au travers d’un amas de molécules ou de filaments d’égales dimensions. Ces anneaux, en effet, suggérèrent Young l’idée d’un instrument extrêmement simple qu’il appela un ériomïtre, et avec lequel on mesure sans difficulté les dimensions des plus petits corps. L’ériomclrc» encore si peu connu des observateurs, a sur le microscope l’immense avantage de donner d’un seul coup la grandeur moyenne des millions de particules qui se trouvent comprises dans le champ de la vision. Il possède, de plus, l.i propriété singulière de rester muet lorsque les particules diffèrent trop entre elles, ou, en d’autres termes, lorsque la question de déterminer leurs dimensions n’a véritablement aucun sens. \037Young appliqua son ériomètre à la mesure des globules du sang de différentes classes d’animaux; à celle des poussières que diverses espèces végétales fournissent; à la mesure de la finesse des fourrures employées dans les manufactures de tissus, depuis celle du castor, la plus précieuse de toutes, jusqu’aux toisons des troupeaux communs du comté de Sussex, qui, placés à l’autre extrémité de l’échelle, se composent de filaments quatre fcis et demie aussi gros que les poils de castor. \037Avant Young, les nombreux phénomènes de coloration quo je viens d’indiquer étaient non-seulement inexpliqués, mais rien ne les liait entre eux. Newton, qui s’en occupa si longtemps, n’avait, par exemple, aperçu \037

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THOMAS YOUNG. 2C!> \037aucune connexité entre les iris des lames minces et les bandes de la diffraction. Young amena ces deux espèces de stries colorées à n’être que des effets d’interférence. l’lus tard, quand la polarisation chromatique eut été découverte, il puisa dans quelques mesures d’épaisseur des analogies numériques remarquables, très-propres a faire présumer que, tôt ou tard, ce genre bizarre de polarisation se rattacherait a sa doctrine. 11 y avait là, toutefois, on doit l’avouer, une immense lacune à remplir. D’importantes propriétés de la lumière alors complétcment ignorées ne permettaient pas de concevoir tout ce que, dans certains cristaux et dans certaines natures de coupes, la double réfraction engendre de singularités par les destructions de lumière qui résultent des entre-croisements de faisceaux; mais c’est à Young qu’appartient l’honneur d’avoir ouvert la carrière; c’est lui qui le premier, a commencé à débrouiller ces hiéroglyphes do l’optique. \037IIIÉROGLIPHt:S tG)’PTlDS, titST0IRF lit; LA l’RDlIl:ltt: HIÉROGLYPHES ÉCYPTIE.VS. – HISTOIRE DE H i’REMIERK INTERPRÉTATION EXACTE Qll EX AIT ÉTÉ HOWÉE. \037Le mot d’hiéroglyphe envisagé, non plus métaphoriquement, mais dans son acception naturelle, nous transporte sur un terrain qui a déjà été le théâtre de débats nombreux et bien animés. J’ai hésité un moment à affronter les passions que cette question a soulevées. Le secrétaire d’une académie exclusivement occupée des sciences exactes, pourrait, en effet, sans nulle inconvenance, renvoyer ce procès philologique à des juges plus compétents. Je craignais, d’ailleurs, je l’avouerai, de melrou- \037

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200 THOMAS YOUNG. \037ver en désaccord, sur plusieurs points importants, avec le savant illustre dont il m’a été si doux d’analyser les travaux sans qu’un seul mot de critique ait dû jusqu’ici, venir se placer sous ma plume. Tous ces scrupules se sont évanouis lorsque j’ai réfléchi que l’interprétation des liiéroglyplies égyptiens est l’une des plus belles découvertes de notre siècle; que Young a lui-môme mêlé mon nom aux discussions dont elle a été l’objet; qu’examiner, enfin, si la France peut prétendre à ce nouveau titre de gloire, c’est agrandir la mission que je remplis en ce moment, c’est faire acte de bon citoyen. Je sais d’avance tout ce qu’on trouvera d’étroit dans ces sentiments; je n’ignore pas que le cosmopolitisme a son bon côté, mais, on vérité, de quel nom ne pourrais-je pas le stigmatiser, si, lorsque toutes les nations voisines énumèrent avec bonheur les découvertes de leurs enfants, il m’était interdit de chercher dans cette enceinte même, parmi des confrères dont je ne me permettrai pas de blesser la modestie, la preuve que la France n’est pas dégénérée; qu’elle, aussi, apporte chaque année son glorieux contingent dans le vaste dépôt des connaissances humaines 1. \037J’aborde donc la question de l’écriture égyptienne; je l’aborde, libre de toute préoccupation; avec la ferme 1. I n reproduisant une partie de ce chapitre sur les hiéroglyphes /•{ryptfens, dans l’Annuaire du Bureau des longitudes pour 1830, M. Arago a ajouté a La première interprétation exacte qu’or ait donnée des hiéroglyphes égyptiens figurera certainement au premier rang jarrnt les plus belles découvertes de notre siècle; d’ailleurs, après les débats animés qu’elle a fait naître, chacun doit désirer j-avoir .’il la France peut, consc!enc!eu*emr>tf, prétendre ce nou- \037

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THOMAS YOUNO. 267 \037volonté d’être juste, avec le vif désir de concilier les prétentions rivales des deux savants dont la mort prématurée a été pour l’Europe entière un si légitime sujet de regrets. Au reste., je ne dépasserai pas dans cette discussion sur les hiéroglyphes, les bornes qui me sont tracées; heureux si J’auditoire qui m’écoute, et dont je réclame l’indulgence, trouve que j’ai su échopper à l’influence d’un sujet dont l’obscurité est devenue proverbiale r Les hommes ont imaginé deux systèmes d’écriture entièrement distincts. L’un est employé chez les Chinois c’est le système hiéroglyphique; le second, en usage actuellement chez tous les autres peuples, porte le nom de système alphabétique ou phonétique. \037Les Chinois n’ont pas de lettres proprement dites. Les caractères dont ils se servent pour écrire, sont de véritables hiéroglyphes ils représentent non des sons, non des articulations, mais des idées. Ainsi maison s’exprime à l’aide d’un caractère unique et spécial, qui ne changerait pas, quand môme tous les Chinois arriveraient à désigner une maison, dans la langue parlée, par un mot totalement différent de celui qu’ils prononcent aujourd’hui. Ce résultat vous surprend-il? Songez a nos chiffres, qui sont aussi des hiéroglyphes. L’idée de l’unité ajoutée sept fois à elle-même s’exprime partout, en France, en Angleterre, en Espagne, etc., à l’aide de deux ronds veau titre de gloire. Ainsi l’importance de la question tt l’amour|’i’O|>re national bien entendu se sont réunis pour m ’encourager à l’iiMier le résultat de l’examen minutieux auquel je me suis livré. l’uissé-jo ne m’eire pas trop aveuglé sur le dangf-r qu’il y a toujours à aliordor des sujets difficiles, dans des matières dont on ne fait pas le sujet spécial de ses études. » \037

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268 THOMAS YOUNG. \037superposés verticalement et se touchant par un seul point; mais en voyant ce signe idéographique (8), le Français prononce huit; l’Anglais cighl,- l’Espagnol ocho. Personne n’ignore qu’il en est de même des nombres composas. Ainsi, pour le dire en passant, si les signes idéographiques chinois étaient généralement adoptés, comme le sont les chiffres arabes, chacun lirait dans sa propre langue les ouvrages qu’on lui présenterait, sans avoir besoin de connaître un seul mot de la langue parlée par les auteurs (jui les auraient écrits. \03711 n’en est pas ainsi des écritures alphabétiques Celui de qui nous vient cet art ingénieux \037De peindre la parole et de parler aux yeux, \037ayant fait la remarque capitale, que tous les mots de la langue parlée la plus riche se composent d’un nombre Ires-borné de sons ou articulations élémentaires, inventa des signes ou lettres, au nombre de vingt-quatre ou trente, pour les représenter. A l’aide de ces signes, diversement combinés, il pouvait écrire toute parole qui venait frapper son oreille, même sans en connaître la signification. \037L’écriture chinoise ou hiéroglyphique semble l’enfance de l’art. Ce n’est pas, toutefois, ainsi qu’on le disait jadis, que pour apprendre à la lire, il faille, en Chine même, la longue vie d’un mandarin studieux. Rémusat, dont je 110 puis prononcer le nom sans rappeler l’une des pertes les plus cruelles que les lettres aient faites depuis longtemps, n’avait-il pas établi, soit par sa propre expérience, scit par les excellents élèves qu’il formait tous les ans dans \037

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THOMAS VOUNG. M9 \037scs cours, qu’on apprend le chinois comme toute autre langue. Ce n’est pas non plus, ainsi qu’on l’imagine au premier abord, que les caractères hiéroglyphiques se prêtent seulement à l’expression des idées communes quelques pages du roman Yu-kiao-li, ou les Deux Cousines, suffiraient pour montrer que les abstractions les plus subtiles, les plus quintessenciées, n’échappent pas à l’écriture chinoise. Le principal défaut de cette écriture serait de ne donner aucun moyen d’exprimer des noms nouveaux. Un lettré de Canton aurait pu mander par écrit a Pékin, que le 14 juin 1800, la plus mémorable batail!c sauva la France d’un grand péril mais il n’aurait su comment apprendre à son correspondant, en caractères purement hiéroglyphiques, que la plaine ou se passa ce glorieux événement était près du village de Mairngo, et que le général victorieux s’appelait Bonaparte. Un peuple citez lequel la communication de noms propres, de ville à ville, ne pourrait avoir lieu que par l’envoi de messagers, en serait, comme on voit, nix premiers rudiments de la civilisation aussi tel n’est pas le cas du peuple chinois. Les caractères hiéroglyphiques constituent bien la masse de leur écriture; mais quelquefois, et surtout quand il faut écrire un nom propre, on les dépouille de leur signification idéographique, pour les réduire à n’exprimer que des sons et des articulations, pour en faire de véritables lettres. \037Ces prémisses ne sont pas un hors-d’œuvre. Les questions de priorité que les méthodes graphiques de l’Egypte, ont soulevées vont être maintenant faciles a expliquer et à comprendre. Nous allons, en effet, trouver dans les \037

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270 0 THOMAS VOUNG. \037hiéroglyphes de l’antique peuple des Pharaons tous les artifices dont les Chinois font usage aujourd’hui. Plusieurs passages d’Hérodote, de Diodore de Sicile, de saint Clément d’Alexandrie, ont fait connaître que les l-lgypliens se servaient de deux ou trois sortes d’écritures, et que dans l’une d’elles, au moins, les caractères symboliques ou représentatifs d’idées jouent un grand rôle. Iîorapollon nous a même conservé la signification d’un certain nombre de ces caractères; ainsi, l’on sait que Yêpcnier désignait Y âme; Y ibis, le cœur; la colombe (ce qui pourra paraître assez étrange), un homme violent; i la (lu te, Y homme aliéné; le nombre seize, la volupté; une (jrcnouille, V homme imprudent; la fourmi, le savoir; un nœud coulant, Y amour; etc., etc. \037Les signes ainsi conservés par Horapollon ne formaient qu’une très-petite partie des huit à neuf cents caractères qu’on avait remarqués dans les inscriptions monumentales. Les modernes, Kircher entre autres, essayèrent d’en accroître le nombre. Leurs efforts ne donnèrent aucun résultat utile, si ce n’est de montrer à quels écarts s’exposent les hommes les plus instruits, lorsque, dans la recherche des faits, ils s’abandonnent sans frein à leur imagination. Faute de données, l’interprétation des écritures égyptiennes paraissait depuis longtemps à tous les bons esprits un problème complétement insoluble, lorsqu’en 1709, M. Boussard, officier du génie, découvrit, dans les fouilles qu’il faisait opérer près de Rosette, uno large pierre couverte de trois séries de caractères parfaitement distincts, l’ne de ces séries était du grec. Celle-là, malgré quelques mutilations, fit clairement connaître que \037

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THOMAS YOUNG. 271 \037les auteurs du monument avaient ordonné que la mCwe inscription s’y trouvât tracée en trois sortes de caractère. savoir, en caractères sacrés ou hiéroglyphiques égyptiens, en caractères locaux ou usuels, et en lettres grecques ainsi, par un bonheur inespéré, les philologues se trouvaient en possession d’un texte grec ayant en regard sa traduction en langue égyptienne, ou, tout au moins, une transcription avec les deux sortes de caractères anciennement en usage sur les bords du Nil. \037Cette pierre de Rosette, devenue depuis si célèbre, et dont M. Boussard avait fait hommage à l’Institut du Caire, fut enlevée à ce corps savant à l’époque ou l’armée française évacua l’Egypte. On la voit maintenant au musée lie Londres, où elle figure, dit Thomas Young, comme un monument de la valeur britannique. Toute valeur a part, le célèbre physicien eût pu ajouter, sans trop de partialité, que cet inappréciable monument bilingue témoignait aussi quelque peu des vues avancée s qui a voient présidé à tous les détails de la mémorable expédition d’Egypte, comme aussi du zèle infatigable des s savants illustres dont les travaux, exécutés souvent sous le feu de la mitraille, ont tant ajouté à la gloire de leur patrie. L’importance de l’inscription de Rosette !< s frappa, en effet, si vivement, que, pour ne pas abandonner ce précieux trésor aux chances aventureuses d’un \ojagc maritime, ils s’attachèrent à l’envi, dès l’origine, à le reproduire, par de simples dfssins, par des contreépreuves obtenues à l’aide des procédés de l’imprimerie en taille-douce, enfin, par des moulages en plAIre ou c:i soufre. Il faut môme ajouter que les antiquaires de tous \037

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tli 2 THOMAS YOUNG. \037les pays ont connu pour la première fois la pierre de Rosette à l’aide des dessins des savants français. l’n des plus illustres membres de l’Institut, M. Silvestre de Sacy, entra le premier, dès l’année 1802, dais la carrière que t’inscription bilingue ouvrait aux investigations des philologues. Il ne s’occupa toutefois que du texte égyptien en caractères usuels. Il y découvrit les groupes qui représentent différents noms propres et leur Ainsi, dans l’une des (]eux écritures, \037nature phonétique. Ainsi, dans l’une des deux écritures, au moins, les égyptiens avaient des signes de sons, de \éritol>les Cet important résultat ne trouva plus de contradicteurs, lorsqu’un savant suédois, M. Akcrblad, perfectionnant le travail de notre compatriote, eut assigné, avec une probabilité voisine de la certitude, la valeur phonétique individuelle des divers caractères emdans la transcription des noms propres que faisait connaître le texte grec. \037llcstait toujours la partie de l’inscription purement hiéroglyphique ou supposée telle. Celle-là était demeurée intacte; personne n’avait osé entreprendre de la c!éclûflïcr. \037C’est ici que nous verrons Thomas Young déclarer d’abord, comme par une sorte d’inspiration, que dans la multitude des signes sculptés sur la pierre et représentant, soit des animaux entiers, soit des êtres fantastiques, poit encore des instruments et des produits des arts ou des formes géométriques, ceux de ces signes qui se trouvent renfermés dans des encadrements elliptiques correspondent aux noms propres de l’inscription grecque: en particulier, au nom de l’tolémée, Ic seul qui dans la trans- \037

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TIIOMAS YOUKG 2H \0371.1.n ..n:4 ..n:,4.C :4..n1 1_Vto..<1:f.nnl \037I. I. 18 \037cription fii^roglypliicjue soit resté intacl. Immédiatement après, Young dira que dans le cas spécial de l’encadrement ou cartouche, les signes ne représentent plus des idées, mais des sons enfin, il cherchera, par une analyse minutieuse et très-délicate, à assigner un hiéroglyphe individuel à chacun des sons que l’oreille entend dans le nom de Ptolémée de la pierre de Rosette, et dans celui de Bérénice d’un autre monument. \037Voilà, si je ne me trompe, dans les recherches de Young Hir les systèmes graphiques des Égyptiens, les trois points culminants, Personne, a-t-on dit, ne les avait aperçus, ou du moins ne les avait signalés, avant le physicien anglais, Cette opinion, quoique généralement admise, me paraît contestable. Il est, en effet, certain que, dès l’année 1706, M. de Guignes, dans un Mémoire imprimé, avait indiqué les cartouches des inscriptions égyptiennes comme renfermant tous des noms propres. Chacun peut voir aussi, dans le môme travail, les arguments dont s’etaie ce savant orientaliste pour établir l’opinion qu’il avait embrassée sur la nature constamment phonétique des hiéroglyphes égyptiens. Young a donc la priorité sur un seul point c’est à lui que remonte la première tentative qui ait été faite pour décomposer en lettres les groupes des cartouches, pour donner une valeur phonétique aux hiéroglyphes composant, dans la pierre do Iloseltc le nom de Ptolémée. \037Dans cette recherche, comme on peut s’y attendre, Young fournira de nouvelles preuves de son immense pénétration; mais égaré par un faux système, ses efforts n’auront pas un plein succès. Ainsi, quelquefois, il attri- \037

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m i THOMAS YOUNG. \037huera aux caractères hiéroglyphiques une valeur simplement alphabétique; plus loin, il leur donnera une valeur s\llabiquc ou môme dissyllabique, sans s’inquiéter de ce qu’il y aurait d’étrange dans ce mélange de caractères de natures différentes. Le fragment d’alphabet publié par le docteur Young renferme donc du vrai et du faux; mais le faux y abonde tellement, qu’il sera impossible d’appliquer la valeur des lettres dont il se compose, à toute autre lecture qu’à celle des deux noms propres dont on les a tirée?. Le mot impossible s’est si rarement rencontré dans la carrière scientifique de Young, qu’il faut se hAler de le justifier. Je dirai donc que depuis la cemposition de son alphabet, Young lui-même croyait voir dans le cartouche d’un monument égyptien, le nom d’.4rsinoé, là où son célèbre compétiteur a montré depu:s, avec une entière évidence, le mot aulocrator; qu’il crut reconnaître Évcrgelc dans un groupe où il faut lire César \037Le travail de Champollion, quant à la découverte de la valeur phonétique des hiéroglyphes, est clair, homogène, et ne semble donner prise à aucune incertitude. Chaque signe équivaut à une simple voyelle ou à une simple consonne. Sa valeur n’est pas arbitraire tout hiéroglyphe phonétique est l’image d’un objet physique dont le nom, en langue égyptienne, commence par la voyelle ou par la consonne qu’il s’agit de représenter 1. Ceci deWondra clair pour tout le monde, si nous chorcliODs, en suivant le système égyptien, à composer les hiéroglyphes de la langue française. \037L’A pourra être indistinctement représenté par un .ùjneau, par \037

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THOMAS YOUNG. m .1 ’II \037L’alphabet de Champollion, une fois modelé sur la pierre de Rosette et sur deux ou trois autres monuments, sert à lire des inscriptions entièrement différentes; par exemple le nom de Cléopâtre, sur l’obélisque dc/Vi»7u?, transporté depuis longtemps en Angleterre, et où le docteur Young, armé de son alphabet, n’avait rien aperçu. Sur les temples de Karnac, Champollion lira deux fois le nom d’Alexandre; sur le zodiaque de Ucnderah, un titre impérial romain; sur le grand édifice au-dessus duquel le zodiaque était placé, les noms et surnoms des empereurs Auguste, Tibère, Claude, Néron, Donatien, etc. Ainsi, pour le dire en passant, se trouvera tranchée, d’une part, la vive discussion que l’âge de ces monuments avait fait naitre; ainsi, de l’autre, sera constaté sans retour, que, sous la domination romaine, les un Aigle, par un Ane, par une Anémone, par un Artichaut, etc. Le B se figurerait par une Balance, par une Baleine, par un Bateau, par un Blaireau, etc. \037An c, on substituerait une Cabane, un Cheval, un Chat, un Cèilre, etc. \037A l’K, un Éléphant, un Épagneul, un Éolipyle, une Épée, etc. Abbé s’écrirait donc, à l’aide des hiéroglyphes français, en mettant les unes à la suite des autres, les figures \037li’un Agneau, d’une Balance, d’une Baleine et d’un Éléphant; Ou bien, celles d’un Aigle, d’un Bateau, d’une Épée, etc., etc. Ce, genre d’écriture a quoique analogie, comme on le voit, avec 1rs rébus dont les confiseurs enveloppent aujourd’hui leurs bonbons. Voilà on en étalent ces prêtres égyptiens que l’antiquité nous a tant vantés, mais qui, on doit le dire, ue nous ont a peu près rien appris. \037M. Champollion appelle homophones tous les signes qui, représentant un même son ou une même articulation, pouvaient se substituer Indistinctement les uns aux autres. Dans l’état actuel de l’alphabet t égyptien, je vois six ou sept signes homophones pour l’A, et plus d’une douzaine pour l’S ou plutôt pour le sigma grec. \037

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276 THOMAS YOUNG. \037hiéroglyphes étaient encore en plein usage sur les bords du Nil. \0371.’alphabet, qui a déjà donné tant de résultats inespérés, appliqué, soit aux grands obélisques de Karnac,

  • oit à d’autres monuments qui sont aussi reconnus pour

être du temps des Pharaons, nous présentera les noms de plusieurs rois de cette antique race; des noms de divinités égyptiennes; disons plus des mots substantifs, <«//c( et verbes de la langue copte. Young se trompait donc quand il regardait les hiéroglyphes phonétiques comme une invention moderne quand il avançait qu’ils avaient seulement servi à la transcription des noms propres, et même des noms propres étrangers à l’Egypte. M. de (.îuignes, et surtout M. Etienne Quatremcre, établissaient, au contraire, un fait réel, d’une grande importance, que la lecture des inscriptions des Pharaons est venue fortifier par des preuves irrésistibles, lorsqu’ils signalaient la langue copte actuelle comme celle di’S anciens sujets de Sésostris. \037On connaît maintenant les faits. Je pourrai donc me borner à fortifier de quelques courtes observations la conséquence qui me paraît en résulter inévitablement. Les discussions de priorité, même sous l’empire des préjugés nationaux, ne deviendraient jamais acerbes, si elles pouvaient se résoudre par des règles fixes; mais dans certains cas, la première idée est tout dans d’autres, l-\s détails offrent les principales dillicultés; ailleurs, le mérite semble avoir dû consister, moins dans la conciplion d’une théorie que dans sa démonstration. On <le\ine déjà combien Ic choix du peint de vue doit prêter r \037

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TIIOMAS YOUNG. 277 \037A t’arbitraire, et combien, cependant, il aura d’influence .«ur la conclusion définitive. Pour échapper à cet embarras, j’ai cherché un exemple dans lequel les rôles des deux prétendants à l’invention pussent être assimilés a ceux de Champollion et de Young, et qui eut, d’outre part, concilié toutes les opinions. Cet exemple, j’ai cru le trouver dans les interférences, même en laissant entièremcnt de côté, pour la question hiéroglyphique, les citations empruntées au mémoire de M. de Guignes. Ifooke, en effet, avait dit, avant Thomas Young, que les rayons lumineux interfèrent, comme ce dernier avait supposé avant Champollion, que les hiéroglyphes égyptiens sont quelquefois phonétiques. Hooke ne prouvait pas directement son hypothèse la preuve des valeurs phonétiques assignées par Young à divers hiéroglyphes, n’aurait pu reposer que sur des lectures qui n’ont pas été faites, qui n’ont pas pu l’être. \037Faute de connaître la composition de la lumière blanche, Ilooke n’avait pas une idée exacte de la nature di^s interférences, comme Young, de son côté, se trompait sur une prétendue valeur syllabique ou dissyllabique des hiéroglyphes. \037Young, d’un consentement unanime, est considéré comme l’auteur de la théorie des interférences; dès lors, par une conséquence qui me paraît inévitable, Champollion doit être regardé comme l’auteur de la découverte des hiéroglyphes. \037Je regrette de n’avoir pas songé plus tôt a ce rapprochement. «Si, de son vivant, Young eût été placé dans l’iillci native dYlrc le créateur de la doctrine des inlcrfé- \037

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?7S 9 THOMAS VOUNfi. \037ronces, en laissant los hiéroglyphes a Champollion, ou de garder los hiéroglyphes, en abandonnant à Hooke l’ingénieuse théorie optique, jc ne doute pas qu’il ne se fùl empressé de reconnaître les titres de notre illustre compatriote. An surplus, il lui serait resté, ce que personne ne pourra lui contester, le droit de figurer dans l’histoire de la mémorable découverte des hiéroglyphes, comme Kepler, Borelli, Hooke et W’ren figurent dans l’histoire de la gravitation universelle. \037TRAVAUX DIVERS DE VOl’NO, \037Les limites qui me sont tracées ne me permettront même pas de citer les simples titres des nombreux écrits que le docteur Young a publiés. Cependant la lecture publique d’un aussi riche catalogue eût certainement suffi a la gloire de notre confrère. Qui ne se fût imaginé, en effet, qu’on avait enregistré les travaux de plusieurs Académies, et non ceux d’une seule personne, en entendant, par exemple, cette série de litres \037Mémoire sur les usines où l’on travaille le fer. l’ssnis sur la musique et sur la peinture. \037Recherches sur les habitudes des araignées et le système de Fabrieius. \037Sur la stabilité des arches des ponts. \037Sur l’atmosphère de la lune. \037Description d’une operculaire. \037Théorie mathématique des courbes épicycloïdales. Restitution et traduction de diverses inscriptions grecques. \037

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THOMAS YOUNG. 2^0 \037Sur les moyens de fortifier la charpente des vaisseaux de ligne. \037Sur le jeu du cœur et des artères dans le phénomène de la circulation. \037Théorie des marées. \037Sur les maladies de poitrine. \037Sur le frottement dans les axes des machines. Sur la fièvre jaune. \037Sur le calcul des éclipses. \037Kssais de grammaire, etc., etc. \037CARACTÈRE DE YOCNC. – SA POSITION COMME MÉDECIN. –SA collaboration AU Nautical Almanac.– sk mort. Des travaux aussi nombreux, aussi variés, semblent avoir exige la vie laborieuse et retirée d’un de ces savants dont l’espèce, à vrai dire, commence se perdre, qui diNs la première jeunesse divorcent avec tous les contemporains pour s’ensevelir complétement dans leur cabinet. Thomas Young était, au contraire, ce qu’on est convenu d’appeler un homme du monde. Il fréquentait assidûment les plus brillants cercles de Londres. Les grâces de son esprit, l’élégance de ses manières, eussent amplement pudi pour l’y faire remarquer; mais qu’on se représente ces réunions nombreuses, dans lesquelles cinquante sujets différents sont tour tour effleurés en quelques minutes, et l’on concevra de quel prix devait être une véritable bibliothèque vivante, où chacun trouvait a l’instaul une réponse exacte, précise, substantielle, sur toutes les natures de questions qui pouvaient être proposées. \037

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2*0 THOMAS VOUNG. \037Ycung s’était beaucoup occupé des arts. Plusieurs de ses mémoires témoignent des profondes connaissances que, de très-bonne heure, il avait acquises dans la théorie de la musique. 11 poussa aussi très-loin le talent d’exc"cution, et je crois être certain que de tous les instruments connus, en y comprenant même la cornemuse écossaise, on n’en pourrait citer que deux dont il ne sût pas jouer. Son goût pour la peinture se développa pendant le séjour qu’il fit en Allemagne. Alors, la magnifique collection de Dresde l’absorba entièrement, car il n’aspira pas seulement au facile mérite d’accoler, sans se méprendre, tel ou tel nom de peintre à tel ou tel tableau. Les défauts et les qualités caractéristiques des plus grands maîtres; louis fréquents changements de manière; les objels matériels qu’ils mettaient en œuvre les modifications que ces objets, que les couleurs entre autres, éprouvent par la suite des temps, l’occupèrent tour à tour. Young, en un mot, étudiait la peinture en Saxe, comme auparavant il avait étudié les langues dans son propre pays comme plus tard il cultiva les sciences. Au reste, tout élait à ses yeux un sujet de méditations et de recherches. Les camarades universitaires de l’illustre physicien se rappc’/ient un exemple risible de cette disposition d’esprit ils rapportent qu’étant entrés dans la chambre de Young le jour où pour la première fois, il reçut, à Edimbourg, une leçon de menuet, on le trouva occupé à tracer minutieusement, avec la règle et le compas, les routes entrecroisées que parcourent les deux danseurs, et les divers perfectionnements dont ces figures lui paraissaient susceptibles. \037

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THOMAS YOUNG. ?sl 1 \037Young emprunta de bonne heure à la secte dos quakers, dont il faisait alors partie, l’opinion que les facultés intellectuelles des enfants diffèrent originairement entre elles beaucoup moins qu’on ne le suppose. Chaque homme mirait pu faire ce que tout autre homme a fait, était devenu sa maxime favorite. Jamais, au surplus, il ne recula personnellement devant les épreuves d’aucun genre, auxquelles on désirait soumettre son système. La première fois qu’il monta à cheval, en compagnie du petit-fils de M. Barclay, l’écuyer qui les suivait franchit une barrière élevée Young voulut l’imiter, mais il alla tomber à dix pas. Il se releva sans mot dire, fit une seconde tentative, fut encore désarçonné, mais ne dépassa pas celte fois la tête du cheval, à laquelle il resta accroché; à la troisième épreuve, le jeune écolier, comme le voulait sa lhe.se de prédilection réussit a exécuter ce qu’on venait de faire devant lui. Cette expérience n’a du être citée ici que parce qu’elle fut reprise d’abord à Édimbourg, ensuite a Gœttingue, et poussée beaucoup plus loin qu’on ne voudra peut-être le croire. Dans l’une de ces deux x villes, Young, en très-peu de temps, parvint à lutter d’adresse avec un funambule renommé; dans l’autre, et toujours à la suite d’un défi, il acquit dans l’art de la voltige à cheval une habileté extraordinaire, et qui eût clé certainement remarquée, même au milieu des artistes consommés dont les tours de force attirent tous les soirs un si nombreux concours au cirque de l’ranconi. Ainsi, ceux qui se complaisent dans les contrastes pourront, d’un côté, se représenter Newton, le timide Newton, n’allant en voilure, tant la crainte de tomber le préoccu- \037

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î«î THOMAS YOUNO. \037pait, que les bras étendus et les mains cramponnées aux deux portières, et, de l’autre, son illustre émule galopant, debout sur deux chevaux, avec toute l’assurance d’un écuyer de profession. \037En Angleterre, un médecin, s’il ne veut pas perdre la confiance du public, doit s’abstenir de s’occuper de toute recherche scientifique ou littéraire qui semble étrangère à l’art de guérir. Young sacrifia longtemps à ce préjugé ses écrits paraissaient sous le voile de l’anonyme. Ce voile, il est vrai, était bien transparent deux lettres contiguës d’une certaine devise latine servaient successivement, dans un ordre régulier, à la signature de chaque mémoire; mais Young communiquait les trois mots latins à tous ses amis nationaux ou étrangers sans leur recommander d’en faire mystère à personne. Au reste, qui pouvait ignorer que l’illustre auteur de la théorie des interférences était le secrétaire de la Société royale de Londres pour la correspondance étrangère; qu’il donnait dans les amphithéâtres de Y Institution royale un cours général de physique mathématique qu’associé à sir Humpluy Davy, il publiait un journal de sciences, etc., etc.? Kt d’ailleurs, il faut le dire, l’anonyme n’était rigoureusement observé que pour les petits mémoires. Dans les occasions importantes, quand, par exemple, parurent en 1807 les deux volumes in-4", de 800 à 900 pages chacun, oii toutes les branches de la philosophie naturelle se trouvent traitées d’une manière si neuve et si profonde, l’amour-propre de l’auteur fit oublier les intérêts du médecin, et le nom de Young, en gros caractères, remplaça les deux petites lettres italiques dont lo tour était alor. \037

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THOMAS YOUNG. 2M \037venu, et qui auraient figuré d’une manière assez ridicule Hir le tilre de cet ouvrage colossal. \037Young n’eut donc jamais, comme praticien, ni a Londres, ni a Worthing où il passait la saison des bains de mer, une clientèle très-étendue. Le public le trouvait trop .«avant On doit même avouer que ses cours de médecine, Ic cours, par exemple, qu’il faisait à l’hôpital de SaintGeorges, furent généralement peu suivis. Quelqu’un a dit, pour l’expliquer, que ses leçons étaient trop pleines, trop substantielles, qu’elles dépassaient la portée des intelligences ordinaires 1 Ne pourrait-on pas plutôt attribuer ce défaut de succès à la franchise, peu commune, que Young mettait à signaler les difficultés inextricables qui se rencontrent à chaque pas dans l’étude des nombreux désordres de notre frêle machine? \037Pense-t-on que, à Paris, à une époque surtout où chacun veut arriver au but, vite et sans fatigue, un professeur de faculté conservât beaucoup d’auditeurs, s’il débutait par ces paroles que j’emprunte textuellement au docteur Young \037t Aucune étude n’est aussi compliquée que celle de la « médecine. Elle surpasse les bornes de l’intelligence • liumnine. Les médecins qui se précipitent en avan1. t sans essayer de comprendre ce qu’ils voient, sont sout vent aussi avancés que ceux qui se livrent à des géni«  ralisiitions hâtives appuyées sur des observations à « l’égard desquelles toute analogie est en défaut. » Et si le professeur, continuant sur le même ton, ajoutai! Dans les loteries de la médecine, les chances « du possesseur de dix billets doivent être évidemment \037

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284 THOMAS YOUXO. \037supérieures aux chances de celui qui n’en a que « cinq. » \037Quand ils se croiraient engagés dans une loterie, ceux des auditeurs que la première phrase n’aurait pas mis en fuite, seraient-ils disposés à faire de grands efforts pour se procurer le plus de billets, ou, en expliquant la pensée de notre confrère, le plus de connaissances possible? \037Malgré ses connaissances, peut-être même à cause de leur immensité, Young manquait entièrement d’assurance au lit du malade. Alors, les fâcheux effets qui pouvaient éventuellement résulter de l’action du médicament le mieux indiqué, se présentaient en foule à son esprit, lui semblaient balancer les chances favorables qu’on devait en attendre et le jetaient dans une indécision, sans doute fort naturelle, mais que le public prend toujours du mauvais côté. La même timidité se reconnaît dans tous les ouvrages de Young qui traitent de la médecine. Cet homme, si éminemment remarquable par la hardiesse de ses aperçus scientifiques, ne donne plus alors que de simples catalogues de faits. A peine semble-t-il convaincu de la bonté de sa thèse, soit quand il s’attaque au célèbre docteur Radcliffe dont tout le secret, dans la pratique la plus brillante et la plus heureuse, avait été, comme il le déclarait lui-même, d’employer les remèdes à contresens; soit lorsqu’il combat le docteur Brown qui s’était trouvé, disait-il, dans la désagréable nécessité de rcconnaître, et cela d’après les documents officiels d’un hôpital confié des médecins justement célèbres, qu’en masse, les fièvres abandonnées a leur cours naturel ne sont ni \037

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THOMAS YOUMJ *> \037plus graves, ni plus longues que lorsqu’on les traite par les meilleures méthode:?. \037En 1818, Young ayant été nommé secrétaire du Bureau des longitudes, abandonna presque entièrement la pratique de la médecine pour se livrer à la minutieuse surveillance de l’ouvrage périodique célèbre connu sous le nom de Nautkal Almanac. A partir de cette époque, le journal de l’Institution royale donna, tous les trimestres, de nombreuses dissertations sur les plus importants problèmes de l’art nautique et de l’astronomie. Un volume intitulé Illustrations de la Mécanique céleste de Laplace; une savante dissertation sur les marées, auraient d’ailleurs amplement attesté que Young ne considérait pas l’emploi qu’il venait d’accepter comme une sinécure. Cd t emploi fut cependant pour lui une source inépuisable do dégoûts. Le Xautical Almanac avait été, depuis son or:gine, un ouvrage exclusivement destiné au service de la marine. Quelques personnes demandèrent qu’on en fît, de plus, une éphéméride astronomique complète. Le Bureau di’s longitudes, a tort ou à raison, n’ayant pas paru grand partisan du changement projeté, se trouva suhitement en hutte aux plus violentes attaques. Les journaux de toute couleur, whigs ou torys, prirent part au combat. On ne \it plus dans la réunion des Davy, des Wollaston, das Young, des Herschel, des Kater et des Pond, qu’un assemblage d’individus (je cite textuellement) qui obéissaient à une influence béotienne; le Xautical Almanac, jadis si renommé, était devenu pour la nation anglaise un ol’jrt de honte; si l’on y découvrait une faute d’impression, comme il y en a, comme il y en aura toujours dans \037

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»st; THOMAS VOUNG. \037les recueils de chiffres un peu volumineux, la marine britannique, depuis la plus petite chaloupe jusqu’au colossal vaisseau à trois ponts, trompée par le chiffre inexact, allait s’engloutir en masse au fond de l’Océan, etc. On a prétendu que le principal promoteur de ces folles exagérations n’aperçut tant de graves erreurs dans le Aantkal Almanac, qu’après avoir inutilement tenté de se faire agréger au Bureau des longitudes. J’ignore si le fait est exact. En tout cas je ne saurais me rendre l’écho des malicieux commentaires auxquels il donna naissance; je ne dois pas oublier, en effet, que depuis plusieurs années, le membre de la Société royale dont on a voulu parler, consacre noblement une partie de sa brillante fortune à l’avancement des sciences. Cet astronome recommandable, comme tous les savants dont les pensées sont concentrées sur un seul objet, a eu le tort, que je ne prétends pas excuser, de mesurer au travers d’un verre grossissant l’importance des projets qu’il avait conçus; mais ce qu’il faut surtout lui reprocher, c’est de n’avoir pas prévu que les hyperboles de sa polémique seraient prises au sérieux c’est d’avoir oublié que, à toutes les époques et dans tous les pays, il existe un grand nombre d’individus qui, inconsolables de leur nullité, saisissent comme une proie toutes les occasions de scandale, et sous le masque du bien public, deviennent avec délices les ignobles zoïles de ceux de leurs contemporains dont la renommée a proclamé ïe succès. A Rome, celui qu’on chargeait d’insulter au triomphateur était du moins un esclave; à Londres, c’est d’un membre de la Chambre des communes que des savants illustres recevront un cruel \037

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THOMAS YOUNG. -7 \037affront. Un orateur, déjà célèbre par ses préjugés, mais (lui n’avait jusqu’alors épanché son fiel que sur des productions d’origine française, s’attaquera aux plus beaux noms de l’Angleterre, et débitera contre eux, en plein parlement, de puériles accusations avec une risible gn>\ité. Des ministres dont la faconde se fût exercée des heures entières sur les priviléges d’un bourg pourri, ne prononceront pas une seule parole en faveur du génie; le Bureau des longitudes, enfin, sera supprimé sans opposition. Le lendemain, il est vrai les besoins d’une innomhrable marine feront entendre leur voix impérieuse, et l’un des savants qu’on avait dépouillés, l’ancien secrétaire du Bureau, le docteur Young enfin, se verra rappelé à pc.s premiers travaux. Impuissante réparation! Le savant en aura-t-il moins été séparé de ses illustres collègues? L’Iiomme de cœur aura-t-il moins entendu les noble.) fruits de l’intelligence humaine, tarifés devant les représentants du pays, en guinées, schellings et pennys, comme du sucre, du poivre ou de la cannelle? La santé de notre confrère, qui déjà était un pe.i chancelante, déclina, à partir de cette triste époque, avec une effrayante rapidité. Les médecins habiles dont il était assisté perdirent bientôt tout espoir. Young luimême avait la conscience de sa fin prochaine et la voyait arriver avec un calme admirable. Jusqu’à sa dernière heure, il s’occupa sans relâche d’un dictionnaire égyptien, alors sous presse, et qui n’a été publié qu’après s^ mort. Quand ses forces ne lui permirent plus de se soulever et d’employer une plume, il corrigea les épreuves à l’aide d’un crayon. L’un des derniers actes de sa vie \037

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2S8 THOMAS YOUNG. \037fut (1 exiger la suppression d’une brochure écrite avec talent, par une main amie, et dirigée contre tous ceux qui avaient contribué à la destruction du Bureau des longitudes. \037Young s’éteignit, entouré d’une famille dont il était adore, le 10 mai 18*29, à peine âgé de cinquante-six ans. L’autopsie fit découvrir qu’il avait l’aorte ossifiée. Si je ne suis pas resté trop au-dessous de la tâche qui m’était imposée; si j’ai surtout fait ressortir, comme je le désirais, l’importance et la nouveauté de l’admirable loi dts interférences lumineuses, Young est maintenant à vos yeux l’un des savants les plus illustres dont l’Angleterre puisse s’enorgueillir. Votre pensée devançant mes paroles, voit déjà dans le récit des justes honneurs rendus l’auteur d’une aussi belle découverte, la péroraison de cette notice historique. Ces prévisions, je le dis a regret, ne se réaliseront pas. La mort de Young a eu dans sa patrie très-peu de retentissement. Les portes de Westminster, jadis si accessibles à la médiocrité titrée, sont lestées fermées à l’homme de génie qui n’était pas baronnet. C’e?t au village de Farnborough dans la modeste tombe de la famille de sa femme, que les restes de Thomas Young ont été déposés. L’indifférence de la nation anglaise pour des travaux qui devaient tant ajouter à sa gloire, est une bien rare anomalie dont on doit être curieux de connaître les causes. \037Je manquerais de franchise, je serais panégyriste et non historien, si je n’avouais, qu’en général, Young ne ménageait pas assez l’intelligence de ses lecteurs; que la plupart des écrits dont les sciences lui sont redevables \037

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THOMAS YOUNG. «9 \037I.– l. 19 \037pèchent par une certaine obscurité. Toutefois, l’oubli dans lequel ils ont été longtemps laissés n’a pu dépendre uniquement de cette cause. \037Les sciences exactes ont sur les ouvrages d’art ou d’imagination un avantage qui a été souvent signalé. Les vérités dont elles se composent traversent les siècles, sans avoir rien à souffrir ni des caprices de la mode, ni des dépravations du goût. Mais aussi, dès qu’on s’élève dans certaines régions, sur combien de juges est-il permis de compter? Lorsque Richelieu déchaîna contre le grand Corneille une tourbe de ces hommes que le mérite d’auliui rend furieux, les Parisiens sifflèrent à outrance les séides du cardinal despote et applaudirent le poëte. Ce dédommagement est refusé au géomètre, à l’astronome, au physicien, qui cultivent les sommités de la science. Leurs appréciateurs compétents, dans toute l’étendue de l’Europe, ne s’élèvent jamais au nombre de huit à dix. Supposez-les injustes, indifférents, voire jaloux, car j’imagine que cela s’est vu, et le public, réduit à croire sur parole, ignorera que d’Alembert ait rattaché le grand phénomène de la précession des équinoxes au principe de la pesanteur universelle que Lagrange soit parvenu à assigner la cause physique de la libration de la lune que depuis les recherches de Laplace, l’accélération du mouvement de cet astre se trouve liée à un changement particulier dans la forme de l’orbite de la Une, etc., etc. Les journaux de sciences, quand ils sont rédigés par des hommes d’un mérite reconnu, acquièrent ainsi, sur certaines matières, une influence qui souvent devient funeste. C’est ainsi, je pense, qu’on \037

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290 THOMAS YOUNO. \037peut qualifier celle que la Revue d’Edimbourg a quelquefois exercée. \037Au nombre des collaborateurs de ce célèbre journal, figurait à l’origine, en première ligne, un jeune écrivain à qui les découvertes de Newton avaient inspiré une admiration ardente. Ce sentiment, si naturel, si légitime, lui fit malheureusement méconnaître tout ce que la doctrine des interférences renfermait de plausible, d’ingénieux, de fécond. L’auteur de cette théorie n’avait peut-être pas toujours eu le soin de revêtir ses décisions, ses arrêts, ses critiques, des formes polies dont le bon droit n’a jamais à soutfrir, et qui, au reste, étaient un devoir impérieux quand il s’agissait de l’immortel auteur de la Philosophie naturelle. La peine du talion lui fut appliquée avec usure; YMinbvrgh Rcvicw attaqua Térudit, l’écrivain, le géomèlrc, l’expérimentateur, avec une véhémence, avec une fipreté d’expressions presque sans exemple dans les débats scientifiques. Le public se tient ordinairement sur ses gardes quand on lui parle un langage aussi passionné; mais, cette fois, il adopta d’emblée les opinions du journaliste sans qu’on eût le droit de l’accuser de légèreté. Le journaliste, en etfet, n’était pas un de ces arislarques imberbes dont aucune étude préalable ne justifie la mission. Plusieurs bons Mémoires, accueillis par la Société royale, déposaient de ses connaissances mathématiques et lui avaient assigné une place distinguée parmi les physiciens à qui l’optique expérimentale était redevable; le barreau de Londres le proclamait déjà une de ses plus éclatantes lumières; les whigs de la Chambre des communes voyaient en lui l’orateur incisif qui, dans les luttes \037

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TtlOMAS YOUNG. 291 \037pnrlchnontaires, serait souvent rheurcux antagoniste do Cnnnïng; c’était enfin le futur président de la Chambre «les pairs c’était le lord-chancelier actuel \037Qu’opposer a d’injustes critiques partant de si haut? Je n’ignore pas comhien certains esprits puisent de fermeté" dans la conscience de leur bon droit; dans la certitude que, tôt ou tard, la vérité triomphera; mais je sois aussi qu’on agit sagement en ne comptant pas hop sur de pareilles exceptions. \037ficoutez, par exemple, Galilée lui-même dire, a demivoix, après son abjuration \037« E pur si rauovel » \037Kt ne cherchez pas dans ces immortelles paroles une idée d’avenir, car elles sont l’expression du cruel dépit t. Les journaux m’ayant fait l’honneur de s’occuper quelquefois iVs nombreux témoignages de bienveillance et d’amitié que lord lirougliam a bien voulu me donner eu 1834, tant en Ecosse qu’à Paris, doux mois d’explication paraissent indispensables. L’éloge du docteur Young a été lu dans une séance publique de l’Académie des Sciences, le 26 novembre 1832; à cette époque je n’avais jamais ou aucune relation personnelle avec l’auteur de la Hevut d’Êdimbowg; aiii-;i toute accusation d’ingratitude porterait à faux..Vaiiriez-vous pas pu, me dira-t-on peut-être, au moment de livrer votre travail a l’impression, supprimer entièrement tout ce qui avait trait à une si fàrlieuso polémique? Je le pouvais, en effet, et l’idée m’en était im*ino vcnui’i mais j’y renonçai bientôt. Je connais trop bien les sentiments élevés de mon illustre ami, pour craindre qu’il s’oflense de ma franchise, daus une question on, j’en ai la conw’ciion profonde, l’immense étendue de son esprit ne l’a pas mis à l’abri de l’erreur. L’hommage que je rends au noble caractère de lord liroughain, en publiant aujourd’hui ce passage de l’éloge de louiijr, suis I’1 moditii’i’, c-4, mon sens, tellement significatif, que je n’essaierai pas d’y rien ajouter. \037

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292 THOMAS VOUNG. \037qu’éprouvait l’illustre vieillard. Young aussi dans l’écrit do quelques pages qu’il publia en réponse à YEdinburgh lievieic, se montra profondément découragé. La vivacité, la véhémence de ses expressions déguisaient mal le sentiment qui l’oppressait. Au reste, hâtons-nous de le dire, justice, justice complète fut enfin rendue au grand physicien Depuis quelques années, le monde entier voyait en lui une des principales illustrations de notre temps. C’est de France (Young prenait plaisir à le proclamer luimôme) que partit le signal de cette tardive réparation. J’ajouterai qu’à l’époque beaucoup plus ancienne où la doctrine des interférences n’avait encore fait de prosélytes ni en Angleterre, ni sur le continent, Young trouvait dans sa propre famille quelqu’un qui le comprerait et dont les suffrages auraient dû le consoler des dédains du public. La personne distinguée que je signale ici à la reconnaissance de tous les physiciens de l’Europe voudra bien m’excuser si je complète mon indiscrétion. Dans l’année 1810, je fis un voyage en Angleterre avec mon savant ami, M. Gay-Lussac, Frcsncl venait alors de débuter dans la carrière des sciences, de la manière la plus brillante, par son Mémoire sur la Diffraction. Ce travail qui, suivant nous, renfermait une expérience capitale, inconciliable avec la théorie newtonienne de la lumière, devint naturellement le premier objet de nos entretiens avec le docteur Young. Nous étions étonnés des nombreuses restrictions qu’il apportait à i,os éloges, lorsque enfin il nous déclara que l’expérience dont r.ous faisions tant de cas était consignée, depuis 1807, dans son traité de Philosophie naturelle. Celle- \037

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THOMAS YOUNG. 293 \037assertion ne nous semblait pas fondée. Ellc rendit la discussion longue et minutieuse. Madame Young y assistait sais avoir l’air d’y prendre aucune part; mais, comme nous savions que la crainte, vraiment puérile, d’être désignées par le ridicule sobriquet de bas bleus, rond les dames anglaises fort réservées en présence d<\s étrangers, notre manque de savoir-vivre ne nous frappa qu’au moment où madame Young quitta brusquement la place. ISous commencions h nous confondre en excuses auprès de son mari, lorsque nous la vîmes rentrer, portant sous le bras un énorme in-r. C’était le premier volume du traité de Philosophie naturelle. Elle le posa sur la table, Touvrit, sans mot dire, h la page 787, et nous montra du doigt une figure où la marche curviligne des bandes dillïactées, sur laquelle roulait la discussion se trouve établie théoriquement. \037J’espère qu’on me pardonnera ces petits détails. Trop d’exemples n’ont-ils pas déjà habitué le public à considérer l’abandon, l’injustice, la persécution, la misère, comme le salaire naturel de ceux qui consacrent laborieusement leurs veilles au développement de l’esprit humain! N’oublions donc pas de signaler les exceptions quand il s’en présente. Si nous voulons que la jeunesse se lixre avec ardeur aux travaux intellectuels, montrons-lui que la gloire attachée à de grandes découvertes, s’all.o quelquefois un pende tranquillité et de bonheur. Arrachons même, s’il est possible, de l’histoire des sciences, liiiit de feuillets qui en ternissent l’éclat. Essayons de noi.s persuader que, dans les cachots des inquisiteurs, une \oix amie faisait entendre a (initiée quelques-unes do ces \037

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291 THOMAS YOUNG. \037douces paroles que la postérité réservait à sa mémoire; que derrière les épaisses murailles de la Bastille, l’réret apprenait déjà du monde savant quel rang glorieux lui était réservé parmi les érudits dont la France s’honore; qifavûilt d’aller mourir à l’hôpital, Corelli trouva quelquefois dans la ville de Rome un abri contre les intempéries de l’air, un peu de paille pour reposer sa tête; que Kepler enfin, que le grand Kepler n’éprouva jamais Icsanoisses de la faim I \037

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JOSEPH FOURIER \037MOCUPUIE LIS ES SÉAHCE PlBLIQtï PB l’aCAUÉMIE DES SCIENCES, LE 18 NOVEMBRE 1833. \037Messieurs, un académicien, jadis, ne différait d’un nuire académicien, que par le nombre, la nature et l’éclat du ses découvertes. Leur vie, jetée en que!<{ue sorte dans lo même moule, se composait d’événements peu dignes de remarque. Une enfance plus ou moins studieuse des progrès tantôt lents, tantôt rapides; une vocation contrariée par des parents capricieux ou aveugles; l’insuffisance de fortune, les privations qu’elle amène à sa suite, trente ans d’un professorat pénible et d’études difficiles, tels étaient les éléments tout ordinaires dont le talent admirable des anciens secrétaires de l’Académie a su tirer ces tableaux si piquants, si spirituels, si variés, qui forment un des principaux ornements de vos savantes collections. \037Les biographes sont aujourd’hui moins à l’étroit. Les convulsions que la France a éprouvées pour sortir des langes de la routine, de la superstition et du privilège, ont jeté au milieu des orages de la vie politique des citoyens de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les \037

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2% JOSEPH FOURIER. \037caractères. Aussi, l’Académie des sciences a-t-elle figuré dans l’arène dévorante ou, durant quarante années, le fait et le droit se sont tour à tour arraché le pouvoir par un glorieux contingent de combattants et de victimes! Reportez, par exemple, vos souvenirs vers l’immortelle Assemblée nationale. Vous trouverez à sa tête un modeste académicien, modèle de toutes les vertus privées, l’infortuné Bailly, qui, dans les phases diverses de si vie politique, sut concilier l’amour passionné de la patrie avec une modération que ses plus cruels ennemis eux-mêmes ont été forcés d’admirer. \037Lorsque, plus tard, l’Europe conjurée lance contre la France un million de soldats; lorsqu’il faut improviser quatorze armées, c’est l’ingénieux auteur de l’Essai sur les machines et de la Géométrie de position, qui dirige cette opération gigantesque. C’est encore Carnot notre honorable confrère, qui préside à l’incomparable campagne de dix-sept mois, durant laquelle des Français, novices au métier des armes, gagnent huit batailles rangées, sortent victorieux de cent quarante combats, occupent cent seize places fortes, deux cent trente forts ou redoutes, enrichissent nos arsenaux de quatre mille canons, de soixante-dix mille fusils, font cent mille prisonniers, et pavoisent le dôme des Invalides de quatrevingt-dix drapeaux. Pendant le même temps, les Chaptal, les Fourcroy, les Monge, les Berthollet, concouraient aussi à la défense de la nationalité française, les uns en arrachant à notre sol, par des prodiges d’industrie, jusqu’aux derniers atomes de salpêtre qu’il pouvait contenir les autres, en transformant, à l’aide de méthodes \037

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JOSEPH FOURIER. 297 \037lli%z At P.,brtiAi%ia le. A~, .1-~ ":1I.O \037nouvelles et rapides, les cloches des villes, des villages, des plus petits hameaux, en une formidahlc artillerie, dont nos ennemis croyaient, dont ils devaient croire, en cll’ct, que nous étions dépourvus. A la voix de la patrie menacée, un autre académicien, le jeune et savant Meunier, renonçait sans effort aux séduisantes occupations du laboratoire il allait s’illustrer sur les remparts de Kovnigstein, contribuer en héros à la longue défense de Mayence, et ne recevait la mort, à quarante an?, qu’après s’être placé au premier rang d’une garnison ou brillaient les Aubert-Dubayet, les Beaupuy, les Haxo, les kléber. \037Comment pourrais-je oublier ici le dernier secrétaire do l’ancienne Académie Suivez-le dans une assemblée célèbre; dans cette Convention dont on pardonnerait presque le sanglant délire, en se rappelant combien elle fut glorieusement terrible aux ennemis de notre indépendance, et toujours vous voyez l’illustre Condorcet, exclusivement occupé des grands intérêts de la raison et de l’humanité. Vous l’entendez « flétrir le honteux brigandage qui depuis doux siècles dépeuplait, en le corrompant, le continent africain; » demander avec les accents d’une conviction profonde, qu’on purifie nos codes de cette affreuse peine capitale qui rend l’erreur des juges à jamais irréparable; il est l’organe officiel de l’assemblée toutes les fois qu’il faut parler aux soldats, aux citoyens, aux factions, aux étrangers, un langage digne de la France; il ne ménage aucun parti, leur crie sans cesse de s’occuper un peu moins d’eux-mêmes et un peu plus de la chose publique; » il répond enfin à d’injustes reproches de faiblesse, \037

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298 JOSEPH FOURIER. \037par des actes qui lui laissent, pour toute alternative, le poison ou l’échafaud. \037La révolution française jeta aussi le savant géomètre dont je dois aujourd’hui célébrer les découvertes, bien loin de la route que le soit paraissait lui avoir tracée. Dons des temps ordinaires, c’est de dom Joseph Fourier que le secrétaire de l’Académie aurait dû vous entretenir; c’est la vie tranquille et retirée d’un bénédictin qu’il eût déroulée devant vous. La vie de notre confrère sera au contraire, agitée et pleine de périls; elle se passera dans les dangereux combats du forum; au milieu des hasards de la guerre, en proie à tous les soucis d’une administration difficile. Cette vie, nous la trouverons étroitement enlacée aux plus grands événements de notre époque. Hatons-nous d’ajouter qu’eue sera toujours digne, honorable, et que les qualités persounelles du savant rehausseront l’éclat de ses découvertes. \037NAISSANCE DE FOl’RIER. – SA JEUNESSE. \037Fourier naquit à Auxcrre, le 21 mars 17GS. Son père, comme celui de l’illustre géomètre Lambert était un Minple tailleur. Cette circonstance eût jadis occupé beaucoup de place dans l’éloge de notre savant confrère; grâce aux progrès des lumières, je puis en faire mcn.iou comme d’un fait sans importance personne, en ell’et, ne croit aujourd’hui, personne même ne fait semblant de croire que le génie soit un privilège attaché au rang ou à la fortune. \037Fonder devint orphelin à l’âge de huit ans. Une d;ane \037

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JOSEPH FOURIBR. 199 \037qui avait remarqué la gentillesse do ses manières et ses heureuses dispositions, le recommanda n l’évêquc d’Auxerre. Par l’influence de ce prélat, Fourier fut admis a l’école militaire que dirigeaient alors les bénédictins de la congrégation de Saint-Maur. Il y fit ses études lilléliiiies avec une rapidité et des succès surprenants. Plusieurs sermons fort applaudi. à Paris dans la bouche de hauts dignitaires de l’Église, étaient sortis de la plumo de l’écolier de douze ans. Il serait aujourd’hui impossible de remonter à ces premières compositions de la jeunesse de Fourier, puisque, en divulguant le plagiat, il a eu la discrétion de ne jamais nommer ceux qui en profitèrent. 1. Fourier avait, à treize ans, la pétulance, la vivacité bruyante de la plupart des jeunes gens de cet Age mais son caractère changea tout à coup et comme par enchantement, dès qu’il fut initié aux premières notions de mathématiques, c’est-à-dire dès qu’il eut senti sa véritable vocation. Les heures réglementaires de travail ne suffirent plus alors à son insatiable curiosité. Des houts de chandclles soigneusement recueillis dans la cuisine, les corridors et le réfectoire du collège, servaient, la nuit, dans un âtre de cheminée fermé avec un paravent, à éclairer les études solitaires par lesquelles Fourier préludait aux travaux qui, peu d’années après, devaient honorer son nom et sa patrie. \037Dais une école militaire dirigée par des moines, l’esprit des élèves ne devait guère Hotter qu’entre deux carrières l’église cl IV’pée. Ainsi que Descaries, Fourier voulut être soldat; comme Descartes, la vie de garnison l’eût sans doute bientôt fatigué. On ne lui permit pas d’eu \037

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300 JOSEPH FOURIER. \037’1" n, .JI- \037faire l’expérience. Sa demande à l’effet de subir l’examcn de l’artillerie, quoique vivement appuyée par notre illustre confrère Legendre, fut repoussée avec un cynisme d’expressions dont vous allez être juges vous-mêmes « Fourier, répondit le ministre, n’étant pas noble, ne pourrait entrer dans l’artillerie, quand il serait un second Newton » \037Il y a, Messieurs, dans l’exécution judaïque des règlemcnts, même lorsqu’ils sont les plus absurdes, quelque chose de respectable que je me plais à reconnaître. En cette circonstance, rien ne pouvait affaiblir l’odieux des paroles ministérielles. II n’est point vrai, en effet, qu’on n’entrât anciennement dans l’artillerie qu’avec des titres de noblesse une certaine fortune suppléait souvent à des parchemins. Ainsi ce n’était pas seulement un je ne sais quoi d’indéfinissable que, par parenthèse, nos ancêtres les Francs n’avaient pas encore inventé, qui manquait au jeune Fourier, c’était une rente de quelques centaines de livres, dont les hommes placés alors a la tête du pays auraient refusé de voir l’équivalent dans le génii3 d’un second Newton 1 Conservons ces souvenirs, Manieurs ils jalonnent admirablement l’immense carrière que la France a parcourue depuis quarante années. Nos neveux y verront d’ailleurs, non l’excuse, mais l’explicrtion de quelques-uns des sanglants désordres qui souillèrent notre première révolution. \037Fourier n’ayant pu ceindre l’épéc, prit l’habit de bénédictin, et se rendit à l’abbaye de Saint-lîcnoît-sur-Loir, où il devait faire son noviciat. Il n’avait pas encore prononcé do vœux, lorsque, en 178*.), de belles, de sédtii- \037

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JOSEPH FOURIER. 301 \037parues idées sur la régénération sociale de lit I Tance s’empareront de tous les esprits. Aussitôt Fourier renonça et la carrière ecclésiastique, ce qui n’empêcha point ses anciens maîtres de lui confier la principale chaire de mathématiques à l’école militaire d’Auxcrre, et de lui prodiguer les marques d’une vive et sincère affection. J’ose le dire, aucune circonstance, dans la vie de notre confrère, ne témoigne plus fortement de la bonté de son naturel et de l’aménité de ses manières. 11 faudrait ne pas connaître le cœur humain, pour supposer que les moines de .Saint-Benoît ne ressentirent point quelque dépit en se \o\ant si brusquement abandonnés; pour imaginer, surtout, qu’ils renoncèrent sans de vifs regrets à la gloire que l’ordre pouvait attendre du collaborateur ingénieux qui leur échappait. \037Fourier répondit dignement à la confiance dont il venait d’être l’objet. Quand ses collègues étaient indisposés, le professeur titulaire de mathématiques occupait, tour à tour, les chaires de rhétorique, d’histoire, de philosophie, et, quel que fùt l’objet de ses leçons, il répandait à pleines mains, dans un auditoire qui l’écoutait avec délices, les trésors d’une instruction variée et profonde, ornés de tout ce que la plus élégante diction pouvait leur donner d’éclat. \037MÉMOIRE \037SUR LA RÉSOLUTION DES ÉQIATIO.NS NCMÉRIQIES. A la fin de 1789, Fourier se rendit à Paris, et lut d’.wuit l’Académie des sciences un mémoire concernant \037

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303 JOSEPH FOUniRR. \037la isolation des équations numériques de tous les degrés. Ce travail de sa première jeunesse, notre confrère ne l’a pour ainsi dire jamais perdu de vue. 11 l’expliquait, à Paris, aux élèves de Nicole polytechnique; il le développait sur les bords du Nil, en présence de l’Institut d’Kgjptc; a Grenoble, depuis 1802, c’était le sujet favori de ses entretiens avec les professeurs de l’École centrale ou delà Faculté des sciences; ce mémoire, enfin, renfermait les fondements de l’ouvrage que Fourier faisait imprimer lorsque la mort vint le frapper. \037Vn sujet scientifique n’occupe pas tant de place, dans la vie d’un savant du premier ordre, sans avoir do l’importance et de la difficulté. La question d’analyse algébrique dont il vient d’être fait mention, et que Fourier a étudiée avec une si remarquable persévérance, n’est pas une exception à cette règle. Elle se présente dans un grand nombre d’applications du calcul au mouvement des astres ou a la physique des corps terrestres et, en général dans les problèmes qui conduisent à des équations d’un degré élevé. Dès qu’il veut sortir du domaine des abstractions, le calculateur a besoin des racines de ces équations; ainsi, l’art de les découvrira l’aide d’une méthode uniforme, soit exactement, soit par approximation, a dû de bonne heure exciter la sollicitude des géomètres. \037Un oil attentif aperçoit déjà quelques traces de leurs efforts, dans les écrits des mathématiciens de l’école d’Alexandrie, Ces traces, il faut le dire, sont si légères, m imparfaites, qu’on aurait vraiment le droit de ne faire remonter la nais.-anccde cette branche de l’analyse qu’aux excellents travaux de notre compatriote ict. JJoscartes, \037

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JOSEPH FOURIRR. !01 \037h qui on rend une justice bien incomplète quand on se contente de dire qu’il nous apprit beaucoup en nous apprenant a douter, s’occupa aussi un moment de ce problème, et y laissa l’empreinte ineffaçable de sa main puissante. lluddc donna pour un cas particulier, mais très-important, dos règles auxquelles on n’a depuis rien ajouté; Rollo, de l’Académie des sciences, consacra à cette unique question sa vie tout entière. Chez nos voisins d’outre-mer, Jlarrioi, Newton, Mac-Laurin, Stirling, Waring je veux dire toat ce que, dans le dernier siècle, l’Angleterre produisit de géomètres illustres, en firent aussi l’objet de leurs recherches. Quelques années apiAs, les noms de Daniel liernouilli d’Eulcr de Fontaine, vinrent s’ajouter à tant de grands noms. Lagrange, enfin entra son tour dans la carrière, et, dès ses premiers pas, il substitua aux essais imparfaits, quoique fort ingénieux, de ses prédécesseurs, une méthode complète et à l’abri de toute objcction. A partir de ce moment, la dignité de la science était satisfaite; mais, en pareille matière, il ne serait pas permis de dire avec le poëtc \037a Le temps ne fait rien à l’affaire. » \037Or, si les procédés inventés par Lagrange, simples dans li-ur principe, applicables à tous les cas, ont théoriquement le mérite de conduire au résultat avec certitude, ils exigeraient, d’autre part, des calculs d’une longueur ivbutante. Il restait donc à perfectionner la partie pratique de la question il fallait trouver les moyens d’abréger 1.1 route, sans lui rien faire perdre de sa silroté. Tel \037

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)0J JOSEPH FOURIER.

\037ét;\it In but principal des recherches de Fourier, et ce but il l’a atteint en grande partie. \037Descartes avait déjà trouvé dans l’ordre suivant lequel se succèdent les signes des différents termes d’une équation numérique quelconque, le moyen de décider, par exemple, combien cette équation peut avoir de racines réelles positives, Fourier a fait plus il a découvert une méthode pour déterminer en quel nombre les racines égalemejit positives de toute équation, peuvent se trouver comprises entre deux quantités données. Ici certains calculs deviennent nécessaires, mais ils sont très-simples, et quelque précision que l’on désire, ils conduisent sans fatigue aux solutions cherchées. \037Je doute que l’on puisse citer une seule découverte scientifique de quelque importance qui n’ait pas suscité des discussions de priorité. La nouvelle méthode de Fourier pour résoudre les équations numériques est, sous ce rapport, largement comprise dans la loi commune. On doit, au surplus, reconnaître que le théorème qui sert de base à cette méthode a été d’abord publié par M. Budan; que, d’après une règle qu’ont solennellement sanctionnée les principales académies de l’Europe, et dont les historiens des sciences ne sauraient s’écarter sans tomber dans l’arbitraire et la confusion M. Budan doit être considéré comme inventeur. Je dirai, avec une égale assurance, qu’il serait impossible de refuser à Fourier le mérite d’être arrivé au but par ses propres efforts. Je regrette même que pour établir des droits que personne n’entendait nier, il ait jugé nécessaire de recourir à des certificats d’anciens élèves de l’École potv technique ou de professeurs de \037

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JOSEPH FOURIER. 3or, \037W 1 v \037• ̃ VII.J \| Vl\s IIIIIHI |.7 a jll\.UIV 1*1* l’\ I |l tIV »’W 1 IV | II II’/ 11 <UJ’*F. – t. 20 \037l’Université. Puisque notre confrère avait la modestie de croire que sa simple déclaration ne devait pas suffire, pourquoi, et cet argument eût été plein de force, ne faisait-il pas remarquer à quel point sa démonstration diffère de celle de son compétiteur? Démonstration admirable, en effet, et tellement imprégnée des éléments intimes de la question, qu’un jeune géomètre, M. Sturm, vient d’en faire usage pour établir la vérité du beau théorème a l’aide duquel il détermine, non de plus simples limites, mais le nombre exact de racines d’une équation quelconque, qui sont comprises entre deux quantités donnée?, \037ROLE DE FOtRIER DANS NOTRE RÉVOLUTION. SON’ ENTRÉE DVNï LE CORPS ENSEIGNANT DE L’ÉCOLE NORMALE ET DE L’ÉCOLE POLVTECHNIQCE. EXPÉDITION D’EGYPTE. \037Tout à l’heure nous avions laissé Fourier à Paris, soumettant à l’Académie des sciences le travail analytique dont je viens de donner une idée générale. De retour à Auxerre, le jeune géomètre trouva la ville, les campagnes environnantes, et même l’école à laquelle il appartenait, vivement occupées des grandes questions de dignité humaine, de philosophie, de politique, qui étaient alors débattues par les orateurs des divers côtés de l’Assemblée, nationale. Fourier s’abandonna aussi à ce mouvement des esprits. Il embrassa avec enthousiasme les principes de la révolution, et s’associa ardemment à tout ce que l’élan populaire offrait de grand, de juste, de généreux. Son patriotisme lui fit accepter les missions les plus difficiles. Disons que jamais, même au péril de sa vie, il ne tran- \037

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306 JOSEPH FOURIER. \037pigea avec les passions basses, cupide?, sanguinaires, qui surgissaient de toutes parts. \037Membre de la Société populaire d’Auxerre, Fouriery exerçait un ascendant presque irrésistible. Un jour, la Bourgogne tout entière en a conservé le souvenir, à l’occasion de la levée de trois cent mille hommes il fit vibrer si éloqitcmmcnt les mots d’honneur, de patrie, de gloire; il provoqua tant d’enrôlements volontaires, que le tirage au sort devint inutile. A la voix de l’orateur, le contingent assigné au chef-lieu de l’Yonne se forma, se réunit spontanément dans l’enceinte même de rassemblée, et marcha s-ur-le-champ a la frontière. Malheureusement, ces luttes du forum dans lesquelles s’usaient alors tant de nobles \ks, étaient loin d’avoir toujours une importance réelle. De ridicules, d’absurdes, de burlesques motions, y hcurlaient sans cesse les inspirations d’un patriotisme pur, sincère, éclairé. La société populaire d’Auxerre nous fournirait, au besoin, plus d’un exemple de ces désobnfs contrastes. Ainsi je pourrais dire que, dans la nv?mc enceinte où Fourier sut exciter les honorables sentiments que j’ai rappelés avec bonheur, il eut, une autrefois, à combattre certain orateur, peut-ôtre bien intentionné, mais assurément mauvais astronome lequel voulant échopper, disait-il, au bon plaisir des administrateurs municipaux, demandait que les noms de quartiers du Nord, do l’Est, du Sud, de l’Ouest, fussent assignés aux diverses parties de la ville d’Auxerre, par la voie du sort. Les lettres, les beaux-arts, les sciences, semblèrent un moment devoir ressentir aussi l’heureuse, influence de la révolution française. Voyez, par exemple, avec quelle \037

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JOSEPH FOUR1ER. 3U7 \037largeur d’idées fut conçue la réforme dos poids et mesures quels géomètres, quels astronomes, quels physiciens e*minenls présidèrent à toutes les parties de ce grand travail! 1 1 fêlas! d’affreux déchirements intérieurs vinrent bientôt assombrir ce magnifique spectacle. Les sciences ne pouaient prospérer au milieu du combat acharné des factions Elles eussent rougi de rien devoir aux hommes de sang, dont les passions aveugles immolèrent les Saron, les llailly, les Lavoisicr. \037Pou de mois après le 9 thermidor, la Convention voulant ramener le pays vers des idées d’ordrc, de civilisation et de progrès intérieurs, songea à organiser l’instruction publique; mais où trouver des professeurs? Les membres laïques du corps enseignant, devenus officiers d’artillerie, du génie ou d’état-major, combattaient aux frontières les ennemis de la France. Heureusement, dans cette époque d’exaltation intellectuelle, rien ne semblait impossible. Les professeurs manquaient, on décréta qu’il en serait créé sans retard, et l’École normale naquit. Quinze cents citoyens de tout âge, présentés par les chefslieux de district, s’y trouvèrent aussitôt réunis, non pour étudier, dans toutes leurs ramifications, les diverses branches des connaissances humaines, mais afin d’apprendre, sous Ics plus grands maîtres, l’art d’enseigner. Fouricr était l’un de ces quinze cents élèves. On s’étonnera, non sans quelque raison, je l’avoue, quand je dirai qu’il fut élu a Saint-Florentin et quWuxerrc parut insensible a riionncurd’êlre représentée a Paris par le plusillustre do ses enfants. Mais cette indifférence sera comprise; on>uite s’écroulera sans retour Ic laborieux échafaudage \037

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30s JOSEPH FOURIER. \037de calomnies auquel elle a servi de base, des que je rappellerai qu’après le 9 thermidor la capitale, et surtout les départements, furent en proie à une réaction aveugle et désordonnée, comme le sont toujours les réactions politiques que le crime (pour avoir changé de bannière, il ri en était pas moins hideux) usurpa la place de la justice que d’excellents citoyens, des patriotes purs, moJérés, consciencieux, étaient journellement traqués par des bandes d’assassins à gages devant lesquelles les populations restaient muettes d’effroi. Telles sont, Messieurs, les redoutables influences qui privèrent un moment Tonrier du suffrage de ses compatriotes et le travestirent en partisan de Robespierre, lui que Saint-Just, faisant allusion a son éloquence douce et persuasive, appelait un patriote en musimie; lui que les décemvirs plongèrent tant de fois dans les cachots; lui qui, au plus fort de la Terreur, prêta devant le tribunal révolutionnaire le secours de son admirable talent à la mère du maréchal Davoust coupable du crime à cette époque irrémissible, d’avoir envoyé quelques sommes d’argent à des émigrés; lui qui, à Tonnerre, eut l’incroyable audace d’enfermer sous clef, à l’auberge, un agent du comité de salut puhlic dont il avait surpris le secret, et se donna ainsi le temps d’avertir un honorable citoyen qu’on allait arrêter; lui enfin qui s’attaquant corps à corps au proconsul sanguinaire devant lequel tout tremblait dans l’Yonne, le fit passer pour fou, et obtint sa révocation 1 Voilà, Messieurs, quelques-uns des actes de patriotisme, de dévouement, d’humanité qui signalèrent la première jeunesse de Fourier. Ils furent, vous l’avez vu, payés d’ingratitude; mais \037

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JOSEPH FOURIER. 309 \037doit-on vraiment s’en étonner? Espérer de la reconnaissauce de qui ne pourrait la manifester sans danger, ce serait méconnaître la fragilité humaine et s’exposer à de fréquents mécomptes. \037Dons l’École normale de la Convention, des débats succédaient de temps en temps aux leçons ordinaires. Ces jours-là les rôles étaient intervertis les élèves interrogeaient les professeurs. Quelques paroles prononcées par Fourier dans une de ces curieuses et utiles séances suffirent pour le faire remarquer. Aussi, dès qu’on sentit la nécessité do créer des maîtres de conférence, tous les yeux se porlèrent-ils sur l’élève de Saint-Florentin. La précision, la lucidité, l’élégance de ses leçons, lui conquirent bientôt les applaudissements unanimes de l’auditoire difficile et nombreux qui lui fut confié. \037A l’apogée de sa gloire scientifique et littéraire, Fourier reportait encore avec prédilection ses pensées sur 1 1’,)\ et sur les efforts sublimes que faisait alors la nation française pour créer un corps enseignant. S’il l’avait osé le titre d’élève de l’ancienne École normale eût été sans aucun doute celui dont il se serait paré de préférence. Cette école périt, Messieurs, de froid, de misère et de faim, et non pas, quoi qu’on en ait dit, à cause de quelques vices d’organisation, dont le temps et la réflexion eussent facilement fait justice. Malgré son existence si courte, elle donna aux études scientifiques une direction toute nouvelle qui a eu les plus importants résultats. En appuyant celle opinion de quelques développement, je m’acquitterai d’une tâche que Fourier m’eût certainement imposée, s’il avait pu soupçonner qu’à do. \037

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310 JOSEPH FOUIUEK. \037justes, qu’à d’éloquents éloges de son caractère et de ses travaux, rendraient, dans cette enceinte méTnc et par la bouche d’un de ses successeurs, se mêler de vives critiques de sa chère École normale. \037C’est à l’École normale conventionnelle qu’il faut inévitablement remonter, quand on veut trouver Ic premier enseignement public de la géométrie descriptive, cette belle création de Monge. C’est de là qu’elle est passée, presque sans modifications, à l’École polytechnique, dans les usines, dans les manufactures, dans les plus humbles ateliers. \037De l’École normale date aussi une véritable révolution dans l’étude des mathématiques pures. Alors des démonstrations, des méthodes, des théories importantes enfouies dans les collections académiques, parurent pour la première fois devant les élèves, et les excitèrent a refondre sur de nouvelles bases les ouvrages destinés à l’enseignement. \037A part quelques rares exceptions, les savants, en possession défaire avancer les sciences, formaient jadis en France une classe totalement distincte de celle des professeurs. En appelant les premiers géomètres, les premiers physiciens, les premiers naturalistes du monde au professorat, la Convention jeta sur les fonctions enseignantes un éclat inaccoutumé, et dont nous ressentons encore les heureux effets. Aux yeux du public, un titre qu’avaient porté les Lagrange, les Laplace, les Mongo, les lîcrthollet, devint avec raison l’égal des plus beaux titres. Si, sous l’Empire, l’École polytechnique compta parmi ses professeurs en exercice, des conseillers d’État \037

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JOSEPH FOURIER. ail \037des ministres, et le président du Sénat, n’en cherchez l’explication que dahs l’élan donné par l’École normale. Voyez dans les anciens grands collèges les professeurs, cachés on quelque sorte derrière leurs cahiers, lisant en chaire, au milieu de l’indillérence et de l’inattention dos clives, des discours laborieusement prépares, et qui, tous les ans, reparaissaient les mêmes. Hicn de pareil n’existait a l’Ecole normale les leçons orales y furent seules permises. L’autorité alla môme jusqu’à exiger <!es savants illustres, chargés de l’enseignement, la promesse formelle de ne jamais réciter des leçons qu’ils auraient apprises par cœur. Depuis cette époque, la chaire est du\cnuc une tribune d’où le professeur, identifié pour oiiisi dire avec ses auditeurs, voit dans leurs regards, dans leurs gestes, dans leur contenance, tantôt le besoin de se hâter, tantôt au contraire la nécessité de revenir sur ses pas, de réveiller l’attention par quelque observation incidente, de revêtir d’une forme nouvelle la pensée qui, dmsson premier jet, avait laissé les esprits en suspens. Et n’allez pas croire que les belles improvisations dont retentissait l’amphithéâtre de l’ficole normale restassent inconnues du public. Des sténographes, soldés parl’Ktat, les recueillaient. Leurs feuilles, après la révision des professeurs étaient envoyées aux quinze cents élèves, aux membres de la Convention, aux consuls et aux agents de la République dans les pays étrangers, a tous Ils administrateurs des districts. A côté des habitudes parcimonieuses et mesquines de notre temps, c’était certainement de la prodigalité. Personne toutefois ne se rendrait l’écho de ce reproche, quoique léger qu’il pa- \037

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3U JOSEPH FOURIER. \037raissc, s’il m’était permis de désigner dans cette enceinte môme un illustre académicien, à qui les leçons de l’École normale allèrent révéler son génie mathématique dans un obscur chef-lieu de district I \037Le besoin de remettre en évidence les importants services, aujourd’hui méconnus, dont l’enseignement des sciences est redevable à la première école normale m’a entratné plus loin que je ne voulais. J’espère qu’on me le pardonnera. L’exemple, en tout cas, ne sera pas contagieux. Les louanges du temps passé, vous le savez, Messieurs, ne sont plus de mode. Tout ce qui se dit, tout ce qui s’imprime, tend même à faire croire que le monde est ne* Cette opinion qui permet à chacun de s’attribuer un rôle plus ou moins brillant dans le grand drame cosinogonique, est sous la sauvegarde de trop de vanités pour avoir rien à craindre des efforts de la logique, \037Nous l’avons déjà dit, les brillants succès de Fourier à l’École normale lui assignèrent une place distinguée parmi les personnes que la nature a douées au plus haut degré du taleut d’enseigner. Aussi ne fut-il pas oublié par les fondateurs de l’École polytechnique. Attaché à ce célèbre établissement, d’abord avec le titre de surveillant des leçons de fortification, ensuite comme chargé du cours d’analyse, Fourier y a laissé une mémoire vénérée, et la réputation d’un professeur plcin de clarté, de méthode, d’érudition; j’ajouterai même la réputation d’un professeur plein de grâce, car notre confrère a prouvé que ce genre de mérite peut ne pas être étranger à renseignement des mathématiques. \037

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JUSEPHtOUKtHM. 313 \037l.~ -))’ t~ \037Les leçons de Fourier n’ont pas été recueillies. Le journal de l’École polytechnique ne renferme même qu’un seul Mémoire de lui, sur le principe des vitesses virtuelles. Ce Mémoire, qui probablement avait servi de texte une leçon montre que le secret des grands succès du célèbre professeur consistait dans la combinaison, arlistemçnt ourdie, de vérités abstraites, d’intéressantes applications et de détails historiques peu connus, puisés» chose si rare de nos jours, aux sources originales. Nous voici à l’époque où la paix de Léobcn ramena vers la capitale les principales illustrations de nos armées. Alors les professeurs et les élèves de l’École polytechnique eurent quelquefois l’honneur insigne de se trouver assis, dans leurs amphithéâtres, à côté des généraux Desaix et Bonaparte. Tout leur présageait donc une participation active aux événements que chacun pressentait, et qui, en effet, ne se firent pas attendre. \037Malgré l’état précaire de l’Europe, le Directoire se décida à dégarnir le pays de ses meilleures troupes, et à les lancer dans une expédition aventureuse. Éloigner dc Paris le vainqueur de l’Italie, mettre ain.>i un terme aux éclatantes démonstrations populaires dont sa présence était partout l’objet, et qui tôt ou tard seraient devenues un véritable danger, c’était tout ce que voulaient alors tes cinq chefs de la République. \037D’autre part, l’illustre général ne rêvait pas seulement la conquête momentanée de l’Egypte; il désirait rendre à ce pays son antique splendeur; il voulait étendre ses cultures, perfectionner les irrigations, créer de nouvelles industries, ouvrir au commerce de nombreux \037

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311 JOSEPH FOURIER. \037débouchés, tendre une main sccourablc à des populations malheureuses, les arracher au joug abrutissant sojs lequel elles gémissaient depuis des siècles, les doter enfin sans retard de tous les bienfaits de la civilisation européenne. D’aussi grands desseins n’auraient pas pu s’accomplir avec le seul personnel d’une armée ordinaire. 11 fallut faire un appel aux sciences, aux lettres, aux beauxarts il fallut demander le concours de quelques hommes de tête et d’expérience. Monge et Bcrthollet, l’un et l’autre membres de l’Institut et professeurs à l’École polytechnique, devinrent, pour cet objet, les recruteurs du chef de l’expédition. Cette expédition nos confrères en connaissaient-ils réellement le but? Je n’oserais pas l’affirmer; mais je sais, en tout cas, qu’il ne leur était pas permis de le divulguer. Nous allons dans un pays éloigné; nous nous embarquerons a Toulon; nous serons constamment avec vous; le général Bonaparte commandera l’armée; tel était, dans le fond et dans la forme, le cercle restreint de confidences qui leur avait été impérieusement tracé. Sur la foi de paroles aussi vagues, avec les chances d’un combat naval, avec les pontons anglais en perspective, aile/, aujourd’hui essayer d’cnrôler un père de famille, un savant déjà connu par des travaux utiles et placé dans quelque poste honorable; un artiste en possession do l’estime et de la confiance publiques, et je me trompe fort si vous recueillez autre chose que des refus; mais, en I79S, la l’rance sortait a peine d’une crise terrible, pendant laquelle son existence même avait été fréquemment mise en problème. Qui d’ailleurs ne s’était trouvé expose \037

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JOSEIM FOUMER. 315 \037à d’imminents dangers personnels? Qui n’avait vu de ses propres yeux des entreprises vraiment désespérées conduites une heureuse fin? En faut-il davantage pour expliquer ce caractère aventureux, cette absence de tout souci du lendemain qui paraît avoir été un des traits les plus paillants de l’époque directoriale. Fourier accepta donc, mus hésiter, les propositions que ses collègues lui portèrent ni nom du général en chef; il quitta les fonctions pi recherchées de professeur à l’École polytechnique, pour aller. il ne savait où; pour faire. il ne savait quoi 1 \037Le hasard plaça l’ouricr pendant la traversée sur le bâtiment qui portait Rléber. L’amitié que le savant et l’homme de guerre se vouèrent dès ce moment n’a pas été sans quelque influence sur les événements dont lllgjpto fut le théâtre après le départ de Napoléon. Celui qui signait ses ordres du jour « le membre dc

  • rinslilul commandant en chef l’année d’Orient, » ne

pouvait manquer de placcr une Académie parmi les moyens de régénération de l’antique royaume des Pharaons. La vaillante armée qu’il commandait \cnait ?i peine de conquérir le Kairc dans la mémorable bataille dis Pyramides, que l’Institut d’Egypte naquit. Quarantehuit membres, séparés en quatre sections, devaient L composer. Mongc eut l’honneur d’en être Ic premier président. Comme à Paris, Bonaparte appartenait aux sections mathématique?. La place de secrétaire perpétuel abandonnée au libre choix de la compagnie, fut tout d’une voix donnée a Fourier. \037Vous avez vu le célèbre géomètre remplir les mêmes \037

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316 JOSEPH FOUR1ER. \037fondions à l’ Académie des sciences; vous avez apprécié l’étendue de ses lumières, sa bienveillance éclairée, son inaltérable affabilité, ton esprit droit et conciliant. Ajoutez par ta pensée, tant de rares qualités, l’activité que la jeunesse, que la santé peuvent seules donner, et vous aurez recréé le secrétaire de l’Institut d’Egypte, et le portrait que je voudrais en faire pâlirait à côté du modèle. \037Sur les bords du Nil, Fourier se livrait à des recherches assidues sur presque toutes les branches de connaissances que comprenait le vaste cadre de l’Institut. La Décatie et le Courrier Je ï Egypte font connaître les titres de ses divers travaux. J’y remarque un mémoire sur la résolution générale des équations algébriques; des recherches sur les méthodes d’élimination; la démonstration d’un nouveau théorème d’algèbre; un mémoire sur l’anal} se indéterminée; des études sur la mécanique générale un travail technique et historique sur l’aqueduc qui porte les eaux du Nil au château du Kaire; des considérations sur les Oasis le plan de recherches statistiques à entreprendre sur l’état de l’Egypte le programme des explorations auxquelles on devrait se livrer sur l’emplacement de l’ancienno Memphis, et dans toute l’étendue des sépultures; le ta bleau des révolutions et des mœurs de l’Egypte, depuis sa conquête par Sélim. ` .le trouve encore, dans la Décade égyptienne, que, le premier jour complémentaire de l’an vi, l’ourier présenta a &l’J:istitut la description d’une machine destinée h faciliter les irrigations, et qui devait être mue par la force du vent. \037

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JOSEPH FOURIER. 317 \037Ce travail, si éloigné de la direction ordinaire dp* idées de notre confrère, n’a pas été imprimé. 11 trouverait naturellement sa place dans un ouvrage dont l’expédition d’Egypte pourrait encore fournir le sujet malgré les nombreuses et belles publications qu’elle a déjà fait naître ce serait la description des fabriques d’acier, d’armes, de poudre, de drap, de machines, d’instruments de toute espèce que notre armée eut à improviser. Si pendant notre enfance, les expédients que Robinson Crusoé met en œuvre pour échapper aux dangers romanesques qui viennent sans cesse l’assaillir, excitent vivement notre inlérêl, comment dans l’Age mûr verrions-nous avec indifférence c une poignée de Français, jetée sur les rives inhospitalières de l’Afrique, sans aucune communication possible avec la mère patrie, forcée de combattre a la fois les éléments et de formidables armées, manquant de nourriture, de vêtements, d’armes, de munitions, et suppléant à tout à force de génie I \037La longue route que j’ai encore à parcourir me permettra à peine d’ajouter quelques mots sur les services ndminisf ratifs de l’illustre géomètre. Commissaire fiança !s auprès du divan du Kaire, il était devenu l’intermédiaire ofliciel entre le général en chef et tout Égyptien qui pouvait avoir h se plaindre d’une attaque contre sa personne, fa propriété, ses mœurs, ses usages, sa croyance. Des farines toujours douces; de scrupuleux ménagements pour dos préjugés, qu’on eût vainement combattus de front; un esprit de justice inflexible, lui avaient donné sur la population musulmane un ascendant que les préceptes du Koran ne permettaient guère d’e.-jtfrer, et qui servit puis- \037

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ils JOSEPH FOURII-R. \037somment à entretenir des relations ninieales entre les habitants du Kaire et le soldat français. Fouricr était surtout cn vénération parmi les cheiks et les ulémas. L’ne seule jinecdote fera comprendre que ce sentiment était commandé par la plus légitime reconnaissance. \037L’F.inir Hadgy, ou prince de la caravane, que le général lïoiuipartc avait nommé- en arrivant au Kaire, s’évada pendant la campagne de .Syrie. On eut, des lors, de Irèsfortes raisons de croire que quatre cheiks ulémas s’élaient rendus complices de la trahison. l)c retour en Egypte, lionopartc confia l’examen de cette grave affaire à Fo.irier. « Ne me proposez pas, dit-il, des demi-mesures. Vous avez à prononcer sur de grands personnages il faut ou IciiL1 trancher la tOte, ou les imiter à dîner. Le le i(Kinain de cet entretien, les quatre cheiks dînaient avoc le général en chef. En suivant les inspirations de son cœur, Fourier ne faisait pas seulement un acte d’humanité, c’était de plus de l’excellente politique’. Noire savant confrère, AI. fieoffroy Saint-Hilairc, de qui je liens l’anecdote, raconte en effet que Soleyman el Fayouini, le principal des chefs égyptiens, dont le supplice, grâce notre confrère, s’était transformé si heureusement en un banquet saisissait toutes les occasions de célébrer parmi ses compatriotes la générosité française. \037Fourier ne montra pas moins d’habileté lorsque nos généraux lui donnèrent des missions diplomatiques. C’est a sa finesse, à son aménité, que notre aimée fut redevable d’un traité d’alliance offensive et défensive avec MouradIîcy. Justement fier du résultat, Fourier oublia de faire connaître les détails de la négociation. On doit vivement \037

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JOSEPII FOURIER. 319 \0371. \037!c regretter, car le plénipotentiaire de Mourad était une femme, cette mémo Sitty Néfiçah, que Kl<M)er a immortalise en proclamant sa bienfaisance, son noble caractère dans le bulletin d’Héliopolis, et qui, du reste, était déjà célèbre d’une extrémité de l’Asie à l’autre, a cause dis révolutions sanglantes que sa beauté sans pareille avait suscitées parmi les mameluks. \037L’incomparable victoire que Kléber remporta sur l’armée du grand vizir n’abattit point l’énergie dos janissaires qui s’étaient emparés du Kairc pendant qu’on combattait a. Héliopoli?. Ils se défendirent de maison on maison avec un courage héroïque. On avait a opter entre l’entière destruction de la ville et une capitulation honorable pour les assiégés. Ce dernier parti prévalut Fouricr, comme d’habitude, chargé de la négociation, la conduisit <\ bon port; mais, cette fois, le Irailé ne fut pas discuté, convenu et signé dans l’enceinte mystérieuse d’un Iiarem, sur de moelleux divans, a l’ombre de bosquets embaumé?. Les pourparlers eurent lieu dans une maison à moitié ruinée par les boulots et par la mitraille; au centre du quartier dont les révoltés disputaient vaillamment la possession a nos soldats; avant même qu’oiwù4. pu convenir des bases d’une trêve de quelques heures. Aussi, lorsque Fourier s’apprêtait a. célébrer, suivant les coutumes orientales, la bienvenue du commissaire turc, de nombreux coups de fusil partirent delà maison en face, ot une balle traversa la cafetière qu’il tenait a la main. Sans vouloir mettre en question la bravoure de personne, ne pensez-vous pas, Messieurs, que si les diplomates étaient ordinairement places dans des positions aussi péril- \037

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3ÎO JOSEPH FOURIER. \037leuses, le public aurait moins h se plaindre de leurs proverbiales lenteurs? \037Pour réunir en un seul faisceau les services administratifs de notre infatigable confrère, j’aurais encore à vous lo montrer, sur l’escadre anglaise, au moment de la capitulation de Menou, stipulant diverses garanties en fa\cur des membres de l’Institut d’Egypte mais des services non moins importants et d’une autre nature, réclament aussi notre attention. Ils nous forceront même à revenir sur nos pas, à remonter jusqu’à l’époque, de glorieuse mémoire, où Dcsaix achevait la conquête de la haute Egypte, autant par la sagesse, la modération et l’inflexible justice de tous ses actes, que par la rapidité et l’audace des opérations militaires. Bonaparte chargea alors deux commissions nombreuses d’aller explorer dans ces régions reculées, une multitude de monuments dont les modernes soupçonnaient à peine l’existence, l’ourler et Costaz furent les commandants de ces commissions; je dis les commandants, car une force militaire assez imposante leur avait été confiée car c’était souvent à l’issue d’un combat avec des tribus nomades d’Arabes, que l’astronome trouvait dans le mouvement des astres, les éléments d’une future carte géographique; que le naturaliste recueillait des végétaux inconnus, déterminait, la constitution géologique du sol, se livrait à des dissections pénibles; que l’antiquaire mesurait les dimensions des édifices, qu’il essayait de copier avec exactitude les images fantasques dont tout était couvert dans ce singulier pays, depuis les plus petits meubles, depuis les simples jouets des enfants, jusqu’à ces prodigieux palais, \037

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JOSEPH FOURIER. 3Î1 p 11. _c _1 m_ \0371.-1. 21 \037jusqu’à ces façades immenses à côté desquelles les plus vastes constructions modernes attireraient à peine un regard. \037Les deux commissions savantes étudièrent avec un soin scrupuleux le temple magnifique de l’ancienne Tentyris, et surtout les séries de signes astronomiques qui ont soulevé de nos jours de si vifs débats; les monuments remarquablcs de l’Ile mystérieuse et sacrée d’Éléphantine; les ruines de ïhèbes aux cent portes, devant lesquelles (et ce n’étaient cependant que des ruines!) notre armée étonnée s’arrêta tout entière pour applaudir. \037Fouricr présidait encore, dans la haute Egypte, à ces mémorables travaux, lorsque le général en chef quitta brusquement Alexandrie, et revint en France avec ses principaux amis. Ils se trompèrent donc, ceux qui, ne voyant pas notre confrère sur la frégate le Muiron, à côté de Mange et de Berthollet, imaginèrent que Bonaparte pas su apprécier ses émincntes qualités. Si Fouricr ne fut point du voyage, c’est qu’il était à cent lieues de la Méditerranée quand le Muiron mit à la voile. L’explication cesse d’être piquante, mais elle est vraie. lui tout cas, l’amitié de Klébcr pour Ic secrétaire de l’Institut d’figypte, la juste influence qu’il lui accorda dans une multitude d’occasions délicates, l’eussent amplement dédommagé d’un injuste oubli. \037J’arrive, Messieurs, à l’époque, de douloureuse ir.émoire, où les agas des janissaires réfugiés en Syrie, désospérant de vaincre, à l’aide des armes loyales du soldat, nos troupes si admirablement commandées, curenl recours au stvlet du lâche. Vous le savez, un jeune \037

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iîi JOSEPH FOURIER. \037fanatique dont on avait cxalté l’imagination dans Ics masquées, par un mois de prières et d’abstinence, frappa d’un coup mortel le héros d’Iléliopolis, au moment où, sans défiance, il écoutait avec sa bonté ordinaire le récit de prétendus griefs et promettait réparation. Ce malheur, à jamais déplorable, plongea notre colonie dans une aflliction profonde. Les Égyptiens euxmêmes mêlèrcnt leurs larmes à celles des soldats français. Par une délicatesse de sentiment dont nous avons le tort de ne pas croire les mahométans capables, ils n’oublièrent point alors, ils n’ont jamais oublié depuis, de faire remarquer que l’assassin et ses trois complices n’étaient pas nés sur les bords du Nil. \037L’année, pour tromper sa douleur, désira que les funéraillesde kléber fussent célébrées avec une grande pompe. Elle voulut aussi qu’en ce jour solennel ou lui retraçât la longue série d’actions éclatantes qui porteront le nom de l’illustre général jusqu’à nos derniers neveux. Par un concert unanime, cette honorable et périlleuse mission fut confiée à Fourier. \037Il c?t bien peu d’hommes, Messieurs, qui n’aient pas vu les rêves brillants de leur jeunesse aller se briser, l’un «près Faulrc, contre les tristes réalités de l’âge mûr. Fouricr a été une de ces rares exceptions. \037Reportez-vous, en eflet, par la pensée, à 1780, et cherchez ce que t’avenir pouvait promettre- à l’humblc néophjte de îSainl-Uenoît-sur-Loir. Sans doute un peu de gloire littéraire la faveur de se faire entendre quelquefois dans les temples de la capitale; la satisfaction d’èlre charge" du panégyrique de tel ou tcl personnage olïiçicl- \037

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JOSEPH pOURIER. 323 \037lement célèbre. Eh bien 1 neuf années se seront à peine <?coultîcs, et vous le trouverez à la tète de l’Institut d’Egypte, et il sera l’oracle, l’idole d’une compagnie qui comptait parmi ses membres, Bonaparte, Berthollet, Mongc, Malus, Geoffroy Saint-Ililaire, Conté, etc.; et s;hh cesse les généraux se reposeront sur lui du soin do dénouer des difficultés en apparence insolubles, et l’armée d’Orient elle-même, si riche dans tous les genres d’illustrations, ne voudra pas d’autre interprète quand il faudra raconter les hauts faits du héros qu’elle venait do perdre. \037Ce fut sur la brèche d’un bastion récemment enlevé d’assaut par nos troupes, en vue du plus majestueux des Ik-uves, de la magnifique vallée qu’il féconde, de l’affreux désert de Libye des colossales pyramides de Gizeh ce fut en présence de populations d’origines diverses ([tic le Kairc réunit dans sa vaste enceinte, devant les plus vaillants .soldats qui jamais eussent foulé une terre ou, cependant, les noms d’Alexandre et de César retentissent encore; ce fut au milieu de tout ce qui pouvait émouvoir le cœur, les idées, exciter l’imagination que l’ourier déroula la noble vie de Kléber. L’orateur était écouté avec un religieux silence; mais bientôt, diVigno.it du geste les soldats rangés en bataille devant lui, il s’écrie: «Ah! combien de vous eussent aspire* ù l’honneur de se jeter entre kléber et son assassin! Je vous prends a témoin, intrépide cavalerie qui accourûtes pour le sauver sur les hauteurs de Koraïm, et dissipâtes en un instant la multitude d’ennemis qui rayaient enveloppé! » A ces mots un frémissement électrique agite l’armée tout entière; les \037

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3»i JOSEPH FOURIKR. \037drapeaux s’inclinent, les rangs se pressenti les armes s’entro-clioquent, un long gémissement s’échappe de quelques milliers de poitrines déchirées par le sabre et par la mitraillc, et la voix de l’orateur va se perdre au milieu des sanglots. \037Peu de mois après, sur le même bastion, devant les munies soldats, Fourier célébrait, avec non moins d’ éloquence, les exploits, les vertus du général que les peuples conquis en Afrique saluèrent du nom si flatteur de sulktn juste; et qui venait de faire à Marengo le sacrifice de sa vie, pour assurer le triomphe des armes françaises. Fourier ne quitta l’Egypte qu’avec les derniers débris de l’armée à la suite de la capitulation signée par Mcnou. De retour en France, ses premières, ses plus constantes démarches eurent pour objet l’illustration de l’expédition mémorable dont il avait été un des membres les plus actifs et les plus utiles. L’idée de rassembler en un seul faisceau les travaux si variés de tousses confrères, lui appartient incontestablement. J’en trouve la preuve dans une lettre, encore manuscrite, qu’il écrivit à Kléber, de Thèbes, le 20 vendémiaire an vu. Aucun acte public dans lequel il soit fait mention de ce grand monument littéraire, n’est d’une date antérieure. L’Institut du Kairc, en adoptant dès le mois de frimaire an vm le projet d’un ouvrage cl’H’ple, connaît à Fourier le soin d’en réunir 1es Clnnents épars, de les coordonner, et de rédiger l’introduction générale. \037Cette introduction a été publiée sous le titre de Préface historique. Fontancs y voyait réunies les grâces d’Athènes et la sagesse de l’Egypte, Que pourjais-je ajouter a un pareil \037

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JOSEPH FOUltIKR. 325 \037éloge? Je dirai seulement qu’on y trouve, en quelques pages, les principaux traits du gouvernement des Pharaons, et Ics résultats de l’asservissement de l’antique llgyplc par les rois de Perse, les Ptolémées, les successeurs d’Auguste, empereurs de Byzance, les premiers califes, le céiï’brc Saladin, les mameluks et lesprinces ottomans. Les diverses phases de notre aventureuse expédition y sont surtout caractérisées avec le plus grand soin. Fourier porte le scrupule jusqu’à essayer de prouver qu’elle fut légitime. J’ai dit seulement jusqu’à essayer, car, en ce point, il pourrait bien y avoir quelque chose à rabattre do la seconde partie de l’éloge de Fontanes. Si, en 1797, nos compatriotes éprouvaient au Kairc ou à Alexandrie, des outrages, des extorsions que le Crand Seigneur ne voulait ou ne savait pas réprimer, on peut, à toute rigueur, admettre que la France devait se faire justice ellc-m/me, qu’elle avait le droit d’envoyer une puissante armée pour mettre les douaniers turcs à la raison. Mais il y a loin de là à soutenir que le divan de Constantinople aurait dû favoriser l’expédition que notre conquête allait, en quelque sorte lui rendre l’Egypte et la Syrie; que la prise d’AIoandrie et la bataille des Pyramides ajouteraient à l’éclat du nom ottoman! Au surplus, le public s’est empressé d’absoudre Fourier de ce qu’il y a de hasardé d; ns cette petite partie de son bcl ouvrage. Il en a cherché l’origine dans les exigences de la politique. Tranchons le mot, derrière certains sophismes, i a cru voir la main do l’ancien général en chef de l’armée d’Orient! Napoléon aurait donc participé par des avis, par des conseils, ou, si l’on veut, par des ordres impératifs, à la \037

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320 JOSEPH FOURIER. \037composition du discours de Fourier. Ce qui naguère n’était (lu’uuc conjecture plausible est devenu maintenant un fait incontestable. CrAcc a la complaisance de M. Champollion-Figcac, je tenais ces jours derniers dans mes mains, quelques parties des premières {preuves de la préface historique. Ces épreuves lurent remises à l’Empereur, qui voulut en prendre connaissance a tôte reposée avant de les lire avec Fourier. Elles sont couvertes de notes marginales, et les additions qui en ont été la conséquence s’élèvent à pies du tiers de l’étendue du discours primitif. Sur ces feuilles, comme dans l’œuvre définitive livrée au puhlic, on remarque l’absence complète de noms propres il n’y a d’exception que pour les trois généraux en chef. Ainsi Fouricr s’ftait imposé- hn-même la réserve que certaines vanités ont tant blAmée. J’ajouterai que nulle part, sur les épreuves si précieuses de M. Clwmpollion, on n’aperçoit de traces des misérables sentiments du jalouMc qu’on a prêtés à Napoléon. Il est vrai qu’en montrant du doigt le mot illustre appliqué à Kléber, l’Empereur dit A notre confrère « Qi ki.ql’in m’a fait remarquer citti: tfi’iTiiÈTE;» mais après une petite pause il ajouta «H est convenu que vous In laisserez, car elle est juste et lien méritée. » Ces paroles, Messieurs, honoraient encore moins le monarque qu’elles ne flétrissaient dans le quelqu’un, que je regrette de ne pouvoir désigner autrement, ces vils courtisans, dont toute la vie se passe a épier les faiblesses, les mauvaises passions de leurs maîtres, afin de s’en faire Ic marchepied qui doit les conduire aux honneurs et a la furtunc! \037

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JOSEPH FOURIER. 3*7 \037FOURIER PRÉFET DE L’ISÈRE. \037A peine de retour en Europe, Fourier fut nommé (le 2 jnnsicr 1802) préfet du département de l’Isère. L’ancien Dauphiné était alors en proie a des dissensions politiques ardente1?. Les républicains, les partisans de l’émigration, ceux qui s’étaient rangés sous les bannières du gouvernement consulaire, formaient autant de castes distinctes entre lesquelles tout rapprochement semblait impossible. Kh bien, Messieurs, l’impossible, Fourier l’opéra. Son premier soin fut de faire considérer l’hôtel de la préfecture comme un terrain neutre, où chacun pouvait.so montrer suis même l’apparence d’une concession. La seule curiosité, d’abord, y amena la foule; mais la foule revint, car, en France, elle déserte rarement les salons où l’on trouve un hôte poli, bienveillant, spirituel sans fatuité et savant sans pédanterie. Ce qu’on avait divulgué des opinions de notre confrère sur l’antibiblique ancienneté des monuments égyptiens inspirait surtout de vives appréhensions au parti religieux on lui apprit adroitement que le nouveau préfet comptait un saint dans sa famille; que le bienheureux Pierre Fourier, instituteur des rcligieusesde la congrégation de Notre-Dame, était son grrndonrïe, et cette circonstance opéra un rapprochement que l’inébranlable respect du premier magistrat de Grenoble pour toutes les opinions consciencieuses cimenta chaque jour davantage. \037l)«\s qu’il fut assuré d’une (rêve avec les partis politiques et religieux, Founcr put se Ihrer sans nVinc aux \037

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328 JOSEPH FOURIER. \037devoirs de sa place. Ces devoirs, il ne les faisait pas seulement consister à entasser sans mesure et sans profit, paperasse sur paperasse. Il prenait une connaissance personnelle des projets qui lui étaient soumis il se faisait le promoteur infatigable de tous ceux que des préjugés cherchaient à étouffer dans leur germe. On doit ranger dans cette dernière classe la superbe route de Grenoble à T.irin parle Mont Genèvre, que les événements de \8\h sont venus si malheureusement interrompre, et surtout le dessèchement des marais de Bourgoin. \037Ces marais, que Louis XIV avait donnés au maréchal de Turenne, étaient un foyer d’infection pour les trentesept communes dont ils couvraient en partie le territoire. Fourier dirigea personnellement les opérations topograpliiqucs qui établirent la possibilité du dessèchement. Ces documents à la main, il alla de village en village, je dirais presque de maison en maison, régler le sacrifice que chaque famille devait s’imposer dans l’intérêt général. A force de ménagements, de tact, de patience « en prenant l’épi dans son sens et jamais à rebours,* trentesept conseils municipaux furent amenés à souscrire une transaction commune, sans laquelle l’opération projetée n’aurait pas même pu avoir un commencement d’exécution. Le succès couronna cette rare persévérance. De riches moissons, de gras pAfuragcs, de nombreux troupeaux, une population forte et heureuse, couvrent aujourd’hui un immense territoire, où jadis le voyageur n’o?ait pas s’arrêter seulement quelques heures, \037lTn des prédécesseurs de Pourier dans la charge de secrétaire perpétuel de l’Académie, crut un jour devoir \037

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JOSEPH FOURIER. 329 \037s’excuser d’avoir rendu un compte uctnillé de certaines recherches de Leibnitz qui n’avaient point exigé de grands clTorts d’intelligence «On doit être, disait-il, fort obligé ?» un homme tel que lui, quand il veut bien, pour l’utilité publique, faire quelque chose qui ne soit pas de génie! » Je n’ai pas à concevoir de pareils scrupules aujourd’hui les sciences sont envisagées de trop haut pour qu’on puisse hésiter à placer au premier rang des travaux dont elles s’honorent, ceux qui répandent l’aisance, la .santé, Ic bonheur au sein des populations ouvrières. \037En présence d’une partie de l’Académie des inscriptions dans une enceinte où le nom d’hiéroglyphe a si souvent retenti je ne puis pas me dispenser de dire le service que Fourier rendit aux sciences en leur conservant Champollion. Le jeune professeur d’histoire a la faculté des lettres de Grenoble vient d’atteindre vin;t ans. IiC sort l’appelle prendre le mousquet. FouriT l’e.vmpte en s’appuyant sur le titre d’élève de l’École des langues orientales, que Champollion avait eu à Taris. Le ministère de la guerre apprend que l’élève donna jadis sa démission; il cric à la fraude et lance un ordre de départ foudroyant, qui semble même interdire l’idée d une réclamation. Fourier cependant ne se décourage point; ses démarches sont habiles et pressantes; il fait enfui une peinture si animée du talent précoce de son jnuic ami, qu’elle arrache au pouvoir un décret d’exemption spécial. Il n’était pas facile, Messieurs, d’obtenir de pareils succès. A la même époque, un conscrit, membre <k notre Académie, ne parvenait à faire révoquer son ordre de départ qu’en déclarant qu’il suivrait a pied, et \037

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330 JOSEPH FOURIER. \037en ccstumc de l’Institut, le contingent de l’arrondissement de Paris dans lequel il se trouvait classé. THÉORIE MATHÉMATIQUE DE LA CHALEIR. \037Les travaux administratifs du préfet de l’Isère interrompirent à peine les méditations du littérateur et du géomètre. C’est de Grenoble que datent les principaux écrits de l’curici’; c’est à Grenoble qu’il composa la Théorie mathématique de la chaleur, son principal titre à la reconnaissance du monde savant. \037Je suis toin de m’avcugler sur la difficulté d’analyser clairement ce bel ouvrage, et toutefois je vais essayer de marquer un a un les pas qu’il a fait faire à la science. Vous m’écoulcrez, Messieurs, avec indulgence, malgré plusieurs détails minutieusement techniques, puisque je remplis le mandat dont vous m’avez honoré. Les peuples anciens avaient pour le merveilleux un goût disons mieux, une passion qui leur faisait oublier jusqu’aux devoirs sacres de la reconnaissance. Voyez-les, par exemple, groupant en un seul faisceau les hauts faits d’un grand nombre de héros dont ils n’ont pas môme daigné conserver les noms, et en doter le seul personnage d’Hercule. La suite des siècles ne nous a pas rendus plus sages. Le public, a notre époque, môle aussi avec délices la fable à l’histoire. Dans toutes les carrière. dans celle des sciences surtout, il se complaît h créer des Hercules. Aux yeux du vulgaire, il n’est pas une découverte fstronomique qui ne soit duc a Hcrschel. La tliéorie des mouvements planétaires est identifiée avec le nom \037

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1OSEPII rOUHIEH. 334 \037de Lnplacc; peine accorde-t-on un léger souvenir aux éminents travaux de d’Alembert, de Clairaut, d’Euler, de Lagrange. Watt est le créateur exclusif de la machine a vapeur. Chaptal a doté les arts chimiques de l’ensemble des procédas féconds, ingénieux, qui assurent leur prospérité. Dans cette enceinte mé’mc, une voix éloquente, ne disait-elle pas naguère qu’avant Fourier, lo phénomène de la chaleur était à peine étudié; que lo célèbre géomètre avait fait lui seul plus d’observations que tous ses devanciers ensemble; qu’inventeur d’une science nouvelle, d’un seul jet il l’avait presque achevée! Au risque d’être beaucoup moins piquant, l’organe do l’Académie des sciences ne saurait se permettre de pareils élans d’enthousiasme. Il doit se rappeler que ces solennités n’ont pas seulement pour objet de célébrer les découvertes des académiciens; qu’elles sont aussi destinées a féconder le mérite modeste; qu’un observateur oublié, de ses contemporains, est souvent soutenu dans ses veilles laborieuses par la pensée qu’il obtiendra un regard bienveillant de la postérité. Autant que cela dépend do nous, faisons qu’un espoir aussi juste, aussi naturel ne soit pas déçu. Accordons un légitime, un éclatant hommage h ces hommes d’élite que la nature a doués du précieux privilège de coordonner mille faits isolés, d’en faire jaillir de séduisantes théories; mais n’oublions pas que la faucille du moissonneur avait coupé les épis avant qu’on pût soiiger à les réunir en gerbes! f \037La chaleur se présente dans les phénomènes naturels et dans ceux qui sont le produit de l’art sous deux formes entièrement distinctes, que Fourier a envisagées sépuré- \037

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332 JOSEPH FOURIER. \037ment. J’adopterai la même division, en commentant toutefois l’analyse historique que je dois vous soumettre par la chaleur rayonnante. \037Personne ne peut douter qu’il n’y ait une différence physique, bien digne d’être étudiée, entre la boule de fer à la température ordinaire qu’on manie a son gré, et la boule de fer de même dimension que la flamme d’un fourneau a fortement échauffée, et dont on ne saurait approcher sans se brûler. Cette différence, suivant la plupart des physiciens, provient d’une certaine quantité d’un fluide élastique, impondérable, ou du moins impondéré, avec lequel la seconde boule s’était combinée dans l’acte de réchauffement. Le fluide qui, on s’ ajoutant aux corps froids, les rend chauds, est désigné par le nom de cita*leur ou de calorique. \037Les corps inégalement échauffés, placés en présence, agissent les uns sur les autres, même à de grandes dislances, môme à travers le vide, car les plus froids se réchauffent et les plus chauds se refroidissent car, après un certain temps, ils sont au même degré, quelle qu’ait été la différence de leurs températures primitives. Dans l’hypothèse que nous avons signalée et admise, il n’est qu’une manière de concevoir cette action à distance c’est de supposer qu’elle s’opère à l’aide de certains effluves qui traversent l’espace en allant du corps chaud au corps froid; c’est d’admettre qu’un corps chaud lance autour de lui des rayons de chaleur, comme les corps lumineux lancent des ra\ons de lumière. lif-s effluves, les émanations rayonnantes à l’aide desquelles doux corps éloignés l’un de l’autre se mettent en \037

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JOSEPH FOURIER. 33» I_P~ _uA W J.d’ -1. \037communication calorifique, ont été très-convenablement daignés sous Ic nom de calorique rayonnant. Le calorique rayonnant avait déjà été, quoi qu’on en ait dit, l’objet d’importantes expériences, avant les travaux de Fourier. Les célèbres académiciens del l Cimcnto trouvaient, il y a près de deux siècles, que ce calorique se réllécliit comme la lumière; qu’ainsi que la lumière, un miroir concave le concentre à son foyer. En substituant des boules de neige à des corps échauffés ils allèrcnt même jusqu’à prouver qu’on peut former des foyers frigorifiques par voie de réflexion. \037Quelques années après, Mariotte, membre de cette Académie, découvrit qu’il existe différentes natures de calorique rayonnant; que celui dont les rayons solaires sont accompagnés, traverse tous les milieux diaphanes aussi facilement que le fait la lumière; tandis que le calorique qui émane d’une matière fortement échauffée mais encore obscure tandis que les rayons de calorique, qui se trouvent mêlés aux rayons lumineux d’un corps médiocrement incandescent, sont arrêtés presque en totalité dans leur trajet au travers de la lame de verre la plus transparente! 1 \037Cette remarquable découverte, pour le dire en passant, montra combien avaient été heureusement inspirés, malgré les railleries de prétendus savants, les ouvriers fondcurs qui de temps immémorial, ne regardaient la matière incandescente de leurs fourneaux qu’à travers un verre de \itre ordinaire, pensant, à l’aide de cet artilice, arrêter seulement la chaleur qui eût brûlé leurs yeux. \037

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m JOSEPH FOURIER. \037Dans les sciences expérimentâtes, les époques do brill; nts progrès sont presque toujours séparées par de longs intervalles d’un repos à peu près absolu. Ainsi, après Mariotte il s’écoule plus d’un siècle sans que l’histoire ait à enregistrer aucune nouvelle propriété du calorique rayonnant. Ensuite, et coup sur coup, on trouve dans la lumière solaire des rayons calorifiques obscurs, dont l’existence ne saurait être constatée qu’avec le thermomètre, ct qui peuvent être complètement séparés des rayons lumineux à l’aide du prisme; on découvre, à à l’égard des corps terrestres, que l’émission des rayons calorifiques, et conséquemment que le refroidissement de ces corps est considérablement ralenti par le poli des surfaces; que la couleur, la nature et l’épaisseur des enduits dont ces mêmes surfaces peuvent être revêtues, exercent aussi une influence manifeste sur leur pouvoir émissif; l’expérience enfin rectifiant les vagues prévisions auxquelles les esprits les plus éclairés s’abandonnent euxmêmes avec tant d’étourderic, montre que les rayons calorifiques (lui s’élancent de la paroi plane d’un corps échauffé n’ont pas la même force, la même intensité dans toutes les directions; que le maximum correspond à rémission perpendiculaire, et le minimum aux émissions parallèles la surface. \037Entre ces deux positions extrêmes, comment s’opère l’affaiblissement du pouvoir émissif? Leslic chercha, le premier, la solution de cette question importante. Ses observations semblèrent prouver que les intensités des ra\ons sortants sont proportionnelles (il faut bien, Messieurs, que j’emploie l’expression scientifique), sont \037

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JOSEPH FOURIER. m \037proportionnelles aux sinus des angles que forment ces rayons avec la surface échauffée mais les quantité sur lesquelles on avait dû expérimenter étaient trop faibles; les incertitudes des appréciations thermométriques, comparées à l’effet total, étaient au contraire trop grandes pour ne pas commander une extrême défiance; eh bien, Messieurs, un problème devant lequel tous les procédés, tous les instruments de la physique moderne étaient restés impuissants, Fourier l’a complètement résolu, sans avoir besoin de tenter aucune expérience nouvelle. La loi cherchée de l’émission du calorique, il l’a trouvée, avec une perspicacité qu’on ne saurait assez admirer, dans les phénomènes de température les plus ordinaires, dans des phénomènes qui, de prime abord, semblent devoir en être tout à fait indépendants. \037Tel est le privilégc du génie il aperçoit il saisit des rapports, là où des yeux vulgaires lie voient que des faits isolés. \037Personne ne doute, et d’ailleurs l’expérience a prcnoncé, que dans tous les points d’un espace terminé par une cuveloppc quelconque entretenue a une température constante, on ne doive éprouver une température constante aussi, et précisément celle de l’enveloppe. Or, louricr a établi que, si les rayons calorifiques émis avaient une égale intensité dans toutes les directions, que, si cette même intensité ne variait pas proportionnellement au sinus de l’angle d’émission, la température d’un corps situé dans l’enceinte dépendrait de la place qu’il y occuperait que la température de l’eau bouillante on celle dit fer fondant, par exemple, existeraient en ccr- \037

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3JG JOSEPII FOURIER. \037tat’ns points d’une enveloppe creuse de glace!! Dans le vaste domaine des sciences physiques, on ne trouverait pas une application plus piquante de la célèbre méthode de réduction à l’absurde dont les anciens mathématiciens fnisaient usage pour démontrer lcs vérités abstraites de la géométrie. \037Je ne quitterai pas cette première partie des travaux de Fourier, sans ajouter qu’il ne s’ est point contenté de démontrer, avec tant de bonheur, la loi remarquable qui lie les intensités comparatives des rayons calorifiques émanés, sous toutes sortes d’angles, de la surface des corps échaufl’és; il a cherché, de plus, la cause physique de cette loi; il l’a trouvée dans une circonstance que ses prédécesseurs avaient entièrement négligée. Supposons, a-t-il dit que les corps émettent de la chaleur, non-seulement par leurs molécules superficielles, mais encore par des points intérieurs. Admettons, de plus, que la chaleur de ces derniers points ne puisse arriver à la surface en traversant une certaine épaisseur de matière, sans éprouver quelque absorption. Ces deux hypothèses, Fourier les traduit en calcul, et il en fait surgir mathématiquement la loi expérimentale du sinus. Après avoir résisté à une épreuve aussi radicale, les deux hypothèses se trouvaient complètement justifiées; clles sont devenues des lois de la nature; elles signalent dans le calorique des propriétés cachées, qui pouvaient seulement être aperçues par les yeux de l’esprit. \037Dans la seconde question traitée par Fourier, la chaleur se présente sous une nouvelle forme, 11 y a plus de difficulté à suivre ses mouvements; mais aussi les coasé- \037

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JOSEPH FOUMER, 337 \0371 1 1 1 –– 1 t.-t. 1, 2:1 \037quenccs de la théorie sont plus générales, plus importantes. \037La chaleur, excitée, concentrée en un certain point d’un corps solide, se communique, par voie de conductibilité, d’abord aux particules les plus voisines du peint échauffe* ensuite de proche en proche à toutes les régions du corps. De là le problème dont voici l’énoncé Par quelles routes et avec quelles vitesses s’effectue la propagation de la chaleur, dans des corps de forme et de nature diverses, soumis a certaines conditions initiales? Au fond, l’Académie des sciences avait déjà proposé ce problème, comme sujet de prix, des l’année 1730. Alors les termes de chaleur et de calorique n’étant pas en usage, elle demanda l’élude de la nature et de la propagathn ni fei Le mot feu, jeté ainsi dans le programme Pans autre explication, donna lieu à la plus étrange méprise. La plupart des physiciens s’imaginèrent qu’il s’agissait d’expliquer de quelle manière l’incendie se communique et grandit dans un amas de matières combustibles. Quinze concurrents se présenteront; trois furent couronnés. \037(le concours donna peu de résultats. Toutefois, une singulière réunion de circonstances et de noms propres en rer.dra le souvenir durable. \037Le public n’cut-il pas le droit de s’étonner, en lisant cette déclaration académique « La quo>ti"ii ne donne » presque aucune prise à la géométrie! » Ku matière d’inventions, tenter de faire la part de l’avenir, c’est se préparer d’éclatants mécomptes. Un des concurrents, le S-U’Oid Kuler, prit c<-pondcml ces paroles a la lettre. Les \037

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333 JOSEPH FOl’IUER. \037rêveries dont son mémoire fourmille ne sont rachetées, cette fois, par aucune de ces brillantes découvertes d’analyse, j’ai presque dit de ces sublimes inspirations qui lui étaient si familières. Heureusement Euter joignit à son mémoire un supplément vraiment digne de lui. Le père Lozcran de Ficsc et le comte de Créqui, obtinrent l’iion–nom* insigne de voir louis noms inscrits à côté de celui de l’illustre géomètre, sans qu’il soit possible aujourd’hui d’apercevoir dans leurs mémoires aucune espèce de mérite, pas même celui de la politesse, car l’homme de cour dit rudement a l’Académie La question que \ous avez soulevée n’intéresse que la curiosité des hommes. ̃* Parmi les concurrents moins favorablement traités, nous apercevons l’un des plus grands écrivains que la France ait produits l’auteur de la Henriade, Le mémoiie de Yoltoiro était sans doute loin de résoudre le problème proposé.; mais il brillait du moins, par l’élégance, ta clarté, ta précision du langage; j’ajouterai par une argumentation sévère, car si l’auteur, parfois, arrive à des résultats contestables, c’est seulement quand il emprunte de fausses données à chimie et à la physique de l’époque, sciences qui venaient a peine de naître. Au surplus, la couleur anlîcarlésiïnne de quelques articles du mémoire do Voltaire devait trouver peu de faveur dans une compagnie où le cartésianisme, escorté de ses insaisissables tourbillons, coulait à pleins bords. \037On trouverait plus difficilement les causes qui firent déd ligner le mémoire d’un quatrième concurrent, d; in’idame la marquiso du OhHelet, car elb aus>i était cnli’éo dms li l:ce ouverte par l’Acidéniie. Le travail il \037

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JOSEPH FOUillER. 339 \037(Humilie n’était pas seulement un élégant tableau de toutes les propriétés de la chaleur connues alors de* physiciens; on y remarquait encore divers projets d’expériences, un, entre autres, qu’IIcrschel a fécondé depuis, et dont il a tiré un des principaux fleurons de sa brillante couronne scientifique. \037Pendant que de si grands noms étaient engagés dans ce concours, des physiciens, moins ambitieux, posaient expérimentalement les bases solides d’une future théorie mathématique de la chaleur. Les uns constataient que les mânes quantités de calorique n’élèvent pas d’un égal nombre de degrés la température de poids égaux de différentes substances, et jetaient par là dans la science l’importante notion de capacité. Les autres, à l’aide d’observations non moins certaines, prouvaient que ta chaleur appliquée en un point d’une barre, se transmet aux parlies éloignées, avec plus ou moins de vitesse ou d’intenMié, suivant la nature de la matière dont la barre est formée ils faisaient naître ainsi les premières idées de coiuliivlibilité. La même époque, si de trop grands détails ne m’étaient interdits, nous présenterait d’intéressantes expériences sur une loi de refroidissement admise hypothétiquement par Newton. Nous verrions qu’il n’est point vrai qu’à tous les degrés du thermomètre, la perte de chaleur d’un corps soit proportionnelle à l’excès de sa température sur celle du milieu dans lequel il est plongé mais j’ai liàtc de vous montrer la géométrie pénétrant, timidement d’abord, dans les questions de propagation de la chaleur, et y déposant les premiers germes de ses jiétliodes fécondes. \037

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3iO JOSEPH FOURIER. \037C’est à Lambert, de Mulhouse, qu’est dû ce premier pas. Cet ingénieux géomètre s’était proposé un problème très-simple dont tout le monde peut comprendre le sens. \037l’nc borre métallique mince est exposée, par l’une de ses extrémités, a l’action constante et durable d’un ccrtain foyer de chaleur. Les parties voisines du foyer sont échauffées les premières. De proche en proche la chaleur se communique aux portions éloignées, et après un temps assez court, chaque point se trouve avoir acquis le maximum de température auquel il puisse jamais atteindre. L’expérience durerait ensuite cent ans, que l’état thermométrique de la barre n’en serait pas modifié. Comme de raison, ce maximum de chaleur est d’autant moins fort que Ton s’éloigne davantage du foyer. V a-i-il quoique rapport entre les températures finr.les, et les distances des divers points de la barre a l’c\lré:nilé. directement échauffée? Ce rapport existe, il est trèssimple; Lambert le chercha par le calcul, et l’expérience confirma les résultats de la théorie. \037A côté de la question, en quelque sorte élémentaire, de la propagation longitudinale de la chaleur, traitée par Lambert venait se placer le problème plus général, mais aussi beaucoup plus difficile, de cette même propagation dans un corps a trois dimensions terminé par une surface quelconque. Ce problème exigeait le recours de la plus houle analyse. C’est Fourier qui, le premier, l’a mis eu équation; c’est à Fourier, aussi, que sont dus certains théorèmes à l’aide desquels on peut remonter des équations différentielles aux intégrales, et pousser les solutions, \037

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JOSEPH FOURIER, 3i1 \037dans la plupart des cas, jusqu’aux dernières applications numériques. \037Le premier mémoire de l’ouricr sur la théorie de la tlialcur remonte à 1807. L’Académie, à laquelle il avait été soumis, voulant engager l’auteur à rétendre et a le perfectionner, fit de la question de la propagation de la chaleur, le sujet du grand prix de mathématiques qu’elle devait décerner au commencement de 181*2. Fonder concourut, en effet, et fa pièce fut couronnée. Mais, hélas! comme le disait Fontenellc Dans Ic pays même dc> démonstrations, on trouve encore Ic moyen de se diviser. » (Quelques restrictions se mêlèrent au jugement favorable de l’Académie. Les illustres commissaires du prix, Lnplace,- Lagrangc, Legendre, tout en proclamant la n nuenuté et rimpoi tance du sujet, tout en déclarant que les véritables équations différentielles de la propagation do la chaleur étaient enfin trouvées, disaient qu’ils apercevaient des difficultés dans la manière dont l’auteur y parvenait. Ils ajoutèrent que ses moyens d’intégration laissaient quelque chose à désirer, mémo du côté de la rigueur, says toutefois appuyer leur opinion d’aucune espèce de développement. \037l’ourier n’a jamais adhéré à ces arrêts. A la fin de ?,i \iè, il a même montre d’une manière bien manifeste qu’il les croyait injustes, puisqu’il a fait imprimer sa pièce de prix dans nos volumes, sans y changer un seul mot. Néanmoins, les doutes exprimés par les commissaires de l’Académie lui revenaient sans cesse à la mémoire. A l’origine, ils axaient déjà empoisonné chez lui le plaisir du triomphe (Vs premières impressions ajoutées à une grande aiscvpi j- \037

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312 JOSEPH FOUIUER. \037hilifi* PYnlîmiont rnrnmfnf Fnnrirr finit, nnr voir \037bilité, expliquent comment Fourier finit par voir avec un certain de-plaisir les efforts des géomètres qui tentaient de perfectionner sa théorie. C’est là, Messieurs, une bien étrange aberration dans un esprit si élevé! Il fallait que notre confrère eût oublié qu’il n\>t donné a personne de conduire une question scientifique à son terme, et que les grands travaux sur le système du monde, des d’Alcmbert desClairaut des Euler, des Lagrange, des Laplaec, tout en immortalisant leurs auteurs, ont sons cesse ajouté de nouveaux rayons à ta gloire impérissable de Newton. Faisons en sorte que cet exemple ne soit pas perdu. Lorsque la loi civile impose aux tribunaux le devoir de motiver leurs jugements, les académies, qui sont les tribunaux de la science, n’auraient pas mémo un prétexte pour s’affranchir de cette règle. P.ir le temps qui court, les corps, aussi bien que les particuliers, font sagement quand ils ne comptent, en toute chose, que sur l’autorité de la raison. \037CHALEUR CENTRALE DU GLOBE TERIIESTnE. \037Dans tous les temps, la Théorie mathématique de la chaleur aurait excité un vif intérêt parmi les hommes réfléchis, puisqu’en la supposant complète, elle éclairerait les plus minutieux procédés des arts. De nos jours, ses nombreux points de contact avec les curieuses découvertes des géologues, en ont fait, j’ose le dire, une œuvre de circonstance. Signaler la liaison intime de ces deux genres de recherches, ce sera présenter le côté le plus important des découvertes de Fouiicr, et montrer \037

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JOSEPH IOURIER. 343 \037combien notre confrère, par une de ces inspirations réservées au génie avait heureusement choisi le sujet de ses méditations. \037Les parties de Pécorcc minérale du globe, que les géologues appellent les terrains de sédiment, n’ont pas été, formées d’un seul jet. Les eaux couvrirent anciennement lt. plusieurs reprises, des régions situées aujourd’hui au centre de continent. Elles y déposèrent, par minces couches horizontales, diverses natures de roches. Ces roches, quoique immédiatement superposées entre elles, comme le sont les assises d’un mur, ne doivent pas être confondues; leurs différences frappent les yeux les moins exercés. Il faut même noter cette circonstance capitale, que chaque terrain a une limite nette, parfaitement tranchée qu’aucune transition ne le lie au terrain diH’érent qu’il supporte. L’Océan, source première de ces dépôts, éprouvait donc jadis, dans sa composition chimique, d’énormes changements auxquels il n’est plus sujet aujourd’hui, \037A part quelques rares exceptions, résultats de convulsions locales dont les effets sont d’ailleurs manifestes, l’ordre relatif d’ancienneté des lits pierreux qui forment la croûte extérieure du globe, doit être celui de jour superposition. Les plus profonds ont été les plus anciennement produits. L’étude attentive de ces diverses enveloppes peut nous aider à remonter la chaîne des temps jusque par delà les époques les plus reculées, et nous éclairer sur le caractère des révolutions épouvantables qui, périodiquement, ensevelissaient les continents au sein des eaux ou les remettaient à sec. \037

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31 & JOSEPH FOURIER. \037r 1- _u! ’_11~ .· ~n \037Les roches cristallines granitiques sur lesquelles la mer a opéré ses premiers dépôts, n’ont jamais olïert aucun vestige d’être vivant. Ces vestiges, on ne les trouve que dans les terrains sédimenteux. \037C’est par les végétaux que la vie paraît avoir commence1 sur le globe. Des débris de végétaux sont tout ce que l’on rencontre dans les plus anciennes couches déposées par les eaux; encore appartiennent-ils aux plantes de la cornposition la plus simple à des fougères, à des espèces de joncs, à des lycopodes. \037La végétation devient do plus en plus composée dans les terrains supérieurs. Enfin, près de la surface, elle est comparable à la végétation des continents actuels, avec cette circonstance, cependant, bien digne d’attention, t que certains végétaux qui vivent seulement dans le Midi j que les grands palmiers, par exemple, se trouvent, à l’état fossile, sous toutes les latitudes et au centre même des régions glacées de la Sibérie. \037Dans le monde primitif, ces régions hyperboréennes jouissaient donc, en hiver, d’une température au nions égale à celle qu’on éprouve maintenant sous les parallèles oit les grands palmiers commencent à se montrer à TobolsV, on avait le climat d’Alicante ou d’Alger! Nous ferons jaillir de nouvelles preuves à l’appui de ce impérieux résultat, d’un examen attentif de la taille des végétaux. \037Il existe aujourd’hui des prèles ou joncs marécageux, des fougères et des Ijcopodcs, tout aussi bien en Kuropc que dans les régions équi.ioxiales; mais on ne les rencontre avec de grandes dimensions que dans les climals \037

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JOSEPH FOURIER. 311 \037chauds. Ainsi, mettre en regard les dimensions des mêmes plantes, c’est vraiment comparer, sous le rapport do la température, les régions où elles se sont développées. Eli bien, placez à côté des plantes fossiles de nos terrains liouillers, je ne dirai pas les plantes européennes analogues, mais celles qui couvrent les contrées de l’Amérique méridionale les plus célèbres par la richesse de leur végétation, et vous trouverez les premières incomparablement plus grandes que les autres. \037Les flores fossiles de la France, de l’Angleterre, de l’Allemagne, de la Scandinavie, offrent, par exemple, des fougères de 15 mètres de haut, et dont les tiges (dos liges de fougères!) avaient jusqu’à 1 mètre de diamètre, <>u trois mètres de tour. \037Les tycopodiacées qui, aujourd’hui, dans les pays froids o.i tempérés, sont des plantes rampantes s’élevant à peine d’un décimètre au-dessus du sol; qui, à l’Equateur même, au milieu des circonstances les plus favorables, ne montent pas à plus d\m mètre, avaient eu Europe, dans le monde primitif, jusqu’à 25 mètres de hauteur. \037Il faudrait Être aveugle pour ne point trouver dans ces énormes dimensions, une nouvelle preuve de la haute température dont jouissait notre pays avant les dernières irruptions de l’Océan \037L’étude des animaux fossiles n’est pas moins féconde, Je m’écarterais do mon sujet, m j’examinais ici commei.t l’organisation animale s’est développée sur la (cive; quelles modifications, ou, plus exactement, quelles complications elle a éprouvées après chaque cataclysme, m \037

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3io JOSEPH fourier. \037môme je m’arrêtais à décrire une de ces antiques époques pendant lesquelles la terre, la mer et l’atmosphère ii’avuient pour habitants que des reptiles à sang froid de dimensions énormes; des tortues a carapaces de 3 mètres de diamètre; des lézards de M mètres de long; des ptérodactyles, véritables dragons volants aux formes si bizarres, qu’on a pu vouloir, d’après les arguments d’une valeur réelle, les placer tour à tour parmi les reptiles, parmi les mammifères ou parmi les oiseaux, etc. Le but que je me propose n’exige pas d’aussi grands détails; une seule remarque suffira. \037l’armi les ossements que renferment les terrains les plus voisins de la surface actuelle du globe, il y en a d’hippopotame, de rhinocéros, d’éléphant. Ces restes d’animaux des pays chauds, existent sous toutes les latitudes, Les voyageurs en ont même découvert à l’île Molville, où la température descend aujourd’hui jusqu’à 50 degrés au-dessous de zéro. En Sibérie, on tes trouve en si grande abondance, que le commerce s’en est emparé. Enfin, sur les falaises dont la mer Glaciale est bordée, ce ne soit plus des fragments de squelette qu’on rencontre, mais des éléphants tout entiers recouverts encore de leur chair et de leur peau. \037Je me tromperais fort, Messieurs, si chacun de vous n’avait pas tiré de ces faits remarquables une conséquence très-remarquable aussi, a laquelle, au surplus, la flore fossile nous avait habitués; c’est qu’en vieillissant, les régions polaires de notre globe éprouvèrent un refroidissement prodigieux. \037Dans l’explication d’un phénomène si curieux, les eos- \037

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JOSEPH FOURIRR. 3 »7 \037niologucs n’assignent aucune part a dos variations possibles dans l’intensité du soleil et, cependant, les (’̃toile», ces soleils éloigné?, n’ont pas la constance d’éclat que le vulgaire leur attribue; et quelques-unes, dans un espace de temps; assez court, se sont trouvées réduites à la centième partie de leur intensité primitive; et plusieurs oit mémo totalement disparu. On a préféré tout attribuer a une chaleur propre ou d’origine, dont la terre aurait été. jadis imprégnée, et qui se serait graduelle-mont dissipée. Dans cette hypothèse, les terres polaires ont pu évidemment jouir, à des époques très-anciennes d’une température égale à celle des régions équatorialcs où vivent aujourd’hui les éléphants, tout en restant privées, pendant des mns entiers, de la vue du soleil. \037Ce n’est pas, au reste, comme explication de l’existence d^s éléphants en Sibérie, que l’idée de la chaleur propre du globe a pénétré, pour la première fois, dans la science. Quelques savants l’avaient adoptée avant la découverte d’oucin de ces animaux fossiles. Ainsi, Descartes croyait qu’a l’origine (je cite ses propres expressions), la terre ne difft’rait en rien du soleil, sinon qu’elle était plus petite. Il faudrait donc la considérer comme un soleil éteint, leibniiz fit a cette hypothèse l’honneur de se l’approprier. Il essaya d’en déduire le mode de formation des diverses enveloppes solides dont notre globe se compose. Dullon lui donna aussi le poids de son éloquente autorité. On s; it que d’après ce grand naturaliste, les planètes de not.-e s-y;-tèmc seraient de simples parcelles du soleil qu’un choc de comète en aurait détachées, il y a quelques millieis S d’années. \037

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3iS JOSEPH FOUR 1ER. \037A l’appui de cette origine ignée de notre globe, Mairan et Jiullon citaient déjà les hautes températures des mines profonde?, et entre autres, celles des mines de Uiromagny. Il semble évident que m la terre a été jadis incandescente, on ne saurait manquer de rencontrer dans les coliches intérieures, c’est-à-dire dans celles qui ont du se refroidir les dernières, des (races de leur température primitive. L’observateur qui, en pénétrant dans la terre, n’y trouverait pas une chaleur croissante, pourrait donc se croire amplement autorisé à rejeter les conceptions hypothétiques de Dcscartes,dc Leibnilz, de Mairan, de liullbn. Mois li proposition inverse a-t-elle la m/mc certitude? ’1 Les torrents de chaleur que le soleil lance depuis tant de siècles n’auraient-ils pas pu se distribuer dans la masse de la terre, de manière à y produire des températures croissantes avec la profondeur? C’ctt là une question capitale. Certains esprits, faciles à satisfaire, croyaient consciencieusement t’avoir resotue, après avoir dit que l’id’o d’une température constante était de beaucoup la plus naturelle; mais malheur aux sciences si elles rangeaient ainsi des considérations vagues et qui échappent à toute critique, au nombre des motifs d’admettre ou de rejeter l’-s faits et les théories l’ontcnelle Messieurs, aurait tracé leur horoscope dans ces paroles, bien faites pour humilier notre orgueil, et dont, cependant l’histoire des découvertes dévoile en mille endroits la vérité « Quand « une chose peut être de deux façons, elle est presque « toujours de celle qui nous semblait d’abord la moins « naturelle. » \037Quelle que soit l’importance de ces réflexions, je m’cia- \037

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josi-pii FouniEir. m \037presse d’ajouter qu’aux arguments sans valeur réelle de ses devanciers*, Fourier a substitué des preuves, des démonstrations, et l’on sait ce que de pareils termes signifient à l’Ac :démie des sciences. \037Dans tous les lieux de la terre, des qu’on est descendu à une certaine profondeur, le thermomètre n’éprouve plus de variation diurne, ni de variation annuelle. 11 marque le même degré et la mé*mc fraction de degré, pendant hute la durée d’une année, et pendant toutes les années, Voilà le fait; que dit la théorie? \037Supposez, un moment, que la terre ait constamment reçu toute la chaleur du soleil. Pénétrez dans sa masse d’une quantité suffisante, et vous trouverez avec Fourier, à l’aide du calcul, une température constante pour toutes les époques de l’année. Vous reconnaîtrez de plus que celle température solaire des couches inférieures varie d’un climat à l’autre; que dans chaque pays, enfin, elle (luit être toujours la même, tant qu’on ne s’enfonce pas do quantités fort grandes relativement au rayon du globe, IJi bien les phénomènes naturels sont en contradiction manifeste avec ce résultat, Les observations faites dans une multitudc de mines; les observations de la températare de l’eau de fontaines jaillissantes venant de dill’érentes profondeurs, ont toutes donné un accroissement l d’iw degré centigrade pour vingt à trente mètres d’enIVnccmciit, Ainsi, il y avait quelque chose d’inexact dam l’hypothèse que nous discutions sur les pas de noire confrère. Il n’est pas vrai que les phénomènes de température des couches terrestres puissent être attribués n la s,ule action des rayons solaires. Cela bien établi, IVc- \037

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3iO JOSEPH FOUKIIïK. \037croisscmeut de chaleur qui s’observe sous tous les climats, quand on pénètre dans l’intérieur du globe, est l’indice manifeste d’une chaleur propre. La terre, comme le voulaient Descartes et Leilmitz, mais sans pouvoir s’appuyer sur aucun argument démonstratif, devient définitivement, grAcc au concours des observations des physiciens et des calculs analytiques do Fourier, un soleil encroûté, dont la haute température pourra être hardiment invoquée toutes les fois que l’explication des anciens phénomènes idéologiques l’exigera. \037Après avoir établi qu’il y a dans notre terre une chaleur propre, une chaleur dont la source n’est pas le soleil, et qui, si l’on en juge par les accroissements rapides que donnent les observations, doit être déjà assez forte, a l.i petite profondeur de sept à huit lieues, pour tenir en fusion toutes les matières connues, il se présente la question de savoir quelle est sa valeur exacte a la surface du globe; quelle part il faut lui faire dans l’évaluation des températurcs terrestres; quel rôle clic joue dans les phénomènes de la vie. \037Suivant Mairan, Buflbn, Bailly, ce rôle serait immense. Pour la France, ils évaluent la chaleur qui s’échap,)c de l’intérieur de la terre à vingt-neuf fois ea été et a quatre cents fois en hiver celle qui nous vient d.i soleil. Ainsi, contre le sentiment général, la chaleur dj l’autre qui nous éclaire ne formerait qu’une tres-petilo partie do celle dont nous ressentons l’heureuse influence. Cette idée a été développée avec habileté et une grande éloquence, dans les Mémoires de l’Académie, dans les ï’j>oqit<s de la nalurc de Buiïon, dans les lettres de Uailbj \037

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JOSEPH FOl’RHilt. y~\ \037à Voltaire sur l’Origine des sciences et sur YAtlautidc. Mais l’ingénieux roman auquel clic sert de base s’est dis,-ipé comme une ombre devant le flambeau desinath’’mni irjues. \037l-’ourier ayant découvert que l’ excès de la température tolalc cïe la surface terrestre sur celle tjui résulterait do la seule action des rayons solaires, a une relation nécessaire et déterminée avec l’accroissement des tempéi\j turcs à différentes profondeurs, a pu déduire de la valeur expérimentale de cet accroissement une détmnination numérique do l’excès en question. Cet excès est reflet tlicrmomélriquc que la chaleur centrale produit a la surface or, au lieu des grands nombres adoptés par Mairan, Bailly, Buffon, qu’a trouva notre confrère? tw trentième de degré, pas davantage. \037La surface du globe, qui, a l’origine des choses, était peut-être incandescente, s’est donc refroidie dans le cours dos siècles, de manière a conserver a. peine une trace .sensible de sa température primitive. Cependant, i do grandes profondeurs, la chaleur d’origine est encore ^noi nie. Le temps altérera notablement les températures intérieures; mais à la surface (et les phénomènes de la r-iif.icc sont les seuls qui pui-scut modifier ou compromettre l’existence des êtres vivants), tous les changements sont a fort peu près accomplis. L’affreuse congélation du globe, dont Duffon fixait l’époque au moment où h chaleur centrale se sera totalement dissipée, <>t donc un pur rêve. A l’extérieur, la terre n’est plus imprégnée que de chaleur solaire. Tant que le soleil conservera lo même éclat, les hommes, d’un pôle à l’autre, \037

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352 JOSEPH FOl’RIER. \037rcIro.iYcroiit ton? chaque latitude, les climats qui leur ont permis d’y \ivrc et de s’y établir. \037Ce pont là, Messieurs, de grand?, de magnifiques .résultats. Mu les consignant dans les annales de la science, les historiens ne négligeront pas de signaler cette parti.cularité’ singulière, que le géomètre a qui l’on dut la première démonstration certaine de l’existence au sein de notre globe d’une chaleur indépendante de l’aclioii solaire, a réduit à néont le rôle immense qu’on faisait jouer a cetic chaleur d’originc dans l’explication des phénomènes de température terrestre. \037Au mérite d’avoir débarrassé la théorie des climats d’une erreur qui restait debout oppuyée sur l’imposante autorité de Mairan, de lîailly, de lîuflon Fourier a joint un mérite plus éclatant encore il a introduit, dans celte théorie, une considération totalement négligée jusqu’à lui il a signalé le rôle que doit y jouer /a IcHijiératurc il- ces espaces célestes, au milieu desquels la terre décrit autour du soleil son orbe immense. \037Mn voyant, même sous l’équateur, certaines montagnes couvertes de neiges éternelles; en observant le clécro!s«cmcnt rapide de température des couches de l’atmosphère, pendant les ascensions aérostatiques les météorologistes axaient cru que dans les régions d’où l’extrême rareté de l’air tiendra toujours les hommes éloignés, et surtout qu’en dehors de l’atmosphère, il doit régner des froids prodigieux. Ce n’était pas seulement par centaines, c’était par milliers de degrés qu’ils les eussent \olontiers mesurés. Mais, comme d’habitude, l’imagination, cette folle du logis, a\ ait dépasse toutes les bornes. \037

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JOSEPH FOUIUER. 333 \0371 1 .1. -o"U.o .U\ ~14 bmuy.a mum.. mym. W y(Ill% ’-– t. 23 \037Les centaines, los milliers de degrés, sont devenus,

<pn’s l’examen rigide de Fourier, 50 à 00 degrés seulement.

50 à 00 degrés au-dessous île zéro, telle est la température que le rayonnement s-tcllairc entretient dans les espaces indéfinis sillonnés par les planètes de notre système. \037Vous vous rappelez tous, Messieurs, avec quelle prédilection Fourier nous entretenait de ce résultat. Vous .«avez combien il se croyait assuré d’avoir assigné la lemI

éralun; de l’espace o 8 ou 10 degrés près. Par quelle

fatalité le Mémoire où, sans doute, notre confrère avait consigné, tous les éléments de celte importante détermination ne s’ est-il pas retrouvé? Puisse cette perte inépaliible, prouver du moins à tant d’observateurs qu’au lieu de poursuivre obstinément une perfection idéale, qu’il n’e.-t pas d^nne* à l’homme d’atteindre, ils feront sagement de mettre le public, le plus tôt possible, dans la ifiiilldcncc de leurs travaux. \037J’aurais encore une longue carrière parcourir, si, apivs avoir signalé quelques-uns des problèmes dont l’état des sciences a permis à. notre savant confrère de donner de.* solutions numériques, je voulais analyser tous ceux qui renfermés encore dans des formules générales, n’attemlent que les données de l’expérience pour prendre rang parmi les plus curieuses acquisitions de la pliysicue moderne. Le temps dont je puis disposer m’interdit de pareils développements. Je commettrais cependant un oubli sans excuse .si je ne disais que parmi les formules de l’omit r, il en est une, destinée à donner la valeur du )vfi<,klk<emcnt séculaire du globe, et dans laquelle figure \037

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35i JOSEPH FOURIER. \037le nombre de siècles écoulas depuis l’origine de ce refroidissement. La question, si vivement controverse, de l’ancienneté de notre terre, même en y comprenant sa période d’incandescence, se trouve ainsi ramenée à urc détermination thennométrique. Malheureusement ce point de théorie est sujet à des difficultés sérieuses. D’ailleurs la détermination thennométrique, à cause de son excessive petitesse, serait réservée aux siècles à venir. RETOIH DE .NAPOLÉON DE L’iLE b’ELDE. – FOIRIF.R IT.lYeT DL’ KHÔ?E. – SA NOMINATION LA PLACE DE DIRECTEin DU Bl’REAU DE LA STATISTIQUE DE LA SEINE. \037Je viens de faire passer sous vos yeux les fruits scientifiques des délassements du préfet de l’Isère. Fourier occupait encore cet emploi lorsque Napoléon arriva à Cannes. Sa conduite pendant cette grave conjoncture, a été l’objet de ccnt rapports mensongers. J’accomplirai donc un devoir en rétablissant les faits dans toute leur vérité, d’après ce que j’ai entendu do la bouche même de notre confrère. \037A la nouvelle du débarquement de l’Empereur, les principales autorités de Grenoble se réunirent a la préfecture. Là, chacun exposa avec talent, mais surtout, disait l’ouiicr, avec beaucoup de détails, les difficultés qu’il entrevoyait. Quant aux moyens de les vaincre, on se montrait beaucoup moins fécond. La confiance dans l’éloquencc administrative n’était pas encore usée à cette époque on se décida donc à recourir aux proclamations. Le général commandant et le préfet présenteront chacun \037

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JOSEPH FOURIER. 355 \037un projet. L’assemblée en discutait minutieusement les termes, lorsqu’un officier de gendarmerie, ancien soldat des armées impériales, s’écria rudement Messieurs, dépêchez-vous; sans cela toute délibération deviendra inutile. Croyez-moi, j’en parle par expérience; Napoléon suit toujours de bien près les courriers qui l’annoncent. » Napoléon arrivait en effet. Après un court moment d’hésitation, deux compagnies de sapeurs, qui avaient été détachées pour couper un pont se réunirent à leur ancien général. Un bataillon d’infanterie suivit bientôt cet exemple. Enfin, sur les glacis mêmes de la place, en présence de la nombreuse population qui couronnait les remparts, le 5° régiment de ligne tout entier prit la cocarde tricolore, substitua au drapeau blanc l’aiglc témoin de vingt batailles qu’il avait conservé, et partit aux cris de vive l’Empereur! Après un semblable début, essayer de tenir la campagne eût été une folie. Le général Marchand fit donc fermer les portes de la ville. Il opérait encore, malgré les dispositions évidemment hostiles des habitants, pouvoir soutenir un siège en règle, avec le seul secours du 3e régiment du génie, du h’ d’artillerie et des faibles détachements d’infanterie qui r.c l’avaient pas abandonné. \037Dès ce moment, l’autorité civile avait disparu. Fouricr crut donc pouvoir quitter Grenoble et se rendre à Lyon, ou les princes étaient réunis, A la seconde Rcslniinition, ce départ lui fut imputé à crime, Peu s’en fallut qu’il ne t’amenât devant une cour d’assises, ou même devant une cour prévôfalc. Certains personnages prétendaient que la présence du préfet au chef-lieu de l’Isère \037

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3:3c JOSEPH FOURIEK. \037aurait pu conjurer l’orage; que la résistance serait devenue plus vive, mieux ordonnée. On oubliait que nulle part et à Grenoble moins encore que partout ailleurs, un ne put organiser même un simulacre de résistance. Voyons enfin comment cette ville de guerre, dont la seule présence de Fourier eût prévenu la chute, voyons comment elle fut prise. 11 est huit heures du soir. La population et les soldats garnissent les remparts. Napoléon précède sa petite troupe de quelques pas; il s’avance jusqu’à la porte, il frappe (rassurez-vous, Messieurs, ce n’est pas une bataille que je vais décrire), il frappe avec sa tabatière! « Qui est là? cric l’oflicier de garde. –C’est l’Empereur! ouvrez! – Sire, mon devoir me le défend. – Ouvrez vous dis-jc je n’ai pas de temps à perdre. • – Mais, sire, lors même que je voudrais vous ouvrir, je ne le pourrais pas les clefs sont chez le général Marchand. – Allez donc les chercher. – Je suis cer.tain qu’il me les refusera. – Si le général les refuse, dites-lui que je le destitue. » \037Ces paroles pétrifièrent les soldats. Depuis deux jours, des centaines de proclamations désignaiant Bonaparte comme une bête fauve, qu’il fallait traquer sans management; elles commandaient a tout le monde de courir sus, et cet homme cependant menaçait le général de destitution Le seul mot destituer effaça la faible ligne de démarcation qui sépara un instant les vieux soldats des jeunes recrues; un mot plaça la garnison tout entière, dans les intérêts de l’Empereur. \037Les circonstances de la prise de Grenoble n’étaient pas encore connues, lorsque Fonder arriva à Lyon. Il y ap- \037

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JOSEPH FOURIER. 3o7 \037portait la nouvelle de la marche rapide de Napoléon celle de la défection de deux compagnies de sapeurs, d’un ba’aillon d’infanterie, du régiment commandé- par Labédoyere. De plus il avait été témoin, sur toute la route, de la vive sympathie des habitants des campagnes pour le proscrit de l’ile d’Elbe. \037Le comte d’Artois reçut fort mal le préfet et ses con:munications. Il déclara que l’arrivée de Napoléon à Grenoble n’était pas possible; que l’on devait être rassure sur les dispositions des campagnards. c Quant au fait, dit-il à Fourier, qui se serait passé en votre présence aux portes mêmes de la ville; quant à des cocardes tricolores substituées à la cocarde d’Henri IV; quant à des aigles qui auraient remplacé le drapeau blanc, je ne suspecte pas votre bonne foi, mais l’inquiétude vous aura fasciné les yeux. Monsieur le préfet, retournez donc sans retard à Grenoble vous me répondez de la ville sur votre tête. » \037Vous le voyez, Messieurs, après avoir si longtemps proclamé la nécessité de dire la vérité aux princes, le-» moralistes feront sagement d’inviter les princes à vouloir bien l’entendre. \037Fourier obéit à l’ordre qu’on venait de lui donner. Les roues de sa voiture avaient à peine fait quelques tour:; duis la direction de Grenoble, qu’il fut arrêté par des hussards et conduit à Bourgoin, au quartier général, L’Empereur, étendu alors sur une grande carte, un compos à la main, lui dit en le voyant entrer « Eh bien! monsieur le préfet 1 vous aussi, vous me déclariez la guerre? – Sire, mes serments m’en faisaient un devoir! 1 \037

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3.18 JOSEPU FOURIER. \037Un devoir, dites-vous? et ne voyez-vous pas qu’en Dauphiné personne n’est de votre avis? N’allez pas, au reste, vous imaginer que votre plan de campagne m’effrayât beaucoup. Je souffrais seulement de voir parmi mes adversaires un Égyptien, un homme qui avait mangé avec moi le pain du bivouac, un ancien ami! » II m’est pénible d’ajouter qu’à ces paroles bienveillantes succédèrent celles-ci «Comment, au surplus, avez-vous pu oublier, monsieur Fourier, que je vous ai fait ce que vous ttes? » \037Vous regretterez avec moi, Messieurs, qu’une timidité, que les circonstances expliquaient d’ailleurs si bien, ait empoché notre confrère de protester sur-le-champ, de protester avec force, contre cette confusion que les puissants de la terre veulent sans cesse établir entre les biens périssables dont ils sont les dispensateurs, et les nobles fruits de la pensée. Fouricr était préfet et baron de par l’Empereur il était une des gloires de la France de par son propre génie l \037Le U mari?, dans un moment de colère, Napoléon, par un décret daté de Grenoble, ordonnait à Fourier d’évacuer le territoire de la l’ division militaire, dans le délai de cinq jours, sous peine d’être arrêté et traité comme ennemi (le la nation Le lendemain notre confrère sortit de la conférence de Bourgoin avec la charge de préfet du lihônc et avec le titre de comte, car l’Empereur en élait encore là à son retour de l’île d’Elbe. \037Ces témoignages inespérés de faveur et de confiance étaient peu agréables à notre confrère, mais il n’osa pas les refuser, quoiqu’il aperçût bien distinctement l’immense \037

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JOSEPH FOURIER. 359 \037gravité des événements dans lesquels le hasard l’appelait à jouer un rôle. \037« Que pensez-vous de mon entreprise? lui dit l’Empereur le jour de son départ de Lyon. Sire, répondit l’ourier, je crois que vous échouerez. Qu’il se rencontre sur votre route un fanatique, et tout est fini. Bah 1 s’écria Napoléon les Bourbons n’ont personne pour eux, pas mOme un fanatique. A propos, vous avez lu dans les journaux qu’ils m’ont mis hors de la loi. Je serai plus indulgent, moi je me contenterai de les mettre hors des Tuileries » \037Fourier conserva la préfecture du Rhône jusqu’au 1" mai seulement. On a dit, on a imprimé qu’il fut révoqué pour n’avoir pas voulu se rendre complice des actes do terrorisme que lui prescrivait le ministère des CcntJours L’Académie me verra, en toute circonstance, recueillir, enregistrer avec bonheur des actions qui, en lionoraut ses membres, ajouteront un nouvel éclat à l’illustration du corps entier. Je sens même qu’à cet égard je pourrai être enclin à quelque peu de crédulité. Cette fois, le plus rigoureux examen m’était commandé. Si Fourier s’honorait en refusant d’obéir à certains ordres, que faudrait-il penser du ministre de l’intérieur de qui ces ordres émanaient? Or, ce ministre, je n’ai pas d l’oublier, était aussi un académicien, illustre par ses services militaires, distingué par ses ouvrages de mathématiques, estimé et chéri de tous ses confrères. Eh bien je le déclare avec une satisfaction que vouspartagerez, Messieurs, les recherches les plus scrupuleuses sur tous les actes des CcuUJours lie m’out rien fait entrevoir qui doive aflaiblir les \037

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360 JOSEPH FOURIER. \037gentiment? dont vous avez entouré la mémoire de Carnot, En quittant la préfecture du llhône, Fourier vint à Paris. L’Empereur, qui allait partir pour l’armée, l’aperçut dans la foule aux Tuileries, l’accosta amicalement, l’avertit que Carnot lui expliquerait pourquoi son remplacement à Lyon était devenu indispensable, et promit de s’occuper de ses intérêts des que les affaires militaires lui laisseraient quelque loisir. La seconde Restauration trouva Fourier dans la capitale, sans emploi et justement inquiet sur son avenir. Celui qui, pendant quinze ans, administra un grand département qui dirigea des travaux si dispendieux; qui, dans l’affaire des marais de Bourgoin, eut à stipuler pour tant de millions avec les parti. culiers, les communes et les compagnies, ne possédait pas vingt mille francs de capital. Cette honorable pauvreté le souvenir des plus importants, des glorieux services, devaient peu toucher des ministres voués alors aux colères de la politique et aux caprices de l’étranger. Une demande de pension fut donc repoussée avec brutalité. Qu’on se rassure la France n’aura pas rougir d’avoir laissé dans le besoin une de ses principales illustrations. Le préfet de Paris, je me trompe, Messieurs, un nom propre lie sera pas de trop ici, M. de Chabrol apprend que son ancien professeur à l’École polytechnique, que le secrétaire perpétuel d3 l’Institut d’Egypte, que l’auteur de la Théorie analytique de la chaleur va être réduit, pour vivre, à courir le cachet. Cette idée le révolte. Aussi se monlret-il sourd aux clameurs des partis, et Fourier reçoit di lui la direction supérieure du Bureau de la slatistique de la Seine, avec six mille francs d’appointements J’ai \037

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JOSEPH FOURIER. 3C1 \037cru, Messieurs, ne pas devoir taire ces détails. Les sciences peuvent se montrer reconnaissantes envers tous Ci ux qui leur donnent appui et protection quand il y a quelque danger à le faire, sans craindre que le fard. -ou devienne jamais trop lourd! 1 \037Fourier répondit dignement à la confiance de M. de Chabrol. Les mémoires dont il enrichit les intéresse nls volumes publiés par la préfecture de la Seine, serviront désormais de guide à tous ceux qui ont le bon esprit de voir dans la statistique autre chose qu’un ornas indigeste de cliiflïcs et de fablcauw \037nT! i:r. DE t’Ornl!"R A L’AODL:lIIE DLS SCfDCH.-SOX f:l.ECTICY f.mikf. dk fol’rier a l’académie dfs sciences. – son election A a l\ mue de secrétaire perrétlel. – son admission a l’académie française. \037L’Académie dcs sciences saisit la première occasion qui s’cillrit à clic de s’attacher Fourier. Le 27 mai 1810, elle le nomma académicien libre. Cette élection ne fut pas confirmée. Les démarches, les sollicitations, les prières des Dauphinois que les circonstances retenaient alors a Paris, avaient presque désarmé l’autorité, lorsqu’un courtisan s’écria qu’on allait amnistier le Lubêdoyerc civil Ce mot car depuis bien des siècles la pauvre race humaine c?t gouvernée par des mots, décida du sort de notre t’iiifnie. De par la politique, les ministres de Louis XVJ II iirrêtrrcnt qu’un des plus savants hommes de la Fiance n’appartiendrait pas à l’Académie; qu’un citoyen, l’ami de tout ce que la capitale renfermait de personnes distinguées, serait publiquement frappé de réprobation I \037

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3C2 JOSEPH FOUKIER. \037Dans notre pays, l’absurde dure peu. Aussi, en 1817, lorsque l’Académie, sans se laisser décourager par te mauve is succès de sa première tentative, nomma unanimement Fouricr a la place qui venait de vaquer cn physique, la confirmation royale fut accordée sans difficulté. Je dois ajouter que, bientôt après, le pouvoir, dont toutes les répugnances s’étaient dissipées, applaudit franchement, sans arrière-pensée, à l’heureux choix que vous fîtes du savant géomètre, pour remplacer Delambre comme secrétaire perpétuel. On alla même jusqu’à vouloir lui confier la direction dos beaux-arts; mais notre confrère eut le bon esprit de refuser. \037A la mort de Lémontey, l’Académie française, où Laplacc etCuvier représentaient déjà les sciences, appela encore Fourierdans son sein. Les titres littéraires du plus cloquent collaborateur de l’ouvrage d’Egypte étaient incontestables; ils étaient même incontestés, et cependant cette nomination souleva dans les journaux de violents débats qui aflligèrent profondément notre confrère. Mais aussi, n’était-ce pas une question, que celle de savoir .si ces doubles nominations sont utiles? Ne pouvaiton pas soutenir, sans se rendre coupable d’un paradoxe, qu’elles éteignent chez la jeunesse une émulation que tout nous fait un devoir d’encourager? Que deviendrait, d’ailleurs, à la longue, avec des académiciens doubles, triples, quadruples, cette unité si justement vantée de l’ancien Institut? Le public finirait par ne plus vouloir la trouver que dans l’unité du costume. \037Quoi qu’il en soit de ces réflexions, dont vous fcrez prompte justice si je me suis trompé, je me hâte de rûpé- \037

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OSEPH FOURIER. 3CÎ ~l.t.e..nn .1.~ I:nn,.inn nn fm·nnf n~ \037ter que les titres académiques de Fourier ne furent pas même l’objet d’un doute. Les applaudissements qu’on avait prodigués aux éloquents éloges de Dclambrc do Dréguet, de Charles, d’JIcrschel, montraient assez que j-i leur auteur n’eût pas été déjà l’un des membres les plus distingués de l’Académie des sciences, le public, tout entier, l’aurait appelé à prendre rang parmi les arbitres de la littérature française. \037CAIUCTCIE DE FOCRIEB. – SA MORT. \037Rendu enfin, rpres tant de traverses, à des occupations favorites, Fourier passa ses dernières années dans la retraite et l’accomplissement des devoirs académiques. Causer, était devenu la moitié de sa vie. Ceux qui ont cru trouver là le texte d’un juste reproche avaient sans doute oublié que de constantes méditations ne sont pas moins impérieusement interdites à l’homme, que l’abus des forces physiques. Le repos, en toute chose, remonte notre frOlc machine mais ne se repose pas qui veut, Messieurs! Interrogez vos propres souvenirs, et dites si, quand vous poursuivez une vérité nouvelle, la promenade, les conversations du grand monde, si le sommeil même ont Ic pri\ilégc ds vous distraire? La santé fort délabrée de Fourier lui commandait de grands managements. Apres bien des essais, il n’avait trouvé qu’un moyen de s’arracher aux contentions d’esprit qui l’épuisaieut c’était de parler à liante voix sur les événements de sa vie; sur ses travaux scientifiques, en projet ou déjà terminés; tur les injustices dont il avait eu a se plaindre. Tout le monde avait \037

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301 JOSEPH FOURIER. \037pu remarquer combien (Hait insignifiante la tAclie que notre spirituel confrère assignait à ceux qui s’cnlrelcnaient habituellement avec lui; maintenant on en comprendra le motif. \037Tonner avait conservé dans sa vieillesse la grâce, l’urbanité, les connaissances variées qui, un quart de siècle auparavant, donnèrent tant de charme à ses leçons de l’Ecole polytechnique. On prenait plaisir à lui entendre raconter même l’anecdote qu’on savait par cœur, même les événements auxquels on avait pris une part directe. Le hasard me rendit témoin de l’espèce de fascination qu’il exerçait sur ses auditeurs, dans une circonstance qui mérite, je crois, d’être connue, car elle prouvera que le mot dont je iens de me servir n’a rien de trop furt. Nous nous trouvions assis à la même table. Le convive dont je le séparais était un ancien officier. Notre confrère l’apprit, et la question :• Avez-vous été en Egypte? » servit à lier conversation. La réponse fut affirmative. Fourier s’empressa d’ajouter «Quant a moi, je suis reste dans ce magnifique pays jusqu’à son entière évacuation. Quoique étranger au métier des armes, j’ai fait, au milieu de nos soldats, le coup de feu contre les insurgés du Kairc; j’ai eu l’honneur d’entendre le canon d’JIéliopolis. » De la a raconter la bataille il n’y avait qu’un pas. Ce pas fut bientôt fait, et voila quatre bataillons carrés se formant dans la plaine de Qoubbèh et manœuvrant aux ordres de l’illustre géomètre avec une admirable précision. Mon voisin, l’oreille au guet, les yeux immobiles, le cou tendu, écoutait ce récit avec le plus vif intérêt. Il n’en perdait pas une syllabe on eût \037

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JOSEPH FOURIER. 365 \037juré qu’il entendait parler pour la première fois de ces événements mémorables. Il est si doux de plaire, Messieurs! Après avoir remarqué, l’effet qu’il produisait, J’ouiier revint, avec plus de détails encore, au principal ooinbft de ces grandes journées à la prise du village fortifié de Mattaryèli, au passage de deux faibles colonnes • le grenadiers français a travers des fossés comblés de morts et de blessés de l’armée ottomane. « Les généraux anciens et modernes ont quelquefois parlé de semblables prouesses, s’écria notre confrère; mais c’était en style li\perboliquc de bulletin ici le fait est matériellement M’ai; il est vrai comme de la géométrie. Je sens, au reste, fij<nila-t-il, que pour vous y faire croire ce ne sera pas trop de toutes mes assurances » \037«Soyez sur ce p>int sans nulle inquiétude, répondit l’oflici".1! qui, dans ce moment, semblait sortir d’un long rêve. Au besoin, je pourrais me porter garant de l’exactitude de votre récit. C’est moi qui, à la tète des grenadiers de la 13’ et de la 85’ demi-brigades, franchis les retranchements de Mattaryèli en passant sur les cadavres dos janissaires! » \037Mon voisin était le général Tarayrc. On concevra bien mieux que je ne pourrais le dire l’effet du peu de mots qui venaient de lui échapper. l’ourier se confondait en excuses, tandis que je réfléchissais sur cette séduction, sur cette puissance de langage qui, pendant près d’une demi-heure, venait d’enlever au célèbre général jusqu’au souvenir du rôle qu’il avait joué clins les combats de géants qu’on lui racontait. \037Autant votre secrétaire avait besoin de causer, autant \037

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366 JOSEPH FOURIER. \037il éprouvait de répugnance pour les discussions verbales. Fourier coupait court à tout débat aussitôt qu’il pressentait une divergence d’avis un peu tranchée, sauf à reprendre plus tard le même sujet, avec la prétention modeste de faire un très-petit pas chaque fois. Quelqu’un demandait à Fontaine, géomètre célèbre de cette Académie, ce qu’il faisait dans le monde où il gardait un silence presque absolu. «J’observe, répondit-il, la vanité des hommes pour la blesser dans l’occasion. » Si comme son prédécesseur, Fourier étudiait aussi les passions honteuses qui se disputent les honneurs, la richesse, le pouvoir, ce n’était point pour les combattre résolu à ne jamais transiger avec elles il calculait cependant ses démarches de manière à ne pas se trouver sur tour chemin. Nous voilà bien loin du caractère ardent, impétueux, du jeune orateur de la société populaire d’Auxerre; mais a quoi ser\ irait la philosophie, si elle ne nous appre- nait à vaincre nos passions! Ce n’est pas que, par moments, le fond du caractère de Fourier ne se montràt à nu. Il est étrange, dirait un jour certain personnage très-inlluent de la cour de Charles X, à qui le domestique Joseph ne voulait pas permettre de dépasser l’antichambre de notre confrère, il est vraiment étrange que votre maître soit plus difficile à alxnder qu’un ministre 1 1 Fourier entend le propos, saute à bas de son lit, où une indisposition le retenait, ouvre la porte de la chambre, et face à face avec le courtisan « Joseph, s’écric-t-il, dites à monsieur que si j’étais ministre, je recevrais tout le monde, parce que tel serait mon devoir; comme simple particulier, je reçois qui bon me semble et quand bon \037

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JOSEPH FOURIER. 367 \037me semble » Déconcerté par la vivacité de la boutade, le grand seigneur ne répondit pas un mot. 11 faut même croire qu’à partir de ce moment il se décida à ne visiter que des ministres, car le simple savant n’en entendit plus parler. \037Fouricr était doué d’une constitution qui lui promettait de longs jours mais que peuvent les dons naturels contre les habitudes antihygiéniques que les hommes sc créent à plaisir Pour se dérober à de légères atteintes rhumatismales, notre confrère se vêtait, dans la saison la plus chaude de l’année, comme ne le font même pas les voyageurs condamnés à hiverner au milicu des glaces polaires. « On me suppose de l’embonpoint, disait-il quelquefois en riant soyez assuré qu’il y a beaucoup A rabattre de cette opinion. Si, à l’exemple des momies égyptiennes, on me soumettait, ce dont Dieu me préserve! à l’opération du déscmmaillottcinent, on ne trouverait pour résidu qu’un corps assez fluet. Je pourrais ajouter, en choisissant aussi mon terme de comparaison sur les bords du Nil que dans les appartements de Fourior, toujours peu spacieux et fortement chauffés, mémo en été, tes courants d’air auxquels on était cvposé près des portes ressemblaient quelquefois a ce terrible seïmoun ce vent brûlant du désert que les caravanes redoutent à l’égal de la peste. \037Les prescriptions de la médecine qui, dans la bouche de M. Larrcy, se confondaient avec les inquiétudes d’une longue et constante amitié, ne réussirent pas à faire modifier ce régime mortel. Fourier avait déjà eu en Kg) pie et à Grenoble quelques atteintes d’un anévrisme \037

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3G8 JOSEPH FOURIER. \037au cœur. A Paris, on ne pouvait guère se méprendre sur la cause première des fréquentes suffocations qu’il «’prouvait. lTne chute faite le h mai 1830 en descendant un escalier, donna, toutefois, à la maladie une marche beaucoup plus rapide qu’on n’avait jamais dû le craindiv. Notre confrère, malgré de vives instances, persista à no vouloir combattre les plus menaçants symptômes qu’a l’aide de la patience et d’une liautc température. Le 10 mai 1830, vers les quatre heures du soir, Fourbr éprouva dans son cabinet de travail une violente crise dont il était loin de pressentir la gravite; car, opr’s s’être jeté tout habillé sur un lit, il pria M. Petit, jeune médecin de ses amis qui lui donnait des soins, de ne pas s’éloigner « afin lui dit-il, que nous puissions tout à l’heure causer ensemble. » Mais a ces paroles succédèrent bientôt les cris Vite, vite, du vinaigre, je m’évanouis! l et un des savants qui jetaient le plus d’éclat sur l’Académie avait cessé de vivre 1 \037Cet événement cruel est trop récent Messieurs, pour qu’il soit nécessaire de rappeler ici, et la douleur profonde qu’éprouva l’Institut en perdant une de ses premières notabilités; et ces obsèques, où tant de personnes, ordinairement divisées d’intérêts et d’opinions, se réunirent dans un sentiment commun de vénération et de regrets, autour des restes inanimés de Fouricr et l’École polytechnique,1 se joignant en masse au cortège pour rendre hommage à l’un de ses plus anciens, de ses plus célèbres professeurs et les paroles qui, sur Ics bords de la tombe, dépeignirent si éloqueinment le profond mathématicien, l’écrivain plein dégoût, l’administrateur intègre, \037

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JOSEPH FOURIKIï. 3f-9 \0371. i. 2ï li \037le bon citoyen t’ami dévoué. Disons seulement que Fouriei1 appartenait à toutes les grandes sociétés savantes du monde, et qu’elles s’associèrent avec la plus touchante unanimité au deuil de l’Académie, au deuil de la France entière éclatant témoignage que la rêpubliqvc (1rs lettres n’est plus aujourd’hui un vain nom Qu’a-t-il donc manqué h la mémoire de notre confrère? Un successeur plus habile que je ne l’ai été à grouper, à mcltre en relief les diverses phases d’une vie si variée, si laborieuse, si glorieusement enlacée aux plus graix’s (̃vouements de la plus mémorable époque de notre histoire. Heureusement, les découvertes scientifiques c!c l’illustre secrétaire n’avaient rien à redouter de l’insuffisance du panégyriste. Mon but aura été complètement atteint si, malgré l’imperfection de mes esquisses, chacun de vous a compris que les progrès de la physique générale, de la physique terrestre, de la géologie, multiplieront de jour en jour davantage les fécondes applications de la Théorie analytique de la chaleur, et que cet ouvrage portera le nom de Fourier jusqu’à la postérité la plus reculée. \037

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JA3IES WATT \037MOVKAFHIE LIE EN SÉANCE PIBLIQIE DE l ’ACADÉMIE DES SUtNCKS, LE 8 Ilti.tïRHE 1834 \037Messieurs, après avoir parcouru la longue liste de batailles, d’assassinats, de pestes de famines, de catastrophes de tout genre qu’offraient les annales de je ne sois quel pays, un philosophe s’écria « Heureuse h nation dont l’histoire est ennuyeuse! » Pourquoi faut-il que l’on doive ajouter, au moins sous le point de vue littéraire « Malheur à qui échoit l’obligation de raconter « l’histoire d’un peuple heureux! i \037Si l’exclamation du philosophe ne perd rien de son àpropos, quand on l’applique à de simples individus, sa contre-partie caractérise avec une égale vérité la position de quelques biographes. \037Telles étaient les réflexions qui se présentaient a moi pendant que j’étudiais la vie de James Watt, pendant que je recueillais les communications bienveillantes des parents, des amis, des confrères de l’illustrc mécanicien. Celte vie, toute patriarcale, vouée au travail à l’élude, 1 h la méditation, ne nous offrira aucun de ces événements l’iijiiiuits dont le récit, jeté avec un peu d’art au milieu \037

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372 JAMES WATT. \037~l-- ~a. 1. _j \037des détails de la science, en tempère la gravite*. Je ta raconterai cependant, ne fut-ce que pour montrer dais s quelle humble condition s’élaboraient des projet? destinés a porter la nation britannique à un degré de puissance inouï; j’essaierai surtout de caractériser avec une minutieuse exactitude, les inventions fécondes qui lient h jamais le nom de Watt à celui de machine à vapeur. Je (Tonnais parfaitement les écucils de ce ptan; je prévois qu’on pourra dire, en sortant d’ici Nous attendions un éloge historiqnc, et nous venons d’assister à une leçon scclie et aride. Le reproche, au surplus, me paraîtrait peu grave, si la leçon avait été comprise. Je ferai donc tous mes efforts pour ne pas fatiguer votre attention; je me rappellerai que la clarté est la politesse de ceux qui parlent en public. \037E.XFA.VOE KT JEINESSE DE /AMES «ATT. –SA IT.OMOTIO.V Al\ fONOTlU.NS D’iNGÉ.MEin LE l’i.MVEHSITÉ DE CLASOOW James Watt, un des huit associés étrangers de l’Académie des sciences, naquit a Grecnock, en Ecosse, te 0 janvier 175G. Nos voisins de l’autre côté de la Manche ont le bon esprit de penser que la généalogie d’une fnmillc honnête et industrieuse est tout aussi bonne a conscrvcr que les parchemins de certaines maisons titrées, devenues seulement célèbres par l’énormité de leurs crimes ou de leurs vices. Aussi je puis dire avec certitude que le bisaïeul de James Watt était un cultivateur établi dans le comté d’Abcrdecn; qu’il périt dans l’une dos batailles de Monlrosc; que le parti vainqueur, comme \037

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JAMES WATT. 373 \037c’était (j’allais ajouter, comme c’est encore l’usage dans les discordes civiles), ne trouva pas que la mort fût une expiation suffisante des opinions pour lesquelles le pauvre fermier avait combattu; qu’il lc punit, dans la personne de son fils, en confisquant sa propriété que ce malheureux enfant, Thomas Watt, fut recueilli par dcs parents éloignés; que dans l’isolement absolu auquel sa position difficile le condamnait, il se livra à des études sérieuses ct assidues; qu’en des temps plus tranquilles, il s’établit à GreenocK où il enseigna les mathématiques et les éléments de la navigation qu’il demeura au bourg de Crawfords-dykc dont il fut magistrat qu’enfin il s’éteignit en 1734, Agé de quatre-vingt-douze ans. Thomas Watt eut deux fils. L’aîné, John, suivait à Glasgow la profession de son père. 11 mourut à cinquante ans (en 1737), laissant une carte du cours de la Clyde, qui a été publiée par les soins de son frère James. Celuici, père du célèbre ingénieur, longtemps membre trésorier du conseil municipal de Grcenock et magistrat de la \ille, se fit remarquer dans ces fonctions par un zèle ardent et un esprit d’amélioration éclairé. 11 cumulait (n’ayez point de crainte ces trois syllabes, devenues aujourd’hui eu France une cause générale d’anathème ne feront pas de turt à la mémoire de James Watt), il cumulait trois natures d’occupations il était la fois fournisseur d’appareils, d’ustensiles et d’instruments nécessaires à la navigation, entrepreneur de bâtisses et négociant, ce qui malheureusement n’empôcha pas qu’à la fin de sa vie, certaines entreprises commerciales ne lui fissent perdre une partie de la fortune honorable qu’il avait précédem- \037

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371 JAMES WATT. \037ment gagnée. 11 mourut à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, en 1782. \037James Watt, le sujet de cet éloge. naquit avec une complexion extrêmement délicate. Sa mère, dont le nom de famille était Muirhcad, lui donna les premières leçons de lecture. II apprit de son père à écrire et à compter. Il suivit aussi l’école publique primaire de Greciiock. Les humbles grammar schools écossaises auront ainsi le droit d’inscrire avec un juste orgueil le nom du célèbre ingénieur parmi ceux des élèves qu’elles ont formés, comme le collège de La Flèche citait jadis Descartes, comme l’université de Cambridge cite encore aujourd’hui Newton. Pour être exact, je dois dire que de continuelles indispositions ne permettaient pas au jeune Watt de se rendre assidûment à l’école publique de Greenock qu’une grande partie de l’aunée, il était retenu dans sa chambre et s’y livrait à l’étude, sans aucun secours étranger. Comme c’est l’ordinaire, de hautes facultés iiitellectuelles destinées à produire de si heureux fruits, commencèrent à se développer dans la retraite et le recueillement. \037Watt était trop maladif pour que ses parents eussent la pensée de lui imposer des occupations assidues. Ils lui laissaient même le libre choix de ses distraction?. On va voir s’il en abusait. \037Un ami de M. Watt rencontra un jour le petit James étendu sur le parquet et traçant avec de la craie toute sorte de lignes entre-croisées. « Pourquoi permettez-vous, « s’écria-t-il que cet enfant gaspille ainsi son temps? t envoyez-le donc à l’école publique! » M. Watt repartit \037

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JAMES WATT. 3T5 \037t Vous pourriez bien, Monsieur, avoir porté un jugement « précipité avant de nous condamner, examinez attenti«  veinent ce qui occupe mon fils. La réparation ne se fit pas attendre l’enfant de six ans cherchait la solution d’un problème de géométrie. \037Guidé par sa tendresse éclairée, le vieux James Walt avait mis de bonne heure un certain nombre d’outil à la disposition du jeune écolier. Celui-ci s’en servait avec la plus grande adresse; il démontait et remontait les jouets d’enfant qui tombaient sous sa main; il en exécutait sans cesse de nouveaux. Plus tard, il les appliqua à la conf-truction d’une petite machine électrique, dont les brillantes étincelles devinrent un vif sujet d’amusement et de surprise pour tous les camarades du pauvre valétudinaire. \037Watt, avec une mémoire excellente, n’eût peut-être pas figuré parmi les petits prodiges des écoles ordinaire?. Il aurait refusé d’apprendre les leçons comme un perroquet, parce qu’il sentait le besoin d’élaborer soigneusement les éléments intellectuels qu’on présentait a son oprit parce que la nature l’avait surtout créé pour !a méditation. James Walt, au surplus, augurait tres-favorablcniDnt des facultés naissantes de son fils. Desparenls plus éloignés et moins perspicaces ne partageaient pas les îinjnes espérances. « James, dit un jour madame Muir«  head a son neveu, je n’ai jamais vu un jeune homme « plus paresseux que vous. Prenez donc un livre et oceu«pez-vous utilement. Il s’est écoulé plus d’une heure « sans que vous ayez articulé un seul mot. Savez-vous ce « que vous avez fait pendant ce long intervalle? vous au-z \037

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310 JAMES WATT. \037« ôté remis et ôté encore le couvercle de la théière vous « avez placé dans le courant qui en sort, tantôt une sou«  coupe tantôt une cuiller d’argent vous vous êtes éver«  lue a examiner, à réunir entre elles et à saisir les gout«  Mottes que la condensation de la vapeur formait à ta « surface de la porcelaine ou du métal poli n’est-ce pas « une honte que d’employer ainsi son temps » En 1750, chacun de nous, à la place de madame Muirhead, eût peut-être tenu le même langage; mais le monde a marché, mais nos connaissances se sont accrues; aussi, lorsque bientôt j’expliquerai que la principale découverte de notre confrère a consisté dans un moyen particulier de transformer la vapeur en eau, les reproches de madame Muirhead s’offriront à notre esprit sous un tout autre jour et le petit James, devant la théière, sera Je grand ingénieur préludant aux découvertes qui devaient l’immortaliser et chacun trouvera sans doute remarquable que les mots condensation de vapeur, soient venus se placer naturellement dans l’histoire de la première enfance de Watt. Au reste, je me serais fait illusion sur la singularité de l’anecdote, qu’elle n’en mériterait pas moins d’être conservée. Quand l’occasion s’en présente, prouvons à la jeunesse que Newton ne fut pas seulement modeste le jour où, pour satisfaire la curiosité d’un grand personnage qui désirait savoir comment l’attraction avait été découverte, il répondit C’est eo y p~~ns tut toujours! Montrons à tous les yeux, dans ces simples paroles de l’immortel auteur des Principes, le véritable

-vorct des hommes de génie.

\037L’esprit anccdoliquo que notre confrère répandit avec \037

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JAMES WATT. 377 \037tant de grAcc, pendant plus d’un demi-siècle, parmi tous ceux dont il était entouré, se développa de très.bonne heure. On en trouvera la preuve dans ces quelques lignes que j’extrais, en les traduisant, d’une note inédite, rédigée en 1798 par madame Marion Campbell, cousine et compagne d’enfance du célèbre ingénieur «. « Dans un voyage a Glasgow, madame Watt confia son « jeune fils James à une de ses amies. Peu de semaines « après elle revint le voir, mais sans se douter assuré«  ment de la singulière réception qui t’attendait. Madame, « lui dit cette amie dès qu’elle l’aperçut, il faut vous « hâter de ramener James à Grecnock. Je ne puis plus « endurer l’état d’excitation dans lequel il me met je suis « harassée parle manque de sommeil. Chaque nuit, quand « l’heure ordinaire du coucher de ma famille approche, « votre fils parvient adroitement à soulever une discussion « dans laquelle il trouve toujours le moyen d’introduire o quelque conte; celui-ci, au besoin, en enfante un « second, un troisième, etc. Ces contes, qu’ils soient « pathétiques ou burlesques, ont tant de charme, tant « d’intérêt ma famille tout entière les écoute avec une « si grande attention, qu’on entendrait une mouche voler. « Les heures ainsi succèdent aux heures, sans que nous \037i. Je suis redevable de ce curieux document mon ami, M. James Walt, de Solio. Grâce a la vénération profonde qu’il a conseru’e pour ta mémoire de son illustre ptVe, grâce à l’inépuisable complaisance avec laquelle il a accueilli toutes mes demandes, j’ai pu éviter diverses inexactitudes qui se sont glissées dans les biographies lus plus estimée*, et dont moi-même, trompé par des renseignements M-rlianx acceptés trop lég-rement, je n’avais pas su d’abord mo garam ir. \037

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378 JAMES WATT. \037In Inn~l.vnnin in inmlw An \037« nous en apercevions mais le lendemain je tombe de « fatigue. Madame, remmenez votre fils chez vous. » James Watt avait un frère cadet, John1, qui, en se décidant a embrasser la carrière de son père, lui laissa, d’après les coutumes écossaises, qui veulent que la profession paternelle soit adoptée par l’un des enfants, la liberté de aiivrc fa vocation; mais cette vocation était difficile à découvrir, car le jeune étudiant s’occupait de tout avec un (gal succès. \037Los rives du Loch Lomond, déjà si célèbres par les souvenirs de l’historien Buchanan et de l’illustre inventeur des logarithmes, développaient son goût pour les beautés de la nature et de la botanique. Des courses sur diverses montagnesd’ Ecosse lui faisaient sentirque la croûte inerte du globe n’est pas moins digne d’attention, et il devenait minéralogiste. James profitait aussi de ses fréquents rapports f.vcc les pauvres habitants de ces contrées pittoresques, pour déchiffrer leurs traditions locales, leurs ballades populaires, leurs sauvages préjugés. Quand lit mauvaise santé le retenait sous le toit paternel, c’était principalement la chimie qui devenait l’objet de ses expériences. Les Eléments of nalural philosophj de s’Gravesande l’initiaient aus>i aux mille et mille merveilles de la physiquc générale; enfin, comme toutes les personnes malades, il dévorait les ouvrages de médecine et de chirurgie qu’il pouvait se procurer. Ces dernières siences avaient excité cliez l’écolier une telle passion, qu’on le \0371, II p/rit, en 1762 sur un dos navires du son \>!i\\ d;ms la traverse de c.roeiiock en Amérique, à de vingt-trois an*. \037

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JAMES WATT. 373 \037surprit un jour emportant dan? sa chambre, pour la disséquer, la tetc d’un enfant mort d’une maladie inconnue, Watt, toutefois, ne se destina ni a la botanique, ni a la minéralogie, ni à l’érudition, ni a la poésie, ni a l.\ chimie, ni à la physique, ni 5 la médecine, ni à la chirurgie, quoiqu’il fut si bien préparé pour chacun de ces {,c!ires d’études. En 1755, il alla h Londres se placer chez M. John Morgan constructeur d’instruments de mathématiques et de marine, dans Finch-Lanc, Cornhill. L’homme qui devait couvrir l’Angleterre de moteurs a côté desquels, du moins quant aux effets, l’antique et colossale machine de Marly ne serait qu’un pygméc, entra dans la carrière industrielle en construisant de ses main?, des instruments subtils, délicats, fragiles ces petits mais admirables sextants a réflexion auxquels l’art nautique est redevable de ses progrès. \037Watt ne resta guère qu’un an chez M. Morgan, et retourna à Glasgow où d’assez grave? difficultés l’attendaient. Appuyées sur leurs antiques privilèges, les corporations d’arts et métiers regardèrent le jeune artiste de Londres comme un intrus, et lui dénièrent obstinément le droit d’ouvrir le plus humble atelier. Tout moyen de conciliation ayant échoué, l’Université de Glasgow intervint, disposa en faveur du jeune Watt d’un petit local dan? ses propres bâtiments, lui permit d’établir une boutique, et l’honora du titre de son ingénieur. Il existe encore do petits instruments de cette époque, d’un travail exquis, exécutés tout entiers de la main de Watt. J’ajouterai quo son fils a mis récemment sous mes yeux les premières épures de la machine à vapeur, et qu’elles sont vraiment \037

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360 JAMES WAIT. \037remarquables par la finesse, par la fermeté, par la précision du trait. Ce n’était donc pas sans raison, quoi qu’on en ait pu dire, que Watt parlait avec complaisance do son adresse manuelle. \037Peut-être a urez-vous quelque raison de penser que je porte le scrupule bien loin en réclamant, pour notre confrère, un mérite qui ne peut guère ajouter à sa gloire. -Mais, je l’avouerai, je n’entends jamais faire l’énumération pécîantcsquc des qualités dont les hommes supérieurs ont été pourvus, sans me rappeler ce mauvais général du sièclo de Louis XIV, qui portait toujours son épaule droite tiès-haute, parce que le prince Eugène de Savoie était un peu bossu, et qui crut que cela le dispensait d’essayer de pousser la ressemblance plus loin. \037Watt atteignait à peine sa vingt et unième année 1 lorsque ITnivcrsité de Glasgow se l’attacha. 11 avait eu pour protecteurs Adam Smith, l’auteur du fameux ouvrage sur la Richesse des nalions; Black, que ses découvertes touchant la chaleur latente et le carbonate de chaux devaient placer dans un rang distingué parmi les premiers chimistes du wiir siècle; Robert Simson, le célèbre restaurateur des plus importants traités des anciens géomètres. Ces personnages éminents croyaient d’abord n’avoir arraché aux tracasseries des corporations, qu’un ouvrier adroit, zélé, de mœurs douces mais ils ne tardèrent pas à reconnaître l’homme d’élite, et lui vouèrent la plus vive amitié. Les élèves de lTniversité tenaient aussi à honneur d’être admis dans l’intimité de Watt. Knfiji sa boutique, oui, Messieurs, une boutique! devint une ?oilc d’ocadémic où toutes les illustrations de Glasgow \037

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JAMES WATT. 3SI \037allaient discuter les questions les plus délicates d’art de science, de littérature. Je n’oserais pas, en vérité, vous dire quel était, au milieu de ces réunions savante?, le rôle du jeune ouvrier de vingt et un ans, si je ne pouvais m’appuyer sur une pièce inédite du plus illustre des rédacleurs de l’ Encyclopédie britannique. \037Quoique élève encore, j’avais, ditRobison, la vanité «de nie croire assez avancé dans mes études favorites de « mécanique et de physique, lorsqu’on me présenta à « Watt; aussi, je l’avoue, je ne fus pas médiocrement « mortifié en voyant à quel point le jeune ouvrier m’était supérieur. Dès que, dans l’Université, une difficulté • nous arrêtait, et quelle qu’en fùt la nature, nous cou«  rions chez notre artiste. Une fois provoqué, chaque sujet «devenait pour lui un texte d’études sérieuses et de « découvertes. Jamais il ne hkhait prise qu’après avoir « entièrement éclairci la question proposée, soit qu’il la « réduisit à rien, soit qu’il en tirât quelque résultat net « et substantiel. Un jour, la solution désirée sembla « nécessiter la lecturc de l’ouvrage de Leupold sur les « machines Watt apprit aussitôt l’allemand. Dans une. ! • \ û que cette supériorité était voilée par la plus aimable \037

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382 JAMES WATT. \037« candeur, et qu’elle s’alliait à la ferme volonté de recon«  naître libéralement le mérite de chacun. Watt se com«  plaisait mOme à doter l’esprit inventif de ses amis, de « cheses qui n’étaient souvent que ses propres idées pré«  sentécs sous une autre forme. J’ai d’autant plus le droit, « ajoute Robison d’insister sur cette rare disposition « d’esprit, que j’en ai personnellement éprouvé les effets. » Vous aurez à décider, Messieurs, s’il n’était pas aussi honorable de prononcer ces dernières paroles, que de les avoir inspirées. \037Les études si sérieuses, si variées dans lesquelles les circonstances de sa singulière position jetaient sans cesse le jeune artiste de Glasgow, ne nuisirent jamais aux travaux de l’atelier. Ceux-ci, il les exécutait de jour; la nuit était consacrée aux recherches théoriques. Confiant dans les ressources de son imagination, Watt paraissait se complaire dans les entreprises difficiles, et auxquelles on devait le supposer le moins propre. Croira-t-on qu’il se chargea d’exécuter un orgue, lui totalement insensible au charme de la musique; lui qui, même, n’était jamais parvenu à distinguer une note d’une autre par exemple, Yut du fa? Cependant, ce travail fut mené à bon port. Il va sans dire que le nouvel instrument présentait des améliorations capitales dans sa partie mécanique, dans les régulateurs, dans la manière d’apprécier la force du vent; mais on s’étonnera d’apprendre que ses qualités harmoniques n’étaient pas moins remarquables, et qu’elles charmèrent des musiciens de profession. Watt résolut une partie importante du problème; il arriva au tempérament assigné par un homme de l’ait à l’aide du phénomène \037

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JAMES WATT. 383 \037des battements, alors assez mal apprécié, et dont il n’avait pu prendre connaissance que dans l’ouvrage profond, mais très-obscur, du docteur Robert Smith, de Cambridge. \037PRINCIPES DE LA MACHINE A VAPEUR. \037Me voici arrivé à la période la plus brillante de la vie de Watt et aussi, je le crains, à la partie la plus difficile de ma tâche. L’immense importance des inventions dont j’ai à vous entretenir, ne saurait être l’objet d’un doute mais je ne parviendrai peut-être pas à les faire convenablement appïécier sans me, jeter dans de minutieuses comparaisons numériques. Afin que ces comparaisons, si elles deviennent indispensables, soient faciles à saisir, je vais présenter, le plus brièvement possible, les notions délicates de physique sur lesquelles nous aurons à les appuyer. \037l’ar l’effet de simples changements de température, l’eau peut exister dans trois états parfaitement distincts à l’état solide, à l’état liquide, à l’état aérien ou gazeux. Au-dcsscus de zéro de l’échelle du thermomètre centigrade, l’eau devient de la glace; à 100° elle se transforme rapidement en gaz dans tous les degrés intermédiaires elle est liquide. \037L’observation scrupuleuse des points de passage d’un tic ces états à l’a utre conduit à des découvertes du prcmier ordre, qui sont la clef des appréciations économiques des machines à vapeur. \037L’eau n’est pas nécessairement plus chaude que toute \037

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331 JAMES WATT. \037espère de glace; l’eau peut se maintenir à zéro de température sans se geler; la glace peut restera zéro san. se fondre mais cette eau et cette glace, toutes les deux au même degré de température, toutes les deux zéro, il semble bien difficile de croire qu’elles ne différent que par leurs propriétés physiques; qu’aucun élément étranger a l’eau proprement dite ne distingue l’eau solide de l’eau liquide. Tne expérience fort simple va éclairer ce mystère, \037Mêlez un kilogramme d’eau à zéro avec un kilogramme d’cou a 79" centigrades les deux kilogrammes du mélange seront à 39 dogrés et demi c’est-à-dire à la température moyenne dos liquides composants. L’eau chaude se trouve ainsi avoir conservé 39 degrés et demi de son ancienne température; elle a cédé les 39 et demi autres degrés à l’eau froide tout cela était naturel tout cela pouvait être prévu. \037Répétons maintenant l’expérience avec une seule modification au lieu du kilogramme d’eau à zéro, prenons un kilogramme de glace à la même température de zéro. Du mélange de ce kilogramme de glace avec le kilogramme d’eau à 79% résulteront deux kilogrammes d’eau liquide, puisque la glace, baignée dans l’eau chaude, ne pourra manquer de se fondre et qu’elle conservera son ancien poids; mais ne vous hâtez pas d’attribuer ou mélange, comme tout a l’heure, une température de 39 degrés et demi; car vous vous tromperiez; cette température sera seulement de zéro il ne restera aucune trace des 79" do chaleur que le kilogramme d’eau possédait ces 79" auront désagrégé les molécules de glace; ils se seront \037

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JAMES WATT. 3«  \037I.-f. 1. 25 \037combinés avec elles, mais sans les échauffer en aucune manière. \037Je n’hésite pas à présenter cette expérience de Black comme une des plus remarquables de la physique moderne. Voyez, en effet, ses conséquences. \037L’eau à zéro et la glace à zéro différent dans leur composition intime. Le liquide renferme, de plus que le solide, 7U° d’un corps impondéré qu’on appelle la chaleur. Ces 70° sont si bien cachés dans le composé, j’allais presque dire dans l’alliage aqueux, que le thermomètre le plus sensible n’en dévoile pas l’existence. De la chaleur non sensible à nos sens, non sensible aux instruments les plus délicats, de la chaleur latente enfin, car c’est le nom qu’on lui a donné, est donc un des principes constituants des corps. \037La comparaison de l’eau bouillante, de l’eau à 100% avec la vapeur qui s’en dégage et dont la température c?t aussi de 100°, conduit, mais sur une bien plus grande échelle, à des résultats analogues. Au moment do se constituer à l’état de vapeur à 100°, l’eau à la même température de 100° s’imprègne sous forme latente, sous forme non sensible au thermomètre, d’une quantité énorme de chaleur. Quand la vapeur reprend l’état liquide, cette chaleur de composition se dégage, et elle va échauffer tout ce qui sur son chemin est susceptible de l’absorber. Si on fait traverser, par exemple, 5.35 kilogrammes d’eau à zéro, par un seul kilogramme de vapeur à 100°, cette vapeur se liquéfie entièrement. Les 6.35 kilogrammes résultant du mélange sont à 100° de température. Dans la composition intime d’un kilogramme de vapeur \037

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336 JAMES WATT. \037il entre donc une quantité de chaleur latente qui pourrait porter un kilogramme d’eau, dont on empêcherait l’évaporation, de zéro à 535" centigrades. Ce résultat’ paraîtra sans doute énorme, mais il est certain la vapeur d’eau n’existe qu’à cette condition. Partout où un kilogramme d’eau à 100° se vaporise naturellement ou artificiellement, il doit se saisir, pour éprouver la transformation, et il se saisit, en effet, sur les corps environnants, de 535’ de chaleur. Ces degrés, on ne saurait assez le répéter, la vapeur les restitue intégralement aux surfaces de toute nature sur lesquelles sa liquéfaction ultérieure s’opère. Voilà, pour le dire en passant, tout l’artifice du chauffage à la vapeur. On comprend bien mal cet ingénieux procédé lorsqu’on s’imagine que le gaz aqueux ne va porter au loin, dans Ics tuyaux où il circule, que la chaleur sensible ou thermométrique les principaux elrets sont dus à la chaleur de composition, à la chaleur cachée, à la chaleur latente qui se dégage au moment où le contact de surfaces froides ramone la vapeur de l’état gazeux à l’état liquide. \037Désormais, nous devrons donc ranger la chaleur parmi les principes constituants de la vapeur d’eau. La chaleur, on ne l’obtient qu’en brùlaut du bois ou du charbon la vapeur a donc une valeur commerciale supérieure à celle du liquide, de tout le prix du combustible employé dans l’acte de la vaporisation. Si la différence de ces deux valeurs est fort grande, attribuez-le surtout à la chaleur latente la chaleur Uicrmoinétriquc, la chaleur sensible n’y entre que pour une faible part. \037J’aurai peut-être besoin de m’étayer, plus tard, ds \037

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JAMES WATT. 387 \037quelques autres propriétés de la vapeur d’eau. Si je n’en fais point mention dès ce moment, ce n’est pas que j’attribue à cette assemble la disposition d’esprit, de certains écoliers qui disaient un jour à leur professeur de géométrie « Pourquoi prenez-vous la peine de démontrer « ces théorèmes? Nous avons en vous la plus entière « confiance; donnez-nous votre parole d’honneur qu’ils « sont vrais, et tout sera dit! » Mais j’ai dit songer à ne pas abuser de votre patience; j’ai dû me rappeler aussi qu’eu recourant à des traités spéciaux, vous comblerez aisément les lacunes que je n’ai pas su éviter. HISTOIRE DE LA MACHINE A VAPEIH \037DANS L’AATIQUf É. \037Essayons, maintenant, de faire la part des nations et des personnes qui semblent devoir être citées dans l’histoire de la machine à vapeur. Traçons la série chronologique d’améliorations que cette machine a reçues, depuis ses premiers germes, déjà fort anciens, jusqu’aux découvertes de Watt. J’aborde ce sujet avec la ferino volonté d’être impartial, avec le vif désir de rendre à chaque inventeur la justice qui lui est due, avec la cerlilude de rester étranger toute considération indigne de la mission que vous m’avez donnée, indigne de la majesté de la science, qui prendrait sa source dans des préjugés nationaux. J’avoue, d’un autre côté, que je ferai peu de compte des nombreux arrêts déjà rendus sous la dictée de pareils préjugés que je me préoccuperai encore moins, s’il est possible, des critiques acerbes \037

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388 JAMES WATT. \037qui m’attendent sans doute, car le passé est le miroir de l’avenir. \037Question bien posée est à moitié résolue. Si l’on s’était rappelé ce dicton plein de sens, les débats relatifs à l’invention de la machine a vapeur n’auraient certainement pas présenté le caractère d’acrimonie, de violence, dont ils ont été empreints jusqu’ici. Mais on s’était étourdiment jeté dans un défilé sans issue en voulant trouver un inventeur unique là ou il y avait nécessité d’en distinguer plusieurs. L’horloger le plus instruit de l’histoire de son art resterait muet devant celui qui lui demanderait, en termes généraux quel est l’inventeur des montres. La question, au contraire, l’embarrasserait peu si elle portait, séparément, sur le moteur, sur les diverses formes d’échappement, sur le balancier. Ainsi en est-il de la machine à vapeur elle présente aujourd’hui la réalisation de plusieurs idées capitales, mais entièrement distinctes, qui peuvent ne pas être sorties d’une môme source, et dont notre devoir est de chercher soigneusement l’origine et la date. \037Si avoir fait un usage quelconque de la vapeur d’eau donnait, comme on l’a prétendu, des droits a figurer dans cette histoire il faudrait citer les Arabes en première ligne, puisque, de temps immémorial leur principal aliment, la semoule, qu’ils nomment couscoussou, se cuit, par l’action de la vapeur, dans des passoires placées au-dessus de marmites rustiques, Une semblable conséquence suffit pour faire ressortir tout le ridicule du principe dont elle découle. \037Ocrbcrt, notre compatriote, celui-là même qui port.i \037

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JAMES WATT. 389 \037la tif rc sous le nom de Sylvestre II acquiert-il des titres plus réels lorsque vers le milieu du IV siècle il fuit résonner les tuyaux de l’orgue de la cathédrale de Reims à l’aide de la vapeur d’eau? Je ne le pense pas dans l’instrument du futur pape, j’aperçois un courant de vapeur substitué au courant d’air ordinaire pour obtenir la production du phénomène musical des tuyaux d’orgue, mais nullement un effet mécanique proprement dit. Le premier exemplc de mouvement engendré par la Viipcur, je le trouve dans un joujou, encore plus ancien (jiie l’orgue de Gerbert dans un éolipyle de Héron d’Alexandrie, dont la date remonte à cent vingt ans avant notre ère. Peut-être sera-t-il difficile, sans le secours d’aucune figure de donner une idée claire du mode d’action de ce petit appareil je vais toutefois le tenter. \037Quand un gaz s’échappe, dans un certain sens, du vase qui le renferme, ce vase, par voie de réaction, tend à se mouvoir dans le sens diamétralement contraire. Le recul d’un fusil chargé à poudre n’est pas autre chose les gaz qu’engendre l’inflammation du salpêtrc, c’u charbon et du soufre, s’élancent dans l’air suivant la direction du canon; la direction du canon, prolongée en arrière, aboutit à l’épaule de la personne qui a tiré; c’est donc sur l’épaule que la crosse doit réagir avec force. Pour changer le sens du recul, il suffirait de frire sortir le jet du gaz dans une autre direction. Si Ic canon, boucl é à son extrémité, était percé seulement d’une ouverture latérale perpendiculaire à sa direction et horiinlale, c’est latéralement et horizontalement que le gaz \037

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390 JAMES WATT. \037de la poudre s’échapperait c’est perpendiculairement au canon que s’opérerait le recul c’est sur les bras et non sur l’épaule qu’il s’exercerait. Dans le premier cas, le recul poussait le tireur de l’avant à l’arrière, comme pour le renverser dans le second, il tendrait à le faire pirouetter sur lui-môme. Qu’on attache donc le canon, invariablement et dans le sens horizontal, à un axe ver. tical et mobile, et au moment du tir il changera plus ou moins de direction, et il fera tourner cet axe. En conservant la même disposition, supposons que l’axe vertical rotatif soit creux, mais fermé à la partie supérieure; qu’il aboutisse, parle bas, comme une sorte de cheminée, à une chaudière où s’engendre de la vapeur; qu’il exiMe, de plus, une libre communication latérale entre l’intérieur de cet axe et l’intérieur du canon de fusil, de manière qu’après avoir rempli l’axe la vapeur pénètre dans le canon et en sorte de côté par son ouverture horizontale. Sauf l’intensité, cette vapeur, en s’échappant, agira a la manière des gaz dégagés de la poudre dans le canon de fusil bouché h son extrémité et percé latéralement; seulement, on n’aura pas ici une simple secousse, ainsi que cela arrivait dans le cas de l’explosion brusque et instantanée du fusil; au contraire, le mouvement de rotation sera uniforme et continu, comme la cause qui l’engendre. \037Au lieu d’un seul fusil, ou plutôt au lieu d’un seul tuyau horizontal, qu’on en adapte plusieurs au tube vcrticat rotatif, et nous aurons, à cela près de quelques différences peu essentielles, l’ingénieux appareil de Héron d’Alexandrie. \037

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JAMES WATT. 39» \037Voilà, sans contredit, une machine dans laquelle la vapeur d’eau engendre du mouvement, et peut produire des effets mécaniques de quelque importance, voilà une véritable machine à vapeur. Hâtons-nous d’ajouter qu’elle n’a aucun point de contact réel, ni par sa forme, ni par le mode d’action de la force motrice, avec les machines de cette espèce actuellement en usage. Si jamais la réaction d’un courant de vapeur devient utile dans la pratique, il faudra, incontestablement, en faire remonter l’idée jusqu’à Héron; aujourd’hui l’éolipyle rotatif pourrait seulement Ctre cité ici, comme la gravure en bois dans l’histoire de l’imprimerie \037HISTOIRE DE LA MACHISË A VAPECR \037DANS LES DERNIERS SIÈCLES. \037Dans les machines de nos usines, de nos paquebots, de nos chemins de fer, le mouvement est le résultat immédiat de l’élasticité de la vapeur. Il importe donc de chercher où et comment l’idée de cette force a pris naissance. \037Les Grecs et les Romains n’ignoraient pas que la 1. Ces réflexions s’appliquent aussi au projet que Branca, architecte ita:ien, publia à Nome, en 1629, dans un ouvrage Intitulé le Machine, et qui consistait à engendrer un mouvement de rotation en dirigeant la vapeur sortant d’un éolipyle, sous forme de souflli\ sous forme de vent, sur les ailettes d’une roue Si, contre toute probabilité, la vapeur est un jour employée utilement a l’état de souille direct, iiranca, ou l’auteur actuellement inconnu à qui Il a pu emprunter cette Idée, prendra le premier rang dans l’histoire de ce nouveau genre de machines A l’égard des machines actuelle es titres de Jiranca sont complétement nuls. \037

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3S2 JAMUS WATT. \037vppcur d’eau peut acquérir une puissance mécanique prodigieuse. Ils expliquaient déjà, h l’aide de la vaporisation subite d’une certaine masse de ce liquide, les effroyables tremblements de terre qui, en quelques secondes, lancent l’Océan hors de ses limites naturelles; qui renversent jusque dans leurs fondements les monuments les plus solides de l’industrie humaine; qui créent subitement au milieu des mers profondes, des écueils redoutables; qui font surgir aussi de hautes montagnes au centre mémo des continents. \037Quoi qu’on en ait dit, cette théorie des tremblements de terre ne suppose pas que les auteurs s’étaient livrés a des appréciations, à des expériences, à des mesures cxacles. Personne n’ignore aujourd’hui qu’au moment ou le métal incandescent pénètre dans les moules en terre ou en pldtre des fondeurs, il suffit que ces moules renferment quelques gouttes de liquide pour qu’il en résulte de dangereuses explosions. Malgré les progrès des sciences, les fondeurs modernes n’évitent pas toujours ces accidents comment donc les anciens s’en seraient-ils entièrement garantis? Pendant qu’ils coulaient des milliers de statues, splendides ornements des temples, des places publiques, des jardins, des habitations particulières d’Athènes et de RoniD, il dut arriver des malheurs; les hommes de l’art en trouvèrent la cause immédiate; les philosophes, d’aulre part, obéissant à l’esprit de généralisation qui était le 1 rait caractéristique de leurs écoles, y virent des miniatures, de véritables images des éruptions de l’Etna. ïcut cela peut être vrai, sans avoir la moindre importance dans l’histoire qui nous occupe. Je n’ai même \037

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JAMES WATT. 303 i« ̃( 1* f j 1 1 \037tant insisté, je l’avoue, sur ces légers linéaments de la science antique au sujet delà force de la vapeur d’eau, qu’afin de vivre en paix, s’il est possible, avec Ics Dacicr dos deux sexes avec les Dutens de notre époque Les forces naturelles ou artificielles, avant de devenir vraiment utiles aux hommes, ont presque toujours été, exploitées au profit de la superstition. La vapeur d’eau ne sera pas une exception à cette règle générale. Les chroniques nous avaient appris que sur les bords du Wescr, le dieu des anciens Teutons leur marquait quelquefois son mécontentement, par une sorte de coup de tonnerre auquel succédait, immédiatement après, un image qui remplissait l’enceinte sacrée. L’imago du dieu liu.stérieh trouvée, dit-on, dans les fouilles, montre clairement la manière dont s’opérait Ic prétendu prodige. Le dieu était en métal. La tête creuse renfermait une amphore d’eau. Des tampons de bois fermaient la boucle et un autre trou situé au-dessus du front. Des charbons, adroitement placés dans la cavité du crAne échauffaient 1. Par le nn’ine motif, je ne puis guère me dispenser de rapporter ici une anecdote qui, à travers ce qu’elle offre- de romanesque et t!e contraire a ce quc nous savons aujourd’hui sur le mode d’action n de la valeur d’eau, laisse voir la liauie idée que les anciens se formaient de la puissance de cet agent mécanique. On raconte qu’AnuVinius, l’architecte de Justinlen, avait une habitation contigi;ë à celle de 7/non, et que peur faire pi’cc a cet orateur, son ennemi déclaré, il plaça dans le rez-de-chaussée de sa propre maison plusieurs chaudrons remplis d’eau que de l’ouverture pratiquée sur ’e couvercle de chacun de ces chaudron", partait un tube flexible qui allait s’appliquer dans le mur mitoyen, sous les poutres qui soutenaient les plafonds de la maison de Z.énon enfin, que ces plafonds dansaient comme s’il y avait eu de \Ioloufs tremblements de terri», dès que le feu était allumé sous les chaudrons. \037

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394 JAMES WATT. \037graduellement le liquide. Bientôt la vapeur engendrée fai.sait sauter les tampons avec fracas alors elle s’échappait violemment en deux jets, et formait un épais nuage entre le dieu et ses adorateurs stupéfaits. Il paraîtrait que dans le moyen âge des moines trouvèrent l’invention de bonne prise, et que la tête de Bustérich n’a pas seulement fonctionné devant les assemblées teutonnes \037Pour rencontrer, après les premiers aperçus des philosophes grecs, quelques notions utiles sur les propriétés de la vapeur d’eau, on se voit obligé de franchir un intcrvalle de près de vingt siècles. Il est vrai qu’alors des expériences précises, concluantes, irrésistibles, succèdent à des conjectures dénuées de preuves. \037Eu 1605, Flurencc Itivault, gentilhomme de la chambre d’Henri IV, et précepteur de Louis X11I, découvre, par exemple, qu’une bombe à parois épaisses et contenant do l’eau, fait tôt ou tard explosion quand on la place sur Ic feu apres l’avoir bouchée c’est-à-dire lorsqu’on empêche la vapeur d’eau de se répandre librement dans l’air à mesure qu’eue s’engendre. La puissance de la vapeur d’eau se trouve ici caractérisée par une épreuve nette et 1. Héron d’Alexandrie attribuait les sons, objets de tant de controverses que la statue de Meinnon faisait entendre quand les rayom du soleil le\aut l’avaient frappée, au passage, par certaines ouvertures, d’un courant de vapeur que la chaleur solaire était censée avoir produit aux dépens du liquide dont les prêtres égyptiens garnissaient, dit-on, l’intérieur du piédes-tal du colosse. Saloino:i ib Caus, Kirchct, etc., ont été jusqu’à vouloir découvrir les dispositions particulières à l’aide desquelles la fraude théocratique s’emparait ainsi des Imaginations crédules mais tout porte à croire qu’ils n’ont pas deviné juste, si même, en ce genre, quelque chose est à deviner. \037

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JAMES WATT. 395 \037susceptible, jusqu’à un certain point, d’appréciations numériques • mais elle se présente encore à nous comme un terrible moyen de destruction. \037Des esprits éminents ne s’arrêtèrent pas à cette réflexion chagrine. Ils conçurent que les forces mécaniques doivent devenir ainsi que les passions humaines, utiles ou nuisibles, suivant qu’elles sont bien ou mal dirigées. Dans le cas particulier de la vapeur, il suffit, en eflet, de l’artifice le plus simple, pour appliquer à un travail productif la force élastique redoutable qui, suivant toute apparence, ébranle la terre jusque dans ses fondements, qui entoure l’art du statuaire de dangers réels, qui brise en cent éclats les parois épaisses d’une bombe 1 \037Dans quel état se trouve ce projectile avant son explosion ? Le bas renferme de l’eau très-cliaude, mais encore UquiJ" le reste de la capacité est rempli de vapeur. Celle-ci, car c’est le trait caractéristique des substances gazeuses, exerce également son action dans tous les sens elle presse avec la même intensité, l’eau et les parois métalliques qui la contiennent. Plaçons un robinet à la 1. Si quelque érudit trouvait que je n’ai pas remonté assez haut en inVrôlant à Flurence Rivault s’il empruntait une citation à Albcrti, qui écrivait en 1411; si d’après cet auteur il nous disait que dès le commencement du xf siècle, les chaufourniers craignaient extrêmement pour eux et pour leurs fours, les explorions des pierres à chaux dans l’intérieur desquelles il y a fortuitement quelque cavité, je répondrais qu’Albertl ignorait lui-même la cause réelle de ces terribles explosions; qu’il les attribuait à la transformation en vapeur de l’air renfermé dans la cavité, opérée par l’action de la flamme; je remarquerais, enfin, qu’une pierre à chaux, accidentellement creuse, n’aurait donné aucun des moyens d’appréciations numériques dont l’expérience de Rivault parait susceptible. \037

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396 JAMES WATT. \037partie inférieure de ces parois. Lorsqu’il sera ouvert, l’eau poussée parla vapeur en jaillira avec une vitesse extrême. .Si le robinet aboutit à un tuyau qui après s’être recourbe" en dehors autour de la bombe se dirige verticalement do bas en haut, l’eau refoulée y montera d’autant plus que la vapeur aura plus d’élasticité; ou bien, car c’est la même chose en d’autres termes, t’cau s’élèvera d’autant plus que sa température sera plus forte. Ce mouvement ascensionnel ne trouvera de limites que dans la résistance des parois de l’appareil. \037A notre bombe substituons une chaudière métallique épaisse, d’une vaste capacité, et rien ne nous empêchera de porter de grandes masses de liquide à des hauteurs indéfinies par la seule action de la vapeur d’eau, et nous aurons crée, dans toute l’acception de ce mot, une machine a vapeur pouvant servir aux épuisemrnU-. \037Vous connaissez maintenant l’invention que la France et l’Angleterre se sont disputée, comme jadis sept villes de la Grèce s’attribuèrent, tour à tour, l’honneur d’avoir été Io berceau d’Homère. Sur l’autre rive de la Manche on en gratifie unanimement le marquis de Worcester de l’illustre maison de Somerset. De ce côté-ci du détroit, 1 nous soutenons qu’elle appartient à un humble ingénieur presque totalement oublié des biographes à Salomon de Caus, qui naquit à Dieppe ou dans ses environs. Jetons un coup <T œil impartial sur les titres des deux compétiteurs. Worcestcr, gravement impliqué dans les intrigues d^s dernières années du règne des Stuarts, fut enfermé dans la Tour de Londres \037Que faliv en pareil gîto, Ji moins ^uo l’on no songe? \037

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JAMES WATT. 307 \037Or, un jour, suivant la tradition, le couvercle de la marmi’c où cuisait son dîner se souleva subitement. \,Yoreester songea donc à ce que présentait d’étrange le phénomène dont il venait d’être témoin. Alors s’offrit à lui la pensée que la même force qui avait soulevé le couvercle pourrait devenir, en certaines circonstances, in moteur utile et commode. Après avoir recouvré la liberté, il exposa, en 1GG3, dans un livre intitulé Ccnlui’j of inventions les moyens par lesquels il cnlendnit réaliser soit idée. Ces moyens, dans ce qu’ils renferment d’essentiel, sont, autant du moins qu’on peut les comprendre, la bombe à demi-remplie de liquide, et le tuyau ascensionnel vertical que nous décrivions tout à l’heure. \037Cette bombe, ce même tuyau sont dessinés dans la liaison des forces mouvantes, ouvrage de Salomon de Cous. La, l’idée est présentée nettement, simplement, sans aucune prétention. Son origine n’a rien de romane.-quc; elle ne se rattache ni a des événements de guerre civile, ni à une prison d’fttat célèbre, ni même au soulèvement du couvercle de la marmite d’un détenu; mais, ce qui vaut infiniment mieux dans une question de priorité, elle est, par sa publication, de quarante-huit ans plus ancienne que la Century of inventions, et de quarante et un ans antérieure à l’emprisonnement de Worcestrr. \037Ainsi ramené à une comparaison de dates, le débn. semblait devoir être à son terme. Comment soutenir, en effet, que 1615 n’avait pas précédé 16G3? Mais ceux dont la principale pensée paraît avoir été d’écarter tout nom \037

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398 JAMES WATT. \037fronçais de cet important chapitre de l’histoire des sciences, changèrent subitement de terrain des qu’on eut fait sortir la liaison des forces mouvantes des bibliothèques poudreuses où elle restait ensevelie. Us brisèrent, sans limiter leur ancienne idole; le marquis de Worcester fut sacrifié au désir d’annuler les titres de Salomon deCaus; la bombe pincée sur un brasier ardent et son tuyau asccnsionnel cessèrent enfin d’être les véritables germes dcs machines à vapeur actuelles! \037Quant moi, je ne saurais accorder que celui-là n’ait rien fait d’utile qui, réfléchissant sur l’énorme ressort de la vapeur d’eau fortement échauffée, vit le premier qu’elle pourrait servir à élever de grandes masses de ce liquide à toutes les hauteurs imaginables. Je ne puis admettre qu’il ne soit du aucun souvenir à l’ingénieur qui, le premier aussi, décrivit une machine propre à réaliser de pareil effets, doublions pas qu’on ne peut juger sainement du mérite d’une invention qu’en se transportant, par la pensée, au temps où elle naquit; qu’en écartant momentanément de son esprit toutes les connaissances que les siècles postérieurs à la date de cette invention y ont versées. Imaginons un ancien mécanicien, 1 Archimedc, par exemple, consulté sur les moyens d’élever a une grande hauteur l’eau contenue dans un vaste récipient métallique fermé. Il parlerait certainement de glands leviers, de poulies simplcs ou moullées, do treuils, peut-être de son ingénieuse vis; mais quelle ne serait pas sa surprise, si, pour résoudre le problème, quoiqu’un se contentait d’un fagot et d’une allumette! eh bien! je le demande, oserait-on refuser le titre d’inven- \037

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JAMES WATT. 399 \037tion à un procédé dont l’immortel auteur des premiers et vrais principes de la statique et de l’hydrostatique eût été étonné? L’appareil de Salomon de Caus, cette enveloppe métallique où l’on crée une force motrice presque indéfinis, à l’aide d’un fagot et d’une allumette figurera toujours noblement dans l’histoire de la machine à vapeur \037Il est fort douteux que Salomon de Caus et Worcestcr aient jamais fait exécuter leur appareil. Cet honneur appartient à un Anglais, au capitaine Savery J. J’assimile 1. On a Imprimé que J.-R Porta avait donné, en 1606, dans ses Splrifall, neuf ou dix ans avant la publication de l’ouvrage de Salomon de Caus, la description d’une machine destinée à élever d>: IVau au moyen de la force élastique de la vapeur. J’ai montré ailleurs que le savant napolitain ne parlait ni directement ni Indirectement de machine, dans le passage auquel on fait allusion; ijue son but, son but unique était de déterminer expérimentalement les volmr.es relatifs de l’eau et de la vapeur que dans le petit appareil de physique employé à cet effet, la vapeur d’eau ne pouvait élever le liquide, d’après les propres paroles de l’auteur, que d’en petit nombre de centimètres (quelques pouces) que dans toute la description de l’expérience, il n’y a pas un seul mot impliquant l’idée que Porta connût la puissance de cet agent et la possibilité de l’appliquer à la production d’une machine efficace. r [Vnse-L-on que j’aurais drt citer Porta, ne fût-ce qu’à raison de tcsrcclK relies sur la transformation de l’eau en vapeur 7 Mais Je ti:i\ii alors que le phénomène avait été déjà étudié avec attention par le professeur lVjsson, d’Orléans, vers le milieu du xvie siècle, et iju’un d’-s Traités de ce mécanicien, en 1569, renferme notamment un essai de détermination des volumes relatifs de l’eau et do la tapeur. \0372. IJonnaln dit, cependant, qu’après la mort de Kircher, on trouva dans son musée le modèle d’une machine que cet auteur enthouva^le avait décrite en 16ÔG, et qui différait de celle de Salomon de Cuis, par cette seule circonstance que la \apeur motrice était en{.’̃̃ixlr.’e dans un vase totalement distinct de celui qui contenait l’eau aél.juT. \037

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400 JAMES WATT. \0371.1. ~t :(. AA.I_a An tnn( \037la machine que cet ingénieur construisit, en 1698, à celle de sos deux devanciers, quoiqu’il y ait introduit quelques modifications essentielles celle entre autres, de créer la vapeur dans un vase particulier. S’il importe peu, quant au principe, que la vapeur soit engendrée aux dépens de l’eau à élever et au sein même de la chaudière ou elle doit agir, ou qu’elle naisse dans un vase séparé pour se rendre à volonté, à l’aide d’un tuyau de communication portant un robinet au-dessus du liquide qu’il faut refouler, il n’en est certainement pas de même sous le point de vue de la pratique. Un autre changement encore plus capital, bien digne d’une mention spéciale et dû également a Savery, trouvera mieux sa place dans l’article que nous consacrerons tout à l’heure aux travaux de Papin et de Newcomen. \037Savcry avait intitulé son ouvrage l’Ami des mineurs (Miner’s ~riend). Les mineurs se montrèrent peu scnsibles à la politesse. A une seule exception près, aucun ne lui commanda des machines. Elles n’ont été employées que pour distribuer de l’eau dans les diverses parties des patois, dcs maisons de plaisance, des parcs et des jardins on n’y a eu recours que pour franchir des différenccs de niveau de 12 à 15 mètres. 11 faut reconnaître, au reste que les dangers d’explosion auraient été redoutables, si on avait donné aux appareils l’immense puissance à laquelle leur inventeur prétendait atteindre. Malgré ce que le succès pratique de Savcry présente d’incomplet, le nom de cet ingénieur mérite d’occuper une place très-distinguée dans l’histoire de la machine à vapeur. Les personnes dont toute la vie a été consacrée \037

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JAMES WATT. 4ll \037I.– i. 20 ci \037à des travaux spéculatifs, ignorent combien il y a loin du projet en apparence le mieux étudié à sa réalisation. Cc n’est pas que je prétende, avec un célèbre savant allemand, que la nature s’écrie toujours non non! quand on veut soulever quelque coin du voile qui la recouvre; mais en suivant la même métaphore, il est permis du moins d’affirmer que l’entreprise devient d’autant plus difficile, d’autant plus délicate, d’un succès d’autant plus douteux, qu’elle exige et le concours de plus d’artistes et l’emploi d’un plus grand nombre d’éléments matériels; sous ces divers rapports, et en faisant la part des époques, personne s’est-il trouvé dans des conditions plus défavorables que Savcry? \037MACHINE A VAPECR MODERNE. \037J’ai parlé jusqu’ici de machines à vapeur, dont la ressemblance avec celles qui portent aujourd’hui ce nom pourrait être plus ou moins contestée. Maintenant il sera question de la machine à vapeur moderne, de celle qui fonctionne dans nos manufactures, sur nos bateaux, a. l’entrée de presque tous les puits de mines. Nous la verrons naître, grandir, se développer, tantôt d’après ’es inspirations de quelques hommes d’élite, tantôt sous l’aiguillon de la nécessité car la nécessité est merc du génie. \037Le premier nom que nous rencontrerons dans cette nouvclle période est celui de Denis Papin. C’est à Paj-in que la France devra le rang honorable qu’elle peut réclamer dans l’histoire de la machine à vapeur. Toutefois \037

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402 JAMES WATT. \037l’orgueil bien légitime que ses succès nous inspireront ne sera pas sans mélange. Les titres de notre compatriote, nous ne les trouverons que dans des collections étrangères ses principaux ouvrages, il les publiera au delà du Rliin sa liberté sera menacée par la révocation de l’édit de Nantes; c’est dans un douloureux exil qu’il jouira momentanément du bien dont les hommes d’étude sont le plus jaloux la tranquillité d’esprit 1 IIàtons-nous de jeter un voile sur ces déplorables résultats de nos discordes civiles; oublions que le fanatisme s’attaqua aux opinions religieux du physicien de Blois et rentrons dans la mécanique à cet égard du moins l’orthodoxie de Papin n’a jamais été contestée. \037Il y a dans toute machine deux choses a considérer d’une part, le moteur; de l’autre, le dispositif, plus ou moins compliqué de pièces fixes et mobiles, à l’aide duquel ce moteur transmet son action à la résistance. Au point ou les connaissances mécaniques sont aujourd’hui parvenues, le succès d’une machine destinée à produire de Ires-grands effets dépend principalement de la nature du moteur, de la manière de l’appliquer, de ménager sa force. Aussi, est-ce produire un moteur économique, susceptible de faire osciller sans cesse et avec une grande puissance le piston d’un large cylindre, que Papin a consacré sa vie. Emprunter ensuite aux oscillations du piston la force nécessaire pour faire tourner les meules d’un moulin à blé, les cylindres d’un laminoir, les roues à palettes d’un bateau à vapeur, les bobines d’une filature; pour soulever le lourd marteau qui frappe à coups redoublés d’énormes loupes de fer incandescent, à leur sortis \037

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JAMES WATT. 103 \037du four à réverbère; pour trancher, avec les deux mâchoires de la cisaille, d’ épaisses barres métalliques, comme on coupe un ruban avec des ciseaux bien alliés; ce sont là, je le répète, autant de problèmes d’un ordre très-secondaire et qui n’embarrasseraient pas le plus médiocre ingénieur. Nous pourrons donc nous occuper exclusivement des moyens à l’aide desquels Papin a proposé d’engendrer son mouvement oscillatoire, Concevons un large cylindre vertical, ouvert dans le haut, et reposant, par sa base, sur une table métallique percée d’un trou qu’un robinet pourra boucher et laisser libre à volonté. \037Introduisons dans ce cylindre un piston, c’est-à-dire une plaque circulaire pleine et mobile qui le ferme exactement. L’atmosphère pèsera de tout son poids sur la face supérieure de cette espèce de diaphragme elle le poussera de haut en bas. La partie de l’atmosphère qui occupera le bas du cylindre tendra, par sa réaction, à produirc le mouvement inverse. Cette seconde force sera égale à la première, si le robinet est ouvert, puisqu’un gaz presse également dans tous les sens. Le piston se trouvera ainsi sollicité par deux forces opposées qui se feront équilibre. 11 descendra néanmoins, mais seulement en vertu de sa propre gravite. Un contre-poids, légèrement plus lourd que le piston suflira pour Ic relever, au contraire, jusqu’au sommet du cylindre et pour l’y maintenir. Supposons le piston arrivé à cette position extrême. Cherchons des moyens de l’en faire descendre avec beaucoup Je force et de l’y ramener ensuite. \037Concevons qu’après avoir ferme le robinet inférieur, \037

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40i JAMES WATT. \037nn nnm inrmn n~~an<!t* omlnilomoml Inmi l’air rnnfn \037on parvienne a anéantir subitement tout l’air contenu dans le cylindre, à y faire en un mot le vide. Le vide une fois opéré le piston ne recevant d’action que de l’atmosphère extérieure qui le presse par dessus, descendra rapidement. Ce mouvement achevé, on ouvrira le robinet. L’air reviendra aussitôt par dessous contre-balancer l’action de l’atmosphère supérieure. Comme au début, le contre-poids remontera le piston jusqu’au sommet du cylindre, et toutes les parties de l’appareil se retrouveront dans leur état initial. Une seconde évacuation, ou, si on l’aime mieux, un second anéantissement de l’air intérieur fera de nouveau descendre le piston, et ainsi de suite. \037Le véritable moteur du système serait ici le poids de l’atmosphère. Hâtons-nous de détromper ceux qui croiraient trouver dans la facilité que nous avons de marcher et même de courir à travers l’air un indice de la faiblesse d’un pareil moteur. Avec un cylindre de deux mètres de diamètre, l’effort que ferait le piston de la pompe en descendant, le poids qu’il pourrait soulever de toute la hauteur du cylindre, à chacune de ses oscillation?, seraient de 35,000 kilogrammes. Cette énorme puissance, fréquemment renouvelée, on l’obtiendra à l’aide d’un appareil très-simple, si nous découvrons un moyen prompt et économique d’engendrer et de détruire a volonté la pression atmosphérique dans un cylindre dc métal. \037Ce problème, Papin l’a résolu. Sa belle, sa grande solution consiste dans la substitution d’une atmosphère de tapeur d’eau à l’atmosphère ordinaire; dans Ic rem- \037

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JAMES WATT. 405 \037placement de celle-ci par un gaz qui, à 100 degrés centigrades, a précisément la même force élastique, mais avec l’important avantage dont l’atmosphère ordinaire ne jouit pas, que la force du gaz aqueux s’affaibit très-vite quand la tcmpératurc s’abaisse, qu’elle finit même par disparaître presque entièrement si le refroidissement est suffisant. Je caractériseras aussi bien et en peu de mots la découverte de Papin, si je disais qu’il a proposé dc se servir de la vapeur d’eau pour faire Ic vide dans de grands espaces; que ce moyen est, d’aillcurs, prompt et économique1. \037La machine dans laquelle notre illustre compatriote combina ainsi le premier la force élastique de la vapeur d’eau avec la propriété dont cette vapeur jouit de s’anéantir par voie de refroidissement il ne l’exécuta jamais en grand. Ses expériences furent toujours faites sur de simples modèles. L’eau destinée à engendrer la vapeur n’occupait pas même une chaudière séparée renfermée dans le cylindre, elle reposait sur la plaque métallique qui le bouchait par le bas. C’était cette plaque que Papin échauffait directement pour transformer l’eau on vapeur c’était de la même plaque qu’il éloignait le \0371. Un Ingénieur anglais, trompé sans doute par quelque traduction infidèle, prétendit, naguère, que l’idée <Teini>loyer la vapeur •l’eau dans une môme machine, comme force élastique et con.me moyen rapide d’engendrer le vide, appartenait à Héron, Pc mou <Oté j’at prouvé, sans réplique, que le mécanicien d’Aloxani>io. ii"it\ ait nullement songé à la vapeur; que dans son appareil le monument alternatif devait uniquement résulter de la dilatation et de l.i condensation de l’air, provenant de l’action Intermittente Je s l’ayons solaires \037

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106 JAMES WATT. \037feu quand il voulait opérer la condensation. Un pareil procédé, à peine tolérable dans une expérience destinée à vérifier l’exactitude d’un principe, ne serait évidemment pas admissible s’il fallait faire marcher le piston avec quelque vitesse. Papin, tout en disant qu’on peut arriver au but « par différentes constructions faciles à « imrgincr, n’indique aucune de ces différentes constructions. Il laisse à ses successeurs, et le mérite de l’application de son idée féconde, et celui des inventions de détail qui, seules, peuvent assurer le succès d’une machine. \037Dons nos premières recherches touchant l’emploi de la vapeur d’eau, nous avons eu à citer d’anciens philosophes de la Grèce et de Rome; un des mécaniciens les plus célèbres de l’école d’Alexandrie; un pope; un gentilhomme de la cour d’FIenri IV; un hydraulicien jié en Normandie, dans la province féconde en grands hommes, qui a doté la pléiade nationale de Malherbe, de Corneille, du Poussin, de Fontenellc, de J.oplace, de Fresncl; un membre de la Chambre des lords; un ingénieur anglais; enfin, un médecin français, de la Société royale de Londres, car, il faut bien l’avouer, Papin, presque toujours exilé, ne fut que correspondant de notre Académie. Maintenant, de simples artisans, de simples ouvriers vont entrer en lice. Toutes les classes de la société se trouveront ainsi avoir concouru à la création d’une machine dont le monde entier devait profiter. \037En 1705, quinze années après la publication du premier mémoire de Papin dans les Actes de Leipzig, ÎVcweomeii et Cawley, l’un quincaillier, l’autre vitrier à \037

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JAMES WATT. 407 \037Dartmoulli en Dcvonshirc, construisirent (veuillez bien remarquer que je ne dis pas projetèrent, cor la différence c.-t grande), construisirent une machine destinée h opérer des épuisements et dans laquelle il y avait une chaudière à part où naissait la vapeur. Cette machine, ainsi que le petit modèle de Papin, offre un cylindre métallique vertical, ferme par le bas, ouvert par le haut, et un piston, bien ajusté, destiné à le parcourir sur toute sa longueur en montant et en descendant. Dans l’un comme dons l’autre appareil, lorsque la vapeur d’eau peut arriver librement dans le bas du cylindre, le remplir et contre-balancer ainsi la pression de l’atmosphère e\térieurc, le mouvement ascensionnel du piston s’opère par l’efll! d’un contre-poids. Dans la machine anglaise, ciilîn, l’imitation de celle de Papin, dès que le piston es>t arrivé au terme de son excursion ascendante, on refroidit la vapeur qui avait contribué h l’y pousser on fait ainsi le \ide dans toute la capacité qu’il vient de parcourir, et l’atmosphère extérieure le force aussitôt a descendre. \037Pour opérer le refroidissement convenable, Papin, on le sait déjà, se contentait d’ôter le brasier qui échauffait la base de son petit cylindre métallique. Ncwcomc:i et Cawlcy employèrent un procédé beaucoup préférable sous tous les rapports ils firent couler une abondante quantité d’eau froide dans l’espace annulaire compris entre les parois extérieures du cylindre de lour machine, et les parois intérieures d’un second cylindre, un peu plus grand, qui servait d’enveloppe au premier. Le froid se communiquait peu à peu à toute \037

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408 JAMES WATT. \037l’épaisseur du métal, et atteignait enfin la vapeur d’eau elle-même \037La machine de Papin, perfectionnée ainsi quant à la mnnierc de refroidir la vapeur ou de la condenser, excita au plus haut point l’attention des propriétaires de mines. Kilo se répandit rapidement dans certains comtés de l’Angleterre et y rendit d’assez grands services. Le peu de rapidité de ses mouvements, conséquence nécessaire de la lenteur avec laquelle la vapeur se refroidissait et perdait son élasticité, était cependant un vif sujet de regrets. Le hasard indiqua, heureusement, un moyen très-simple de parer à cet inconvénient. \037Au commencement du xviif siècle, l’art d’aléser de grands cylindres métalliques et de les fermer hermétiquement à l’aide de pistons mobiles, était encore dans .son enfance. Aussi, dans les premières machines de Ncwcomcn recouvrait-on le piston d’une couche d’eau destinée à remplir les vides compris entre le contour circulaire de cette pièce mobile et la surface du cylindre. A la très-grande surprise des constructeurs, une de leurs machines se mit un jour à osciller beaucoup plus vite que de coutume. Après maintes vérifications, il demeura constant que, ce jour-là, le piston était percé; que de l’eau froide tombait dans le cslindrc par petites gouttcleltes, et qu’en traversant la vapeur elles l’anéantissaient I. Sc.vcry avait ili’jà eu recours à un courant d’eau froide fju’il Jetait sur les parois extéricures d’un vase métallique, pour condcnser la vapeur que ce va-e renfermait. Telle fut l’origine de son association avec .\e»vcomen et Cawley mais, il ne faut pas l’oublier, la patente de Savcry, ses machines et l’ouvrage où il Ivs décrit sont postérieurs de plusieurs années aux mémoires de l’apin. \037

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JAMES WATT. 109 \037rapidement. De cette observation fortuite date la suppression complète du refroidissement extérieur, et l’adoption de la pomme d’arrosoir destinée à porter une pluie d’eau froide dans toute la capacité du cylindre au moment marqué pour la descente du piston. Les va-et-vient acquirent ainsi toute la vitesse désirable. \037Voyons si le hasard n’a pas eu, de môme, quelque port a une autre amélioration également importante. La première machine de Newcom<Mi exigeait l’attention la plus soutenue de la part de la personne qui fermait ou ouvrait sans cesse certains robinets, soit pour introduire li vapeur aqueuse dans le cylindre, soit pour y jeter la pluie froide destinée à la condenser. Il arrive, dans un certain moment, que cette personne est le jeune Henri l’otter. Les camarades de cet enfant, alors en récréation, font entendre des cris de joie qui le mettent au supplice. Il brûle d’aller les rejoindre; mais le travail qu’on lui a confié ne permettrait même pas une demi-minute d’absence. Sa tête s’exalte; la passion lui donne du génie il découvre des relations dont jusque-là il ne s’était pas douté. Des deux robinets, l’un doit être ouvert au moment il\ le balancier que Ncwcomcn introduisit le premier et m utilement dans ses machines, a terminé l’oscillation descendante, et il faut le fermer, tout juste, à la fin de l’oscillation opposée. La manœuvre du second est prccisément le contraire. Les positions du 1),tlanciei, et celles des robinets sont dans une dépendance nécessaire. Potter s’empare de cette remarque; il reconnaît que le balancier peut servir à imprimer aux autres pièces tous les mouvements que le jeu de la machine exige, et réalise à l’instant \037

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HO JAMES WATT. \037sa conception. Les extrémités de plusieurs cordons vont s’attacher aux manivelles des robinets; les extrémités opposées, Potier les lie a des points convenablement choisis sur le balancier; les tractions que celui-ci engendre sur certains cordons, en montant les tractions qu’il produit sur les autres en descendant, remplacent les efforts de la main pour la première fois la machine à vapeur marche d’elle-même pour la première fois on ne voit auprès d’elle d’autre ouvrier que le chauffeur qui, de temps en temps, va raviver et entretenir le feu sous la chaudière. \037Aux ficelles du jeune Potter, les constructeurs substituèrent bientôt des tringles rigides verticales, fixées au balancier et armées de plusieurs chevilles qui allaient presser, de haut en bas ou de bas en haut, les têtes des différents robinets ou soupapes. Les tringles elles-mêmes ont été remplacées par d’autres combinaisons; mais, quelque humiliant que soit un pareil a\eu, toutes ces inventions sont de simples modifications du mécanisme que suggéra à un enfant le besoin d’aller jouer avec ses petits caiiKiiades. \037ÏI1AVAIX DE VV4IT SIR LA MIC III NE A V AI’ KIR. Il existe dans les cabinets de physique un bon nombre de machines sur lesquelles rindu.-tric avait fondé do grandes espérances; la cherté do leur manœuvre ou d’1 leur entretien les a réduites à de simples instruments de démonstration. Tel eut été aussi le sort final de la machine de Ncwccmeii, du moins dans les localités peu riches en \037

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JAMES WATT. fit \0371. ’un1l- a~ w..« ,1.nt:l 1 ""1’ a j~ \037combustible, fi les travaux de Watt, dont il me reste à vous présenter l’analyse, n’étaient venus lui donner une perfection inespérée. Cette perfection, il ne faudrait pas la considérer comme le résultat de quelque observation fortuite ou d’une seule inspiration ingénieuse; l’auteur y ot-t arrive par un travail assidu, par des expériences d’une finesse, d’une délicatesse extrêmes. On dirait que Walt avait pris pour guide cette célèbre maxime de Bacon « Ko rire, parler, méditer, agir quand on n’est pas bien « pourvu de faits qui jalonnent la pensée, c’est naviguer « sans pilote le long d’une côte hérissée de dangers c’est « s’élancer dans l’immensité de l’Océan sans boussole « et sans gouvernail. » \037Il y avait dans la collection de ITnivorsité de Glasgow, un petit modèle de la machine Il vapeur de Newcomen, qui jamais n’avait pu fonctionner convenablement. Le professeur de physique Anderson chargea Watt de le réparer. Sous la main puissante de l’artiste, les vices de con-lniclion disparurent; des lors, chaque année, l’appareil manoeuvra dans les amphithéâtres, aux yeux des étudiants émerveillés, l’n homme ordinaire se fut contenté de ce succès. Watt, au contraire, suivant sa coutuir.e, y \it l’occasion des plus sérieuses études. Ses recherches portèrent successivement sur tous les points qui semblaient pouvoir éclairer la théorie de ia machine. Il détermina la quantité dont l’eau se dilate quand cite passe de l’état liquide à celui de vapeur; la quantité d’eau qu’un poids donné de charbon peut vaporiser; la quantité de vapeur en poids, que dépense, a chaque oscillation, une machine de Nc’.vcomen do dinviisioiis connues; la quantité d’eau \037

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412 JAMI-S WATT. \0371 1 1. u .1 \037froide qu’il faut injecter duns le cylindre pour donner à l’oscillation descendante du piston une certaine force; enfin, l’élasticité de la vapeur à différentes températures. 11 y avait là de quoi remplir la vie d’un physicien laborieux Watt, cependant, trouva le moyen de mener à bon port de si nombreuses, de si difficiles recherches, sans que les travaux de l’atelier en souffrissent. Le docteur Cleland voulut bien naguère me conduire à la maison, voisine du port de Glasgow, où notre confrère se retirait en quittant les outils et devenait expérimentateur. Elle était rasée! I Notre dépit fut vif mais de courte durée. Dans l’enceinte encore visible des fondations, dix à douze ouvriers vigoureux semblaient occupés à sanctifier le berceau des machines à vapeur modernes ils frappaient à coups redoublés les diverses pièces de bouilleurs, dont les dimensions réunies égalaient, certainement, celles de l’humble demeure qui venait de disparaître. Sur cette place et dans une pareille circonstance, le plus élégant hôtel, le plus somptueux monument, la plus belle statue, eussent réveillé moins d’idées que Ics colossales chaudières! I Si les propriétés de la vapeur d’eau sont encore prési-ntos à votre esprit, vous apercevrez d’un coup d’oeil que le jeu économique de la machine de Ncwcomen semble exiger deux conditions inconciliables. Quand le piston descend, il faut que le cylindre soit froid, sans cela il y rencontre une vapeur, encore fort élastique, qui retarde beaucoup sa marche et diminue l’ellet de l’atmosphère extérieure. Lorsque ensuite, delà \apcur à 100" afflue dans ce même eylindrc, si les parois sont froides, cette vapeur les réchauffe en se liquéfiant partiellement, et \037

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JAMES WATT. 413 \037jusqu’au moment où leur température est aussi à 100% son élasticité se trouve notablement atténuée de la lenteur dans les mouvements, car le contre-poids n’enlève pas le piston avant qu’il existe dans le cylindre un ressort capable de contre-balancer l’action de l’atmosphère; de ta, aussi, augmentation de dépense, puisque la vapeur est d’un prix très-élevé, comme je l’ai déjà expliqué. On ne conservera aucun doute sur l’immense importance de cette considération économique, quand j’aurai dit que le module de Glasgow usait, à chaque oscillation, un volume de vapeur plusieurs fois plus grand que celui du cylindre. La dépense de vapeur, ou, ce qui revient au même, la dépense de combustible, ou, si l’on aime mieux encore, la dépense pécuniaire indispensable pour entretenir le mouvement de la machine, serait plusieurs fois moindre si l’on parvenait à faire disparaître les échaulïements et les refroidissements successifs dont je viens de signaler les inconvénients. \037Ce problème, en apparence insoluble, Watt l’a résolu par la méthode la plus simple. H lui a suffi d’ajouter à l’ancien dispositif de la machine un vase totalement distinct du cylindre, et ne communiquant avec lui qu’a t’aide d’un tube étroit armé d’un robinet. Ce vase, qui porte aujourd’hui le nom de condenseur, est la principale des in\ entions de Watt. Malgré tout mon désir d’abréger, Je ne puis me dispenser d’expliquer son mode d’action. S’il existe une communication libre entre un cylindre rempli de vapeur et un vase vide de vapeur et d’air, la \ pcur du cylindrc passera en partie et très-rapidement dons le vase l’écoulement ne cessera qu’au moment où \037

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114 JAMES WATT. \037l’élasticité sera la même partout. Supposons qu’à l’aide (Tune injection d’eau, abondante et continuelle, le vase soit maintenu constamment froid dans toute sa capacité et dans ses parois; alors la vapeur s’y condensera des qu’elle y arrivera toute la vapeur dont le cylindre était primitivement rempli, viendra s’y anéantir successivement ce cylindre se trouvera ainsi purgé de vapeur, sans que ses parois aient été le moins du monde refroidies; la vapeur nouvelle dont il pourra devenir nécessaire de le remplir, n’y perdra rien de son ressort. \037Le condenseur appelle entièrement à lui la vapeur du cylindre, d’une part, parce qu’il contient de l’eau froide; de l’autre, parce que le reste de sa capacité ne renferme pas de fluides élastiques; mais, dès qu’une première condensation de vapeur s’y est opérée, ces deux conditions de réussite ont disparu l’eau condensante s’est échauuccen absorbant le calorique latent de la vapeur; une quantité notable de s’est formée aux dépens de celte eau chaude; l’eau froide contenait d’ailleurs de l’air atmosphérique qui a dù se dégager pendant son échauiremcnt. Si après chaque opération on n’enlevait pas cette eau chaude, cette vapeur, cet air que le condcu.seur renferme, il finirait par ne plus produire d’elïet. Walt opère cette triple évacuation à l’aide d’une pompe ordinaire qu’on appelle la pompe air, et dont Ic piston porte une lige convenablement attachée au balancier que la machine met en jeu. La force destinée à maintenir la pompoa air en mouvement, diminue d’autant la puissance de la machine; mais elle n’est qu’une petite partie de la perle qu’occasionnait, dans l’ancienne méthode, la \037

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JAMES WATT. i!5 \037condensation de la vapeur sur les parois refroidies du corps de pompe. \037l’n mot encore, et les avantages d’une autre invention de Watt deviendront évidents pour tout le monde. Quand le piston descend dans la machine de Ncwcomen, c’est que l’atmosphère le pousse. Cette atmosphère est froide; elle doit donc refroidir les parois du cylindre métallique ouvert par le haut, qu’elle va successivement couvrir sur toute leur étendue. Ce refroidissement n’est racheté, pendant la course ascensionnelle du piston, qu’au prix d’une certaine quantité de vapeur. Il n’existe aucune perte de ce genre dans les machines modifiées de Watt. L’action atmosphérique en est totalement éliminée, et \oki comment \037Le haut du cylindre est fermé par un couvercle métallique, percé seulement à son centre d’une ouverture garnie d’étoupe grasse et bien serrée, à travers laquelle la tige du piston se meut librement sans pourtant donner passage à l’air ou à la vapeur. Le piston partage ainsi te cylindre en deux capacités bien distinctes et fermées. Quand il doit descendre, la vapeur de la chaudière arrive librement à la capacité supérieure par un tube convenablement disposé, et le pousse de haut en bas comme le faisait l’atmosphère dans la machine de Ncwcoîncn. Ce mouvement n’éprouve pas d’obstacle, attendu que, pendant qu’il s’opère, le bas du cylindre tout seul est en communication avec le condenseur où toute la vapeur inférieure va se liquéfier. Dès que le piston est entièrement descendu, il suflit de la simple rotation d’un ijbinol, pour que les deux parties du cylindre situées \037

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416 JAMES WATT. \037au-dessus et au-dessous du piston, communiquent entre elles, pour que ces deux parties se remplissent de vapeur au même degré d’élasticité, pour que le piston soit tout autant poussé de haut en bas que de bas en haut, pour qu’il remonte à l’extrémité du cylindre, comme dans la machine atmosphérique de Newcomen, par la seule action d’un léger contre-poids. \037En poursuivant ses recherches sur les moyens d’économiser la vapeur, Watt réduisit encore presque à rien la perte qui résultait du refroidissement par la paroi extérieure du cylindre où joue le piston. A cet effet il enferma ce cylindre métallique dans un cylindre de bois d’un plus grand diamètre, et remplit de vapeur l’intervalle annulaire qui les séparait. \037Voilà la machine à vapeur complétée. Les perfectionnements qu’elle vient de recevoir des mains de Watt sont évidents; leur immense utilité ne saurait soulever un doute, Vous vous attendez donc à la voir remplacer, sans retard, comme appareil d’épuisement les machines comparativement ruineuses de Newcomen. Détrompez-vous l’auteur d’une découverte a toujours à combattre ceux dont elle peut blesser les intérêts les partisans obstinés de tout ce qui a vieilli, enfin les envieux, Les trois classes réunies, faut-il l’avouer? forment la grande majorité du public. Encore, dans mon calcul, je défalque les doubles emplois pour éviter un résultat paradoxal. Cette masse compacte d’opposants, le temps peut seul la désunir et la dissiper; mais le temps ne suffit pas, il faut l’attaquer vivement, t’attaquer sans relâche; il faut varier ses moyens d’action, imitant, en cela, le chimiste à qui l’cxpé- \037

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JAMES WATT. H7 \0371.-1. 27 \037ricncc enseigne que l’entière dissolution de certains alliages exige l’emploi successif de plusieurs acides. La force de caractère, la persistance de volonté qui déjouent à la longue les intrigues les mieux ourdies, peuvent ne pas se trouver réunies au génie créateur. Watt, au besoin, en serait une preuve convaincante. Son invention capitale, son heureuse idée sur la possibilité de condenser la vapeur d’eau dans un vase entièrement séparé du cylindre ou l’action mécanique s’exerce, est de 1705. Deux années s’écoutent, et à peine fait-il quelques démarches pour essayer de l’appliquer en grand. Ses amis, enfin, le mettent en rapport avec le docteur Roebuck fondateur de la vaste usine de Carron encore célèbre aujourd’hui. L’ingénieur et l’homme à projets s’associent; Watt lui cMc les deux tiers de sa patente. Une machine e*t exécutée d’après les nouveaux principes elle confirme toutes les prévisions de la théorie son succès est complet. Mais, sur ces entrefaites, la fortune du docteur ttoëbuck reçoit divers échecs. L’invention de Watt les eût réparés, sans aucun doute il suffisait de chercher quelques bailleurs de fonds; notre confrère trouva plus simple de renoncer à sa découverte et de changer de carrière. En 1707, pcndant que Smcaton exécutait entre les deux rivières de la l’orth et de la Clyde, les triangulations et les nivellements, a\ ant-coureurs des gigantesques travaux dont cette partie do l’ Ecosse devait devenir le théâtre nous trouvons Watt faisant des opérations analogues, le long d’une ligne rivale traversant le passage du Lomond. Plus tard, il trace les plans d’un canal destiné à porter à Glasgow les produits des houillères de Monkland, et en dirige l’exé- \037

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{18 JAMES WATT. \037cuticn. Plusieurs projets du même genre, celui, entre autres, du cana) navigable à travers l’isthme de Crinan, que M. Rennie a depuis achevé; des études approfondies relativcs a certaines améliorations des ports d’Ayr, de Glasgow, de Grecnock; la construction des ponts d’ilamilton et de Rutherglen des explorations du terrain à travers lequel devait passer le célèbre canal Calédonien, occupèrent notre confrère jusqu’à la fin de 1773. Sans atténuer en rien le mérite de ces travaux, il me sera permis de ne pas étendre leur importance au delà de simples intérêts de localité; d’affirmer qu’il n’était nullement nécessaire, pour les concevoir, les diriger, les exécuter, de s’appeler James Watt. \037Si oubliant les devoirs d’organe de l’Académie je songeais à vous faire sourire plutôt qu’à dire d’utiles vérités, je trouverais ici matière à un frappant contraste. Je pourrais citer tel ou tel auteur qui, dans nos séances hebdomadaires, demande à cor et à cri à communiquer la petite remarque, la petite rétlexion, la petite note conçue et rédigée la veille; je vous le représenterais maudissant sa destinée, lorsque les prescriptions du règlement, lorsque l’ordre d’inscription de quelque auteur plus matinal fait renvoyer sa lecture à huitaine, en lui laissant toutefois pour garantie, pendant cette cruelle semaine, le dépôt dans nos archives du paquet cacheté. De l’autre côté, nous verrions le créateur d’une machine destinée à faire époque dans les annales du monde, subir murmurer les stupides dédains des capitalistes, et plier, pendant huit années, son génie supérieur à des levé» de plans, à des nivellements minutieux à de fastidieux cal- \037

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JAMES WATT. &19 \03711 1 l’ » \037culs de déblai?, de remblais, à des toisés de maçonnerie. Bornons-nous a remarquer tout ce que la philosophie de Watt supposait de sérénité de caractère, de modération de désirs, de véritable modestie. Tant d’indifférence, quelque nobles qu’en aient été les causes, avait son cité blAmable. Ce n’est pas sans motif que la société poursuit d’une réprobation sévère, ceux de ses membres qui dérobent h la circulation l’or entassé dans leurs coffres-forts; ferait-on moins coupable en privant sa patrie, ?cs concitoyens, $on siècle, des trésors mille fois plus précieux qu’enfante la pensée; en gardant pour soi seul des créations immortelles, source des plus nobles, des plus pures jouissances de l’esprit; en ne dotant pas les travaille jrs de combinaisons mécaniques qui multiplieraient a l’infini I ̃? produits de l’industrie; qui affaibliraient, au profit de la civilisation de l’humanité, l’effet de l’inégalité des conditions; qui permettraient un jour de parcourir les plus rudes ateliers, sans y trouver nulle part te déchirant spec- tacle de pères de famille, de malheureux enfants des deux sexes assimilés à des brutes, et marchant à pas précipités vers la tombe? \037Dans les premiers mois de 177/j après avoir vaincu riiuliférence de Watt, on le mit en relation avec M. Cotillon, de.Sobo, près de Birmingham homme d’entreprise, (l’activité, de talents variés Les deux amis demandèi. I»ans les notes dont il accompagna la dernière édition de l’essai du professeur liobfson sur la nia<liiiio à \apour, Watt s’evpnmait CD <<">* tonnes au sujet de M. JJoultoii s \037« l.’amittf «jn’il me portait n’a fini qu’avec sa \lo. Celle que je lui « a’. ;tis \oniV, m’impose le devoir do profiter de cette occasion, la « (!. rnVre, probaMi-’inent, <jui s’olfiira à. mol de dite combien jo \037

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420 JAMES WATT. \037rent au parlement une prolongation de privilège, car la patente de Watt datait de 1709, et n’avait plus que quelques années à courir. Le bill donna lieu a la plus vive discussion. « Cotte a (frire, écrivait le célèbre mécanicien « a son vieux père, n’a pu marcher qu’avec beaucoup de « dépenses et d’anxiété. Sans l’aide de quelques amis au « cœur chaud, nous n’aurions pas réussi, car plusieurs « des plus puissants personnages de la chambre des com- \037« lui fus redevable. C’est à l’encouragement empressé de M. Boul«  ton, à son goût pour les découvertes scientifiques, et à la sagacité « avec laquelle il savait les faire tourner aux progrès des arts; c’est « aussi à la" connaissance intime qu’il avait des affaires manufactu«  ri«’TCs et commerciales, que j’attribue, en grande partie, les succès « dont mes efforts ont été couronnés. » \037Une manufacture de M. Boulton existait déjà depuis quelques années à. Solio, lorsque naquit l’association qui a rendu son nom inséparable de celui de Watt. Cet établissement, te premier sur une aiM grande échelle qui ait été formé en Angleterre, est encore cité aujourd’hui pour l’élégance de son architecture. isoulton y faisait toute sorte d’excellents ouvrages d’acier, de plarlué, d’argenterie, d’or moulu i voire des horloges astronomiques et des peintures sur verre, l’eidant les vingt dernières années de sa vie, lioulton s’occupa d"amî- liorations dans la fabrication des monnaies. l’ar la combinaison <lo quelques procédés, nés en l’rance, avec de nouvelles presses et une ingénieuse application de la machine à vapeur, il sut allier une excessive rapidité d’exécution à la perfection des produits. C’c-t Boulton qui opéra, pour le compte du gouvernement anglais, la refonte de toutes les espèces en cuivre du royaume-uni. L’économie et la netteté de ce grand travail rendirent la contrefaçon presque Impossible. Les exécutions nombreuses dont les villes de Londres et de Birmingham étaient jusque-la annuellement affligées, cessèrent entièrement Ce fut à cette occasion que le docteur Darwin s’écria, dans son Botanical Carden « Si à Home on décernait une cou«  ronne civique à celui qui sauvait la vie d’un seul de ses concl«  toyens, M. Boulton n’a-t-il pas mérité d’être couvert chez nous de « guirlandes de chêne ? » \037M. r>oulton mourut en 1809, à Page de quatre-vingt-un ans. \037

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JAMES WATT. 121 \037« mimes nous étaient opposés. » 11 m’a semblé curieux de rechercher h quelle disse de la société appartenaient ces personnages parlementaires dont parle Watt, et <jui refusaient à l’homme de génie une faible partie des richesses qu’il allait créer. Jugez de ma surprise tordue j’ai trouvé à leur tête le célèbre Burkc! Serait-il donc vrai qu’on peut s’être livré à de profondes études, être un homme de savoir et de probité, posséder a un degré éminent les qualités oratoires qui émeuvent, qui entraînent les assemblées politiques, et manquer quelquefois du plus simple bon sens? Au surplus, depuis les sages et importantes modifications que lord Brougham fait introduire dans les lois relatives aux brevets, les inventeurs n’auront plus h subir !a longue série de dégoûts dont Watt fut abreuvé. \037Aussitôt que le parlement eut accordé une nouvelle durée de vingt-cinq ans à la patente de Watt, cet ingénieur et Boulton réunis commencèrent à Sobo les établissements qui ont été pour toute l’Angleterre l’école la plus utile de mécanique pratique. On y dirigea bientôt la construction de pompes d’épuisement de très-grandes dimensions, et des expériences répétées montrèrent qu’à égalité d’clïet, elles économisaient les trois quarts du combustible que consumaient précédemment celles de Newcomen. Des ce moment, les nouvelles pompes se répandirent d;ns tous les pays de mines, et surtout dans le Cornouailles. lïoulton et Watt recevaient, pour redevance, la valeur du tiers de la quantité de charbon dont chacune de leurs machines procurait l’économie. On jugera de l’importance commerciale de l’invention, par un fait authen- \037

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422 JAMKS WATT. \037tique dans la seule mine de Cliace-Water où trois pompes étaient en action, les propriétaires trouvèrent de ravantiigc à racheter les droits des inventeurs pour une somme annuelle de 00,000 franc?. Ainsi, dans un seul établissement, la substitution du condenseur à l’injection intérieure avait procuré, en combustible, une économie de plus de 180,000 francs pur an. \037Les hommes se résignent volontiers à payer Ic loyer d’une maison, le prix d’un fermage. Celte bonne \olont«5 les abandonne quand il s’agit d’une idée, quelque avantage, quelque profit qu’elle ail procuré. Des idées! mais ne les conçoit-on pas sans fatigue et sans peine? Qui prouve d’ailleurs qu’avec le temps elles ne seraient pas venues à tout le monde? En ce genre, des jours, d:s mois, des années d’antériorité, ne sauraient donner droit il un privilège l \037Ces opinions, dont je n’ai sans doute pas besoin de faire ici la critique, la routine leur avait presque donné l’autorité de lu chose jugée. Les hommes de génie, les fabricants d’idées semblaient devoir rester étrangers nux jouissances matérielles; il était naturel que leur histoi.e continuât à ressembler à une légende de martyrs! I Quoi qu’on \knne à penser de ces réflexions, il est certoin que les mineurs de Cornouailles payaient d’année en année avec plus de répugnance la rente qu’ils devaient aux ingénieurs de Solio. Ils profitèrent des premières difficultés soulevées par des plagiaires, pour sc prétendre déliés de tout engagement. La discussion était grave; elle po:i\ait compromettre la position sociale de notie confrère il lui donna donc toute son attention etde\int \037

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JAMKS WATT. *» \037ncidents des longs et dispendieux procès que \037légiste. Les incidents des longs et dispendieux procès que Dotilton et Watt eurent à soutenir, et qu’en définitive :ls gagnèrent, ne mériteraient guère aujourd’hui d’être exhumés; mais puisque tout à l’heure j’ai cite Burkc parmi les adversaires du grand mécanicien, il semble juste de rappeler que, par compensation, les Roy, les Mylne, les llerschel, les Dcluc, les Ramsden, les Robison, les Murdock, les Réunie, les Cumming, les More, IcsSojtliern allèrent avec empressement soutenir devant les magistrats les droits du génie persécuté. Peut-être aussi si ia-t-il bon d’ajouter comme un trait curieux dans l’histoire de l’esprit humain, que les avocats (j’aurai la pr-.idence de faire remarquer qu’il ne s’agit ici que d’avocats d’un pays voisin), que les avocats, a qui la malignité impute un luxe surabondant de paroles, reprochaient à Watt, contre lequel ils s’étaient ligués en grand nombre, de n’avoir inventé que des idées. Ceci, pour le dire en pissant, leur attira, devant le tribunal, cette apostrophe de M. Rous «Allez, Messieurs, allez vous frottera ces « combinaisons intangibles, ainsi qu’il vous plaît d’uppe«  les les machines de Watt, à ces prétendues idées abs«  Iraites; elles vous écraseront comme des moucherons, » elles vous lanceront dans les airs a perte de vue! » Les persécutions que rencontre un homme de cœur, la où la plus stricte justice lui permettait d’espérer des témoignages unanimes de reconnaissance, manquent rarement de le décourager et d’aigrir son caractère. L’heureux naturel de Watt ne résista pas à de telles épreuves. Sept longues années de procès avaient excité en lui un sentiment de dépit, qui se faisait jour quelquefois dans des \037

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m JAMES WATT. \037termes acerbe?. « Ce que je redoute le plus au monde, écrivait-il à un de ses amis, ce sont les plagiaires Les « plagiaires! Ils m’ont déjà cruellement assailli, et si je « n’avais pas une excellente mémoire, leurs impudentes « assertions auraient fini par me persuader que je n’ai « apporté aucune amélioration a. la machine à vapeur. « Les mauvaises passions de ceux à qui j’ai été le plus « utile, vont, le croiriez-vous? jusqu’à leur faire soule«  nir que ces améliorations, loin de mériter une pareille « qualification, ont été très-préjudiciables à la richesse « publique. » \037Wa’t, quoique vivement irrité, ne se découragea pas. Ses machines n’étaient d’abord, comme cclles de Ncwcoincn, que de simples pompes, (lue de simples moyens d’épuisement. En peu d’années il les transforma en moteurs universels, et d’une puissance indéfinie. Son premier pas, dans cette voie, fut la création de la machine à double effet. \037l’our en concevoir le principe, qu’on se reporte à la machine modifiée dont nous avons déjà parlé (page 15). Le cylindre est fermé; l’air extérieur n’y a aucun accès; c’est la pression de la vapeur, et non celle de l’atmosphère qui fait descendre le piston c’est à un simple contre-poids qu’est dû le mouvement ascensionnel, car à l’époque où ce mouvement s’opère, la vapeur pouvant rculcr librement entre le haut et le bas du cylindre, presse également le piston dans les deux sens opposés. Chacun voit ainsi que la machine modifiée, comme celle de i\ewcomen, n’a de force réelle que pendant l’oscillation descendante du piston. \037

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JAMES WATT. Ui \037l n changement très-simple remédiera à ce grave défaut, et nous donnera la machine à double effet. Dans la machine connue sous ce nom, comme dans celle que nous avons appelée machine modifiée, la vapeur de la chaudière, quand le mécanicien le veut, va librement au-dessus du piston et le pousse sans rencontrer d’obstacle, puisque au méïne moment la capacité inférieure du cylindre est en communication avec le condenseur. Ce mouvement une fois achevé, et un certain robinet ayant été ouvert la vapeur provenant de la chaudière no peut se rendre qu’au-dessous du piston, et elle le soulève; la vapeur supérieure qui avait produit le mouvement descendant, va alors se liquéfier dans le condenseur, avec lequel elle est, à son tour, en libre communication. Le mouvement contraire des robinets replace toutes les pièces dans l’état primitif, des que le piston est au haut de sa course. De la sorte, les mêmes effets se reproduisent indéfiniment. \037Le moteur, comme on le voit, est ici exclusivement la vapeur d’eau, et la machine, à cela près d’une inégalité dépendante du poids du piston, a la même puissance soit que ce piston monte, soit qu’il descende. Voilà pourquoi, dès son apparition elle fut justement appelée machine à double effet. \037Pour rendre son nouveau moteur d’une application commode et facile, Watt eut à vaincre d’autres difficultés il fallut d’abord chercher les moyens d’établir une communication rigide entre la tige inllexible du piston oscillant en ligne droite et un balancier oscillant circuluiremenl. La solution qu’il a donnée de cet impor- \037

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420 JAMES WATT. \037tant problème est peut-être sa plus ingénieuse invention. Parmi les parties constituantes de la machine à vapeur, vous avez sans doute remarqué certain parallélogramme articulé. A chaque double oscillation il se développe et se resserre, avec le moelleux, j’ai presque dit avec la grâce qui vous charme dans les gestes d’un acteur consommé. Suivez attentivement de l’œil le progrès de ses diverses transformations, et vous les trouverez assujetties aux conditions géométriques les plus curieuses; et vous verrez que trois des sommets des angles du parallélogramme décrivent dans l’espace des arcs de cercle, tandis que le quatrième, le sommet de l’angle qui soulève et abaisse la tige du piston se meut à très-peu près en ligne droite. L’immense utilité du résultat frappe encore moins les mécaniciens que la simplicité des moyens a l’aide desquels Watt l’a obtenu’. \0371. Voici en quels termes Watt rendait compte de l’essai de ce parallélogramme articulé \037« J’ai été moi-même surpris de la régularité de son action. QuanJ «je l’ai vu marcher pour la premi’-ro fols, j’ai eu véritablement « tout le plaisir de la nouveauté, comme si j’avais examiné i’ini’tn«  lion d’une autre personne. » \037Smoaton, grand admirateur de l’invention de Watt, ne croyait pa«, cependant, quo dans la pratique elle pût devenir un moyen u-uel et économique d’imprimer directement des mouvement do rotation à des axes. H soutenait que. les machines à vapeur Hnl- 1. ruient toujours avec plus d’avantage a pomper directement de l’eau. Ce liquide, panenu à de* hauteurs convenable- devait ensuite ttre jeté clans les au^cts ou sur les pakttes des roues hydrauliques ordinaire*. A cet égard les provisions de Smeatou ne se sont pas réalisées. J’ai vu cependant, en 183.’i, en Kitant les établissement* de M. Boulton, àSoho, une vieille machine à vapeur qui e»t encore employée à élever l’eau d’une large mare et à la vcixt dans les aug.’ts d’une grande roue hydraulique, lorsque la saison étant tressèche l’eau motrice ordinaire ue suffit pas \037

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JAMES WATT. U7 \037De la force n’est pas le seul élément de réussite dans les travaux industriels. La régularité d’action n’impor’e pas moins; mais quelle régularité attendre d’un moteur qui s’engendre par le feu, à coup de pelletées de charbon, et même de charbon de différentes qualités; sous la surveillance d’un ouvrier, quelquefois peu intelligent, presque toujours inattentif? La vapeur motrice sera d’autant plus abondante, elle affluera dans le cylindre avec d’autant plus de rapidité, elle fera marcher le piston d’autant plus vite, que le feu aura plus d’intensité. De grandes inégalités de mouvement semblent donc inévitables. Le génie de Watt a du pourvoir à ce défaut capital. Les soupapes par lesquelles la vapeur débouche de la chaudière pour entrer dans le cylindre n’ont pas une ouverture constante. Quand la marche <le la machine s’accélère, ces soupapes se ferment en partie; un volume détei miné de vapeur doit employer des lors plus de temps à les traverser, et l’accélération s’arrête. Les ouvertures des soupapes se dilatent, au contraire, lorsque le mouvement se ralentit. Les pièces nécessaires à la réalisation de ces divers changements lient les soupapes avec les axes que la machine met en jru, par l’intermédiaire d’un appareil dont Watt trouva le principe dans le régulateur <bs \anncs de quelques moulins a farine, qu’il appela te gouverneur (governor), et qu’on nomme aujourd’hui rêijuhleur à force centrifuge. Son efficacité est telle qu’on voyait, il y a peu d’années, à Manchester, dans la filature de coton d’un mécanicien de grand renom, M. Lee, une pendule mise en action par la machine a vapeur de l’établissement, et qui marchait sans trop de \037

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U’8 JAMKS WATT. \037désavantage à côté d’une pendule ordinaire à ressort. Le régulateur de Walt et un emploi bien entendu des volants, voilà le secret, le secret véritable de l’étonnante perfection des produits industriels de notre époque; voilà ce qui donne aujourd’hui à la machine à vapeur une marche totalement exempte de saccades; voilà pourquoi die peut, avec le même succès, broder des mousselines et ferger des ancres, tisser les étoffes les plus délicates et communiquer un mouvement rapide aux pesantes meules d’un moulin à farine. Ceci explique encore comment Watt avait dit, sans craindre le reproche d’exagération, que, pour éviter les allées et les venues des domestiques, il se ferait servir, il se ferait apporter les tisanes, en cas de mah.die, par des engins dépendant de sa machine à vapeur. Je n’ignore pas que, suivant les gens du monde, cette suavité de mouvements s’obtient aux dépens de la force; mais c’est une erreur, une erreur grossière; le dicton « l’aire beaucoup de bruit et peu de besogne, » n’est pas seulement vrai dans le inonde moral; c’est un axiome de mécanique. \037encore quelques mots, et nous arrivons au terme de ces détails techniques. \037Dopais peu d’années, on a trouve un grand avantage a ne pas laisser une libre communication entre la chaudière et le cylindre, pendant toute la durée de chaque oscillation de la machine. Cette communication est interrompue quand le piston, par exemple, arrive au tiers de sa course. Les deux tiers restants de la longueur du cylindre sont alors parcourus en vertu de la vitesse acquise, et surtout par reflet de la Mente de la vapeur. \037

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JAMES WATT. (29 \037Watt avait déjà indiqué ce procédé De très-bons juges placent la détente, quant à l’importance économique, Kir la ligne du condenseur. 11 paraît certain que depuis son adoption, les machines du Cornouoilles donnent des résultats inespérés; qu’avec un boisseau (bushel) de charbon, elles réalisent le travail de vingt hommes travaillant dix heures. Rappelons-nous que, dans les districts houillers, un boisseau de charbon de terre coûte seulement nine pence (environ 18 sous de France), et il sera démontré que Watt a réduit, pour la plus grande partie de l’Angleterre le prix d’une rude journée d’homme, d’une journée de dix heures de travail, a moins d’un sou de notre monnaie \037t. Le principe de la détente de la vapeur, di’-jà nettement indiqué dans une lettre de Watt au docteur Small portant la date de 17G0, fut mis en pratique en 1770 à Soho, et ou 1778 aux Shadwell ff’ater If’ork’i d’après des considérations économiques. L’invention, et les avantages qu’elle faisait espérer, sont pleinement décrits dans la patente de 1782. \0372. Dans un moment où tant de personnes s’occupent de machines à vapeur à rotation immédiate, je commettrais un oubli impardonnable si je ne disais pas que Watt y avait non-seulement songé, ainsi qu’on en trouve la preuve dans ses brevets, mais encore qu’il en exécuta. Ces machines, Watt les abandonna, non qu’elles ne marchassent point, mais parce qu’elles lui parurent, sous le rapport économique, notablement inférieures aux machines à double effet t (t a oscillations rectilignes. \037JI est peu d’inventions, grandes ou petites, parmi celles dont les machines à vapeur actuelles offrent l’admirable réunion, qui ne soient te développement d’une des premières idées de Watt. Suivez ses travaux, et outre les points capitaux que nous avons énumérés minutieusement, vous le verrez proposer des machines sans condensation, des machines où après avoir agi, la vapeur se perd dans l’atmosphère, pour les localités où Ton se procurerait difficilement d’abondantes quantités d’eau froide. La détente a opérer dans des \037

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130 JAMI-S WATT. \037Dos évaluations numériques font trop bien apprécier 1’imporlance des inventions de notre confrère, pour que jo puisse résister au désir de présenter encore deux aulrcs rapprochements. Je les emprunte & un des plus célèbres correspondants de l’Académie, à M. Jolin Herscliel. \037L’ascension du Mont-Blanc, à partir de la vallée de Chamouni, est considérée, ajuste titre, comme l’a uvre la plus pénible qu’un homme puisse exécuter en deux jours. Ainsi, le maximum de travail mécanique dont nous soj ons capables, en deux fois \ingt-quatre heures, est mesuré par le Iran-port du poids de notre corps à la hauteur du Mont-Iîlanc. Ce travail, ou l’équivalent, une machine à vapeur l’exécute en brûlant un kilogramme de charbon de terre. Watt a donc établi que la force jour- \037jnachlncs à plusieurs cylindres, figurera aussi parmi les projets de l’ingénieur do Soho, Il suggérera l’idée des pistons parfaitement étanche«, quoique composés exclusivement de pièces métalliques. C’est encore Watt qui recourra le premier à d’S manoinMres à mercure pour apprécier lVla>ticitc* de la \apcur dans la chaudière et d. us le condenseur; qui imaginera une jaujre simple et permanente à i’aide de. laquelle on connaîtra toujours, et d’un coup dVil, le niveau de l’eau dans la chaudière qui, pour empêcher que ce niveau ne puisse \<u’Icr d’une manière fâcheuse, liera les mouvements delà pompe aliiiK’Dlalre à ceux d’un flotteur (lui au besoin, Établira sur une ouverture du couvercle du principal cylindre de la machine, un petit appareil (l’indicateur) combiné de telle sorte qu’il fera exactement connaître la loi de l’évacuation de la vapeur, dans ses rapports avec la position du piston, etc., etc. sj le temps mo le perinetiait, Je montrerais Watt non moins habile et non moins heureux dans ses es-ais pour améliorer les chaudières, pour aHénuer les ptil’Sde chaleur, pour brûler cou]()létcmcut les torrents de fumée noire qui sV-cliappeiit des cheminées ordinaires, quehjue <’k’\ées qu’elles soient \037

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JAMES WATT. 431 \037nnlière «l’un homme ne dépasse pas celle qui est renfermée dans cinq cents grammes de houille. \037Hérodote rapporte que la construction de la grande pyramide d’Egypte occupa cent mille hommes pendant. \ingt ans. La pyramide est de pierre calcaire; son volume et son poids peuvent être facilement calculés; on a trouve que son poids est d’environ 5,900,000 kilogrammes. l’our élever ce poids à 38 mètres, hauteur du centre de gravité de la pyramide, il faudrait brûler sous la chaudière d’une machine à vapeur 8,24/4 hectolitres de charbon. Il est, chez nos voisins, telle fonderie qu’on pourrait citer qui consume une plus grande quantité de combustible chaque semaine. \037DES VACHINF.S CONSIDÉRÉES DANS LECRS RAPPORTS AVEC LE BIEN-ÊTRE DES CLASSES Ol’TBIÈRES \037Beaucoup de personnes, sans mettre en question le génie de Watt, regardent les inventions dont le monde lui est redevable et l’impulsion qu’elles ont donnée aux travaux industriels comme un malheur social. A les en 1. l’.n bernant ce chapitre, il m’a semblé que je pouvais u-^cr

>an.s smnule de beaucoup de documents que j’ai recueillis, soit

dus divers entretiens avec mon illustre ami lord Brougham, soit dans l>’s ouvrages qu’il a publiés lul-niéme ou qui ont paru soua son patronage. \037si je m’en rapportais aux critiques que plusieurs peisoniKS ont imprimée* depuis la lecture de cette Hiojrraphie, eu essayant de comlaUre l’opinion que les machines sont nuisibles aux classes ouvrières’, je nie serais attaqué à un \lcux préjugé sacs confiance actuelle, à- un véritable fantôme. Je ne demanderais pas mieux que de le croire (̃ alors, je supprimerais très- volontiers tous mes raisonnements, l’Oiis on mauvais. Malheureusement, des lettres que do braves ou- \037

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43» JAMES WATT. \037croire, l’adoption de chaque nouvellc machine ajoute inévitablement au malaise, à la misère des artisan?. Ces merveilleuses combinaisons mécaniques, que nous sommes habitués à admirer dans la régularité et l’harmonie de leurs mouvements, dans la puissance et la délicatesse de leurs effets, ne seraient que des instruments de dommage; le législateur devrait les proscrire avec une juste et implacable rigueur. \037Les opinions consciencieuses, alors surtout qu’elles se rattachent à de louables sentiments de philanthropie, ont droit à un examen attentif. J’ajoute que, de ma part, cet examen est un devoir impérieux. J’aurais négligé, en cfl’el, le côté par lequel les travaux de notre illustre confrère sont le plus dignes de l’estime publique, si, loin de souscrire aux préventions de certains esprits contre le perfectionnement des machines, je ne signalais de tels travaux à l’attention des hommes de bien comme le moyen le plus puissant, le plus direct, le plus efficace de soustraire les ouvriers à de cruelles souffrances, et de les appeler au partage d’une foule de biens qui semblaient devoir rester l’apanage exclusif de la richesse. \037Lorsqu’ils ont à opter entre deux propositions diaméou%-i-~ers m*a(lrêssent fréquemineiit, soit coin, \037ouvriers m’adressent fréquemment, soit conn..e académicien, soit comme déj’Uté malheureusement, les dissertations ex professa et assez récentes de divers économistes, ne me laissent aucun doute sur la nécessité de dire encore aujourd’hui, de répéter sous toutes les formes, que les machines n’ont jamais été la cause réelle et permanente des souffrances d’une des classes les plus nombreuses et les "plus Intéressantes de la société; que leur destruction aggraverait l’état présent des choses; que ce n’est nullement de ce côté qu’on trouverait le remède à des maux auxquels je compatis de toute mon aw. \037

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JAMES WATT. i3ï \037I.– I. 23 î \037tralement opposées; lorsque l’une étant vraie, l’autre est nécessairement fausse, et que rien, de prime abord, ne semble pouvoir dicter un choix rationnel les géomètres se saisissent de ces propositions contraires; ils les suivent minutieusement de ramifications en ramifications; ils en font surgir leurs dernières conséquences logiques; or, la proposition mal assise, et celle-là seulement, manque rarement de conduire par cette filière a quelques résultats qu’un esprit lucide ne saurait admettre. Essayons un moment de ce mode d’examen dont Euclide fait un fréquent usage et qu’on désigne si justement par le nom de méthode de réduction à l’absurde. \037Les adversaires des machines voudraient les anéantir ou, du moins, en restreindre la propagation, pour conserver, disent-ils, plus de travail à la classe ouvrière. Plaçons-nous un moment à ce point de vue, et l’anathème s’étendra bien au delà des machines proprement dites. \037Dès le début, nous serons amenés par exemple a taxer nos ancêtres d’une profonde imprévoyance. Si au lieu de fonder, si au lieu de s’obstiner à étendre la ville de Paris sur les deux rives de la Seine, ils s’étaient établis au milieu du plateau de Villejuif, depuis des siècles les por- tours d’eau formeraient la corporation la plus occupée, la plus nécesaire, la plus nombreuse. Eh bien, messieurs les économistes, mettez-vous à l’œuvre en faveur des porteurs d’eau. Dévier la Seine de son cours n’est pas une chose impossible; proposez ce travail; ouvrez sans retard une souscription pour mettre Paris il soc, et la risée géni’ralo nous apprendra que la méthode de la réduction a l’ab- \037

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431 JAMES WATT. \037purde a du bon, môme en économie politique; et, dans leur sens droit, les ouvriers vous diront eux-mêmes que la rivière a créé l’immense capitale où ils trouvent tant de ressources; que, sans elle, Paris serait peut-être encore un Villejuif. \037Les bons Parisiens s’étaient félicités jusqu’ici du voisinage de ces inépuisables carrières où les générations vont arracher les matériaux qui servent à la construction de leurs temples, de leurs palais, de leurs habitations particulières. Pure illusion! La nouvelle économie politique vous prouvera qu’il eût été éminemment avantageux que le plâtre, que les pierres de taille, que les moellons ne se fussent trouvés qu’aux environs de Bourges, par exemple. Dans cette hypothèse, supputez en effet sur vos doigts le nombre d’ouvriers qu’il eût été nécessaire d’employer pour amener sur les chantiers de la capitale toutes les pierres que, depuis cinq siècles, les architectes y ont manipulées, et vous trouverez un résultat vraiment prodigieux et, pour peu que les nouvelles idées vous sourient, vous pourrez vous extasier à votre aise sur le bonheur qu’un pareil état de choses eût répandu parmi les prolétaires \037Hasardons quelques doutes, quoique je sache trèsbien que les Vertot de notre époque ressemblent parfait» tuent à l’historien de Rhodes, quand leur siège est fait. \037La capitalc d’un puissant royaume peu éloigné de la France est traversée par un fleuve majestueux que les vaisseaux de guerre eux -mêmes remontent à pleines voiles. Des canaux sillonnent dans toutes sortes de \037

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JAMES WATT. i33 \037directions les contrées environnantes et transportent a peu de frais les plus lourds fardeaux. Un véritable réseau do routes admirablement entretenues conduit aux parties les plus reculées du territoire, A ces dons de la nature et do l’art, la capitale, que tout le monde a déjà nommée, joint, mm avantage dont la ville de Paris est privée les carrières de pierre à bâtir ne sont pas à sa porte, elles n’existent qu’au loin. Voilà donc l’utopie des nouveaux économistes réalisée. Ils vont compter, n’est-ce pas, par centaines de mille, peut-être par millions, les carriers, les bateliers les charretiers les appareilleurs employés sans cesse a extraire, à transporter, à préparer les moellons, les pierres de taille nécessaires à la construction de l’immense quantité d’édifices dont cette capitale s’enrichit chaque année. Laissons-les compter à leur aise. 11 arrive dans cette ville ce qui serait arrivé à Paris privé <!o ses riches carrières la pierre étant très-chère, on n’en fait pas usage; la brique la remplace presque partout. \037Des millions d’ouvriers exécutent aujourd’hui à la sur. face et dans les entrailles de la terre, d’immenses travaux auxquels il faudrait totalement renoncer si certaines machines étaient abandonnées. Il suffira de deux ou trois exemples pour rendre cette vérité palpable. \037L’enlèvement journalier des eaux qui surgissent dans les galeries des seules mines de Cornouailles, exige une force de cinquante mille chevaux ou de trois cent mille hommes. Je vous le demande, le salaire de trois cent mille ouvriers n’ absorberait-il pas tous les bénéfices de l’exploitation? \037

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436 JAMES WATT. \037La question des salaires et des bénéfices paraît-elle trop délicate? D’autres considérations nous conduiront à la m£mc conséquence. \037Le d’une seule mine de cuivre de Cornouailles, comprise dans les Consolidaled-Mines exige une machine à vapeur de plus de trois cents chevaux constamment attelés, et réalisc, chaque vingt-quatre heures, le travail d’un millier de chevaux, Puis-je craindre d’être démenti en affirmant qu’il n’existe aucun moyen de faire agir plus de trois cents chevaux, ou deux à trois mille hommes, simultanément et d’une manière utile, sur l’ouverture bornée d’un puits de mine? Proscrire la machine des Consolùlatcd-Mines ce serait donc réduire à l’inaction le grand nombre d’ouvriers dont elle rend le travail possible ce serait déclarer que le cuivre et l’élain du CornouaiJles y resteront éternellement ensevelis sous une înosse de terre, de roches et de liquide de plusieurs centaines de mètres d’épaisseur. La thèse, ramenée à cette dernière forme, aura certainement peu de défenseurs; mais qu’importe la forme lorsque le fond est évidemment le mOinc? \0378i des travaux qui exigent un immense développement de forces, nous passions à l’examen de divers produits industriels que la délicatesse de leurs la régularité de leurs formes, ont fait ranger parmi les merveilles de l’art, T insuffisance, l’infériorité de nos organes, comparés aux combinaisons ingénieuses de la mécanique, frapperaient également tous les esprits. Quelle est, par exemple, l’habile fileuse qui pourrait tirer d’une seule livre do coton brut, un fil do cinquante-trois lieues do \037

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JAMES WATT. 137 \037long, comme le fait la machine nommée Mulc-Jcnwj? Je n’ignore pas tout ce que certains moralistes ont débité touchant l’inutilité des mousselines, des dentelles, des tulles que ces fils déliés servent à fabriquer; niais qu’il me suffise de remarquer que les Mulc-Jenny les plus parfaites marchent sous la surveillance continuelle d’un grand nombre d’ouvriers; que toute la question, pour eux, est de fabriquer des produits qui se vendent; qu’enfin, si le luxe est un mal, un vice, un crime même, on doit s’en prendre aux acheteurs, et non à ces painres prolétaires, dont l’existence serait, je crois, fort aventurée, s’ils usaient leurs forces à fabriquer, à l’usage des dames, au lieu du tulle mondain, des étoffes de bure. Quittons maintenant toutes ces remarques de détail et pénétrons dans le fond même de la question. \037« 11 ne faut pas, a dit Marc-Aurelc, recevoir les epi«  nions de nos pères comme le feraient des enfants par « la seule raison que nos pères les ont eues. » Cette maxime, assurément très-juste, ne doit pas nous empêcher de penser, de présumer du moins, que les opinions contre lesquelles aucune critique ne s’est jamais élevée depuis l’origine des sociétés, ne soient conformes a la raison et à l’intérêt général. Eh bien, sur la question tant débattue de l’utilité des machines, quelle était l’opinion unanime de l’antiquité? Son ingénieuse mythologie va nous rapprendre les fondateurs des empires, les législateurs, les vainqueurs des tyrans qui opprimaient leur patrie, recevaient seulement le titre de demi-dieux; c’élait parmi les dieux mêmes qu’était placé l’inventeur de la IxHhe, de la faucille, de la charrue. \037

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433 JAMES WATT. \037J’entends déjà nos adversaires sc récrier sur l’extrême simplicité des instruments que je cite, leur refuser hardiment le nom de machines, ne vouloir les qualifier que à’outits, et se retrancher obstinément derrière cette distinction. \037Je pourrais répondre qu’une semblable distinction est puérile; qu’il serait impossible de dire avec précision où l’ouliï finit où la machine commence; mais il vaut mieux remarquer que, dans les plaidoyers contre les machines, il n’a jamais été parié de leur plus ou moins grande complication. Si on les repousse, c’est parce qu’avec leur concours un ouvrier fait le travail de plusieurs ouvriers; or, oserait-on soutenir qu’un couteau, qu’une vri’le, qu’une lime, qu’une scie, ne donnent pas une merveilleuse facilité d’action à la main qui les emploie que cette main, ainsi fortifiée, ne puisse faire le travail d’un grand nombre de mains armées seulement de leurs ongles? Ils ne s’arrêtaient pas devant la sophistique distinction d’outils et de machines, les ouvriers qui, séduits par les détestables théories de quelques-uns de leurs prétendus amis, parcouraient en 1830 certains comtés de l’Angleterre en vociférant le cri de mort aux machines! Logiciens rigoureux, ils brisaient dans les fermes la faucille destinée à moissonner, le fléau qui sert à battre le blé, le crible à l’aide duquel on vanne le grain. La faucilc, le fléau et le crible ne sont-ils pas, en effet, des moyens de travail abrégés? La béchc, la pioche, la charrue, le semoir, ne pouvaient trouver grâce devant cette horde aveuglée, et si quelque chose m’étonne, c’est que, dans sa fureur, elle ait épargné les chevaux, espèces de machines \037

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JAMES WATT. 439 \037d’un entretien comparativement économique, et dont chacune peut exécuter, par jour, le travail de six ou sept ouvriers. \037L’économie politique a heureusement pris place parmi les sciences d’observation. L’expérience de la substitution des machines aux êtres animés s’est trop souvent renouvelée depuis quelques années, pour qu’on ne puisse po>, dès à présent, en saisir les résultats généraux au milieu de quelques irrégularités accidentelles. Ces résultats, les voici \037En épargnant la main-d’œuvre, les machines permettent de fabriquer à meilleur marché l’elïct de ce meilleur marché est une augmentation de demande une si grande, augmentation, tant notre désir de bien-ôtre a de vivacité, que, malgré le plus inconcevable abaissement dans les prix, la valeur vénale de la totalité de la marchandise produite surpasse chaque année ce qu’elle était avant le perfectionnement; le nombre des ouvriers qu’emploie chaque industrie s’accroîtt avec l’introduction des moyens de fabrication expéditifs. \037Ce dernier résultat est précisément t’oppose de celui que les adversaires des machines imoquent, De prime abord, il pourrait sembler paradoxal; cependant nous allons le voir ressortir d’un examen rapide des faits industriels les mieux constatés. \037Lorsque, il y a trois siècles et demi, la machine à imprimer fut inventée des copiâtes pourvoyaient de livres le très-petit nombre d’hommes riches qui se permettaient cette dispendieuse fantaisie. rn seul de ces copistes, ft l’aide du nouveau procédé, pouvait faire l’ouvrage do \037

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4S0 JAMES WATT. \0371 _v .n.. .1~ nnlin rinnnnn \037deux cents, on ne manqua pas, dès cette époque, de qualifier d’infernale une invention qui, dans une certaine classe de la société, devait réduire à l’inaction neuf cent quatre-vingt-quinze personnes sur mille. Plaçons le résultat réel à côté de la sinistre prédiction. \037Les livres manuscrits étaient très-peu demandés; les livres imprimés, au contraire, à cause de leur bas prix, furent recherchés avec le plus vif empressement. On se vit obligé de reproduire sans cesse les écrivains de la Grèce et de Rome. De nouvelles idées, de nouvelles opinions firent surgir une multitude d’ouvrages, les uns d’un intérêt éternel, les autres inspirés par des circonstances passagères. On a calculé, enfin, qu’à Londres, avant l’invention de l’imprimerie, le commerce des livres n’occupait que deux cents personnes; aujourd’hui, c’est par des vingtaines de milliers qu’on les compte. \037Et que serait-ce encore si, laissant de côté le point de vue restreint et pour ainsi dire matériel qu’il m’a fallu choisir, nous étudiions l’imprimerie par ses faces morales et intellectuelles; si nous examinions l’influence qu’elle a exercée sur les mœurs publiques, sur la diffusion des lumibres, sur les progrès de la raison humaine; si nous opérions Ic dénombrement de tant de livres dont on lui est redevable, que les copistes auraient certainement dédaignés, et dans lesquels le génie va journellement puiser les éléments de ses conceptions fécondes! Mais je me rappelle qu’il ne doit être question, dans ce moment, que du nombre d’ouvriers employés par chaque industrie. \037Celle du coton offre des résultats plus démonstratifs \037

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JAMES WATT. 4tt \037encore que l’imprimerie. Lorsqu’un ingénieux barbier de l’rcston, Arkwright, lequel, par parenthèse, a laissé à ses enfants deux à trois millions de francs de revenu, rendit utile et profitable la substitution des cylindres tournants aux doigts des fileuscs, le produit annuel de la manufacture de coton en Angleterre ne s’élevait qu’à cinquante millions de francs; maintenant ce produit dépasse neuf cents millions. Dans le seul comté de Lancastre, on livre tous les ans, aux manufactures de calicot, une quantité de fil que \ingt et un millions de fileuses habiles ne pourraient pas fabriquer avec le seul secours de la q.ionouillc et du fuseau. Aussi, quoique dans l’art du filateur les moyens mécaniques aient été pour ainsi dire poussés à leur dernier degré de perfectionnement, un million et demi d’ouvriers trouvent aujourd’hui de l’emploi, là où, avant les inventions d’ Arkwright et do Watt, on en comptait seulement cinquante mille \037Certain philosophe s’est écrié, dans un profond accès de découragement 11 ne se public aujourd’hui rien de neuf, à moins qu’on n’appelle ainsi ce qui a été oublié, » S’il entendait seulement parler d’erreurs et de préjugés le philosophe disait vrai. Les siècles ont été tellement féconds en ce genre qu’ils ne peuvent plus guère laisser a pers-onne les avantages de la priorité. Par exemple les 1. M. Edward Daines, auteur d’une histoire tres-cstiméle dos inanu’actures de cotons britanniques, a eu la bizarre curiosité do cl.rr’lier quelle longueur de fil est annuellement employée dans la fabrication des étoffes de coton. Cette longueur totale, il la trouve égale a cinquante et une fois la distance du soltilà fa /erre! (t in’luante et une fois trente-neuf millions de lieues de poste, ou environ deux mille millions de ces mêmes lieues). \037

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4tî JAMES WATT. \037prétendus philanthropes modernes n’ont pas le mérite (si toutefois mérite il y a) d’avoir inventé les systèmes que j’examine. Voyez plutôt ce pauvre William Lea faisant manœuvrer le premier métier a bas devant le roi Jacques I"! Le mécanisme parut admirable; pourquoi te repoi:ssa-t-on? Ce fut sous le prétexte que la classe ouvrière allait en souIVrir. La France se montra tout aussi peu prévoyante William Lea n’y trouva aucun encouragement, et il alla mourir à l’hôpital, comme tant d’autres hommes de génie qui ont eu le malheur de marcher trop en avant de leur siècle 1 \037Au surplus, on se tromperait beaucoup en imaginant que la corporation des tricoteurs, dont William Lea devint ainsi la victime, fut bien nombreuse. En 1583, les personnes de haut rang et de grande fortune portaient seules des bas. La classe moyenne remplaçait cette partie de nos vêtements par des bandelettes étroites de diverses étoiles. Le restant de la population (neuf cent quatrevingt-dix-neuf sur mille) marchait jambes nues. Sur mille individus, il n’en est pas plus d’un aujourd’hui à qui l’excessif bon marché ne permette d’acheter des bas. Aussi un nombre immense d’ouvriers est- dans tous les pays du monde occupé de ce genre de fabrication. \037Si on le juge nécessaire, j’ajouterai qu’à Stock-port, la substitution de la vapeur à la force des bras, dans la manœuvre des métiers à tisser, n’a pas empêché le nombre des ouvriers de s’y accroître d’un tiers en trèspeu d’années. \03711 faut (Mer enfin à nos adversaires leur dernière rcs- \037

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j\Mrsw\TT. m \037t-j’ \037source; il faut qu’ils ne puissent pas dire que nous avons seulement cité d’anciennes industries. Je ferai dojic remarquer combien ils se sont trompas naguère dans leurs lugubres prévisions touchant l’influence de la gra\urc sur acier, lue planche de cuivre, disaient-ils, ne peut pas donner plus de deux mille épreuves. Une planche en ncier, qui en fournit cent mille sans s’user, remplacera cinquante planches de cuivre. Ces chiffres n’établissertils pas que le plus grand nombre des graveurs (que quarante-neuf sur cinquante) se verront forcés de déserter les ateliers, de changer leur burin contre la truelle et la pioche ou d’implorer dans la rue la pitié publique? Pour la vingtième fois, prophètes de malheur, veuillez ne pa- oublier dans vos élucubrations, le principal élément du problème que vous prétondez résoudre Songez au déeir insatiable de bien-être que la nature a déposé (huis le cœur de l’homme; songez qu’un besoin satisfait appelle sur-le-champ un autre besoin que nos appétits de toute espèce s’augmentent avec le bon marche des objets qui peuvent les alimenter, et de manière à défier les facultés créatrices des machines les plus puissantes. Ainsi, pour revenir aux gravures, l’immense majorité du public s’en passait quand elles étaient chères; leur prix diminue, et tout le monde les recherche. Flics sont devenues l’ornement nécessaire des meilleurs livres; elles donnent aux livres médiocres quelques chances do débit. 11 n’est pas jusqu’aux almanachs où les antiques i[ hideuses figures de Noslradamus, de Mathieu Lacnsberg, ne soient aujourd’hui remplacées par dos vues pittoresques qui transportent, en quelques secondes nos immo- \037

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m JAMES WATT. \037biles citadins, des rives du Gange à celles de I1 Amazone de l’Himalaya aux Cordillères, de Pékin à New- York. Voyez aussi ces graveurs, dont on nous annonçait si piteusement la ruine, jamais ils ne furent ni plus nombreux, ni plus occupe" \037Je viens de rapporter des faits irrécusables. Ils ne permettront pas, je crois, de soutenir que sur cette terre, que parmi ses habitants, tels du moins que la nature les a créés, l’emploi des machines doive avoir pour conséquence la diminution du nombre d’ouvriers employés dans choque genre d’indui-lrie. D’autres habitudes, d’autres mœurs, d’autres passions auraient peut-être conduit à un tout différent; mais ce texte, je l’abandonne à ceux qui seraient tentés de composer des traités d’économie industrielle à l’usage des habitants de la lune, de Jupiter ou de Saturne. \037Placé sur un théâtre beaucoup plus restreint, je me demande si, après avoir sapé par sa base le système des adversaires des machines, il peut être encore nécessaire de j’jter un coup d’œil sur quelques critiques de détail. Faut-il remarquer, par exemple, que la taxe des pauvres, cette plaie toujours saignante de la nation britannique, cette plaie que l’on s’efforce de faire dériver de l’abus des machines, date du rogne d’Klisabetli, d’une époqie e iditéiie.irc de deux siècles aux travaux des Arkwright et des Wi.tl? \037Vous avouerez du moins, nous dit-on, que les machines à feu, que les Mulc-Jenny, que les métiers dont on fait usage pour carder, pour imprimer, etc. objets de vos prédilections, n’ont pas empc’ché le paupérisme \037

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JAMES WATT. iS5 \037de grandir et de se propager? Ce nouvel aveu me contera peu. Quelqu’un préscnta-t-il les machines comme une panacée universelle? Soutint-on jamais qu’elles auraient le privilège inouï d’écarter l’erreur et la passion des assembles politiques; qu’elles dirigeraient les conseillers des princes dans les voies de la modération, de la sagesse, de l’humanité? l’rétcndit-on qu’elles détourneraient Pitt de s’immiscer sans relâche dans les affaires des pays voisins; de susciter chaque année, et sur tous les points de l’Europe, des ennemis à la France de leur payer de riches subsides, de grever enfin l’ Angleterre d’une dette de plusieurs milliards ? Voilà, voilà pourquoi la taxe des pauvres s’est si vite et si prodigieusement accrue. Les machines n’out pas produit, n’ont pas pu produire ce mal. J’ose même affirmer qu’elles l’ont beaucoup atténué, et je le prome C en deux mots. Le comté de Lancastrc est le plus manufacturier de toute l’Angleterre. C’est là que se trouvent les villes de Manchester, de Prcston, de Bolton, de Warrington, de Livcrpool c’est dans ce comté que les machines ont été le plus brusquement, le plus généralement introduites. Eh bien répartissons la totalité de la valeur annuelle de la taxe des pauvres du Lancashire sur l’ensemble de la population cherchons, en d’autres terme?, la quote-part de chaque individu, et nous trouverons un résultat près de trois fois plus petit que dans la moyenne do tous les autres comtés! Vous le voyez, les chi lires traitent sans pitié les faiseurs de systèmes. \037Au reste, que ces grands mots de taxe des pauwes ne nous fassent pas croire, sur la foi de quelques déclamatours, que chez nos voisins les classes laborieuses soi.t \037

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U6 JAMES WATT. \037entièrement dépourvues de ressources et do prévoyance. In travail de fraîche date a montre que, dans l’Angleterre seule (l’Irlande et l’Ecosse étant ainsi laissées de côté), le capital appartenant à de simples ouvriers qui se trouve en dépôt dans les caisses d’épargne, approche de 400 millions de francs. Les recensements opérés dans les principales villes ne sont pas moins instructifs. Un seul principe est resté incontesté au milieu des débats animés que l’économie politique a fait naître c’est que la population s’accroît avec l’aisance générale et qu’elle diminue rapidement dans les temps de misère Plaçons des faits a côté du principe. Tandis que la pcpulatiou moyenne de l’Angleterre s’augmentait pendant les trente dernières années de 50 pour 100, Nottingham et Birmingham, deux des villes les plus industrielles, présentaient des accroissements de 25 et de 40 pour 100 plus considérables encore. Manchester et Glasgow enfin, qui occupent le premier rang dans tout l’empire britannique, par le nombre, la grandeur et l’importancc des machines qu’elles emploient, voyaient, dans le mé*me intervalle des trente dernières années, leur population s’augmenter de 150 et de 160 pour 100. C’était trois ou quatre fois plus que dans les comtés agricoles et les villes non manufacturières. \037De pareils chiffres parlent assez d’eux-mêmes. Il n’est pas de sophisme, de fausse philanthropie, de mouvements d’éloquence qui paissent leur résister. \037i. L’Irlande est une exception à cette règle, dont la cause est hku connue, çt sur la juclle j’aurai occasion de revenir. \037

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JAMES WATT. « i7 \037Les machines ont soulevé un genre particulier d’objections que je ne dois pas passer sous silence. Au moment de leur introduction, au moment où elles commencent à remplacer le travail manuel, certaines classes d’ouvriers souffrent de ce changement. Leur honorable, leur laborieuse industrie se trouve anéantie presque tout à coup. Ceux-là mémo qui, dans l’ancienne méthode, étaient les plus habiles, manquant quelquefois des qualités que le nouveau procédé exige, restent sans ouvrage. Il est rare qu’ils parviennent tout de suite à se rattacher d’autres genres de travaux. \037Ces réflexions sont justes et vraies. J’ajouterai que les tristes conséquences qu’elles signalent doivent se reproduire fréquemment qu’il suffit de quelques caprices de la mode pour engendrer de profondes misères. Si je ne conclus pas de là que le monde doive rester stationnairc, à Dieu ne plaise qu’en voulant le progrès dans l’intérêt général de la société je prétende qu’elle puisse rester sourde aux souffrances individuelles dont ce progrès est momentanément la cause! L’autorité, toujours aux aguets dos nouvelles inventions, manque rarement de les atteindre par des mesures fiscales; serait-ce trop exiger d’elle, si l’on demandait que les premières contributions levées sur le génie servissent à ouvrir des ateliers spéciaux, ou les ouvriers brusquement dépossédés trouveraient, pendant quelque temps, un emploi en harmonie avec leurs forces et leur intelligence Cette marche a quelquefois été suivie avec succès; il resterait donc à la généraliser. L’humanité fait un devoir de la suivre, une saine politique la coti,(2illc au besoin, d s événements terribles dont \037

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4S8 JAMES WATT. \037l’histoire a conservé le souvenir la recommanderaient aussi par son côté économique. \037Au\ objections des théoriciens qui craignaient de voir les progrès de la mécanique réduire les classes ouvrières à une inaction complète, ont succède des difficultés tout opposées, sur lesquelles il semble indispensable de s’arrêter quelques instants. \037En supprimant dans les manufactures toutes les manœuvres de force, les machines permettent d’y appeler en grand nombre les enfants des deux sexes. Des industriels, 1 des p; rents cupides abusent souvent de cette faculté. Le temps consacré au travail dépasse toute mesure raisonnable. Pour l’appât journalier de huit à dix centimes, on voue i\ un abrutissement éternel des intelligences que quelques heures d’étude eussent fécondées, on condamne à un doulourcux rachitisme des organes qui auraient besoin, pour se développer, du grand air et de l’action bienfaisante des rayons solaires. \037Demander au législateur de mettre un terme à cette hideuse exploitation du pauvre par le riche; solliciter des mesures pour combattre la démoralisation qui est la conséquence ordinaire des nombreuses réunions des jeunes ouvriers; essayer d’introduire, de disséminer certaines machines dans les chaumières, afin que, suivant les saisons, les travaux agricoles puissent s’y mariera ceux de l’industrie, c’est faire acte de patriotisme, d’huinanké; c’est bien connaître les besoins actuels des classes ouvrières. Mais s’obstiner à exécuter de main dhomme, laborieusement, chèrement, des travaux que les machines réalisent en un ctiu d’œil et à bon muché; mais assiiai- \037

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JAMES WATT. ti9 \037l. – r. 29 \037ter les prolétaires à des brutes; leur demander des clïoits journaliers qui ruinent leur santé, et que la science peut tirer, au centuple, de l’action du vent, de l’eau, (le la vapeur, ce serait marcher en sens contraire du but qu’on veut atteindre; ce serait vouer les pauvres à la nudité; réserver exclusivement aux riches une foule de jouissances qui sont maintenant le partage de tout le monde; ce serait, enfin, revenir de gaieté de cœur, aux siècles d’ignorance, de barbarie et de misère. \037Il est temps de quitter ce sujet, quoique je sois loin de t’avoir épuisé. Je n’aurai certainement pas triomphé d’une foule de préventions invétérées, systématiques. Du moins, je puis espérer que mon plaidoyer obtiendra l’assentiment de ces mille et mille oisifs de la capitale, dont la vie se passe t coordonner le goût des plaisirs avec Ics exigences de leur mauvaise santé. Dans quelques années, grâce aux découvertes de Watt, tous ces sybarites, incessamment poussés par la vapeur sur des chemins de fer, pourront \isitcr rapidement les différentes régions du royaume. Ils iront, dans le même jour, voir appareillcr notre escadre à Toulon déjeuner à Marseille avec les succulents rougets de la Méditerranée plonger à midi leurs membres énervés dans l’eau minérale de liagnèrcs, et ils reviendront le soir, par Bordeaux, au bal de l’Opéra! Se réciic-t-on ? 2 je dirai que mon itinéraire suppose seulement une marche do vingt-six lieues à l’heure; que divers essais de voitures a vapeur ont déjà réalisé des vitesses de quinze lieues; (lue M..Stephcnson, enfin, le célèbre ingénieur de Ncwcnstle, ofl’re de construire des machines deux fois et demie plus rapides des machines qui franchiront 40 lieues à l’heure t \037

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450 JAMES WATT. \037PRF.’SE A COPIER LES LETTRES. CILUFFAGE A LA VtPEl’R. –COMPOSITION DE L’EAU. BLANCHISSAGE A L’AIDE 1)1’ CIII.OIIE. ESSAIS SLR LES EFFETS PI1YS1OI.OGIQ.IKS Qll PEIVENT HÉSILTCR DE LA RESPIRATION DE DIVERS f.AZ. \037Birmingham, lorsque Watt alla s’établir à Soho, comptait parmi les habitants du voisinage, Priestlcy dont le nom dit tout; Darwin, l’auteur de la Zoonomie et d’un poï’ino célèbre sur les amours des plantes; Wilhering, médecin et botaniste distingué Keir chimiste bien connu par les notes de sa traduction de Macquer et par un Mémoire intéressant sur la cristallisation du verre; Galton, à qui l’on devait un Traité élémentaire d’ornithologie Edgenorth, auteur de divers ouvrages justement appréciés, et père de la si célèbre miss Maria. Ces savants devinrent bientôt les amis de l’illustre mécanicien, et formèrent, pour la plupart, avec lui et Boulton, une association sous le nom de Lunar Society (Société lunaire). Un titre si bizarre a donné lieu à d’étranges méprises il signifiait seulement qu’on se réunissait le soir même de la pleine lune, époque du mois choisie de préférence, afin que les académiciens y vissent clair en rentrant chez eux. \037Chaque séance de la Société lunaire était pour Watt une nouvelle occasion de faire remarquer l’incomparable fécondité d’imention dont la nature l’avait doué. «J’ai imaginé, dit un jour Darwin à ses confrères, certaine plume double, certaine plume à deux becs, à l’aide de laquelle on écrira chaque chose deux fois; qui donnera ainsi d’un seul coup l’original et la copie d’une lettre. \037

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JAMES WATT. 154 \037– J’cspere trouver une meilleure solution du problème, repartit Watt presque aussitôt je mûrirai mes idées ce soir et je vous les communiquerai demain. » Le lendemain la presse à copier était inventée, et même un petit modèle permettait déjà de juger de ses effets. Cet instrument fi utile, et si généralement ndopté dans tous les comptoirs anglais, a reçu récemment quelques modifications dont plusieurs artistes ont voulu se faire honneur; mais je puis assurer que la forme actuelle était déjà décrite et dessinée, à la date de 1780, dans le brevet de notre confrère. \037Le chauffage à la vapeur est de trois ans postérieur. Watt l’établit chez lui à la fin de 1783. Il faut le reconnaître, cette ingénieuse méthode se trouve déjà indiquée parle colonel Cookc, dans les Transactions philosophiques de l’année 17/|5 • mais l’idée était passée inaperçue. Watt, en tout cas, n’aura pas seulement le mérite de l’avoir fait revivre c’est lui qui l’appliqua le premier; ce furent ses calculs sur l’étendue des surfaces nécessaires h réchauffement des salles de différentes grandeurs, qui, h l’origine servirent de guide à la plupart des ingénieurs anglais. \0371. Je lis dans un ouvrage de M. Robert Stuart, que sir Mugit l’ialtc avait entrevu avant le colonel Cookc la possibilité’ d’appliquer la vapeur au chauffage des appartements. Dans le Carden »J l’.ilen de cet auteur, publié en 1660, il Mt question, en effet, de quelque chose d’analogue pour consen or pendant l’hiver les plantes des serres, sir llugh l’Iatte propose de placer des couvercles d’étain, ou de tout autre métal, sur les vases ou les viandes cuNent et d’adapter ensuite à des ouvertures de ces couvercles, des tuyaux j’ar lesquels la vapeur échauffante peut être conduite partout où on le désire. \037

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432 JAMES WATT. \037Watt n’aurait produit, pendant sa longue carrière, que la machine à condenseur séparé, la machine à détente et le parallélogramme articulé, qu’il occuperait encore une des premières places parmi le petit nombre d’hommes dont la vie fait époque dans les annales du monde mais son nom me semble se rattacher aussi avec éclat à la plus grande, à la plus féconde découverte de la chimie moderne la découverte (le la composition de l’eau. Mon assertion pourra paraître téméraire, car les nombreux ouvrages où ce point capital de l’histoire des sciences est traitera professo, ont oublié Watt. J’espère, cependant, que vous voudrez bien suivre ma discussion sans prévention que vous ne vous laisserez pas détourner de tout examen par des autorités d’ailleurs moins nombreuses qu’on ne le suppose; que vous ne refuserez point de remarquer combien peu d’auteurs remontent aujourd’hui aux sources originales, combien ils trouvent pénible de secouer la poussière des bibliothèques combien il lour commode, au contraire, de vivre sur l’érudition d’autiui, de réduire la composition d’un livre à un simp’c travail de rédaction. Le mandat que je tenais de votre confiance m’a semblé plus sérieux j’ai compulsé de nombreux mémoires imprimés, toutes les pièces d’une volumineuse correspondance authentique encore manuscrite, et si je viens, après cinquante ans, réclamer en faveur de James Watt un honneur trop légèrement accordé a un de ses plus illustres compatriotes, c’est qu’il m’a semblé utile de montrer qu’au sein des académies la vérité se fait jo.ir tôt ou tard, et qu’en matière de découvertes il n’y a jamais prescription. \037

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JAMES WATT. i">1 \037Les quatre prétendus éléments, le feu, l’air, Tenu et la terre, dont les combinaisons variées devaient donner naissance tous les corps connus, sont un des nombreux legs de la philosophie brillante qui, pendant des siècles, a ébloui les plus nobles intelligences et les a égarées. Von Hclmont, le premier, ébranla, mais légèrement, un ’!es principes de cette ancienne théorie, en signalant h l’attention des chimistes plusieurs fluides élastiques pcrmanents, plusieurs airs, qu’il appela des gaz, et dont les propriétés différaient de celles de l’air ordinaire, de celles de l’air élément. Les expériences de Boylc et de Hookc soulevèrent des difficultés plus graves encore elles établirent que l’air commun, nécessaire à la respiration et h la combustion subit dans ces deux phénomènes des changements notables, des changements de propriété, ce qui implique l’idée de composition. Les nombreuses observations de Haies; les découvertes successives de l’acide carbonique par Black, de l’hydrogène par Cavendisli de l’acide nitreux, de l’oxygène, de l’acide muriatique de l’acide sulfureux et de l’ammoniaque par l’iiestlcy, reléguèrent définitivement l’antique idée d’uu air unique et élémentaire, parmi les conceptions hasardées et presque constamment fausses qu’enfantent tous ceux qui ont l’audace de se croire appelés, non h découuir, mais à deviner la marche de la nature. \037Au milieu de tant de remarquâmes travaux, l’eau avait toujours conservé son caractère d’élément. L’année 1770 fut, enfin, signalée par une des observations qui devaient amener au renversement de cette croyance générale. On il.’it l’avouer, de la même année datent aussi les singu- \037

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iU JAMES WATT. \037AI". 1 1 1 1 _1_ J \037tiers efforts que firent longtemps Jes chimistes pour ne pas se rendre aux conséquences naturelles de leurs expériences. L’observation dont je veux parler appartient a Macquer. \037Ce chimiste judicieux ayant placé une soucoupe de por. celaine blanche sur la flamme de gaz hydrogène qui brûlait tranquillement au goulot d’une bouteille, observa que cette flamme n’était accompagnée d’aucune fumée proprement dite, qu’elle ne déposait point de suie l’endroit de la soucoupe que la flamme léchait sc couvrit de gouttelettes assez sensibles d’un liquide semblable à de l’eau, et qui, après vérification, se trouva être de l’eau pure. Voilà assurément un singulier résultat. Remarquez-le bien, c’est au milieu de la flamme, dans l’endroit de la soucoupe qu’elle léchait comme dit Macquer, que se déposèrent les gouttelettes d’eau Ce chimiste, cependant, ne s’arrête point sur ce fait il ne s’étonne pas de ce qu’il a d’étonnant; il le cite tout simplement sans aucun commentaire il ne s’aperçoit pas qu’il vient de toucher du doigt à une grande découverte. \037Le génie, dans les sciences d’observation, se réduiraitil donc a la faculté de dire à propos, Pourquoi? Le monde physique compte des volcans qui n’ont jamais fait qu’une seule explosion. Dans le monde intellectuel il est, de même, des hommes qui, après un éclair de génie, disparaissent entièrement de l’histoire de la science. Tel a été Waiitire, dont l’ordre chronologique des dates m’amène à citer une expérience vraiment remarquable. Au commencement de l’année 1781, ce physicien imagina qu’une étincelle électrique ne pourrait \037

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JAMES WATT. W> \037traverser certains mélanges gazeux sans y déterminer quelques changements. Une idée aussi neuve, qu’aucune analogie ne suggérait alors, et dont on a fait depuis de si heureuses applications, aurait, ce me semble, mérité à son auteur que les historiens de la science voulussent bien ne pas oublier de lui en faire honneur. Warltire se trompait sur la nature intime des changements que l’électricité devait engendrer. Heureusement pour lui il prévit qu’une explosion les accompagnerait. C’est par ce motif qu’il fit d’abord l’expérience avec un vase métallique dans lequel il avait renfermé de l’air et de l’hydrogène. \037Cavendish répéta bientôt l’expérience de Warltire. La (taie certaine de son travail ( j’appelle ainsi toute date résultant d’un dépôt authentique, d’une lecture académique ou d’une pièce imprimée) est antérieure au mois d’avril 1783, puisque Priestlcy cite les observations de Cavendish dans un Mémoire du 21 de ce même mois. La citation, au surplus, ne nous apprend qu’une seule chose, c’est que Cavendish avait obtenu de l’eau par lit détonation cï’un mélange d’oxygène et d’hydrogène, résultat déjà constaté par Warltire. \037Dans son Mémoire du mois d’avril, Priestlcy ajouta une circonstance capitale à celles qui résultaient des expérienccs de ses prédécesseurs; il prouva que le poids de l’eau qui se dépose sur les parois du vase au moment de la détonation de l’oxygène et de l’hydrogène est la somme des poids de ces deux gaz. \037Watt, à qui Priestley communiqua cet important résultat, y vit aussitôt, avec la pénétration; d’un homme \037

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15G JAMES WATT. \037supérieur, la preuve que l’eau n’est pas un corps simple. \037« Quels sont les produits de votre expérience? écrivit«  il a son illustre ami de Veau, de la lumière, de la « chaleur. Ne sommes-nous pas, dès lors, autorisés à en « conclure que l’eau est un composé des deux gaz oxygène « et hydrogène, privés d’une partie de leur chaleur latente « ou élémentaire que l’oxygène est de l’eau privée de « son hydrogène, mais unie à de la chaleur et à de la « lumière latente? \037« Si la lumière n’est qu’une modification de la chaleur, « ou une simple circonstance de sa manifestation, ou une « partie composante de l’hydrogène, le gaz oxygène s;*ra « de l’eau privée de son hydrogène mais unie à de la « chaleur latente. » \037Ce passage si clair, si net, si méthodique, est tiré d’une lettre de Watt du 2G avril 1783. La lettre fut communiquée par Pricstley à divers savants de Londres, et remise aussitôt après à sir Joseph Banks, président de la Société royale, pour être lue dans une des séances de ce corps savant. Des circonstances que je supprime, parce qu’elles sont sans intérêt dans la discussion actuelle, retardèrent cette lecture d’un an mais la lettre resta aux archives de la Société. Elle figure dans le soixante-quatorzième volume des Transactions philosophiques avec sa véritable date du 2G avril 1783. On l’y trouve fondue dans une lettre de Watt à Dcluc, en date du 26 novembre 1783 et distinguée par des guillcmcts renversés, apposés par le secrétaire de la Société royale. \037Je ne réclame pas d’indulgence pour cette profusion de \037

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JAMES WATT. <57 \037détails on remarquera que la comparaison minutieuse des dates peut seule mettre la vérité dans tout son jour, et qu’il est question d’une des découvertes qui honorent le plus l’esprit humain, \037Parmi les prétendants à cette féconde découverte, nous allons maintenant voir paraître les deux plus grands chimistes dont la France et l’Angleterre se glorifient. Tout le monde a déjà nommé Lavoisier et Cavendish. La date de la lecture publique du Mémoire dans lequel Lnvoisier rendit compte de ses expériences, dans lequel il développa ses vues sur la production de l’eau par la combustion de l’oxygène et de l’hydrogène, est postérieure de deux mois à celle du dépôt aux archives de la Société royale de Londres de la lettre déjà analysée de Watt. Le Mémoire célèbre de Cavendish, intitulé Expert’menu on air, est plus récent encore; il fut lu le 15 janvier 1784. On s’étonnerait avec raison que des faits aussi authentiques eussent pu devenir le sujet d’une polémique animée si je ne m’empressais de signaler à votre attention une circonstance dont je n’ai pas encore parlé. Lavoisier déclara, en termes positifs, que Blagden, secrétaire de la Société royale de Londres, assista à ses premières expériences du 24 juin 1783, et «qu’il lui apprit que « Cavendish ayant déjà essayé, à Londres, de brûler du « gaz hydrogène dans des vaisseaux fermés, avait obtenu « une quantité d’eau très-sensible, » \037Cavendish rappela aussi dans son Mémoire la communication faite à Lavoisier par Blagden. Suivant lui, elle fut plus étendue que le chimiste français ne l’avouait. Il dit que la confidence embrassa les conclusions auxquelles \037

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458 JAMES WATT. \037les expériences conduisaient, c’est-à-dire la théorie de la composition de l’eau. \037Blagden, mis en cause lui-même, écrivit dans le journal de Crell, en 1780, pour confirmer l’assertion de Cavendish. \037A l’en croire, les expériences de l’académicien de Pans n’auraient même été qu’une simple vérification de celles du chimiste anglais. 11 assure avoir annoncé à Lavoisicr, que l’eau engendrée à Londres avait un poids précisément égal à la somme des poids des deux gaz brûlés. Lavolsier, ajoute enfin Blagdcu, a dit la vérité, mais pas loulc la vérité. \037Un pareil reproche est sévère; mais, fùt-il fondé, n’en atténuerai-jc pas beaucoup la gravité, si je montre que, Watt excepté tous ceux dont les noms figurent dans celle histoire s’y étaient plus ou moins exposés? 2 \037Pricstley rapporte en détail, et comme siennes, des expériences d’où il résulte que l’eau engendrée par la détonation d’un mélange d’oxygène et d’hydrogène, a un poids exactement égal à celui des deux gaz brûlés. Cavendish, quelque temps après, réclame ce résultat pour luimême, et insinue qu’il l’avait communiqué verbalement au chimiste de Birmingham. \037Cavendish tire de cette égalité de poids la conséquence que t’cau n’est pas un corps simple. D’abord, il ne fait aucune mention d’un Mémoire déposé aux archives de la Société royale, et dans lequel Watt développait la mémo théorie, 11 est vrai qu’au jour de l’impression le nom de Watt n’est pas oublié; mais ce n’est pas aux archives qu’on a pu voir le travail du célèbre ingénieur on déclare \037

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JAMES WATT. 4S9 \037en avoir eu connaissance par une lecture récente, faite en séance’publique. Aujourd’hui, cependant, il est parfaitement constaté que cette lecture a suivi de plusieurs mois celle du Mémoire où Cavendish en parle. \037En arrivant sur le terrain de cette grave discussion, Ulagden annonce ta ferme volonté de tout éclaircir, de tout préciser. 11 ne recule, en effet, devant aucune accusation, devant la citation d’aucune date, tant qu’il ctt question d’assurer à son protecteur et ami Cavendish, la priorité sur le chimiste français. Dès qu’il s’agit de ses doux compatriotes, les explications deviennent vagues et obscures, « Dans le printemps de 1783, dit-il, M. Cavciit dish nous montra qu’il avait dû tirer de ses expériences t la conséquence que l’oxygène n’est autre chose que de « l’eau privée de son phlogistique (c’est-à-dire privée de « l’hydrogène). Vers le même temps, la nouvelle arriva à « Londres que M. Watt, de Birmingham, avait été conduit « par quelques observations à une opinion semblable. » Ces expressions Vers le même temps pour parler comme Hlagden lui-même, ne sauraient être toute la vérilc;. i’ers le même temps m décide rien des questions de priorité peuvent tenir à des semaines, à des jours, à des heures, à des minutes. Pour être net et précis, comme on l’avait promis, il fallait dire si la communication verbale, faite par Cavendish à plusieurs membres de la Société royale, précéda ou suivit l’arrivée à Londres des nouvelles du travail de Watt. Peut-on supposer que Iilagdca ne se serait pas expliqué sur un fait de cette importance, s’il avait pu citer une date authentique en faveur de son ami? \037

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4C0 JAMES WATT. \037Pour rendre Y imbroglio complet, les protes, les compositeurs, les imprimeurs des Transactions philosophiques se mirent aussi de la partie. Plusieurs dates y sont inexactement rapportées. Sur les exemplaircs séparés de son Mémoire que Cavcndish distribua a divers savants, j’aperçois une erreur d’une année entière. Par une triste fata’ité, car c’est un malheur réel de donner lieu involontairement à des soupçons fâcheux et immérités, aucune de ces nombreuses fautes d’impression n’était favorable à Watt! A Dieu ne plaisc que j’entende inculper par ces remarques la probité littéraire des savants illustres dont j’ai cité les noms elles prouvent seulement qu’cn matière de découvertes, la plus stricte justice est tout ce qu’on doit attendre d’un rival, d’un compétiteur, quelque émincnte que soit déjà sa réputation. Cavcndish écoutait à peine les gens U’aflares, quand ils allaient le consulter sur le placement de ses 25 ou 30 millions; vous savez maintenant s’il avait la même indifférence pour des expériences. On se montrerait donc peu exigeant en demandant, qu’à l’exemple des jnges civils, les historiens de la science n’accueillissent jamais comme titres de propriété valables, que des titres écrits; peut-être devrais-je même ajouter, que des titres publiés. Alors, mais seulement alors, finiraient ces querelles, sans cesse renaissantes, dont les vanités nationales font ordinairement les frais; alors le nom de Watt reprendrait dans l’histoire de la chimie la place élevée qui lui appartient. \037La solution d’une c;u^!ion de priorité, quand elle se fonde, comme celle que je viens de lire, sur l’examen le plus attentif de Mémoires imprimés et sur la comparaison \037

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1 JAMES WATT. iCI \037minutieuse de dates, prend le caractère d’une véritable démonstration. Toutefois, je ne me crois pas dispensé de parcourir rapidement diverses difficultés auxquelles de très-bons esprits m’ont paru attacher quelque importance. \037Comment admettre, m’a-t-on dit, qu’au milieu d’un immense tourbillon d’affaires commerciales, que préoccupé d’une multitude de procès, qu’obligé de pourvoir, par des inventions de tous les jours, aux difficultés d’une fabrication naissante, Watt ait trouvé le temps de suivre pas à pas les progrès de la chimie, de faire de nouvelles expériences, de proposer des explications dont les maîtres de la science eux-mêmes ne se seraient pas avisés? Je ferai à cette difficulté une réponse courte, mais concluante j’ai dans les mains la copie d’une active correspondance, relative principalement à des sujets de chimie, que Watt entretint, à dater de 1782, de 1783 et de 1754, avec Pricstley, Black, Deluc, l’ingénieur Sm?aton, Gilbert Hamilton (de Glasgow), et l’ry (de Bristol). Voici une ohjection qui semble plus spécieuse; elle est née d’une connaissance approfondie du cœur humain. La découverte de la composition de l’eau, marchant au moins de pair avec les admirables inventions dont la i;iachine à vapeur offre la réunion, peut-on supposer que Watt ait consenti de gaieté de cœur, ou du moins sans en témoigner son déplaisir, à se voir dépouillé de l’honneur qu’elle devait éternellement faire rejaillir sur son nom? Ce raisonnement a le défaut de pécher complètement par sa base. Watt ne renonça jamais à la part qui lui revenait légitimement dans la découverte de la comrc.-i- \037

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4C2 JAMES WATT. \037tion de l’eau. I) fit scrupuleusement imprimer son Mémoire dan* les Transactions philosophiques. Une note détaillée constata authentiquement la date de la présentation des divers paragraphes de cet écrit. Que pouvait, que devait faire de plus un philosophe du caractère de Watt, si ce n’était d’attendre patiemment Ic jour de la justice? Au reste, il s’en fallutde bien peu qu’une maladresse de Dcluc n’orracliAt notre confrère à sa longanimité naturelle. Le I physicien genevois, après avoir averti l’illustre ingénieur I de l’inexplicable absence de son nom dans la première I rédaction du Mémoire de Cavendish, après avoir qualifié cet oubli dans des termes que de si hautes renommées ne nie permettent pas de rapporter, écrivait a son ami « Je « vous conseillerai presque, attendu votre position, de « tire de vos découvertes des conséquences pratiques « pour votre fortune. Il vous faut éviter de vous faire des « jaloux. » I \037Ces quelques mots blessèrent l’Ame élevée de Watt. I « Si je ne réclame pas mes droits sur-le-champ, répon- I « dit-il, imputez-le à une indolence de caractère qui me I « fait trouver plus aisé de supporter l’injustice, que de « combattre pour en obtenir le redressement. Quant à des « considérations d’intérêt pécuniaire, elles n’ont à mas « yeux aucune valeur. Au surplus, mon avenir dépend des t encouragements que le public voudra bien m’accorder, « mais nullement de ceux de M. Cavendish et de ses « amis, » I \037Dois-je craindre d’avoir attaché, trop d’importance à la I théorie que Watt imagina pour expliquer les expériences de l’rie.stley ? Je ne le pense pas. Ceux qui refuseraient \037

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JAMES WATT. 163 \037un juste suffrage à cette théorie, parce qu’elle semble maintenant une conséquence inévitable des faits, oublieraient que les plus belles découvertes de l’esprit humain ont été surtout remarquables par leur simplicité. Que fit Newton, lui-même, lorsque répétant une expérience déjà connue quinze siècles auparavant, il découvrit la lumière blanche? Il donna de cette expérience une interprétation tellement naturelle, qu’il paraît impossiblc aujourd’hui d’en trouver une autre. « Tout ce qu’on tire, dit-il, à l’aide de quelque « procédé que ce soit, d’un faisceau de lumière blanche, y « était contenu à l’état de mélange. Le prisme de verre « n’a aucune faculté créatrice. Si le faisceau parallèle et « infiniment délié de lumière solaire qui tombe sur sa « première face, sort par la seconde en divergeant et avec « une largeur sensible, c’est que le verre sépare ce qui, « dans le faisceau blanc, était, par sa nature, inégalc«  ment infrangible. Ces paroles ne sont pas autre chose que la traduction littérale de l’expérience connue du ,-poclrc solaire prismatique. Cette traduction avait cependant échappé à un Aristote, un Descartes, à un Robert Hookcl 1 \037Venons, sans sortir du sujet, à des arguments qui iront au but plus directement encore. La théorie, conçue par Watt de la composition de l’eau arrive a Londres, Si, dans les idées du temps, elle est aussi simple, aussi i:\identc qu’elle nous le paraît aujourd’hui, le conseil de la Société royale ne manquera pas de l’adopter. Il n’en est rien son élrangeté fait même douter de la vérité des expériences de Pricstlcy. On va jusqu’à en rire, dit Duluc, comme (h l’crplicnlion de la dent d’or. \037

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iOl JAMES WATT. \037l/ne théorie dont la conception n’eût présenté aucune difficulté aurait été certainement dédaignée par Cavendish. Rappelez-vous avec quelle vivacité sous l’inspiration de cet homme de génie, lilagden en réclama la priorité contre LavoiVier. \037Priestley, sur qui devait rejaillir une honnc part de l’honneur attaché à la découverte de Watt, l’riestley, dont les sentiments affcctueiu pour le célèbre ingénieur tic pourraient être contestes, lui écrivait, à la date du 29 avril 1783 « Regardez avec surprise et indignation « la figure d’un appareil à l’aide duquel j’ai miné sans « retour votre belle hypothèse, » \037En résumé, une hypothèse dont on riait à la Société royale; qui faisait sortir Cavendish de sa réserve habituelle; que Priestley, mettant tout amour-propre de côté, s’attachait à ruiner, mérite d’être enregistrée dans Tliistoirc des sciences comme une grande découverte, quelque idée que des connaissances devenues vulgaires puissent nous en donner aujourd’hui \037Le blanchissage l’aide du chlore, cette belle invention de lîvrthollet fut introduit en Angleterre par James 1. Lord lïrougham assistait à la séance publique où je payai, au nom do l’Académie des sciences, ce tribut de reconnaissance et d’admiration à la mémoire de Watt. \037Do retour en Angleterre, il recueillit de précieux documents et étudia de nouveau la question historique a laquelle je viens de donner tant de place, avec la supériorité de vues qui lui est fanalière, avec le scrupule, en quelque sorte Judiciaire, qu’on pouvait attendre de l’ancien lord chancelier de la Graiide-Uretagno. Je dois à une bienveillance dont je sens tout le prix, de pouvoir oll’iir ait public le fruit encore inédit du travail de mon illustre confrère. On le trouvera à la suite de Cet Éloge. \037

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JAMES WATT. 465 \037I.-l. t. 30 \037Watt, après le voyage qu’il fit à Paris vers la fin de l’année 1786. Il construisit tous les appareils nécessaires, dirigea leur installation présida aux premières épreuves et, ensuite, confia à M. Mac-Gregor, son beau-père, l’exploitation de la nouvelle industrie. Malgré toutes les sollicitations de l’illustre ingénieur, notre célèbre compatriote avait obstinément refusé1 1 de s’associer à une entreprise qui n’offrait aucune chance défavorable et dont les bénéfices semblaient devoir être fort grands. \037A peine venait-on de découvrir, pendant la seconde moitié du siècle dernier, les nombreuses substances gazeuses qui jouent aujourd’hui un si grand rôle dans l’explication des phénomènes chimiques, qu’on songea à les utiliser comme médicaments. Le docteur Beddoës poursuivit cette idée avec sagacité et persévérance. Des souscriptions particulières lui permirent même de créer à Clifton, près de Bristol, sous le nom de Pneumatic Institution, un établissement où les propriétés thérapeutiques de tous les gaz devaient être soigneusement étudiées. L’Institution Pneumatique eut l’avantage d’avoir quelque temps à sa tête le jeune Humphry Davy, qui débutait alors dans la carrière des sciences. Elle put aussi se glorifier de compter James Watt parmi ses fondateurs. Le célèbre ingénieur fit plus il imagina, décrivit et exécuta dans les ateliers de Soho les appareils qui servaient à engendrer les gaz et à les administrer aux patients. Je trouve plusieurs éditions de ses Mémoires, qui traitent de ces questions, aux dates de 1794, de 1795 et de 1790. 1. Le terme est exact, quelque fabuleux qu’il puisse paraître chus le *iedc où nous vivons. \037

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466 JAMES WATT. \037Les idées de notre confrère s’étaient tournées de ce côté lorsque plusieurs de ses proches et de ses amis lui furent cruellement enlevés avant l’âge, par des maladies do poitrine. C’étaient surtout les lésions des organes de la respiration qui paraissaient à Watt pouvoir être traitées à l’aide des propriétés spécifiques des nouveaux gaz. il attendait aussi quelque avantage de l’action du fer ou du zinc que l’hydrogène entraîne en molécules impalpable?, quand il est préparé de certaines manières. J’ajouterai enfin que parmi les nombreuses notes de médecins publiées par le docteur Beddoës et annonçant des résultats p’us ou moins décisifs, il en est une, signée John Cannichacl, relative à la guérison radicale de l’hémoptysie d’un domestique, Richard Newberry, à qui Watt faisait lui-même respirer de temps à autre un mélange de vapeur d’eau et d’acide carbonique. Quoique je reconnaisse sans difficulté ma profonde incompétence en pareille matière, ne me sera-t-il pas permis de regretter qu’une méthode qui compta parmi ses adhérents des Watt, des Jcnncr, soit aujourd’hui entièrement abandonnée, sans qu’on puisse citer des expériences suivies, en opposition manifeste avec celles du Pneumatic Institution de Clifton \0371, \ingt ans avant la naissance de l’institution pneumatique de Bristol Watt appliquait d»\jà ses connaissances chimiques et niin<5ralof-rii|i:es au perfectionnement des produits d’une poterie qu’il avait (̃ taljlic à filas^ow avec quelques amis, et dout il resta actiouna’ro jusqu’à la fin de sa vie, \037

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JAMES WATT. 107 \037WATT DANS I.A KKTRAITE. – DÉTAILS SUR SI VIE Et SON CARACTÈRE. – SA MORT. LES NOMBRECSES STATUES ÉLEVÉES A SA MÉMOIRE. – RÉFLEXIONS. \037Wfltl avait épousé, en 17O’| sa cousine mademoiselle Miller. C’était une personne accomplie, dont l’esprit distingué, la douceur inaltérable, le caractère, enjoué, arrachèrent bientôt le célèbre ingénieur à l’indolence au découragement, a. la misanthropie qu’une maladie nerveuse et l’injustice des hommes menaçaient de rendre fatale. Sans mademoiselle Miller, Watt n’aurait peut-être jamais livré au public ses belles inventions. Quatro enfants, deux garçons et deux filles, sortirent de cette union. Madame Watt mourut en couche d’un troisième gnreon, qui ne vécut pas. Son mari était alors occupé, dans le nord de l’Ecosse, des plans du canal Calédonien. Que ne m’cst-il permis de transcrire ici avec lcjr naïveté quelques lignes du journal dans lequel il déposait chaque jour ses pensées les plus intimes, ses craintes, ses que ne puis-je vous le mo.ilicr s’arrêtant, après son malheur, sur le seuil de la porte de la maison ou ne l’attendait plus sa douce bientenue (my kind welcomer); n’ayant pas la force de pénétrer dans des appartements où il ne devait plus trouver le comfort de sa vie (the comfort ofiny life)! Peutèlre la peinture si vraie d’une douleur profonde réduirait-cllo enfin au silence les esprits systématiques qui, sans s’arrêter à mille et mille démentis éclatants, refusent les qualités du cœur à tout homme dont l’iutelli- \037

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468 JAMES WATT. \037gcnce s’est nourrie des vérités fécondes, sublimes, impérissables, des sciences exactes. \037Après quelques années de veuvage, Watt eut encore le bonheur de trouver dans mademoiselle Mac-Gregor, une compagne digne de lui par la variété des talent?, par la sûreté de jugement, par la force de caractère A l’expiration du privilège que le parlement lui avait conféré, Watt (au commencement de 1800) se retira entièrement des affaires. Ses deux fils lui succédèrent. Sous Fa direction éclairée de M. Boulton fils et des jeunes MM. Watt, la fabrique de Soho continua à prospérer et prit même de nouveaux, d’importants développements. Aujourd’hui encore, elle occupe le premier rang parmi les établissements anglais destinés à la construction des grandes machines. Le second des deux fils de notre confrère, Gregory Watt, avait débuté dans le monde de la manière la plus brillante, par des compositions littéraires et des travaux de géologie. 11 mourut en 1804 à vingt-sept ans, d’une maladie de poitrine. Cet événement cruel atterra l’illustre ingénieur. Les soins touchants de sa famille, de ses amis, parvinrent très-difficilement à entretenir quelque calme dans un cœur à demi brisé. Cette trop juste douleur a paru pouvoir expliquer le silence presque absolu que Watt a gardé pendant les dernières années de sa vie. Je suis loin de nier qu’elle ait été sans influence mais qu’est-il besoin de recourir à des causes extraordinaires, lorsque nous lisons 1. Madame Watt (Mae-Crogor) s’éteignit en 1832, dans un Ige trî’s-av&ncé. Elle avait eu la douleur de survivre aux deux enfant* qui étaient Issus de son mariage avec M. Watt. \037

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JAMES WATT. 169 \037d<’jà, à la date de 1783, dans une lettre de Watt à son ami le docteur Black Rappelez-vous bien que je n’ai « aucun désir d’entretenir le public des expériences que « j’ai faites » lorsque nous trouvons ailleurs ces paroles bien singulières dans la bouche d’un homme qui a rcu.pli le monde de son nom « Je ne connais que deux plaisirs, la paresse et le sommeil. » Ce sommeil, au reste, était bien léger. Disons-le aussi, il suffisait de la moindre excitation pour arracher Watt à sa paresse favorite. Tous les objets qui s’offraient à lui recevaient peu à peu, dans son imagination, des changements de forme, de construction, de nature, qui les auraient rendus susceptibles d’applications importantes. Ces conceptions, faute d’occasion de se produire, étaient perdues pour le monde. Voici une anecdote qui expliquera ma pensée. \037Une compagnie avait établi à Glasgow, sur la rive droite de la Clyde, de grands bâtiments et de puissantes machines destinées à porter de l’eau dans toutes les n: aisons de la ville. Quand ce travail fut achevé, on s’aperçut qu’il existait près de la rive opposée une source, ou plutôt une espèce de filtre naturel qui donnait à l’eau des qualités évidemment supérieures. Déplacer l’établissement n’était pas même proposable; aussi pensa-t-on à installer au fond et tout au travers de la rivière, un tuyau do conduite rigide dont l’embouchure se serait constamment trouvée dans la nappe d’eau potable; mais la construction du plancher destiné à supporter un pareil tuyau sur un lit \oseux, changeant, très-inégal et toujours couvert do plusieurs mètres d’eau, semblait devoir exiger de trop fortes dépenses. Watt fut consulté. Sa solution él;iil toute \037

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HO JAMES WATT. \037prête en voyant un homard sur sa table, quelques jours auparavant, il avait cherché et trouvé comment la mécanique pourrait, avec du fer, engendrer une pièce à articulations qui aurait toute la mobilité de la queue du crustacé; c’est donc un tuyau de conduite article, susceptible de se plier de lui-même à toutes les inflexions présentes et futures du lit de la rivière qu’il proposa; c’est une queue de homard en fer, de soixante centimètres de diamètre et de plus de trois cents mètres de longueur, que, d’après les plans et les dessins de Watt, la compagnie de Glasgow fit exécuter avec un succès complet. Ceux qui eurent le bonheur de connaître personnellement notre confrère, n’hésitent pas h déclarer que chez lui les qualités du cœur étaient encore au-dessus des mérites du savant. Une candeur enfantine, la plus grande simplicité de manières, l’amour de la justice poussé jusqu’au scrupule, une inépuisable bienveillance, voila ce qui a laissé en Ecosse, en Angleterre, des souvenirs ineffaçables. Watt, d’habitude si modéré, si doux, se crispait quand devant lui une invention n’était pas attribuée à son véritable auteur; lorsque, surtout, quelque bas adulateur voulait l’enrichir lui-même aux dépens d’autrui. A ?es yeux, les découvertes scientifiques étaient le premier dos biens. Des heures entières de discussion ne lui semblaient pas de trop, s’il fallait faire rendre justice à des inventeurs modestes dépossédés par des plagiaires, ou seulemont oubliés d’un public ingrat. \037La mémoire de Watt pomait être citée comme prodigieuse, même a côté de tout ce qu’on a raconté de cette faculté chez quelques hommes privilégiés. L’étendue \037

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JAMES WATT. 471 \037était cependant son moindre mérite elle s’assimilait tout ce qui avait quelque valeur; elle rejetait sans retour, presque instinctivement, les superfluités qu’il eût été inutile de conserver. \037La variété de connaissances de notre confrère serait vraiment incroyable, si elle n’était attestée par plusieurs hommes éminents. Lord Jelïrey, dans une éloquente Notice, caractérisa heureusement l’intelligence à la foi* forte et subtile de son ami, quand il la compara à la trompe, si merveilleusement organisée, dont l’éléphant sc sert avec une égale facilité pour une paille et pour déraciner un chêne. \037Voici en quels termes sir Walter Scott parle de son compatriote, dans la préface du Monastère \037« Watt n’était pas seulement le savant le plus profond « celui qui avec le plus de succès avait tiré de certaines « combinaisons de nombres et de forces des applications « Usuelles; il n’occupait pas seulement un des premiers « rangs parmi ceux qui se font remarquer par la géné«  rallié de leur instruction; il était encore le meilleur, lc plus aimable des hommes. La seule fois que je l’aie « rencontré, il était entouré d’une petite réunion de litté«  ratcurs du Nord Là, je vis et j’entendis ce que je ne « verrai et n’entendrai plus jamais. Dans la quatre-\ ingt«  unième année de son âge, le vieillard, alerte, aimable, « bienveillant, prenait un vif intérêt à toutes les ques«  lions sa science était à la disposition de qui la réclaniait. Il répandait les trésors de ses talents et de son « imagination sur tous les sujets. Parmi les gentlemen se « troma un profond philologue; Watt discuta avec lui \037

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47Î • JAMES WATT. \037sur l’origine de l’alphabet, comme s’il avait été le contemporain de Cadmus. Un célèbre critique s’étant mis de la partie, vous eussiez dit que le vieillard avait • consacré sa vie tout entière à l’étude des belles-lettres et de l’économie politique. 11 serait superflu de mon«  tionner les sciences c’était sa carrière brillante et spéciale; cependant, quand il parla avec notre compa«  triote Jedediah Cleishbotham, vous auriez juré qu’il « avait été le contemporain de Claverhouse et de Burley, « des persécuteurs et des persécutés; il aurait fait, en vérité, le dénombrement exact des coups de fusil que les « dragons tirèrent sur les Covenants fugitifs. Nous dé«  couvrimes, enfin, qu’aucun roman du plus léger renom « ne lui avait échappé, et que la passion de l’illustre « savant pour ce genre d’ouvrages était aussi vive que « celle qu’ils inspirent aux jeunes modistes de dix-huit « ans. » \037Si notre confrère l’eût voulu, il se serait fait un nom parmi les romanciers. Au milieu de sa société intime, il manquait rarement d’enchérir sur les anecdotes terribles, touchantes ou bouffonnes qu’il entendait conter. Les détails minutieux de ses récits, les noms propres dont il les parsemait les descriptions techniques des châteaux, des maisons de campagne, des forêts, des cavernes où la scène était successivement transportée, donnaient à ces improvisations un si grand air de vérité, qu’on se serait reproché le plus léger sentiment de défiance. Certain jour, cependant, Watt éprouvait de l’embarras à tirer ses personnages du dédale dans lequel il les avait imprudemment jetés. Un de ses amis s’en aperçut au \037

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JAMES WATT. 473 \037nombre inusité de prises de tabac à l’aide desquelles le conteur voulait légitimer de fréquentes pauses et se donner le temps de la réflexion. Aussi lui adressa-t-il cette question indiscrète « Est-ce, par hasard, que vous nous .< raconteriez une histoire de votre cru? – Ce doute « m’étonne, repartit naïvement le vieillard depuis vingt « ans que j’ai le bonheur de passer mes soirées avec « vous, je ne fais pas autre chose! Est-il vraiment pos«  sible qu’on ait voulu faire de moi un émule de Robertson ou de Hume, lorsque toutes mes prétentions se « bornaient à marcher, de bien loin, sur les traces de la « princesse Scheherazade des Mille et une Nuits? » Chaque année, durant un très-court voyage à Londres ou dans d’autres villes moins éloignées de Birmingham, Watt faisait un examen détaillé de tout ce qui avait paru de neuf depuis sa précédente visite. Je n’en excepte même pas le spectacle des puces travailleuses et celui des marionnettes, car l’illustre ingénieur y assistait avec l’abandon et la joie d’un écolier. En suivant, encore aujourd’hui, l’itinéraire de ces courses annuelles, nous trouverions en plus d’un endroit des traces lumineuses du passage de Watt. A Manchester, par exemple, nous verrions le bélier servant, d’après la proposition de notre confrère, à élever l’eau de condensation d’une machine a vapeur, jusqu’au réservoir alimentaire de la chaudière. Watt résidait ordinairement dans une terre voisine d«; Soho, nommée Heathficld, dont il avait fait l’acquisition vers 1790. Le respect religieux de mon ami, M. James Watt, pour tout ce qui rappelle la mémoire de son père, m’a valu, en 1834, la satisfaction de retrouver la biblio- \037

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47S 1 JAMES WATT. \037thèquc et les mcuMcs do Hcalhficld, clans lY-tat où 1**1–lustre ingénieur les laissa. Une autre propriété bordant les rives pittoresques de la rivière Wyc (pays de (ïalles), offre aux voyageurs des preuves multipliées du gofit éclairé de Walt et de son fils, pour l’amélioration des routes, pour les plantations, pour les travaux agricoles de toute nature. \037La santé de Walt s’était fortifiée avec l’âge. Ses facultés intellectuelles conservèrent toute leur puissance jusqu’au dernier moment. Notre confrère crut une fois qu’elles déclinaient, et, fidèle la pensée qu’exprimait Ic cachet dont il avait fait choix (un a-il entouré du mot obsercare), il .se décida à éclaircir ses doutes eu s’observant luimême; et le voila, plus que septuagénaire, cherchant sur que) genre d’étude il pourrait s’essayer, et se désolant de ne trouver aucun sujet vierge pour son esprit. 11 se rappelle, enfin, qu’il existe une langue anglo-saxonne, que cette langue est difficile, et l’anglo-saxon devient le moyen expérimental désiré et la facilité qu’il trouve à s’en rendre maiire lui montre le peu de fondement de ses appréhensions. \037Watt consacra les derniers moments de sa vie à la construction d’une machine destinée à copier pro/rpteinent et avec une fidélité mathématique Ics pièces de statuaire et de sculpture de toutes dimension?. Cette machine, dont il faut espérer que les arts ne seront pas privés, doit être fort avancée. On voit plusieurs de ses produits, déjà fort satisfaisants, dans divers cabinets d’amateurs de l’Ecosse et de l’Angleterre. L’illustre ingénieur les avait présentés gaiement, comme les premiers essais d’un \037

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JAMES watt. m \037jeune artiste entrant dons la quatre-vingt-troisième année de son Age. \037Cette quatre-vingt-troisième année, il ne fut pas do’iné a notre confrère d’en voir la fin. Dès les premiers jours de l’été de 1819, des symptômes alarmants défièrent tous !es ciïorts de la médecine. Watt lui-môme ne se fit pas illusion. « Je suis touché, disait-il aux nombreux amis qui le visitaient, je suis touché de rattachement que vous me montrez. Je me hâte de vous en remercier, car me voilà, parvenu à ma dernière maladie. Son fils ne lui paraissait pas assez résigné; chaque jour il cherchait un nouveau prétexte pour lui signaler avec douceur, avec bonté, avec lendres.se, « tous les motifs de consolation que « lui apporteraient les circonstances dans lesquelles allait « arriver un événement inévitable. » Ce triste événement arrive, en effet, le 25 août 1810. \037Watt fut enterre à côté de l’église paroissiale de Ifcathfield, près de Birmingham, dans le comfé de Slafiord. M. James Watt, dont les talents distingués, dont les nobles sentiments embellirent pendant près de vingtcinq ans la vie do son père, lui a fait ériger un splcndîde monument gothique, qui rend aujourd’hui l’église de llt-imUworth extrêmement remarquable. Au centre s’élève une admirable statue en marbre, exécutée par M. C.hantrey, et qui cti la reproduction fidèle des nobles traits du uciltard. \037l’ne seconde statue en marbre, sortie des ateliers du même sculpteur, a été placée aussi par la piété filiale dans l’une des salles de la brillante université où, pendant sa jeunesse, l’artiste, encore inconnu et en butte aux trucas- \037

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176 6 JAMES WATT. \037series des corporations, reçut des encouragements si flatteurs et si mérités. Greenock n’a pas oublié que WaU y naquit. Ses habitants font exécuter, à leurs frais, une statue en marbre de l’illustre mécanicien. On la placera dans une belle bibliothèque, construite sur un terrain donné gratuitement par sir Michel Shaw Stewart, et où seront aussi réunis les livres que la ville possédait, et la collection d’ouvrages de sciences dont Watt l’avait dotée de son vivant. Ce bâtiment a déjà coûté 3,500 livres sterling (plus de 87,000 fr. de notre monnaie), dépense considérable, à laquelle la libéralité de M. Watt fils a pourvu. Une grande statue colossale en bronze, qui domine, sur une belle base de granit, un des angles de George square, à Glasgow, montre à tous les yeux combien cette capitale de l’industrie écossaise est fière d’avoir été le berceau des découvertes de Watt. Les portes de l’abbaye de Westminster, enfin se sont ouvertes à la voix d’une imposante réunion de souscripteurs une statue colossale de notre confrère, en marbre de Carrare, chef-d’œuvre de M. Chantrcy, et dont le piédestal porte une inscription de lord Brougham, est devenue, depuis quelques années, l’un des principaux ornements du Panthéon anglais. Sans doute, il y a eu quelque coquetterie à réunir les noms illustres de Watt, de Chantrey et de Brougham sur le même monument mais je ne saurais trouver là le sujet d’un blâme gloire aux peuples qui saisissent ainsi toutes les occasions d’honorer leurs grands hommes! 1 \037L’inscription mise sur le piédestal de la statue de notre confrère, par lord Brougham, nous a paru devoir figurer \037

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JAMES WATT. 4TÏ \037dignement dans ces pages consacrées à la mémoire d’un des plus grands génies qui aient illustré les sciences et l’industrie; nous la reproduisons donc littéralement en la faisant suivre de sa traduction \037Not to perpetuale a a name \037whleh mvst endure while the peaceful arts flourish But to shew \037that mankind have learnt to honour those \037who bttt deserre their gratitude \037the King \037hit minUtert and many of the Nobles \037and Commoners of the Realm \037raised this monument to \037James Watt \037who directing the force of an original gentus \037early exercUed in philosophie research \037to the improvement of \037the Steam Engine \037enlarged the ressources of is country \037tncreased the power of man \037and rosé to ait eminent plate \037among the most Ulustrious followers of science \037and the real benef adores of the world \037Born al Greenock MDCCXXXVl \037Died al Heathfield in Staffordshire MDCCCXIX \037Ce n’est pas pour perpétuer un nom \037qui doit durer tant que les arts de la paix fleuriront, mais afin de montrer \037que les hommes ont appris à honorer ceux \037qui sont les plus dignes de leur gratitude. \037Le iiol \037les ministres, beaucoup de nobles \037et d’autres citoyens du royaume, \037ont élevé ce monument à \037James WATT, \037lequel, appliquant la force d’un génie original, \037exerce de bonne heure dans les recherches scieutinijucs au perfectionnement do \037la machine à vapeur, \037

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478 JAMES WATT. \037a?r;imlit les ressources de son pays. \037agrandit les ressources de son pays, \037accrut la puissance de l’homme, \037s’éleva une place éminente \037parmi 1rs savants le* plus illustres \037et les bienfaiteurs du monde. \037N<î à Greenock 1736, \037Mort à llcathficld dans le Staffurdshlre 1819. \037Voilà, de compte fait cinq grandes statues élevées en peu de temps à la mémoire de Watt. Faut-il l’avouer ? Ces hommages de la piété filiale, de la reconnaissance publique, ont excité la mauvaise humeur de quelques esprits rétrécis qui, en restant slationnaircs, croient arrêter la marche des siècles. A les en croire, des hommes de guerre, des magistrats, des ministres (je dois avouer qu’ils n’ont pas osé dire tous les ministres), auraient droit à des statues. Je ne sais si Homère, si Aristote, ai l)?scarlcs, si Newton, paraîtraient a nos nouveaux Aristarques clignes d’un simple buste à coup sûr ils refuseraient le plus modeste médaillon aux Papîn aux Vaucanscn aux Watt, aux Arkwright et à d’autres mécaniciens, inconnus peut-être dans un certain monde, mais dont la renommée ira grandissant d’age en âge avec les progrès des lumières. Lorsque de semblables hérésies osent se produ’rc au grand jour, il ne faut pas dédaigner de les combattre. Ce n’est point sans raison qu’on a appelé le public une éponge à préjugés; or, les préjugés sont comme les plantes nuisibles le plus petit effort suffit pour les extirper si on les saisit a leur naissance ils résistent, au contraire, quand on leur a laissé le temps de croître, de s’étendre, de saisir dans leurs nombreux replis tout ce qui se trouvait à leur portée. \037

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JAMKS WATT. ^9 \037Si cette discussion blesse quelques amours-propres, je remarquerai qu’elle a été provoquée. Les hommes d’étude de notre époque avaient-ils jusqu’ici fait entendre d«  plaintes en ne voyant aucun des grands auteurs dunt ils cultivent l’iiéritage, figurcr dans ces longues rangées <lo t-talues colossales que l’autorité élève fastueusement sur nos ponte, sur nos places publiques? Ne savent-ils pas (lue ces monuments sont fragiles; que les ouragans les ébranlent et les renversent; (lue les gelées suffisent pour en ronger les contours, pour les réduire à des blocs informes? 2 \037Leur statuaire, leur peinture à eux, c’est l’imprimerie;. Grâce a celte admirable invention, quand les ouvrages que la science ou que l’imagination enfantent ont un mérite ïk\ ils peuvent d2fier le temps et les révolutions politiques. Les exigences du fisc les inquiétudes, les terreurs des despotes, ne sauraient empêcher ces productions de franchir les frontières les mieux gardées. Mille navires les transportent, sous tous les formats, d’un hémisphère à l’autre. On les médite à la fois en Islande et à la terre de Van-Uiemen on les lit à la veillée de l’humble chaumière, on les lit aux brillantes réunions des palais. L’écrivain, l’artiste, l’ingénieur, sont connus, sont appréciés du inonde entier, par ce qu’il y a dans l’homme de plus noble, de plus élevé par l’âme, par la pensée, par l’intelligence. Bien fou celui qui, placé sur un pareil théâtre, fc surprendrait à délirer que ses traits, reproduits en’ marbre ou en bronze, même par le ciseau d’un David, fussent un jour exposés aux regards des promeneurs, désœuvrés, De tels honneurs, je le répète, un sawmt, un \037

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480 JAMES WATT. \0371.*4#» ..ni:M rnnnvnnl nn nne lac! nnvini \037littérateur, un artiste, peuvent ne pas les envier, mais ils ne doivent souffrir à aucun prix qu’on les en déclare indignes. Telle est, du moins, la pensée qui m’a suggéré la discussion que je vais soumettre à vos lumières. N’est-ce pas une circonstance vraiment étrange qu’on se soit avisé de soulever les prétentions orgueilleuses que je combats, précisément à l’occasion de cinq statues qui n’ont pas coûté une seule obole au trésor public? Loin de moi, cependant, le projet de profiter de cette maladresse. J’aime mieux prendre la question dans sa généralité, telle qu’on l’a posée la prétendue prééminence des armes sur les lettres, sur les sciences, sur les arts; car, il ne faut pas s’y tromper, si l’on a associé des magistrats, des administrateurs aux hommes de guerre, c’est seulement comme un passe-port. \037Le peu de temps qu’il m’est permis de consacrer à cette discussion m’impose le devoir d’être méthodique. Pour qu’on ne puisse pas se méprendre sur mes sentiments, je déclare d’abord bien haut que l’indépendance, que les libertés nationales sont à mes yeux les premiers des biens; que les défendre contre l’étranger ou contre les ennemis intérieurs est le premier des devoirs; que les avoir défendues au prix de son sang est le premier des titres à la reconnaissance publique. Élevez, élevez de splendides monuments à la mémoire des soldats qui succombèrent sur les glorieux remparts de Mayence, dans les champs immortels de Zurich, de Marengo, et certes mon offrande ne se fera pas attendre; mais n’exigez pas que je fasse violence à ma raison, aux sentiments que la nature a jetés dans le cœur humain n’espérez pos que \037

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JAMES WATT. i*l \037S. _~I~ \037I.-I. 1. 31 \037je consente jamais à placer tous les services militaires sur une même ligne. \037Quel Français, homme de coeur, même au temps do Louis XIV, aurait voulu aller chercher un exemple de courage, soit dans les cruelles scènes des Dragonnades, soit dans les tourbillons de flamme qui dévoraient les villes, les villages, les riches campagnes du Palatinat? î Naguère, après mille prodiges de patience, d’habileté, de bravoure, nos vaillants soldats pénétrant dans Saragosse a moitié renversée, atteignirent la porte d’une église où le prédicateur faisait retentir aux oreilles de la foule résignée ces magnifiques paroles « Espagnols, je vais célébrer vos funérailles! Que sais-je? mais, en ce moment, les vrais amis de notre gloire nationale balançant lcs mérites divers des vainqueurs et des vaincus, auraient peut-être volontiers interverti les rôles 1 Mettez, j’y consens, entièrement de côté la question de mcralité. Soumettez au creuset d’une critique consciencieuse les titres personnels de certains gagneurs de batailles, et croyez que, si vous faites une part équitable au hasard, espèce d’allié dont on fait toujours abstraction parce qu’il est muet, bien de prétendus héros vous paraîtront peu dignes de ce titre pompeux. \037Si on le trouvait nécessaire, je ne reculerais pas devant un examen de détail, moi, cependant, qui, dans une carrière purement académique, ai dû trouver peu d’occasions de recueillir des documents précis sur un pareil sujet. Je pourrais, par exemple, citer dans nos propres annales une bataille moderne, une bataille gagnée, dont la relation officielle rend compte comme d’un événement 1.-1. 1. 31 \037

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482 JAMES WATT. \037prévu, préparé avec le calme, avec l’habileté la plus consommée, et qui, en réalité se donna par l’élan spontané des soldats, sans aucun ordre du général en chef auquel l’honneur en. est revenu, sans qu’il y fût, sans qu’il le sût. \037Pour échapper au reproche banal d’incompétence, j’appellerai quelques hommes de guerre eux-mêmes au secours de la thèse philosophique que je soutiens. On verra combien ils furent appréciateurs enthousiastes, éclairés des travaux intellectuels; on verra que jamais, dans leur sentiment intime, les œuvres de l’esprit n’occu. pèrent le second rang. Obligé de me restreindre, j’essaierai de suppléer au nombre et à la nouveauté par l’éclat de la renommée je citerai Alexandre, Pompée César, Napoléon î \037L’admiration du conquérant macédonien pour Homère cst historique. Aristote, sur sa demande, prit le soin de revoir le texte de l’Iliade. Cet exemplaire corrigé devint son livre chéri, et lorsque, au centre de l’Asie, parmi les dépouilles de Darius, un magnifique coffret enrichi d’or, de pertes et de pierreries, paraissait exciter la convoitise de ses premiers lieutenants « Qu’on me te réserve, « s’écria le vainqueur d’Arbelles j’y enfermerai mon « Homère. C’est le mcilleur et le plus fidèle conseiller t que j’aie en mes affaires militaires. Il est juste, d’ailleurs», t que la plus riche production des arts serve à conserver « l’ouvrage le plus précieux de l’esprit humain. » Le sac de Thèbes avait déjà montré, plus clairement encore, le respect et l’admiration sans bornes d’Alexandre pour les lettres. Cn seule famille de cette \ille populeuse \037

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JAMES WATT. 193 lort et à l’esclavage ce fut la famille de \037échappa à la mort et à l’esclavage ce fut la famille de Pindare. l’nc seule maison resta debout au milieu des ruines des temples, des palais et des habitations particulières ce fut la maison où Pindare naquit et non pas celle d’Épaminondas! 1 \037Lorsque, après avoir terminé la guerre contre MitUridate, Pompée alla rendre visite au célèbre philosophe Posidonius, il défendit aux licteurs de frapper à la porte avec leurs baguettes, comme c’était l’usage. Ainsi, dit Pline s’abaissèrent en face de l’humble demeure d’un savant les faisceaux de celui qui avait vu l’Orient et l’Occident prosternés devant lui \037César, que les lettres pourraient aussi revendiquer, laisse apercevoir clairement en vingt endroits des immortels Commentaires quel ordre occupaient dans sa propre estime les divers genres de facultés dont la nature l’avait si libéralement doté. Comme il est bref, comme il est rapide, quand il raconte des combats, des batailles! Voyez, au contraire, s’il croit aucun détail superflu dans la description du pont improvisé sur lequel son armée traversa le Rhin. C’est qu’ici le succès dépendait uniquement de la conception, et que la conception lui appartenait tout entière. On l’a déjà remarqué aussi, la part que César s’attribue de préférence dans les événements de guerre, celle dont il semble le plus fier est une influence morale. César harangua son armée, est presque toujours la première phrase de la description des batailles gagnées, César n’était pas arrivé assez tôt pour parler à ses soldats, pour les exhorter à se bien conduire, est l’accompagnement habituel du récit d’une surprise ou d’une déroute \037

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4SI JAMES WATT. \037Le général prend constamment à tAclic de s’effacer devant l’orateur, et de vray, dit le judicieux Montaigne, sa langue lui a faict en plusieurs lieux de lien notables serv ices \037Maintenant, sans transition, sans même insister sur cette exclamation connue du grand Frédéric « J’aimerais « mic.tx avoir écrit le SiMe de Louis XIV de Voltaire, « qu’avoir gagné cent batailles, » j’arrive à Napoléon. Comme il faut se bâter je ne rappellerai ni les proclamations célèbres, écrites à l’ombre des pyramides égyptiennes par le membre de l’Institut, général en chef de l’armée de l’Orient ni les traités dé paix où des monuments d’art et de science étaient Ic prix de la rançon des peuples vaincus; ni la profonde estime que le général, devenu empereur, ne cessa d’accorder aux Lagrange, aux Laplace, aux Monge, aux Berthollet; ni les richesses, ni les honneurs dont il les combla. Une anccdocte peu connue ira plus directement à mon but. \037Tout le monde se rappelle les prix décennaux. Les quatre classes de l’Institut avaient tracé des analyses rapides des progrès des sciences, des lettres, des arts. Les présidents et les secrétaires devaient être successivement appelés à les lire à Napoléon devant les grands dignitaires de l’empire et le conseil d’État. \037Le 27 février 1808, le tour de l’Académie française arrive. Comme on peut lc deviner, l’assemblée ce jour-lî est plus nombreuse encore que d’habitude qui ne se croit juge très-compétent en matière de goût? Chénier porte la parole. On l’écoute avec un religieux silence, unis tout à coup l’Empereur l’interrompt, et la main sur le cour, le \037

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JAMES WATT. 485 \037corps penché, la voix altérée par une émotion visible « C’est trop, c’est trop, Messieurs, s’écria-t-il vous me « coinl’Ioz; les termes me manquent pour vous témoigner « ma reconnaissance » \037Je I risse à deviner la profonde surprise de tant de oourtisnns témoins de cette scène, eux qui d’adulation en adulation étaient arrivés à dire à leur maître, et sans qu’il on parût étonné • Quand Dieu eut créé Napoléon, « il sentit le besoin de se reposer! » \037Mais quelles étaient enfin les paroles qui allèrent si juste, si directement au cœur de Napoléon? Ces paroles, les voici \037« Dons les camps où, loin des calamités de l’intérieur, « la gloire nationale se conservait inaltérable, naquit une « autre éloquence, inconnue jusqu’alors aux peuples mo«  dénies. n faut même en convenir quand nous lisons « dons les écrivains de l’antiquité les harangues des plus « renommés capitaines, nous sommes tentés souvent de « n’y admirer que le génie des historiens. Ici le doute est « impossible; les monuments existent l’histoire n’a plus « qu’à les rassembler. Elles partirent de l’armée d’Italie, « ces belles proclamations où le vainqueur de Lodi et d’ Ar«  colc en mOme temps qu’il créait un nouvel art de la « guerre, créa l’éloquence militaire dont il restera le « modèle. » \037Le 28 février, le lendemain de la célèbre séance doit jc viens de tracer le récit, le Moniteur, avec sa fidélité reconnue, publia une réponse de l’empereur au discours de Cliénicr. Elle était froide, compassée, insignifiante; clic avait enfin tous les caractères, d’autres diraient toutes \037

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48C JAMES WATT. \037les qualités d’un document officiel. Quanta à l’incident que j’ai rappelé, il n’en était fait aucune mention concession misérable aux opinions dominantes, à des susceptibilités d’état-major Le maître du monde, pour me servir de l’expression de Pline, cédant un moment a sa pensée intime, n’en avait pas moins incliné ses faisceaux devant le titre littéraire qu’une académie lui décernait. Ces réflexions sur le mérite comparatif des hommes d’étude et des hommes d’épée, quoiqu’elles m’aient été principalement suggérées par ce qui se dit, par ce qui se passe sous nos yeux, ne seraient pas sans application dans la patrie de Watt. Je parcourais naguère l’Angleterre et l’Ecosse. La bienveillance dont j’étais l’objet, autorisait de ma part jusqu’à ces questions sèches, incisives, directes, que, dans toute autre circonstance, aurait pu sculei icnl te permettre un président de commission d’enquête. Déjà vivement préoccupé de l’obligation où je serais à mon retour, de porter un jugement sur l’illustre mécanicien; déjà fort inquiet de tout ce qu’a de solennel la réunion devant laquelle je parle, j’avais préparé cette demande « Que penscz-\ous de l’influence que Watt a exercée sur t la richesse, sur la puissance, sur la prospérité de l’An«  glcterrc? »Jc n’exagère pas en disant que j’ai adressé ma question à plus de cent personnes appartenant a toutes les classes de la société, à toutes les nuances d’opinions politiques, depuis les radicaux les plus vifs jusqu’aux conservateurs les plus obstinés. La réponse a été constamment la même chacun plaçait les services de notre confrère au-dessus de toute comparaison chacun, au surplus, me citait les discours prononcés dans le meeting ou \037

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JAMES WATT. 487 \037la statue de Westminster fut votée comme l’expression fidèle et unanime des sentiments de la nation anglaise. Ces discours, que disent-ils? \037Lord Liverpool, premier ministre de la couronne, appelle Watt « un des hommes les plus extraordinaires auxt quels l’Angleterre ait donné naissance, un des plus « grands bienfaiteurs du genre humain. » II déclare que « ses intentions ont augmenté d’une manière incalculable « les ressources de son pays et même celles du monde t entier. 1 Envisageant ensuite la question du côté politique « J’ai vécu dans un temps, ajoute-t-il ou le succès « d’une guerre dépendait de la possibilité de pousser, « sans retard, nos escadres hors des ports; des vents « contraires régnaient pendant des mois entiers, et anéan«  tissaient de fond en comble les vues du gouvernement. « Grâce à la machine à vapeur, de semblables difficultés « ont jamais disparu. » \037« Portez, portez vos regards, » s’écrie sir Humpliry Davy, sur la métropole de ce puissant empire, sur nos « villes, sur nos villages, sur nos arsenaux, sur nos ma«  nufactures; examinez les cavités souterraines et les tra«  vaux exécutés à la surface du globe; contemplez nos « rivières, nos canaux, les mers qui baignent nos côtes; « partout vous trouverez l’empreinte des bienfaits éternels «de ce grand homme. » \037« Le génie que Watt a déployé dans ses admirables « inventions, dit encore l’illustre président de la Société royale, « a plus contribué à montrer l’utilité pratique des « sciences, à agrandir la puissance de l’homme sur le « monde matériel à multiplier et à répandre les commo- \037

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4*3 JAMES WATT. \037• dités de la vie, que les travaux d’aucun personnage des « temps modernes. » Davy n’hésite pas enfin à placer Watt au-dessus d’Archimède 1 \037Huskisson, ministre du commerce, se dépouillant un moment de la qualité d’Anglais, proclame qu’envisagées dans leurs rapports avec le bonheur de l’espèce humaine tout entière, les inventions de Watt lui paraîtraient encore mériter la plus haute admiration. II explique de quelle manière l’économie du travail, la multiplication indéfinie et le bon marché des produits industriels, contribuent à exciter et à répandre les lumières, i La machine à « vapeur, dit-il, n’est donc pas seulement, dans les mains t des hommes, l’instrument le plus puissant dont ils fas«  sent usage pour changer la face du monde physique « elle agit encore comme un levier moral, irrésistible • en poussant en avant la grande cause de la civilisaf tion. » \037De ce point de vue, Watt lui apparait dans un rang distingué parmi les premiers bienfaiteurs de l’humanité. Comme Anglais, il n’hésite pas à dire que, sans les créations de Watt, la nation britannique n’aurait pas pu suffire aux immenses dépenses de ses dernières guerres contre la France. \037La même idée se retrouve dans le discours d’un autre membre du pai-lemeiit, dans celui de sir James Mackintosh. Voyez si elle y est exprimée en termes moins positifs \037« Ce sont les inventions de Watt qui ont permis à « l’Angleterre de soutenir le plus rude, le plus dangereux • conflit dans lequel elle ait jamais été engagée. » Tout \037

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JAMES WATT. 489 \037considéré Mackintosh déclare, sans hésiter, « qu’aucun « personnage n’a eu de droits plus évidents que Watt aux « hommages de son pays, à la vénération, au respect « des générations futures. » \037Voici des évaluations numériques, des chiffres, pl.is éloquents encore, ce me semble, que les divers passages dont je viens de donner lecture \037lîoulton fils annonce qu’à la date de 1819, la seule manufacture de Soho avait déjà fabriqué des machines de \Va:t dont le travail habituel aurait exigé cent mille chevaux que l’économie résultant de la substitution de ces machines à la force des animaux montait annuellement à 75 millions de francs, Pour l’Angleterre et l’ Ecosse, à la môme date, le nombre des machines dépassait dix mille. Elles faisaient le travail de cinq cents mille chevaux ou de trois ou quatre millions d’hommes, avec une économie annuelle de 3 ou h cents millions de francs. Ces résultats aujourd’hui devraient être plus que doublés. \037Voilà, en abrégé, ce que pensaient, ce que disaient de Watt les ministres, les hommes d’État, les savants, les industriels les plus capables de l’apprécier. Messieurs, ce créateur de six à huit millions de travailleurs, de travaillcurs infatigables et assidus, parmi lesquels l’autorité n’aura jamais à réprimer ni coalition, ni émeute, de travailleurs à 5 centimes la journée; cet homme qui, par de brillantes inventions, donna à l’Angleterre les moyens de soutenir une lutte acharnée pendant laquelle sa nationalité même fut mise en question, ce nouvel Archimcde ce bienfaiteur de l’humanité tout entière, \037

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490 JAMES WATT. \037dont les générations futures béniront éternellement la mémoire, qu’avait-on fait pour l’honorer de son vivant? La pairie est, en Angleterre, la première des dignités, la première des récompenses. Vous devez naturellement supposer que Watt a été nommé pair. \037On n’y a pas mflme pensé î \037S’il faut parler net tant pis pour la pairie que le nom de Watt eût honorée! Un pareil oubli cependant, chez une nation aussi justement fière de ses grands hommes, avait droit de m’étonner. Quand j’en cherchais la cause, savez-vous ce qu’on me répondait? Ces dignités dant vous parlez sont réservées aux officiers de terre et de mer, aux orateurs influents de la chambre des communes, aux membres de la noblesse. Ce n’est pas la mode (je n’invente pas, je cite exactement), ce n’est pas la mode de les accorder à des savants, des littérateurs, à des artistes, à des ingénieurs! Je savais bien que ce n’était pas la mode sous la reine Anne, puisque Newton n’a pas été pair d’Angleterre. Mais, après un siècle et demi de progrès dans les sciences, dans la philosophie; lorsque chacun de nous, pendant la courte durée de sa vie, a vu tant de rois errants, délaissés, proscrits, remplacés sur leurs trônes par des soldats sans généalogie et fils de leur épée, ne m’était-il pas permis de croire qu’on av ait renoncé à parquer les hommes; qu’on n’oserait plus du moins leur dire en face, comme lc code inflexible des Pharaons Quels que soient vos services, vos vertus, votre savoir, aucun de vous ne franchira les limites de sa caste; qu’une mode insensée enfin, puisque mode il y a, ne déparerait plus les institutions d’un grand peuple 1 \037

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JAMES WATT. 191 \037Comptons sur l’avenir. Un temps viendra où la science de la destruction s’inclinera devant les arts de la paix; ou le génie qui multiplie nos forces, qui crée de nouveaux produits, qui fait descendre l’aisance au milieu des masses, occupera dans l’estime générale des hommes la place que la raison, que le bon sens lui assignent des aujourd’hui. \037Alors Watt coniparaîtra devant le grand jury des populations des deux mondes. Chacun le verra, aidé do s-a machine à vapeur, pénétrer en quelques semaines dans les entrailles de la terre, a des profondeurs où, avant lui, on ne serait arrivé qu’après un siècle des plus pénibles travaux; il y creusera de spacieuses galeries et les débarrassera, en quelques minutes, des immenses volumes d’eau qui les inondaient chaque jour; il arrachera à un sol vierge les inépuisables richesses minérales que la nature y a déposées. \037Joignant la délicatesse à la puissance, Watt tordra avec un égal succès les immenses torons du câble colossal sur lequel se cramponne le vaisseau de ligne au milieu des mers courroucées, et les filaments microscopiques de ces tulles, de ces dentelles aériennes qui occupent toujours une si large place dans les parures variées qu’enfante la mode. \037Quelques oscillations de la même machine rendront a la culture de vastes marécages des contrées fertiles feront ainsi soustraites à l’action périodique et mortelle des miasmes qu’y développait la chaleur brûlante du soleil d’été. \037Les grandes forces mécaniques qu’il fallait aller c!i:r- \037

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iï»2 JAMES WATT. \037cher dans les logions montagneuses, au pied des rapides cascades, grâce à la découverte de Watt, naîtront a volonté", sans gêne et sans encombrement, au milieu des villes, à tous les étages des maisons. \037L’intensité" de ces forces variera au gré du mécanicien; elle ne dépendra pas, comme jadis, de la plus inconstante des causes naturelles des météores atmosphériques. \037Les diverses branches de chaque fabrication pourront être réunies dans une enceinte commune, sous un même toit. \037Les produits industriels, en se perfectionnant, diminueront de prix. \037La population, bien nourrie, bien vêtue, bien chauffée, augmentera avec rapidité; elle ira couvrir d’élégantes habitations toutes les parties du territoire, celles même qu’on eût pu justement appeler les steppes d’Europe, et qu’une aridité séculaire semblait condamner à rester Ic domaine exclusif des bêtes fauves. \037Eu peu d’années, des hameaux deviendront d’importantes cités en peu d’années, des bourgs, tels que Birmingham, où l’on comptait à peine une trentaine de rues, prendront place parmi les villes les plus vastes, les plus belles, les plus riches d’un puissant royaume. Installée sur les navires, la machine à vapeur remplaccra au centuple les efforts des triples, des quadruples rangs de rameurs, à qui nos pères, cependant, demandaient un travail rangé parmi les châtiments des plus grands criminels. \037A l’aide de quelques kilogrammes de charbon, l’homme \037

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JAMES WATT. 193 \037vaincra les éléments; il se jouera du calme, des vents contraires, des tempêtes. \037Les traversées deviendront beaucoup plus rapides le moment de l’arrivée des paquebots pourra être pre\u II comme celui des voitures publiques vous n’irez plus sur le rivage, pendant des semaines, pendant des mois entier, h cœur en proie à de cruelles angoisses, chercher d’un ail inquiet, aux limites de l’horizon, les traces incertaines du navire qui doit vous rendre un père, une mère, un frère, un ami. \037La machine à vapeur, enfin, traînant a sa suite des milliers de voyageurs, courra, sur les chemins de fer, beaucoup plus vite que sur l’hippodrome le meilleur cheval de race chargé seulement de son svcltc jockey. Voilà, Messieurs, l’esquisse fort abrégée des bienfaits qn’a légués au monde la mnehinc dont Papin avait déposé le germe dans ses ouvrages, et qu’après tant d’ingénieux efforts Watt a portée à une admirable perfection. La postérité ne les mettra certainement pas en balance avec des travaux, beaucoup trop vantés, et dont l’influence réelle, au tribunal de la raison, restera toujours circonscrite d;ms le cercle de quelques individus et d’un petit nombre d’;i nuées. \037On disait, jadis, le siècle d’Auguste, le siècle do Louis \IV. Des esprits éminents ont déjà soutenu qu’il serait juste de dire le siècle de Voltaire, de Rousseau, de Montesquieu. Suivant moi, je n’hésite pas à l’annoncer, lorsqu’aux immenses services déjà rendus par la machine a vapeur se seront ajoutées toutes les merveilles qu’elle \037

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104 JAMES WATT. \037IJY ·I~WaJV W sW W \037nous promet encore, les populations reconnaissantes parleront aussi des siècles de Papin et de Watt 1 TITRES 4CADÉMIQLES DONT WATT FUT RKVÊTl’. Une biographie de Watt, destinée à faire partie de notre collection de mémoires, serait certainement incomplète si l’on n’y trouvait pas la liste des titres académiques dont l’illustre ingénieur fut revêtu. Cette liste, au surplus, occupera bien peu de lignes. \037Watt devint \037Membre de la Société royale d’Edimbourg en 178ft; Membre de la Société royale de Londres en 1785 Membre de la Société Balaye en 1787 \037Correspondant de l’Institut en 1808. \037En 1814, l’Académie des sciences de l’Institut fit à Watt le plus grand honneur qui suit dans ses attributions elle le nomma un de ses huit associés étrangers. Par un vole spontané et unanime, le sénat de l’Université de Glasgow décerna à Watt, en 1800, le degré honoraire de docteur en droit. \037

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JAMES WATT. 195 \037TRADUCTION D’UNE NOTE HISTORIQUE \037DE I.ORD BROUGUAM \037SUR LA DÉCOUVERTE DE LA COMPOSITIO.N DE L’EAU Il n’y a aucun doute qu’en Angleterre, du moins, les recherches relatives à la composition de l’eau ont eu pour origine les expériences de Wa ri tire relatées dans le 5’ volume de Priestley ». Cavendish les cite expressément comme lui ayant donné l’idée de son travail (Trans. philos., 1784, p. 120). Les expériences de Wa ri tire consistaient dans l’inflammation, à l’aide de l’étincelle électrique et en vases clos, d’un mélange d’oxygène et d’hjdrogène. Deux choses, disait-on, en résultaient: 1° une perte sensible de poids; 2° la précipitation de quelque humidité sur lcs parois des vases. \037Watt dit, par inadvertance, dans la note de la page 332 de son Mémoire (Tram, rhilos., 1784), que la précipitation aqueuse fut observée, pour la première fois, par Cavendish; mais Cavendish, lui-même, déclare, p. 127, que Warltire avait aperçu le léger dépôt aqueux, et cite, à ce sujet, le 5° volume de Priestley. Cavendish ne put 1. I.a let’.rc de WarUire, datée de Birmingham le 18 avril 1781, fut publiée par le docteur Prio.-tloy dans le 2* vol. de ses Expertmr-uh and observations rtlating to varîous branches o/ nalural philvso)>hij; wlth a continuation of the observations on air, formant dans le fait le 5* vol. des F.jcperbnents and observations on txatjt dans )c fait te 5’ voL des /r/~r<MCM~ aM~ ~~t’a/to~ o~ dijjïrcnt klnds o/alr, imprimé à Birmingham eu 1781. (Soit de )l. l’ait fis.) \037

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496 JAMES WATT. \037AA.r-’ .¿’"> -»1- 11.1 _1. Il _A- \037constater aucune perte de poids. 11 remarque que les essais de Pricstlcy l’avaient conduit au même résultat et ajoute que l’humidité déposée ne contient aucune impureté (littéraletnent, aucune parcelle de suie ou de mature noire, any sooly matter). Apres un grand nombre d’essais, CavendM» reconnut que si on allume un mélange d’air commun et d’air inflammable, formé de 1000 mesures du premier et de 423 du second, « un cinquième « environ de l’air commun et à peu près la totalité de t l’air inflammable perdent leur élasticité, et forment en se condensant la rosée qui couvre le verre. En exa;ni«  nanl la rosée, Cavcndish trouva que cette rosée est de « l’eau pure. lien conclut que presque tout l’air inflam«  mal.ilc et environ un sixième de l’air commun deviennent a de l’eau pure (are lurned into pure Waler). 1. La note de Cavendish à la page 127, parait impliquer que l’riestlcy n’avait aperçu aucune perte de poids; mais je ne trouve cette assertion dans aucun des mémoires du chimiste de Birmingham. \037Les premières expériences de Warltire sur la conflagration des gaz furent faites dans un globe de cuivre dont le poids était de 398 grammes, et le volume de 170 centilitres. L’auteur voulait « décider v si la chaleur est ou n’est pas pesante. » \037WaKtirc décrit d’abord les moyens de mélanger les gaz et d’ajuster la balance; il dit ensuite « J’équilibrais toujours exactement le « vase rempli d’air commun, afin que la différence de poids, la « suite de l’introduction de l’air inflammable, nie permît do ji;grer « si le mélange avait été opéré dans les proportions voulues. Le pa««  sage de l’étincelle électrique rendait le globe chaud. Après r.u’il t< s’était refroidi par son exposition à l’air de la chambre, je le sus«  pendais de nouveau à la balance. Je trouvais toujours une perte « de pold*, mais il y avait des différences d’une expérience à l’au’.rc. « En moyenne la perte fut de t29 milligrammes. » \037urliire continue ainsi « j’ai enfbmmé mes airs dans des vasps « do uvre, depuis que je \ous l’ai tu faire récemment vous-même \037

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JUlES WATT. f’7 \037Il,1,, rln In m"’mf’ mnni?·rn mn n,~I"nO"f’ ,1’ \037I.-I. 1. 5-’ \037» 1 1 r \037Cavcndish brûla de la môme manière un mélange d’air iiiflamirnblc et d’air déphlogistiqué (d’hydrogène et d’oxygène) le liquide précipité fut toujours plus ou moins acide, suivant que le gaz brûlé avec l’air inflammable contenait plus ou moins de phlogistique. Cet acide engendre était de l’acide nitrique. \037M. Cavcndish établit que « presque la totalité de l’air « inflammable et de l’air déphlogistiqué est convertie e,} c eau pure; »et encore, que si ces airs pouvaient être « obtenus dans un état complet de pureté, la totalité serait « condevsée. Si l’air commun et l’air inflammable 113 donnent pas d’acide quand on les brûle, c’est, suivant l’auteur, parce qu’alors la chaleur n’est pas intense. Cavendish déclare que ses expériences, à l’exception « (Priestley), et j’ai observé comme vois [as ijou d’ul) que bien qu3 (i le vase fût uct et sec avant l’explosion, il «Hait après, couiert de « rosée cl d’une substance noire (soofy substance). » Kn balançant tous les droit*, le mérita d’avoir aperçu la rosÔ3 n’appartient-il pas a Priestley ï \037Dans les quelques remarques dont l’ric-tlcy a fait suivre la lellr»- île .son correspondant, il confirme la perte de poids, et ajoute « Je ne pense pas, cependant, que l’opinion si hardie que la cha«  leur latente des corps entre pour une part sensible, dans leur « pouls puisse être admise sans des expériences faites sur 11110 u plus grande échelle. Si cela se confirme, ce sera un fait très«  remarquable et qui fera le plus grand honneur à la sagacité de « Wurltirc. \037« Il faut dire encore, continue l’riestley, qu’au momcnt où il (Warltirc) vit la rosée a la surface intérieure du vase de verre « fermé, il dit que Cela confirmait une opinion qu’il a\ ait depulï « longtemps: l’oj iuion que l’air commun abandonne son humidité « quand il est phl’>Kisti’iu«’. » \03711 est donc évident que Warltirc expliquait la rosée par la simple pivcipitaiion mécanique de IVau lÉjeroniélriquo contenue dans l’air commun. (SotedeM. H’att fi’r.) \037l.-l. W \037

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iOS JAMKS WATT. \037de ce qui est relatif à l’acide furent faites dans l’été de 1781, et que IViestley en eut connaissance. Il ajoute « Un de mes amis en dit quelque chose {gave soute « account) à Lavoisier, le printemps dernier (le prin«  temps de 1783), aussi bien que de la conclusion que « j’en avais tirée, savoir, que l’air déphlogistiqué est de « l’eau privée de phlogistique. Mais à cette époque, « Lavoisicr était tellement éloigné de penser qu’une sem«  blable opinion fut légitime, que jusqu’au moment où il a se décida à répéter lui-même les expériences, il trouvait « quelque difficulté à croire que la presque totalité des « deux airs pût être convertie en eau. » \037L’ami cité dans le passage précédent était le docteur, devenu ensuite sir Charles Blagden. C’est une circonstance remarquable que ce passage du travail dcCavendish semble n’avoir pas fait partie du Mémoire original présenté à la Société royale. Le Mémoire paraît écrit de la main de l’auteur lui-même; mais les paragraphes 134 et 135 n’y étaient pas primitivement; ils sont ajoutés avec une indication de la place qu’ils doivent occuper l’écriturc n’est plus celle de Cavendish; ces additions sont de la main de Blagden. Celui-ci dut donner tous les détail* relatifs à Lavoisier, avec lequel on ne dit pas que Cavendish entretint quelque correspondance directe. La date de la lecture du Mémoire de Cavendish est le 15 janvier 1784. Le volume des Transactions philosophiques, dont ce Mémoire fait partie, ne parut qu’environ m mois après. \037Le Mémoire de Lavoisier (volume de l’académie des sciences pour 1781) avait été lu en novembre et diwm- \037

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JAMES WATT. S99 \037bre 1783. On y fit ensuite diverses additions. La publication eut lieu en 1784. \037Ce Mémoire contenait la relation des expériences du mois de juin 1783, auxquelles Lavoisicr annonce que Blagden fut présent. Lavoisier ajoute que ce phycisien anglais lui apprit « que déjà Cavendish ayant brûlé Je « l’air inflammable en vases clos, avait obtenu une quan«  tité d’eau très-sensible » niais il ne dit nulle part que Blagdcn fit mention de conclusions tirées par Cavendish de ces mimes expériences. \037Lavoisier déclare, de la manière la plus expresse, que le poids de l’eau est égal à celui des deux gaz brûlés, à moins quo, contrairement à sa propre opinion, on n’attribue un poids sensible à la chaleur et à la lumière qui se dégagent dans l’expérience. \037Ce lécit est en désaccord avec celui do Blagden, qui, suivant toute probabilité, fut écrit comme une réfutation du récit de Lavoisier, après la lecture du Mémoire de Cavendish et lorsque le volume de l’Académie des sciences n’était pas encore parvenu en Angleterre. Ce volume parut en 178ft, et, certainement, il n’avait pu arriver à Londres ni lorsque Cavendish lut son travail à la Société ni à plus forte raison quand il le rédigea. On doit, en outre, remarquer que, dans le passage du manuscrit du Mémoire de Cavendish, écrit de la main de Blagden, il n’est question (lue d’une seule communication des expériences d’une communication à Pricstley. Les expériences, y est-il dit, sont de 1781 mais on ne rapporlc aucunement la date de la communication. On no nous apprend pas davantage si les conclusions tirées de (es \037

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500 JAMES WATT. \037pvniVir nrn* o\ mil. fl’nnrès Illnprlpn filivnt Ca \037expériences, et qui, d’après Blagden, furent communiquées par lui à Lavoisier pendant l’été de 1783, étaient également comprises dans la communication faite à Priesttcy. Ce chimiste, dans son Mémoire rédigé avant le mois d’avril 1783, lu en juin de la même année, et cité par Cavcndish, ne dit rien de la théorie de ce dernier, quoiqu’il cite ses expériences. \037Plusieurs propositions découlent de ce qui précède 1’ Cavendish, dans le Mémoire qui fut lu à la Société royale le 15 janvier 1784, décrit l’expérience capitale de l’inflammation de l’oxygène et de l’hydrogène en vaisseaux clos, et cite l’eau comme produit de cette combustion \0372° Dans le même Mémoire, Cavendish tire de ses expériences la conséquence que les deux gaz mentionnés se transforment en eau; \0373° Dans une addition de Blagden, faite avec le consentement de Cavendish on donne aux expériences de cc dernier la date de l’été de 1781 on cite une communication à Priéstlcy, sans en préciser l’époque, sans parler de conclusions, sans même dire quand ces conclusions se présentèrent à l’esprit de Cavendish. Ceci doit être regarde" comme une très-grosse omission (a mosl material omission) \037ft° Dans une des additions faites au Mémoire par Blagden, la conclusion de Cavendish est rapportée en ces tonnes Le gaz oxygène est de l’eau privée de phlogistiqne. Cette addition est postérieure à l’arrivée du Mémoire de Lavoisier en Angleterre. \037On peut observer de plus que dans une autre addition \037

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1, JAMES WATT. Ml \037an Mémoire de Cavendish, écrite de la main de ce chimiste, et qui est certainement postérieure à l’arrivée en Angleterre du Mémoire de Lavoisier, Cavendish établit distinctement pour la première fois, comme dans l’hypoIlièsc de Lavoisier, que l’eau est un composé d’oxygène et d’hydrogène. Peut-être ne trouvera-t-on pas une différence essentielle entre cette conclusion et celle à laquelle Cavendislï s’était d’abord arrêté, que le gaz oxygène est do l’eau privée de phlogistique, car il suffira, pour les rendre identiques, de considérer le phlogistique comme de l’hydrogène; mais dire de l’eau qu’elle se compose d’oxygène et d’hydrogène, c’est, certainement, s’arrêter à une conclu-ion plus nette et moins équivoque. J’ajoute que dans la partie originale de son Mémoire, dans celle qui fut tue à la Société royale avant l’arrivée du Mémoire de Lavoisier en Angleterre, Cavendish trouve plus juste de considérer l’air inflammable « comme de l’eau phlogisliqucc que comme du phlogistique pur » (p. iliO). \037Voyons maintenant quelle a été la part de Watt. Les dates joueront ici un rôle essentiel. \037Il paraît que Watt écrivit au docteur l’riestlcy, le 2G avril 1783, une lettre dans laque!le il dissertait snr l’expérience de l’inflammation des deux gaz en vaisseaux clos, et qu’il y arrivait à la conclusion que l’eau est « composée d’air déphlogistiqué et de phlogistique, pri«  vés l’un et l’autre d’une partie de leur chaleur la«  tente t \037I. Nous pouvons en toute assurance d<V!uiie de la convspondanei) inédite do Watt, qu’il avait <U’jà forint1 sa tlWWIo sur la composition de l’eau, eu décembre 1782, et probablement plus tôt. Au m;i’;>!us, \037

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bO2 JAMES WATT. • \037Priestley déposa la lettre dans les mains de sir Joseph Banks, avec la prière d’en faire donner lecture à une des plus prochaines séances de la Société royale. Mais Watt désira ensuite qu’on différât cette lecture, afin de se donner le temps de voir comment sa théorie s’accorderait avec des expériences récentes de Priestley. En définitive, la lettre ne fut lue qu’en avril 1784 Cette lettre, Walt la fondit dans un Mémoire adressé à Deluc, en date du 20 novembre 1783 Beaucoup de nouvelles observations, de nouveaux raisonnements, figuraient dans le Mémoire; mais la presque totalité de la lettre originale y était conservée, et dans l’impression on la distingua des additions par des guillemets retournés. Dans la partie ainsi guillemetéc se trouve l’importante conclusion citée ci-dessus. On lit aussi que la lettre fut communiquée à plusieurs membres de la Société royale, lorsqu’on avril 1783 elle parvint au docteur Priestley. \037dans son Mémoire dn 21 avril 1783, l’riestley déclare qu’avant ses propres expériences, Watt s’était attaché à l’idée que la vapei.r d’eau pourrait être transformée en des g’M permanents (p. 416). Watt lui-même, dans son Mémoire (p. 335), déclare que depuis plusieurs années il avait adopté l’opinion que l’air était une modification (!e l’eau, et il fait connaître avec détail 1rs expériences et les raisonnements sur lesquels cette opinion s’appuyait. (Sole de M. n’ait fils.) \0371. La lettre à Priestley fut lue le 22 avril I78’i. \0372. Sans le moiii’lrc doute le physicien genevois, alors a Londres. le reçut a cette époque. Il resta dans ses mains jusqu’au moment où Watt entendit parler de la lecture à la Société royale du mémoire de C.a\endi>li. Ih’s ce moment mon pi’re fit toutes les diligences nécessaires pour que le Mémoire adressé à Deluc et la letlrc du 20 avril 1783 adressée an docteur Priestley furent immédiatement lus à la .Société royale. Cette lecture, réclamée par Watt, du Mémoire adre-sé a [teluc, est du 29 avril 178’|. (Soie de M. f/’at(fl’ 1 \037

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JAMES WATT. M>3 \037Dans le Mémoire de Cavendish tel qu’il fut d’abord lu, il n’y avait aucune allusion à la théorie de Watt niais une addition, postérieure à la lecture des lettres de ce dernier et écrite en entier de la main de Caveudish mentionne cette théorie (Traits, philos. 1784, p. 140). Cavendish expose dans cette addition les raisons qu’il croit avoir pour ne pas compliquer ses conclusions, comme Watt le faisait de considérations relatives au dégagement de chaleur latente; mais elle laisse dans le doute sur la question de savoir si l’auteur eut jamais connaissance de la lettre a Pricstley d’avril 1783, ou s’il vit seulement la lettre datée du 20 novembre 1783 et lue le 29 avril 1784 sur quoi il importe de remarquer que les deux lettres parurent dans les Transactions philosophiques réunies en une seule. La lettre à Pricstley du 20 avril 1783 resta quelque temps (deux mois d’après le Mémoire de Watt) dans les mains de sir Joseph Banks et d’autres membres de la Société royale, pendant le printemps de 1783. C’est ce qui résulte des circonstances que relate la note de la page 330. Il semble difficile de supposer que Blagden, secrétaire do la Société, ne vit pas le Mémoire. Sir Joseph Banks dut le lui remettre, puisqu’il l’avait destiné a être lu en séance ( Trans. philos., 1784, p. 330, note). Ajoutons que puisque la Mire a été conservée aux archives de la Société royale, elle était sous la garde d" Blagdc», secrétaire. Serait-il possible de supposer que la personne dont la main écrivit le remarquable passage, déjà cité, relatif à une communication, faite à Lavoisier en juin 1783, des conclusions de Cavcndish, n’aurait pas dit au in<*mc Ca\cndish que Watt était arrivé a ces con- \037

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50i JAMES WATT. \037durions au plus tard en avril 1783? Les conclusions sont identiques, avec la simple différence que Cnvendish appelle air déphlogistiqué de l’eau privée de son phlogistique, et que Watt dit que l’eau est un composé d’air déphlogistiqué et de phlogislique. · \037Nous devons remarquer qu’il y a dans la théorie de Watt la môme incertitude, le mi’mc vague que nous avons déjà trouvé dans celle de Cavendish, et qu’elle provient aussi de l’emploi du terme, non exactement défini, de pblogistique Chez Cavendish, on ne saurait décider si le phlogistique est tout simplement de l’air inflammable, ou si ce chimiste n’est pas plutôt enclin à considérer comme air inflammable une combinaison d’eau et de phlogïstique. Watt dit expressément, môme dans son Mémoire du 26 novembre 1 783, et dans un passage qui ne fait pas partie de la lettre d’avril 1783, que l’air inflammable, suivant ses idées, contient une petite quantité d’oau et beaucoup de chaleur élémentaire. \037Ces expressions, de la part de deux hommes aussi éminents, doivent être regardées comme la marque d’une certaine hésitation, touchant la composition de l’eau. Si Watt et Cavcndish avaient eu l’idée précise que l’cau résulte de la réunion des deux gaz privés de leur chaleur 1. Dans une note de son Mémoire du 26 novembre 1783 (p. 331), on lit cette remarque de Watt « Antérieurement aux expérience* « du docteur l’rlestley, Kirwan avait prouvé par d’ingénieuses Aéc duetînns empruntées à d’anlivs faits, que l’air indam niable est, « suivant toute probabilité, le vrai plilogi-ti<jue sous une forme argeiments de, kii-an nie -cii)i)letit à nioî parfaite- \037« aérienne. Les arguments de Kir» an me semblent à moi parfaite«  mont convaincants; mais il poraît plus convenable d’établir ce « point de la question sur des e\j énonce* directe. » \037

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JAMES WATT. 503 \037i^iinïmi r1r>£ hneoe #lo Poli* înfl-ii^iTinKIn a\ At\ \037Intente, de la réunion des bases de l’air inflammable et de l’air déplilogistiqué si cette conception avait eu dans leur esprit autant de netteté que dans celui de Lavoisier, i!s auraient certainement évité l’incertitude et l’obscurité que j’ai signalées \037En ce qui concerne Watt, voici les nouveaux faits que nous venons d’établir \0371. Au bas de la page 331 des Transactions, dans une partie de sa l’Urc d’avril 1783, imprimée en Italique, Watt dit « Nosomnies«  nous pas des lors autorisé à conclure que l’eau est composée d’air « déphlogistiqué et de phlogistique, dépouillés d’une partie de leur v chaleur latente ou élémentaire; que l’air déphlogMiqué, ou l’air « pur, est de l’eau privée de son pliloglstiquc et unie ft de la cha«  leur ou a de la lumière élémentaire que la chaleur et la lumière w y soul certainement contenus à l’état latent, puisqu’elles n’atl’ec«  tout ni le thermomètre, ni IV il ? Si la lumière est seulement une « modification de la chaleur, ou une particularité de son existence, « eu uno partie constituante de l’air inflammable, alors l’air pur du « (’.éphlogisiiqué est de l’eau privée de son phlogistiquo et unie à « de la chaleur élémentaire. » \037Ce passage n’est-il pas aussi clair, aussi précis, aussi intelligible que les conclusions de Lavoisier? (Xote de M. Watt fils.) L’obscurité que lord Jîrougham r proche aux conceptions théoriques d:ï Watt et de Cavendish ne me semble pas réelle. Kn 17S’j, on savait préparer deux gaz permanents et très-dissemblables, Ces deux gax, les uns les appelaient air pur et air inflammable d’autres, air déjililoyistiqué et phlogistiquc d’autres, enfin, oxygène et hydrogène. Par la combinaison de l’air déphlogistiqué et du phloglstique, on engendra de l’eau ayant un poids égal celui des deux gaz. L’eau, dès lors, ne fut plus un corps simple elle se composa d’air dt’phloghliqué et de phlogistique. Le chimiste qui tira cette conséquence, pouvait avoir de fausses idées sur la nature Intime du phlogistique, sans que cela jetât aucune incertitude sur le mérite de «a première découverte. Aujourd’hui même a-t-on mathématiquement démontré que l’hydrogène (ou le plilo^Mique) est un corps élémentaire; qu’il n’est pas, comme Watt et CavcndiVIi le crurent i;n moment, la combinaison d’un radical et d’un peu d’tvu? (.Soie de M. 1,-aijo.) \037

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600 JAMES WATT. \037{’ Il n’y a point de preuves que personne ait donné, avant Watt, et dans un document écrit, la théorie actuc’.lc de la composition de l’eau. \0372° Cette théorie, Watt l’établit pendant l’année 1783 en termes plus di-tincts que ne le fit Cavendish dans son Mémoire lu à la Société royale en janvier 1784. En faisant entrer le dégagement de chaleur latente en ligne de compte, Watt ajouta notablement à la clarté de sa Conception. \0373’ 11 n’y a aucune preuve il n’y a même aucune assertion de laquelle il résulte que la théorie de Cavendish (Blagdcn l’appelle la conclusion) ait été communiquée à. Priestley avant l’époque où Watt consigna ses idées dans la lettre du 2G avril 1783; à plus forte raison, rien ne peut faire supposer, surtout quand on a lu la lettre de Watt, que cet ingénieur ait jamais appris quelque chose de relatif à la composition de l’eau, soit de Priestley, soit de toute autre personne. \037Il’ La théorie de Watt était connue des membres de la Société royale plusieurs mois avant que les conclusions de Cavendish eussent été confiées au papier; huit mois avant la présentation du Mémoire de ce chimiste a la même Société. Nous pouvons aller plus loin et déduire, des faits et des dates sous nos yeux, que Watt parla !̃•. premier de la composition de l’eau; que, si quelqu’un le. précéda, il n’en existe aucune preuve. \0375° Enfin une répugnance a abandonner la doctrine du phlogisliquc, une sorte de timidité à se séparer d’une opinion depuis si longtemps étoblic, si profondément enracinée, empêcha Watt et Cavendish de rendre complète \037

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JAMES WATT. 507 \037opre théorie1, tandis que Lavoisier, qui \037justice à leur propre théorie1, tandis que Lavoisicr, qui avait rompu ces entraves, présenta le premier la nouvelle doctrine dans toute sa perfection. \037Il serait très-possible que, sans rien savoir de leurs travaux respectifs, Watt, Cavendish, Lavoisier eussent, à peu près en même temps, fait le grand pas de conclure de l’expérience que l’eau est le produit de la combinaison dos deux gaz si souvent cités. Telle est, en elfet, avec plus ou moins de netteté, la conclusion que les trois savants présentèrent. Reste maintenant la déclaration de Blngden d’après laquelle Lavoisier aurait eu commuuication de la théorie de Cavendish, même avant d’avoir fait son expérience capitale. Cette déclaration, Blagden l’inséra dans le Mémoire même de Cavendish » elle parut dans les Transactions philosophiques, et il ne semble pas que Lavoisier l’ait jamais contredite quelque iuconciliable qu’elle fût avec son propre récit. \037Malgré toute la susceptibilité jalouse de Blagden en 1. ivrsonno ne devait s’attendre que Watt, écrivant et publiant pour la première fois, en butte aux soucis d’une fabrication immense et d’affaires commerciales (’•gaiement étendues, pourrait lutter a\ec U plume Éloquente et exercée de Lavoisier; mais le résumé de sa théorie (voyez la page 831 du Mémoire) me paraît à moi, qui, à vrai dire, ne suis peut-être pas un juge impartial, au*M lumineux et anv-i remarquable par l’expression, que les conclusions de l’illustre thimisie français. {Kvte de M. I t’ait fils.) \0372. Ine lettre au professeur Crell, dans laquelle lilagden donna une hi-toirc détaillée de la découverte, parut dans les .innaUii d<- 1780. Il est remarquable que, dans cette lettre, Hlaflrn dit qu’il communiqua à Lavoisier les opinions de Cavendish et de /fait, et que ce dernier nom figure la pour la première fois dans le récit des confidences verbales du secrétaire de la Société, royale. (Aofe i!e M. Watt fils.) \037

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ts JAMES WATT. \037favc.ir de la priorité de Cavendish, il n’y a pas eu de sa port une seule allusion de laquelle on puisse induire qu’avant de publier sa théorie, Watt avait entendu parler de celle de son compétiteur. \037Naus ne serons pas aussi affirmât if, relativement à la question de savoir si Cavcndish avait quelque connaissance du travail de Watt avant de rédiger les conclusions de son propre Mémoire. Pour soutenir que Cavendish n’ignorait pas les conclusions de Watt, on pourrait remarquer combien il serait improbable que Blagden et d’autres, de qui ces conclusions étaient connues, ne lui en eussent jamais parlé. On pourrait encore dire que Blagden même dans les parties du Mémoire écrites de sa main et destinées à réclamer la priorité en fa\cur de Cavendish contre Lavoisicr, n’affirme nulle part que la théorie de Cavendish fùt conçue avant le mois d’avril 1783, quoique, dans une autre addition au Mémoire original de son ami, il y ait une citation relative à la théorie de Watt. \037Puisque la question de savoir à quelle époque Cavcndish tira des conclusions de ses expériences est enveloppée dans une grande obscurité, il nc sera pas sans utilité’ de rechercher qu’elles étaient les habitudes de cc chimiste quand il communiquait ses découvertes à la Société royale. \037Va comité de cette Société, auquel Gilpin était associé, lit une série d’expériences sur la formation de l’acide nitrique. Ce comité, placé sous la direction de Cavendi.-li, se proposait de convaincre ceux qui doutaient de la composition de l’acide en question, indiquée inciden- \037

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JAMES WATT. 509 \037tellement dans le Mémoire de janvier 178/j, et ensuite plus au long dans un Mémoire de juin 1785. Les expériences furent exécutées du 0 décembre 1787 au 19 mars 1788. La date de la lecture du Mémoire de Cavendish est le 17 avril 1788. La lecture et l’impression du Mémoire suivirent donc, à moins d’un mois de distance, l’achèvement des expériences. \037Kinvan présenta des objections contre le Mémoire de Cavendish rotatif la composition de l’eau, le 5 février 1784. La date de la lecture de la réponse de Ca\endish est le k mars 1784. \037Les expériences sur la densité de la terre embrassèrent l’intervalle du 5 août 1797 au 27 mai 1798. La date de la lecture du Mémoire est le 27 juin 1798. \037Dans le Mémoire sur l’eudiomètrc, les expériences citées sont de la dernière moitié de 1781 et le Mémoire ne fut lu qu’en janvier 1783. Ici l’intervalle est plus grand que dans les précédentes communication?. Mois, d’après la nature du sujet, il est probable que l’auteur se livra à de nouveaux essais en 178k2. \037Tout rend probable que Watt conçut sa théorie durant le peu de mois ou de semaines qui précédèrent Ic mois d’a\ril 1783. Il est certain que celte théorie il la considéra comme sa propriété, car il ne fit allusion a aucune communication analogue et antérieure; car il ne dit jxis avoir entendu raconter que Cavendish fùt arriva aux mêmes conclusions. \037On ne saurait croire que Blagden n’eût pas entendu parler de la théorie de Cavendish avant la date de la lettre do Watt, si la théorie avait en cflet précédé la \037

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!>IO JAMES WATT. \037lettre et qu’il ne se fùt pas empressé de signaler cette circonstance dans les additions qu’il fit au Mémoire de son ami. \037Il est bon enfin de remarquer que Watt s’en reposa entièrement sur Blagdcn du soin de corriger les épreuves, et de tout ce qui pouvait être relatif à l’impression de son .Mémoire. Cela résulte d’une lettre encore existante adressée à Blagden. Watt vit son Mémoire seulement après qu’il eut été imprimé. \037les notes de M. Watt fils faisaient partie du manuscrit qui n’a ét«S remis par lord Krougham, et c’est sur la demande expresse de mon illustre confrère que je les ai fait imprimer comme un utile commentaire de son travail. \037

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Lazare- Nicolas --Marguerite Carnot naquit à Nolay (COte-d’Or), dans cet ancien duché de Bourgogne qui déjà avait été le berceau de trois des plus grandes illusI rations dont les académies puissent se glorifier Bossue!, Vuuban, Buffon. Son père était avocat et exerçait celle noble profession avec beaucoup de talent (ce qui n’est pas rare), avec un très-grand désintéressement (ce qui, dit-on, est un peu moins commun). L’avocat ClaudeAbraham Carnot avait dix-huit enfants ainsi, d’après le vieil adage qui promet la prospérité aux familles nombreuse?, il dut compter sur un avenir heureux pour chacun de ses enfants. En effet, à une certaine époque, il tût pu voir, dans cette nombreuse lignée, deux lieutenants généraux des années françaises; un conseiller à la cour do cassation; un procureur général de cour royale la directrice de l’hospice de Nolay; un magistrat municipal fort estimé pcndaut qu’il administrait sa commune \037CARNOT \037BIOGRAPHIE LIE EN SIANCK ri’M.IQI’Ë DE DES SCHSCKS, LE 21 A"l’T 1837. \037E.1FANCE DE CARSOT. – SOS ÉDIOtTlO.N. \037

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!5I» CAnNOT. \037.t, ’I1IJ \037plus estimé encore, s’il est possible, lorsque après vingttrois années d’exercice il se fut soumis à une destitution brutale, plutôt que de manquer à son devoir. 11 faut dire que en porc tendre et prévoyant, l’avocat de Nolay ne s’était pas fié sans réserve à la puissance du proverbe et qu’il présida toujours personnellement a la première éducation de ses fils. Lazare Carnot, le sujet de cette Biographie, ne quitta môme le toit paternel que pour al.er, comme on disait alors, faire sa rhétorique et sa philosophie. \037L’enfance dos hommes privilégiés qui, à dos titres divers, ont joue un rôle éclatant sur la scène du momie, a de tout temps fixé l’attention de tous tes biographes. Le connais-loi toi-même! d’un ancien philosophe serait interprété, d’une façon par trop mesquine, si on se bornait à n’y voir qu’un conseil de prudence; la maxime est susceptible d’une interprétation plu* juste et plus large. elle nous présente, je crois, l’espèce humaine, envisagée dans son ensemble, comme le plus important sujet d’étude qu’on puisse se proposer. Ainsi, Messieurs, recherchons avec soin de quelle manière s’annoncent, naissent et grandissent ces intelligences extraordinaires qui, après leur entier développement, doivent se frayer des routes inconnues. Ces traits caractéristiques méritent d’être recueillis avec d’autant plus d’intérêt, qu’ils deviendront chaque jour plus rares. Dans nos écoles modernes, t.iillécs, du nord au midi, de l’est à l’ouest, exactement sur le nn’me patron soumises à dos règles communes, une di;cii’line uniforme; où tes enfants d’ailleurs arrivent à l";V>e de neuf a dix ans pour n’en sortir qu’à dix-huit ou \037

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CARNOT. 513 \037[. M \037vingt, les individualités s’effacent, disparaissent ou se couvrent d’un masque de convention. L’agronome se garde bien d’aller dans une serre chaude, quand il veut connaître la taille, la forme, le port de ces admirables plantes qui sont l’ornement des forêts séculaires. Ce n’est pas non plus dans nos régiments qu’on pourrait espérer de retrouver les vrais types des paysans bretons, normands, lorrains ou francs-comtois. Nos écoles-régiments (qu’on me passe l’expression) ne dérouteraient pas moins les moralistes. Là, il s’établit une sorte de moyenne autour de laquelle, avec de très-légers écarts, toute la jeunesse va aujourd’hui se grouper. Est-ce un bien, est-ce un mal? Dieu me garde d’aborder ici une semblable question je dis seulement que c’est un fait, et ce fait expliquera pourquoi j’ai recueilli diverses particularités de l’enfance de notre confrère qui, sans cela, auraient pu sembler trop minutieuses. \037Carnot n’avait encore que dix ans lorsque sa mère, dans un voyage à Dijon, l’emmena avec elle et, pour le récompenser de la docilité réfléchie qu’il montrait en toute circonstance, le conduisit au spectacle. On donnait ce jour-là une pièce où des évolutions de troupes, où des combats se succédaient sans relâche. L’écolier suivait, avec une attention soutenue, la série d’événements qui se déroulaient devant lui; mais tout à coup il se lève, il s’agite et, malgré les efforts de sa mère, il interpelle, en termes à peine polis, un personnage qui venait d’entrer en scène. Ce personnage était le général des troupes auxquelles le jeune Carnot s’intéressait; par ses cris, l’enfant avertissait le chef inhabile que l’artillerie était i i 33 \037

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514 CARNOT. \037VI? vsw. vm \037mal placée, que les canonniers, vus à découvert, ne pou-» vaient manquer d’être tués par les premiers coups de fusil tués du rempart de la forteresse qu’on allait attaquer qu’en établissant au contraire, la batterie derrière certain rocher qu’il désignait de la voix et du geste, les soldats seraient beaucoup moins exposés. Les acteurs interdits ne savaient que faire; madame Carnot était désolée du désordre que son fils occasionnait la salle riait aux éclats; chacun cherchait dans sa tête l’explication d’une espièglerie si peu ordinaire; et la prétendue espièglerie n’était autre chose que la révélation d’une haute intelligence militaire, le premier symptôme de cet esprit supérieur qui, dédaignant les routes battues, créait quelques années plus tard une nouvelle tactique; et proposait de remplacer les fortifications si artistement, si ingénieusement combinées de Vauban, par un tout autre système. \037De douze à quinze ans, Carnot suivit les cours du collège d’Autun. Il s’y fit remarquer par une tournure d’esprit vive, originale, et par une rare intelligence. Ensuite il entra au petit séminaire de la même ville. A seize ans, Carnot avait achevé sa philosophie. La fermeté que nous trouverons en lui, dans le cours de la plus orageuse carrièie, était déjà alors le trait dominant de son caractère. Les timides professeurs du séminaire d’Autun en firent la pénible expérience, le jour où leur écolier devait soutenir sa thèse. \037Cette cérémonie se passait toujours en public. D’après des règlements dont la libéralité semblerait aujourd’hui excessive à nos autorités universitaires, chaque auditeur \037

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CARNOT. 515 ".1. .1- ir \037avait le droit de faire des objections. La critique pouvait s’exercer également sur le fond et sur la forme. L’ainourpropre du maître courait donc autant de risques que celui de l’élève, et la réputation d’un grand établissement se trouvait, de cette manière, à la merci d’un jeune étourdi. De là l’habitude de lancer les concurreuts dans l’arène, escortés d’un mentor qui venait au secours de leur mémoire infidèle, qui, par un mot dit à propos, les ramenait dans la bonne voie dès qu’ils commençaient a s’en écarter, qui souvent même était entraîné à combattre pour son propre compte. Suivant ces us et coutumes, le corps enseignant du séminaire d’Autun se dirigeait déjà vers la salle des exercices ou un public nombreux était assemblé, lorsque le jeune Carnot signifia qu’il entendait monter seul en chaire; qu’il ne voulait pas être accompagné d’un souffleur; qu’il ne tenait aucunement au rôle qu’on lui avait assigné, et qu’il le jouerait seul ou ne le jouerait pas du tout. Cette résolution fut tour à tour combattue par la prière et par la menace, mais inutilement il f;illu!f bon gré, mal gré, se soumettre au caprice, sans antécédents, de l’écolier. Au reste, le plus éclatant succès le justifia bientôt, même aux yeux des professeurs irrités. l’n incident assez étrange devait signaler la séance une dame, la femme d’un docteur en médecine, devint l’adversaire le plus redoutable du jeune rhétoricien clic argumenta contre lui, en latin, avec une puissance de dialectique, avec une facilité, une gr<kc, une élégance d’expressions dont Carnot et l’auditoire furent d’autant plus étonnés, qu’aucune indiscrétion, jusque-là, n’avait même fait soupçonner que madame l’Homme eût porte \037

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516 CARNOT. \037ses lectures plus loin que la Cuisinière bourgeoise, VA!manach de Liége et le Petit Paroissien. \037Carnot s’était teHement pénétré, je ne dis pas seulement du principe religieux, mais encore, ce qui n’est pas la même chose, des minutieuses pratiques de dévotion scrupuleusement suivies au petit séminaire d’Autun, que plusieurs de ses parents eurent un moment la pensée de le faire entrer dans les ordres. Ils étaient fortifiés dans cette idée par le souvenir d’un grand nombre de dignitaires ecclésiastiques dont cette honorable famille pouvait se glorifier, et parmi lesquels figuraient des chanoines, des vicaires généraux du diocèse de Cliâlon, des docteurs en Sorbonne et un abbé de Cîteaux. La carrière du génie militaire prévalut cependant, et le jeune Carnot fut envoyé à Paris dans une école spéciale où il devait se préparer aux examens. Les camarades qu’il trouva dans cet établissement n’avaient certainement pas été élevés au séminaire car la piété profonde du nouvel écolier, et dont au reste il se serait bien gardé de faire mystère, devint le sujet de leurs continuels sarcasmes. Des sarcasme» ne sont pas des raisons Carnot n’en fut donc point ébranlé mais il sentit le besoin de mûrir, par la réflexbn et l’étude, des idées, des sentiments auxquels son âme candide et pure s’était jusque-là abandonnée avec charme et sans nulle défiance. La lhéologie devint ainsi, pondant quelques mois, l’unique occupation d’un apprenti-officier. Personne aujourd’hui ne pourrait dire quel fut l’effet de ces méditations; car, à toutes les époques de sa vie, Carnot évitait soigneusement, mrme dans l’intimité du foyer domestique, les discussions je dir;)i \037

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CARNOT. 617 7 \037~j~n~v*. VI 8 \037plus, les simples entretiens relatifs à la religion. Nous savons seulement qu’il professait des principes adoptés aujourd’hui par tous les esprits honnêtes et éclairés. La « tolérance universelle, disait-il, lorsque, proscrit et errant sur une terre étrangère, il avait à repousser les traits acérés de la calomnie, « la tolérance universelle, « voilà le dogme dont je fais hautement profession. « J’abhorre le fanatisme, et je crois que le fanatisme de « l’irréligion, mis à la mode par les Marat et les père « Duchêne, est le plus funeste de tous. Il ne faut pas tuer les hommes pour les forcer à croire; il ne faut pas les « tuer pour les empêcher de croire compatissons aux i faiblesses d’autrui, puisque chacun a les siennes, et « laissons les préjugés s’user par le temps, quand on ne peut pas les guérir par la raison. » \037Après la théologie, les études scientifiques, celles surtout de la géométrie et de l’algèbre, eurent leur tour, et comme à Nolay, comme à Autun, les succès furent rapidcs et éclatants. M. de Longpré, directeur de l’École préparatoire, connaissait d’Alembert. L’illustre géomètre ne dédaignait pas d’aller, parmi de très-jeunes écoliers, encourager de son suffrage le mérite naissant. Dans une de ses visites, il distingua particulièrement Carnot, et lui adressa de flalteuses, de prophétiques paroles, que notre confrère répétait avec émotion, même aux époques où la fortune l’avait rendu un des arbitres des destinées de l’Europe. \037Ne serait-ce pas ici, Messieurs, le lieu de regretter <juc, dans notre société, telle qu’un demi-siCcle de révolutions l’a faite, les relations personnelles qui s’établis- \037

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(H& CARNOT. \037saient jadis entre les professeurs et les élèves d’élite des grandes écoles aient totalement disparu, qu’elles soient même, en quelque sorte, devenues impossibles? L’instant marqué par les programmes voit aujourd’hui arriver des savants, des littérateurs illustres, dans de spacieux amphithéâtres. La foule les y attend. Pendant des heures entières, tout ce que la science, tout ce que les lettres offi-ciit de profond de subtil de nouveau, est développé avec méthode, avec clarté, avec éloquence mais la leçon finie, le professeur se retire, sans même savoir les noms de ceux qui l’ont écouté. Cependant, au milieu d’un semblable auditoire (je me bornerai, Messieurs, à une seule citation), Fourcroy trouvait, dans un jeune garçon apothicaire venu furtivement pour l’entendre, le collaborateur dévoué, exact, infatigable, ingénieux, qu’à ces traits-là chacun de vous a déjà nommé il découvrait Yauquclin 1 ESTKÉE PE CARNOT A l.COLE DE MÉZlfRES \037COMME LIEl’TEXAM E> SECOND UO CÉME. \037Lorsque Carnot quitta rétablissement de M. de Longpré, l’ordonnance en vertu de laquelle un généalogiste concourait avec un géomètre à l’examen des futurs officiers du génie n’était pas en vigueur. En 1771, tout Français pouvait encore, sans montrer de parchemins, Ctrc admis à l’École de Mézières, à la condition toutefois que ses père et mère n’eussent pas tenté d’enrichir leur famille et leur pays par le commerce ou par un travail manuel. Le jeune aspirant montra, devant l’examinateur Dosait, des connaissances mathématiques peu communes. \037

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CARNOT. 519 \037Son père, suivant les tristes exigences de l’époque, prouva de son côté que jamais un de ses navires n’avait été en de lointains pays échanger les fruits du sol français, de l’industrie française contre des productions réservées par la nature à d’autres climats; que ses mains n’avaient point combiné les caractères mobiles de Gutenberg, fut-ce même pour reproduire la Bible ou l’Évangile; qu’il n’avait personnellement concouru à l’exécution d’aucun de ces instruments admirables qui mesurent le temps ou sondent les profondeurs de l’espace. \037Après la preuve légale de tous ces mérites négatifs, le jeune Carnot fut déclaré d’assez bonne maison pour porter l’épaulette, et il reçut, sans retard, celle de lieutenant en second. \037Décoré de cette épaulette tant désirée, Carnot, âgé alors do dix-huit ans, se rendit à l’École du génie. Là, sous les auspices de Mongc, il cultiva sans doute la géométrie descriptive et tes sciences physiques avec ses succès habituels; mais, il faut l’avouer, nous en sommes réduits sur ce point à de simples conjectures; car, en poussant à l’extrême le désir naturel de dérober aux étrangers la connaissance, alors peu répandue, de l’art d’élever et de détruire les fortifications, on avait fait de la célèbre École de Mézières une sorte de conclave dont nul profane ne pénétrait jamais les secrets. \037

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620 CARNOT. \037CARNOT, LIEUTENANT EN PREMIER DANS LE SERVICE DES PLACES. \037Le 12 janvier 1773, Carnot, devenu lieutenant en premier, fut envoyé à Calais. Les travaux d’une place où les oscillations périodiques de l’Océan ajoutent une condition nouvelle et importante aux données, déjà très-compliquées par elles-mêmes, du problème de la fortification, intéressèrent vivement le jeune officier. 11 franchit ainsi, sans encombre, le passage ordinairement si pénible des théories savantes à une pratique fastidieuse, des brillantes illusions dont on se berce dans les écoles aux tristes réalités de la vie. \037Le Mémorial de Sainte-Hélène dit que, dans sa jeunesse, Carnot passait parmi ses camarades pour un original.. » Cette qualification, Napoléon l’avait empruntée à Carnot lui-même je la trouve dans la réponse à Bailleul mais expliquée, mais commentée, mais dépouillée de ce vague qui permet de la considérer à volonté comme un compliment ou comme une injure. Carnot à vingt ans était, pour les officiers de la garnison de Calais, un original ou un philosophe (de ces deux mots l’un valait l’autre), parce qu’il ne s’associait ni à leur turbulence, ni à aucune de leurs fredaines; parce qu’il vivait dans les bibliothèques plus qu’au café; parce qu’il lisait Thucydide, Polybe, César, de préférence aux ouvrages licencieux de l’époque; parce que, s’il avait d’intimes relations avec le commandant général de la Picardie, le prince de Croy, c’était non pour obtenir des permissions, des allégements de service, mais pour l’aider dans des recherches géogra- \037

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CARNOT. 5îl \037phiqucs délicates, pour travailler à des cartes de l’hémisphère sud, où devaient figurer les dernières découvertes des navigateurs. Carnot, cependant, n’était rien moins qu’un censeur morose. Sévère envers lui-même, il avait pour les autres un fonds d’indulgence inépuisable. Ses moments de loisir ou de délassement, il les employait à composer de petits vers, empreints toujours d’une gaieté douce et de bonne compagnie. Citer des chansons dans la biographie d’un géomètre, c’eût été certainement une nouveauté; ce faible mérite, tout à ma portée, a failli me séduire un peu de réflexion m’y a fait renoncer. Depuis qu’un grand poëte a mis, chez nous, son cachet immortel sur ce genre de composition, une chanson ne doit plus être citée à la légère. \037PREMIÈRE COMMUNICATION \037ENTRE CARNOT ET L’ACADÉMIE DES SCIENCES. \037– AÉROSTATS. \037La première communication directe entre Carnot et l’Académie des sciences (ce fait sera une nouveauté pour tout le monde) fut amenée par un problème qui nonseulement n’a pas encore été résolu, mais dont la solution paraît impossible à beaucoup de physiciens le problème de la direction des aérostats. \037Les découvertes scientifiques, celles même dont les hommes pouvaient espérer le plus d’avantage, les découvertes, par exemple, de la boussole et de la machine à vapeur, furent reçues, à leur apparition, avec une dédaigneuse indifférence. Les événements politiques, les hauts faits militaires, jouissent exclusivement du privilège \037

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822 CARNOT. \0371* t ̃ ̃ I !• Il \037d’émouvoir la masse du public. Il y a eu, cependant, deux exceptions à cette règle. Sur cette seule indication, chacun de vous a déjà nommé V Amérique et les aérostats, Christophe Colomb et Montgolfier. Les découvertes de ces deux hommes de génie, si différentes, jusqu’ici, dans leurs résultats, eurent, en naissant, des fortunes pareilles. Recueillez, en effet, dans la Historia del Ahniranle les marques de l’enthousiasme général que la découverte de quelques iles excita chez l’Andalous, le Catalan, l’Aragonais, le Castillan lisez le récit des honneurs inouïs qu’on s’empressait de rendre, depuis les plus grandes villes jusqu’aux plus petits hameaux, non-seulement au chef de l’entreprise, mais encore aux simples matelots des caravelles la Santa-Maria, la Pinta et la Nina, qui les premières touchèrent les rives occidentales de l’Atlantique, et dispensez-vous ensuite de chercher dans les écrits de l’époque quelle sensation les aérostats produisirent panni nos compatriotes les processions de Séville et de Barcelone sont l’image fidèle des fêtes de Lyon et de Paris. En 1783, comme deux siècles auparavant, les imaginations exaltées n’eurent garde de se renfermer dans les limites des faits et des probabilités. Là, il n’était pas d’Espagnols qui, sur les traces de Colomb, ne voulût, lui aussi, aller fouler de ses pieds des contrées où, dans l’espace de quelques jours, il devait recueillir autant d’or et de pierreries qu’en possédaient jadis les plus riches potentats. En l’rance, chacun, suivant la direction habituelle de ses idées, faisait une application différente mais séduisante de la nouvelle faculté, j’ai presque dit des nouveaux organes, que l’homme venait de recevoir des mains de Montgol- \037

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CARNOT. 523 \037fier. Le physicien, transporté dans la région des météores, prenant la nature sur le fait, pénétrait enfin, d’un seul regard, le mystère de la formation de la foudre, de la neige, de la grêle. Le géographe, profitant d’un vent favorable, allait explorer, sans danger comme sans fatigue, et ces zones polaires que des glaces amoncelées depuis des siècles semblent vouloir dérober pour toujours à notre curiosité, et ces contrées centrales de l’Afrique, de la Nouvelle-Hollande, de Java, de Sumatra, de Bornéo, non moins défendues contre nos entreprises par un climat dévorant que par les animaux et les peuplades féroces qu’elles nourrissent. Certains généraux croyaient se livrer à un travail urgent en étudiant les systèmes de fortification d’artillerie qu’il conviendrait d’opposer à des ennemis voyageant en ballon; d’autres élaboraient de nouveaux principes de tactique applicables à des batailles aériennes. De tels projets, qu’on dirait empruntés à l’Arioste, semblaient assurément devoir satisfaire tes esprits les plus aventureux, les plus enthousiastes; il n’en fut pas ainsi, cependant. la découverte des aérostats, malgré le brillant cortége dont chacun l’entourait à l’cmi, ne parut que Pavant-coureur de découvertes plus grandes encore rien désormais ne devait ôtre impossible à qui venait de conquérir l’atmosphère; cette pensée se reproduit sans cesse elle rcvCl toutes les formes la jeunesse s’en empare avec bonheur; la vieillesse en fait le texte de mille regrets amers. Voyez la maréchale de Vilkroi octogénaire et malade, on la conduit presque de force à une dos fenêtres des Tuileries, car elle ne croit pas aux ballons; le ballon toutefois se détache de ses amarres; notre \037

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’oïl CARNOT. \037confrère Charles, assis dans la nacelle, salue gaiement le public, et s’élance ensuite majestueusement dans les airs. Oh 1 pour le coup, passant, et sans transition, de la plus complète incrédulité à une confiance sans bornes dans la puissance de l’esprit humain, la vieille maréchale tombe à genoux, et, les yeux baignés de larmes, laisse échapper ces tristes paroles « Oui, c’est décidé, maintenant, c’est certain ils trouveront le secret de ne plus mourir, « et ce sera quand je serai morte!» 1 \037Carnot, d’un esprit sévère, et d’ailleurs il n’avait pas quatre-vingts ans, se garda bien d’aller aussi loin que la maréchale de Villeroi. 11 se fit remarquer cependant parmi les enthousiastes. Il croyait alors, il a toujours cru depuis à la possibilité de diriger les ballons, et conséquemment aux applications que les sciences et l’art de la guerre en avaient espérées. Les archives de l’Académie doivent renfermer un Mémoire où le capitaine du génie Carnot soumettait à ses maîtres un dispositif de rames légères qui, suivant lui, devaient conduire au but. Ce Mémoire n’a pas encore été retrouvé. Je continuerai mes recherches, et si le travail me semble pouvoir ajouter à la réputation de notre confrère, le public n’en sera pas privé. Peut-être y joindrai-je un Mémoire du même genre, également inédit, d’un autre académicien, de l’illustre Meunier. ÉLOGE DE VAIBAN PAR CARNOT. –SES DISCUSSIONS AVEC M. DE MOMAIEMBERT. \037Certaine société littéraire d’une très-petite ville s’était jadis qualifiée, de sa pleine autorité, do fille de l’Académie \037

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CARNOT. 5îï \037française. Voltaire ne voulait pas qu’on lui refusât ce titre Je la tiens même, disait-il, pour une fille trèsvertueuse, puisque jamais elle n’a fait parler d’elle. » L’épigramme n’eût pas été applicable à l’Académie de Dijon. Cette Société célèbre ne fuyait les regards du public, ni lorsqu’elle mit en question Si le réta«  blissement des sciences et des arts avait contribué a épurer les mœurs ni surtout lorsqu’elle couronna le discours où Jean-Jacques se prononçait pour la négative. Le temps a fait bonne justice du paradoxe; mais il n’a pas dû effacer le souvenir du procédé généreux qui, en donnant à Rousscau une célébrité inattendue, l’attacha pour toujours à la carrière brillante dans laquelle il a trouvé des émules, des rivaux, mais point de maître. \037Au titre que je viens de rappeler, l’Académie de Dijon peut ajouter encore celui d’avoir fait naître la première production de Carnot dont la presse se soit emparée ït’Aoge de Vauban. \037L’intrépidité, le désintéressement, la science de l’illustre maréchal, avaient déjà reçu, par la bouche de l’ontoncllc, un hommage auquel il semblait difficile de rien ajouter. Quels discours, en effet, pourraient plus dignement caractériser une vie militaire que ces quelques chiffres « Vauban fit travaillcr à 300 places; il en éleva 33 « neuves; il conduisit 53 sièges; il s’est trouvé à l’iOac«  tions de vigueur. » Et ces autres paroles ne semblentelles pas empruntées à Plutarque? Les mœurs de Vauban « ont tenu bon contre les dignités les plus brillantes et n’ont pas môme combattu. En un mot, c’était un \037

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S 20 G CAItNOT. \037w\ • »• 1 il • t “_• _l \037« Romain qu’il semblait que notre siècle eût dérobe1 aux « plus heureux temps de la République! » \037L’éloge d’où ces deux passages sont tirés m’avait toujours paru si éloquent, si vrai, qu’au moment ou, pour la première fois, je trouvai un discours sur Vauban parmi les productions de notre confrère, je me surpris à maudire de toute mon âme le programme académique qui, se jouant de l’inexpérience d’un jeune homme, l’avait ex. posé a une redoutable comparaison. En vérité, je n’aurais pas été plus inquiet si j’eusse découvert que Carnot avait essayé de refaire la Mécanique de Lagrange, Athalie, ou les Fables de La Fontaine. Ces craintes étaient exagérées. Les membres bourguignons de l’Académie do Dijon eurent raison de penser que le Bourguignon Vauban pouvait encore devenir un intéressant sujet d’étude, aprè3 le brillant portrait tracé par Fontenelle. Et, en effet, le secrétaire de l’Académie des sciences avait prudemment laissé dans l’ombre l’un des plus beaux côtés de l’illustre maréchal. \037L’éloge de Vauban, sous la plume d’un officier du génie, semblait devoir consister principalement dans une appréciation exacte des moyens de défense et d’attaque dont s’illustre maréchal a doté l’art de la guerre. Ce ne fut pas cependant le plan qu’adopta Carnot. C’est surtout par k-s qualités du cœur, par les vertus, par lo patriotisme, que Vauban lui semblait digne d’admiration « C’était, s’écriait-il, un de ces hommes que la nature « donne au monde tout formés à la bienfaisance; doués, t comme l’abeille, d’une activité innée pour Je bien « général; qui ne peuvent séparer leur sort d" celui do \037

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CARNOT. 5«  ,m, ;v: i" ~i\l:.t.~ \037« la République, et qui, membres intimes de la société, vivent, prospèrent, souffrent et languissent avec elle. » Le prince Henri de l’russe assistait à la séance de l’Académie de Dijon dans laquelle l’éloge de Vauban fut lu et couronné. 11 exprima, dans les termes les moins équivoques, tout le plaisir que ce discours lui avait fait; il assura l’auteur, verbalement et par écrit, de sa profonde estime. Piqué d’émulation, le prince de Coudé, qui présidait l’assemblée comme gouverneur de la Bourgogne, enchérit encore sur les marques de bienveillance que le jeune officier du génie recevait du frère de Frédéric le Grand. \037Carnot avait-il donc encensé les préjugés nobiliaires? Ses principes de 1784 étaient-ils tellement différents de ceux qui depuis ont dirigé toutes ses actions, que le suffrage des grands ne pût pas lui manquer? Écoutez, Messieurs, et prononcez 1 \037La Dîme royale, cet écrit qui, sous Louis XIV, amena l’entière disgrâce de Vauban, dont Fontenelle eut la prudence de ne pas même citer le titre dans rémunération des travaux de l’illustre maréchal, Carnot l’appelait un exposé simple et pathétique des faits; un ouvrage où tout frappe par la précision et la vérité ». La répartition des impôts, en France, paraît barbare au jeune officiel’; la manière de les percevoir plus barbare encore. D’après lui, le véritable objet d’un gouvernement c»t d’obliger au travail tous les individus de l’État; Ic moyen qu’il indique pour arriver à ce résultat serait (je cite textuellement) de faire passer les richesse», dos mains ou elles sont superflues, dans celles où elles sont nécessaires. Carnot \037

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528 CARNOT. \037s’associe sans réserve à ce précepte de Vauban les lois devraient prévenir l’affreuse misère des uns, l’excessive opulence des autres; il s’élève contre l’odieuse multiplicité des priviléges dont les classes les plus nombreuses de la population avaient alors tant à souffrir; enfin, après avoir partagé les hommes en deux catégories, les travailleurs et les oisifs, il va jusqu’à dire de ces derniers, dont suivant lui on s’est exclusivement occupé en constituant les sociétés modernes, qu’ils ne commencent à être utiles qu’au moment oh ils meurent, car ils ne vivifient la terre qu’en y rentrant. Telles sont, Messieurs, les hardiesses qu’une académie couronnait en 1784; qui dictaient à Buffon, qu’on n’accusera certainement pas d’avoir été un novateur en matière de gouvernement, ces paroles si flatteuses pour le lauréat « Votre style est noble et coulant vous avez fait, Monsieur, un ouvrage agréable et utile; qui inspiraient au frère d’un roi absolu le désir d’attacher Carnot, dont il se déclarait Y ami, au service de la Prusse; qui valurent au jeune officier la bienveillance du prince que Worms, Coblentz, peu d’années après, voyaient à la tête de l’émigration Qu’on ose ensuite appeler notre révolution de 1789 un effet sans cause, un météore dont rien n’avait dû faire prévoir l’arrivée 1 Les transformations morales de la société sont assujetties à la loi de continuité; elles naissent, grandissent, comme les produits du sol par des nuances insensibles. \037Chaque siècle développe, discute, s’assimite en quelque sorte des vérités ou, si l’on veut, des principes dont la conception appartenait au siècle précédent ce travail \037

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CARNOT. 6-’O \037de l’esprit passe ordinairement sans être aperçu du vulgaire mais quand le jour de l’application arrive, quand les principes réclament leur part d’action, quand ils veulent pénétrer dans la vie politique, les intérêts anciens, n’cussent-ils à invoquer en leur faveur que cette même ancienneté, s’émeuvent, résistent, combattent, et la société est ébranlée jusque dans ses fondements. Le tableau sera complet, Messieurs, si j’ajoute que, dans ces luttes acharnées, ce ne sont jamais les principes qui succombent. Carrot, comme je l’ai déjà remarqué, avait à peine effleuré dans son éloge la partie technique des travaux de Vauban; mais, dans les quelques pitrascs qu’il écrivit à. ce sujet, il s’avisa de dire que certain vulgaire ignorait se faisait de la fortification une idée erronée en la réduisant à l’art de tracer sur le papier des lignes assujetties k des conditions plus ou moins systématiques. Ces paroles, dans leur généralité, semblaient devoir passer inaperçues; un malheureux concours de circonstances leur donna une importance qui n’était ni dans les prévisions, ni surtout dans les désirs de l’auteur. En 1783, un général d’infanterie, membre de cette académie, M. le marquis de Montalombcrl, publia, sous le titre de Fortification pc̃pcndicvlaire, un système de défense des places entièrement nouveau. Ce système fut combattu a outrance par le c.rps presque tout entier du génie militaire. Le rejet ( u d’une illustre famille, l’officier général de t’armée française, l’académicien, pouvait assurément, sans trop de vanité, ne pas se croire compris dans le vulgaire ignorant que l’auteur de l’éloge avait signalé en passant; mais M. de MonUtlem’oort s’obstina à s’appliquer ces expreîI. 1. -̃’» \037

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530 C Alt NO T. \037fions, et, pour se venger, il publia une édition de l’éloge de Viiubau accompagnée de notes où I1 offense, où l’outrage, étaient portés à leur comble. Il y avait dans ce pamphlet de quoi bouleverser mille fois la tête d’un jeune homme; cependant, en cette difficile occurrence, Carnot £0 montra d<’jà ce qu’il a toujours été depuis franc, loyal, et complètement insensible a des injures non méritées. \037« Si vos soupçons étaient fondés, écrivit-il à son fou«  gueux antagoniste, j’aurais méconnu les premiers de«  voirs de l’honnêteté, de la décence; j’aurais manque « surtout aux égards infinis que les militaires doivent à « un général distingué croyez qu’il n’est aucun officier « du génie qui n’apprît, avec le même plaisir, de M. le « marquis do Montaleinbcrt, à bien fortifier tes places, « que du brave d’Essé à les bien défendre. » \037On appréciera l’à-propos, la délicatesse de cette citation, quand j’aurai dit que le brave d’Kssé, qui, en 15/j3, npres plus de trois mois d’une résistance héroïque, obligea toutes les forces de l’Empereur à lever le siège de Landi’ecies, était un des ancêtres de M. do Moulalembcrt. \037La modération, la politesse, sont un moyen de succès presque infaillible coutre ta violence et l’outrage; aussi, dans les luttes de la presse, faut-il souvent tes emisager comme le simple résultat d’un calcul, comme une preuve d’habileté. Mais la lettre de Carnot ne permettait pas de i-c méprendre sur la sincérité de ses sentiments. Votre ouvrage, écrivait-il à celui qui venait de critiquer amèrement le fond, le style, je puis presque ajouter la ponclna- \037

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CARNOT. 531 1 \037tion de son éloge, votre ouvrage est plein de yénic Maintenant que vos casemates sont connues et éprouvées, la fortification va prendre une nouvelle face; elle deviendra un art nouveau. « 11 ne sera plus permis d’employer « les revenus de l’État à faire du médiocre, quand vous « nous avez appris a faire du bon. Quoique le corps du génie n’ait point l’avantage de vuus posséder, nous ̃ nVn croyons pas inoins avoir le droit c’e vous compter parmi ses plus illustres membres. Quiconque étend ncs « connaissances, quiconque- nous fournit de nouveaux « moyens d’être utile il la France, devient notre confrère, « notre chef, notre bienfaiteur. » M. de .Montalcmberl ne résista pas a des témoignages d’estime si explicites, si flatteurs. Le désaveu le plus formel de la malencontreuse brochure suivit de près la réponse de Carnot d’autre part, il faut bien l’avouer, tes chefs supérieurs du géiLC furent tellement irrités des éloges qu’un simple capitaine s’élait permis de donner a des systèmes qu’eux avaient repoussés d’autorité, qu’une lettre de cachet et la Bastille apprirent à notre confrère qu’à la veille de notre grande Résolution, la liberté d’examen, cette précieuse conquèle de la philosophie moderne, n’avait pas encore pénétre dans les habitudes militaires. Une semblable rigueur parait inexplicable, alors même qu’on fait la plus large part aux exigences de l’esprit de corps et aux susceptibilités de l’amoui’-proprc; Carnot, en elïel, tant dans son éloge que dans sa lettre à .Montaleinbert, s’était montré le plus chaud défenseur do l’arme à laquelle il appartenait, et « qui fait profession, disait-il, de sacrifier son temps et s.ï vie a l’ï’.Uit. Je le d< inuide, celui-là a\ ait-il donc \037

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533 CARNOT. \037reconnu les devoirs de sa position qui, appelé à mettre en balance les services de l’officier de troupes et ceux de l’ingénieur auquel est dévolu le dangereux honneur de tracer les parallèles, de commander la tranchée ou de diriger une tête de sape, s’exprimait si noblement « I/officier du génie est au milieu du péril, mais il y cd « seul et dans le silence; il voit la mort, mais il faut qu’il « l’envisage avec sang-froid; il ne doit point courir à elle « comme les héros des batailles il la voit tranquillement « venir; il se porte où la foudre éclate, non pour agir, « mais pour observer; non pour s’étourdir, mais pour « délibérer. » \037J’aurais peut-être moins longuement insisté, Messieurs, sur ce fâcheux épisode de la vie de Carnot, s’il ne m’avait pas été donne de reconnaître moi-même combien de pareils temps sont loin de nous; si accompagnant, dans la visite de quelques villes de guerre, nos officiers du génie les plus illustres, je n’avais vu, lorsqu’on discutait tes améliorations dont ces places semblaient susceptibles, le simple sous-lieutenant opposer vivement et en toute liberté ses idées, ses réflexions, ses systèmes, aux opinions des généraux; ne se rendre qu’après avoir été victorieusement réfuté, et sortir c’éfinilivement de cette lutte animée, non pas, comme jadis, pour aller à la Bastille1, mais avec de nouvelles chances d’avancement, \037Ceux à qui est dévolu le devoir de réclamer sans cesse les améliorations dont notre état social est susceptible, se décourageraient, Messieurs, si, quand l’occasion s’en présente, on ne montrait pas au public que leurs efforts ont quelquefois été couronnés de succès. \037

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CARNOT. 533 \037ESSAI SIR LES M ACHISES. – TH ÉORE ME NOUVEAU SIR LES PERTES DE FORCE. \037La première, je dirai plus, la principale production scientifique de Carnot, date de l’année 1783; elle est intitulée Essai sur les machines en général. Ceux-là se tromperaient beaucoup qui chercheraient dans l’essai de notre confrère la description technique ou l’étude spéciale d’une quelconque des machines simples ou composées dont les hommes ont su tirer tant d’avantages. Tel n’était pas, en effet, le but que l’auteur avait en vue. Une machine, considérée dans sa plus grande généralité, est l’assemblage d’un nombre plus ou moins considérable de pièces fixes ou mobiles à l’aide desquelles les forces de toute nature produisent ordinairement des ett’e’s que leur action directe ne pourrait pas réaliser. Voyez, par exemple, le tailleur de pierre, la main sur la manivelle d’une machine bien simple, sur la manivelle du cric ou du treuil; il renverse, il incline à sa convenance, il soulève jusqu’au faîte des plus hautes bâtisses d’énormes blocs que, sans cela, il ne parviendrait pas à déplacer de l’épaisseur d’un cheveu. \037A la vue de ces effets, les ignorants crient à la merrcille; ils se persuadent que les machines multiplient tes forces, et cette idée fausse, radicalement fausse, les jolie dans des conceptions bizarres, ordinairement très-compliquées, qui enlèvent chaque année, en pure perle, d’immenses capitaux a l’agriculture, à l’industrie manufacturière et au commerce. \037

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531 CARNOT. \037Dans une force, quelle qu’en soit la nature, ce qui doit s’apprécier en urgent, ce que le fabricant achète a l’ingénieur, peut aisément se ramener a un effet tressimple et dont tout le inonde a une idée nette. On suppose la force directement appliquée a l’élévation d’un poids; on voit la hauteur a laquelle la force élève le poids dans un certain temps, et ces deux données de l’expérience, le poids et la hauteur, multipliées entre elles forment un produit qui est l’appréciation exacte de la force employée. Ce produit en effet pour un temps donne et pour une même hauteur d’élévation, ne peut pas augmenter ou diminuer sans que la force augmente ou diminue dans la même proportion; en sorte, par exemple, que s’il devient double, triple, décuple, c’est que la force a doublé, triplé, décuplé. \037Le produit qui donne la mesure directe d’une force, sert également à l’apprécier quand elle a exercé son action sur la résistance, par l’intermédiaire d’une machine; eh bien, cette machine. douez-la par la pensée de. ton’.es les perfections imaginables, et le produit du poids par la hauteur qu’il aura parcourue en un temps donné sera précisément égal a celui qu’on avait obtenu en opérant avec la même force, sans aucun intermédiaire. L’effet réel, dirons mieux, l’effet convenablement envisage d’une machine quelconque ne surpassera donc j.nnais celui que la force motrice était en état de produire naturellement. Si vous le voulez, vous pourrez sans dont?, avec une machine, soulever des masses énormes, des millions, des milliards de kilogrammes par exemple; mais puisque ce produit du poids par la hauteur doit res- \037

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CARNOT. 535 \037tor constant, tes quantités dont ces masses pourront être soulevées en une minute seront un million ou un milliard de fois plus petites que celles où votre main eût porte un peu) kilogramme dans le même temps. \037Chacun comprendra maintenant le véritable sens de l’aphorisme de mécanique Les machines font perdre en (cmjis ou en vitesse ce qu’elles font gagner en force. (,)u*on me cl > ’11110 un point d’appui situé hors de In. terre, s’écriait Archimède, et celte terre si grande, si massive, je la soulèverai a l’aide d’un levier par le «?ul elTort de ma main. L’exclamation de l’immortel géomètre caractérisait merveilleusement les machines, en tant qu’elles donnent à l’homme le moyen de réaliser des effets qui, s;ms cela, seraient des milliards de milliards de fois au-dessus de sa force naturelle; mais l’antiquité l’eût sans doute beaucoup moins admirée, si, analysant de plus près tes phénomènes, comme nous venons de le faire, quelqu’un avait ajouté Oui, sans doute, mathématiquement partant, avec son point d’appui et son levier, Arcliimede soulèverait le globe; mais, après quarante millions de siècles d’un effort continu, car un tel calcul ne dépasse pas aujourd’hui les limites de la science, le déplacement opéré serait à peine de l’épaisseur d’un cheveu. Si la machine idéale, si la machine douée de Joules les perfections imaginables n’ajoute rien à la force qui la met eu action, du moins elle ne lui fait rien perdre; elle transforme tes effets par équivalents rigoureux. Il n’en est pas de même d’une machine réelle ici la puissance et la résistance communiquent entre elles à l’aide de pièces que nous supposions inflexibles et qui ne le sent \037

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&36 CARNOT. \037VVV -p- \037pas à l’aide de chaînes et de cordages dont la raideur ne saurait manquer d’être nuisible; les parties mobilcs tournent d’ailleurs dans des collets, dans des crapaudines où s’opèrent de grands frottements toutes ces causes n’unies absorbent en pure perte une partie très-notable de la force motrice; ainsi les effets d’une machine doivent toujours être inférieurs à ceux que la force eût engendrés en agissant directement sur les résistances. \037Ces résultats de la théorie, confirmés d’ailleurs complètement par l’expérience, n’empêchent pas que, sous certains points de vue, telle ou telle machine ne puisse, sans paradoxe, être recommandée; qu’clle ne soit utile, et même souvent indispensable. Des considérations de solidité ou d’ornement obligent, par exemple, de porter au sommet de certains édifices des blocs de pierre ou de marbre dont le poids dépasse les forces de l’ouvrier le plus vigoureux; supprimez le treuil, supprimez les machines analogues, et un seul homme ne pourra plus exécuter le travail que l’architccte aura conçu; il faudra réunir des milliers de bras sur un même point; des espaces resserrés y mettront obstacle; le grand appareil disparaitra de tous les monuments d’architecture la porte triomphale, le palais, ne seront plus construits, comme la modeste chaumière, qu’avec de petits moellons. Vous le voyez, Messieurs, il est des cas, nous ne saurions trop le répéter, dans lesquels, bon gré, mal gré, on doit se résigner à la perte de force qu’entraînent les machines, puisque sans leur secours certains travaux deviendraient inexécutables. \037Les pertes de force qui dépendent de la flexibilité des \037

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CARNOT. 537 \037matériaux dont les machines sont composées, de la raideur des cordes et du frottement, avaient été remarquées des plus anciens mécaniciens les modernes ont été plus loin leurs expériences servent à apprécier ces pertes, à les évaluer en nombres avec une assez grande exactitude. La science en était à ce point, lorsque Carnot publia son Essai. Dans cet ouvrage notre confrère, envisageant tes machines, et même plus généralement tout système do corps mobile, sous un point de vue entièrement neuf, signale une cause inaperçue ou du moins imparfaitement analysée par ses prédécesseurs, et qui, en certains cas, doit aussi donner lieu à des pertes considérables; il montre qu’on doit, à tout prix, éviter les changements brusques de vitesse. Carnot fait plus il trouve l’exprcssion mathématique de la perte de force vive que de pareils changements occasionnent; il montre qu’elle est égale à la force vive dont tous les corps du système seraient animés, si on douait chacun de ces corps de la vitesse finie qu’il a perdue à l’instant même où le changement brusque s’est réalisé. \037Tel est, Messieurs, l’énoncé du principe qui, sous le nom de théorème de Carnot joue un si grand rôle dans le calcul de l’effet des machines. \037Ce beau, ce précieux théorème est aujourd’hui connu de tous les ingénieurs; il les guide dans la pratique; il les garantit des fautes grossières que commettaient leurs devanciers. \037Si je devais en faire sentir l’importance aux gens du monde, je dirais peut-être, malgré la bizarrerie apparente du rapprochement, que Carnot a étendu au monde \037

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538 CAH.NOT. \037matériel un proverbe dont la vérité n’était guère constatée que dans le monde moral que beaucoup de bruit cl peu de besogne est désormais un dicton tout aussi applicable aux travaux effectifs des machines qu’aux entreprises de certains individus dont la pétulance fait espérer des merveilles que l’événement ne réalise jamais, Kn m’adressant aux hommes d’étude, je les prierais de distinguer soigneusement (’invention des organes matériels à l’jiidc desquels tes forces transmettent leur action d’un point h un outre, de la découverte de ces vérités prirnordiales qui s’appliquent indistinctement à tous tes systèmes imaginables; j’essaierais de faire voir que, sous ce premier point de vue, les anciens ne nous étaient peutêtre pas inférieurs. La vis d’Archimède les engrenages de Ctésibius les fontaines hydrostatiques de Héron d’Al-xnndric, l’appareil rotatif à vapeur du même ingénieur, une foule de machines de guerre, et parmi elles les balistes, viendraient au besoin fortifier mon doute. Au contraire, dans le champ des vérités théoriques, l.i prépondérance des modernes se montrerait incontestable. Là apparaîtraient successivement et dans tout leur éclat en Hollande, Stévin et lluygens; en Italie, Galilée et Torricelli; en Angleterre, Newton et Maclaiirin; en Suisse Bcrnouilli et Euler en France, Pascal Va rignon, d’AIcmbcrt, Lagrangc et Lnplace. \037Kl 1 bien, Messieurs, voilà tes illustres personnages a cùté desquels Carnot est allé se placer par la découverte de son beau théorème. \037Je ne sais, en vérité, si je ne dois pas craindre, en insistant plus longtemps sur les inconvénients des than- \037

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CAHNOT. 5-J9 \037geirieols brusques, de faire naître dans mon auditoire le dc^sir que, tout inconvénient mis de côté, je passe brusquement à autre sujet; je me hasarderai cependant h ajouter encore quelques mots. \037Il vient d’être souvent question de forces perdues l’expression est juste, quand on compare les effets d’une machine à ceux qu’elle aurait pu produire, toutes tes autres circonstances restant les mômes, si le constructeur avait soigneusement évité tes changements subits di«  vitesse mais il ne faut pas croire qu’aucune force ou fraction de force puisse Ctre jamais anéantie dans l’acçcption grammaticale du mot tout ce qui ne se retrouve ui dans l’effet utile engendré par le moteur, ni dans ce qu’il conserve de puissance après avoir agi, a concouru a IV braillement et à la destruction de la machine. Ce dernier trait était nécessaire pour faire apprécier tes émhîout?, les incontestables son ices que le théorème de Carnot a déjà rendus et qu’il rendra de plus en plus a l’art et à l’industrie. Si je ne craignais la vive incrédulité qui de prime abord, s’attacherait a mes paroles, j’ajouterais que ce mémo théorème d’analyse et de mécanique a aussi joue un grand rôle dans les événements nombreux de notre Révolution, dont les déterminations do Carnot pouvaient changer le caractère. Au reste, j’in ;t ai Irop dit pour ne pas compléter ma pensée. Dans ma jeunesse, encouragé par la bienveillance, par l’amitié dont Carnot voulait bien m’honorer, je prenais quelquefois la liberté de reporter ses souvenirs sur ces grandes époques de nos annales révolutionnaires oli tes partis, dans leurs convulsions frénétiques, furei l \037

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biO CARXOT. \037anéantis, vaincus, ou seulement apaisés par des mesures brusques, violentes, par de véritables coups d’État. Je demandais alors à notre confrère comment, seul entre tous, il avait constamment espéré d’arriver au but sans fecousscs, et sans porter atteinte aux lois; sa réponse, toujours la môme, s’était profondément gravée dans ma mémoire mais quelle ne fut pas ma surprise lorsque, sortant un jour du cercle d’études qu’un jeune astronome doit toujours s’imposer, je retrouvai textuellement la réponse constante dont il vient d’être question dans l’énoncé d’un théorème de mécanique; lorsque je vis que notre confrère m’avait toujours entretenu de l’organisation politique de la société, précisément comme dans son ouvrage il parle d’une machine où des changements brusques entraînent nécessairement de grandes déperditions de force, et tôt ou tard amènent la dislocation complète du système l \037Serait-il donc vrai Messieurs, que dans notre humaine faiblesse les esprits Ics plus élevés fussent si peu convaincus de la bonté de la sagesse des déterminations que le cœur leur inspire, qu’ils eussent besoin de les confirmer, do les corroborer par des assimilations plus ou moins forcées ? 7 \037Ce doute ne vous étonnera pas si j’ajoute que dans toutes les occasions difficiles, un des savants dont tes travaux ont le plus illustré cette Académie se réglait, à l’eu croire, sur cette maxime assurément t rès- commode « L’eau prend exactement la forme du vase qui la con«  tient; un esprit sage doit, avec la même fidélité, se « modeler sur les circonstances du moment. » \037

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CARNOT. 5H \037Je pourrais citer aussi un autre de nos confrères nou moins célèbre, à qui certain personnage demandait un jour devant moi par quel secret il avait traversé sans encombre les tcrriblcs époques de nos discordes civiles « Tout pays en révolution, répondit-il, est une voiture « dont les chevaux ont pris le mors aux dents vouloir arrêter les chevaux, c’est courir de gaieté de cœur à «une catastrophe; celui qui saute de la voiture s’expose a « être broyé sous les roues le mieux est de s’abandonner « au mouvement en fermant les yeux, ainsi ai-je fait » Dans l’ouvrage dont l’analyse m’a entraîné plus loin que je ne le prévoyais, Carnot a consacré quelques lignes à la question du mouvement perpétuel. 11 fait voir nonseulement que toute machine, quelle qu’en soit la forme, abandonnée à elle-même s’arrêtera, mais il assigne cncoi’3 l’instant où cela doit arriver. \037Les arguments de notre confrère sont excellents aucun géomètre n’en contestera la rigueur faut-il espérer, toutefois, qu’ils dessécheront dans leur germe les nombreux projets que chaque année, je me trompe, que chunuc printemps voitéclorc? \037Voilà ce dont on ne saurait se flatter. Les faiseurs do mouvements perpétuels ne comprendraient pas plus l’ouvrage de Carnot, que les inventeurs de la quadrature du cercle, de la trisection de l’angle, n’entendent la géomélric d’Euclide. De la science, ils n’en ont pas besoin leur découverte, ils la doivent à une inspiration soudaine, surnaturelle. Aussi, rien ne les décourage rien ne les détrompe; témoin cet artiste, d’ailleurs fort estimable, qui sans se douter de ce qu’il y avtût de naïvement bur- \037

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an cahnot. \037Icsqtie dans les termes de sa demande, me priait d’aller voir pourquoi tous ses mouvements perpétuels s’étaient arrêtés \037C.IBSOI, HOMME POLIT.’Ql’E, L’CS DES JIT.KS \037m: i.oi îs xvi. l, \037Carnot fut un des premiers officiers de l’armée française qui embrassèrent loyalement et avec enthousiasme les vues régénératrices de l’Assemblée nationale. Cependant, les annales de la Révolution ne font mention de lui qu’à partir de 1791. \037Certains écrivains prennent à tort l’esprit de prosélytisme pour la ju-^te mesure de la sincérité des convictions politiques; ils ne comprennent point qu’une vie retirée, studieuse, puisse s’allier à un profond désir de réformes sociales; les deux années d’inaction de Carnot leur semMent un véritable phénomène. Or, devinez de quoi ils se sont avisés pour l’expliquer? Ils placent notre confrère parmi les émigrés de Coblentz ses tendances républicaines ne dateraient ainsi que de l’époque où il serait rentré furtivement en France. Je ne vous ferai pas, Messieurs, l’injure de réfuter une aussi risible supposition. \037En 1791 Carnot était en garnison à Saint-Orner, et s’y maria avec mademoiselle Dupont, fille d’un administrateur militaire né dans ce pays. Ses principes politiques, la modération de sa conduite, ses connaissances variées, lui valurent bientôt après l’honneur de représenter le département du Pas-de-Calais à l’Assemblée législative. \037

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CARNOT. 513 \037A partir de cette époque, Carnot se livra tout entier aux devoirs impérieux qui lui furent imposés ou par le choix de ses concitoyens, ou par le suffrage de ses collègues; l’homme public absorba presque entièrement le géomètre ce dernier ne se montra plus que de loin en loin. Ici, Messieurs, deux routes se présentent à moi l’une est unie et frayée; la seconde est bordée de précipices. Si j’en croyais quelques personnes que leur bienveillance pour moi a rendues timides, je n’hésiterais pas à choisir la première. Prendre l’autre, ce sera encourir, je le sais, les reproches d’imprudence, d’aveuglement. A Dieu ne plaise que je me suppose la force de lutter contre des préventions si nettes, si décidées; mais de mesquines cousidérations d’amour-propre s’évanouiront toujours mes yeux devant le sentiment du devoir. Or, je le demande, ne blessera is-jc pas profondément la conscience publique si, même dans cette enceinte consacrée aux arts, aux lettres, aux sciences, je me bornais à parler de l’académicien Carnot? .Sans doute, en déroulant devant vous la longue série de découvertes de tel ou tel savant illustre revêtu durant sa vie du titre de sénateur, on a pu légitimement, très-légitimement s’écrier que la postérité ne garderait aucun souvenir de fonctions sans portée, et qui d’ailleurs, de dégradation en dégradation, avaient fini par se réduire à des communications mensuelles avec la trésorerie; mais ce serait un acte antinational, un acte d’ingratitude, que d’appliquer de telles paroles à la grande ombre de Carnot. On le désire, on le veut, on l’ordonne presque; eh bien! j’y consens, je ne parlerai pas du di’iiinc dont le dénoûinent fut la mort tragique du suc- \037

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5ii CARNOT. \0371 1 1 1 .l _1 1- \037cessait1 de cent lois et le ren versement de la monarchie; cependant moi, partisan décidé de l’abolition de la peine de mort, je n’aperçois pas les prétendues difficultés de position qui m’auraient empêché de m’abandonner ici publiquement aux inspirations de ma conscience je ne devire pas mieux pourquoi je me serais abstenu de rendre aussi cette enceinte confidente de l’aversion profonde que je professe pour tout arrêt politique rendu par un corps politique. Faut-il le dire, enfin, une fraternelle sollicitude pour la mémoire de Carnot ne me paraissait pas exiger le sacrifice qui m’est imposé. A-t-on oublié tout ce que l’histoirc contemporaine m’aurait fourni de documents accusateurs contre les mille courtisans dont les manœuvres intéressées, hypocrites, anlinationales, jetèrent le monarque dans un labyrinthe sans issue, le firent déclarer coupable à l’unanimité par la représentation nationale, et rendirent, bien plus encore que les ardentes idées démocratiques de la Convention, la catastrophe du 21 Janvier inévitable. Si de ces hautes considérations de morale j’étais descendu à l’appréciation minutieuse des faits, à leur discussion technique, telle qu’il faudrait la soumettre à une cour d’appel ou de cassation, j’aurais trouvé avec tous les esprits droits, avec notre Daunou, par exemple, l’illégalité du célèbre procès, moins dans la nature de la sentence, moins dans la sévérité de la peine infligée, que dans la composition même du tribunal, que dans l’usurpation de pouvoir qui lui avait donné naissance. Or, Messieurs, et je n’aurais pas manqué d’en faire la remarque, quand la Convention s’investissait du droit de prononcer sur le sort de Louis XVI quand elle réglait après co.ip, \037

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CARNOT. 5i:> \037sa jurisprudence; quand elle s’attribuait simultanément les fonctions d’accusateur et déjuge, Carnot était absent de Paris, Carnot remplissait aux armées une de ces missions importantes dont son ardent patriotisme trouvât toujours le secret de vaincre les difficultés. \037C.iniVOT, MEMBRE DU COMITÉ DE SALIT riBLIC. La concession qu’on a exigée de moi, si toutefois je m’y suis bien exactement conformé, m’autorise à me montrer moins docile au sujet d’une autre période de la vie de Carnot, plus orageuse, plus difticilc encore. Évitons, j’y consens de grand cœur, évitons de reporter nos regards sur certaines phases irritantes de nos discordes civiles; pour moi, je n’y mettrai jamais qu’une condition c’est que la mémoire d’aucun de nos confrères n’en souffrira. Eh bien, Messieurs, supposez un moment que je me taise ici sur le membre du comité de salut public,- ne conclura-t-on pas de mon silence, je dis plus, n’aura-t-on pas le droit d’en conclure que j’ai reconnu l’impossibilité de repousser les attaques vives, nombreuses, poignantes, dont il a été l’objet? Ces attaques, Carnot, de son vivant, a pu les dédaigner il m’était, au contraire, imposé d’en chercher l’origine, d’en peser consciencieusement la valeur. Je le dis sans forfanterie, aucune puissance humaine ne m’eût décidé à à faire ivteutir ici le nom de Carnot, si je n’avais découvert les causes honorables, patriotiques, de certains actes que la plus atroce des calomnies, que la calomnie politique, avait souillés de sa bave infecte. Mon travail, au t.-t. 35 \037

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516 CARNOT. \037reste, n’a pas été sans quelques difficultés. Personne dans l’avenir n’aurait peut-être plus l’occasion d’en réunir les éléments. Encore quelques années, en effet, et les collègues et les collaborateurs de Carnot, dont j’ai pu recueillir les lumières et les témoignages, auront payé leur tribut à la nature. \037En 1793, la Convention était dniisl’Étot Ic scul pouvoir orgnni.se capable d’opposer une digue efficace an débordement d’ennemis qui do toutes les parties de l’Europe venaient se ruer sur la France et menacer sa nationalité. La nationalité d’un peuple est comme l’honneur la plus légère blessure lui devient mortelle. Tels étaient, Messieurs, les sentiments de tant de conventionnels dont la Fronce révère la mémoire; tels étaient les liens qui les attachaient au poste périlleux ou l’élection les avait appelés. \037En créant le comité du salut public (le G avril 1793) la Convention s’était réservé le choix de ses membres. Jusqu’au fameux 31 mai, on n’y comptait que dcs convcntionnels neutres ou tout au moins étrangers aux deux fractions de l’assemblée qui se faisaient une guerre à mort. A la suite de plusieurs renouvellements partiels, il se composait, le 11 septembre 1793, do Robespierre, SaintJust, Couthon, Collotd’Herbois, Rillaud-Varcnncs, Prieur (delà Marne), Prieur (de la Cote-d’Or), Carnot, JeanP>on Saint-André, Barère, Hérault de Séchclles, Robert Lindct. \037La Convention, lorsqu’elle déféra de si grands pouvoirs ru comité de salut public, voulait que chaque affaire fût dans ce comité le sujet d’une discussion, d’une délibira- \037

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CARNOT. 547 \037tion approfondie; que la majorité des voix prononçAf. Les décisions, pour acquérir force de loi, devaient, peine de nullité, être revêtues d’un certain nombre de signatures Ces prescriptions avaient le plus grand de tous les défauts, celui d’être complètement inexécutables. L’homme a trouvé de nos jours le secret de décupler sa vitesse quand il se déplace, de modifier sa force quand il doit agir, de porter ses regards scrutateurs dans les régions de l’infini il n’a pas découvert encore les moyens de lire une page d’écriture en moins de temps qu’on n’en employait jadis. Il faut mémo reconnaître qu’A cet égard le plus humble commis expéditionnaire marcherait l’égal de C<Var, de Cicéron, de Descartes, de Bossuct. Les innombrables dépêches que le comité de salut public recevait journellement de tous les points de nos frontières menacées ou envahies, de toutes les villes, de tous les villages de l’intérieur où les promoteurs d’une nouvelle organisation politique luttaient violemment contre les préjugés et les intérêts des castes privilégiées, ne pouvaient être examinées avec maturité. Le zMe, l’activité, le dévouement, ne suffisaient pas à l’expédition dotant de graves affaires; une réforme était indispensable il y allait du salut de l;i France» Deux voies différentes se présentaient on pouvait provoquer la réorganisation du comité, ou partager lu travail entre ses divers membres. La réorganisation d i comité, en présence d’un ennemi puissant, au milieu <1iî difficultés inouïes (dont aucune époque de l’histoire des peuples n’avait offert l’exemple), eût jeté dans la Convention de nouveaux ferments de discorde, énervé son pouvoir magique, et compromis la défense du territoire. La \037

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5t8 CARNOT. \037division du travail devait prévaloir, et elle prévalut en effet. Carnot fut chargé de l’organisation des années et de leurs opérations; l’ricur (de la Côte-d’Or), de l’armement; Robert Lindct, des approvisionnements; Robespierre, Saint-Just, Couthon, Billaud-Varenncs, Collot d’IIcrbois, se réservèrent la politique, la police générale et les mesures de sûreté. Dans chaque nature de questions, une seule signature était sérieuse et emportait responsabilité; les autres, quoique exigées par la loi, devaient être regardées comme l’accomplissement d’une simple formalité il élait évident en effet qu’on serait obligé de les donner sans discussion et môme sans examen. \037Telles furent, Messieurs, les bases de la convention que Robert Lindet, pour sa sûreté personnelle, fit consigner dans une déclaration écrite, et a l’aide de laquelle tes membres du comité de salut public crurent pouvoir, sans outre-passer les termes de leur mandat, conjurer les orages qui, de toutes parts, menaçaient le pays. Cet arrangement confidentiel sera sans doute blâmé les uns crieront à l’illégalité, les autres à l’imprudence. Je rappellerai aux premiers qu’enlacés dans une organisation vicieuse, les membres du comité étaient chaque jour aux prises avec une impossibilité et que le mot impossible est français, quoiqu’on ait pu dire Pamour-proprc national a une époque où les admirables triomphes de nos armées semblaient légitimer toutes tes hyperboles. Le reproche d’imprudence, je l’admets sans réserve. J’ajoute que, de la part de Carnot, cette imprudence était volontaire; qu’en se résignant a signer sans examen les décisions de \037

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CARNOT. 5(9 \037tous ses collègues, il faisait sciemment à la France le plus grand de tous les sacrifices; qu’il plaçait son honneur aux mains de plusieurs de ses ennemis déclarés; que, comptant enfin sur la justice tardive de la postérité", il arborait cette devise, presque surhumaine, d’une des plus puissantes organisations que la Révolution ait fait surgir du flot populaire, cette devise que tout patriote sincère et doué de quelque chaleur d’âme pourrait au reste avouer Périsse ma régulation plutôt que mon pays- Vous l’avez déjà compris, Messieurs, mon but est de portager en deux catégories distinctes et les membres du comité" de salut public et la longue série de ses actes. Le terrible comité contribua puissamment à la défense du territoire; grâces lui soient rendues! On ne pouvait résister à mille passions déchaînées que par la vigueur des déterminations que par l’énergie de la volonté qu’en iillant avec une main de fer saisir en tout lieu les barbares qui, auxiliaires de l’étranger, voulaient déchirer les entrailles de la patrie le comité se montra énergique cl \igourcux; il eut souvent une main de fer gloire au comité! 1 \037Mais bientôt, Messieurs, la fermeté dégénère en frénésie; niais bientôt on immole les riches par l’unique raison qu’ils sont riches; mais bientôt la terreur règne d’une extrémité de la France a l’autre; elle porte indistinctement le deuil et Ic désespoir dans la famille du simple soldat et dans celle du général clic saisit ses victimes dans riiumblc demeure de l’artisan, comme dans le palais doré de t’ancien duc et pair; elle n’épargne ni l’âge ni le sexe; elle frappe en aveugle toutes les opinions; ajoutant \037

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OoO CARNOT. \037enfin la dissimulation à la cruauté, clic parodie les formes de la justice l Ah! Messieurs, à ce spectacle, le cœur se serre, l’espérance se dessèche; les plus vives, les plus ardentes sympathies font place à une douleur profonde. \037Je sais qu’on a expliqué, qu’on a voulu excuser ces s/.mglantes saturnales, en invoquant la volonté populaire. ÎSi je juge du peuple do 93, que je n’ai point connu, par celui que nous avons vu à l’œmre en 1830, l’explication est menteuse, je n’hésite point à le dire. Le peuple, dans un moment d’effervescence et d’entraînement se porte quelquefois h des actes coupables; jamais il ne s’est associé a des barbaries quotidiennes. On le dégrade en disant que la terreur pouvait seule le faire marcher à la ivnconlredes hordes ennemies; on ne méconnaît pas moins Ms sentiments, lorsqu’on insinue qu’il a voulu la mort d’un des membres de cette Académie, qui honorait la France par son génie; la mort d’un autre de nos confrères qui honorait l’espèce humaine par sa vertu. Non, Messieurs; non! dans le noble pays de France, la mort de LavoiMer, la mort de Maleshcrbcs, n’ont pas pu Ode commandées par des considérations de salut public. Point de ménagements pour de pareils crimes il faut tes flétrir aujourd’hui; il faudra les flétrir demain; il faudra les flétrir toujours. Voués par sentiment, par conviction, par la puissance irrésistible de la logique, au culte de la liberté, repoussons loin de nous l’exécrable pensée que l’écliafaud soit l’inéuloMe auxiliaire de la démocratie. Les crimes que je viens de qualifier sans ménagement, la France, riluropc, lo monde tout entier, les ont, en \037

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CARNOT. 6M \037quelque sorte, personnifiés: ces crimes, c’est Robespierre 1 \037De jeunes, d’estimables écrivains, qui dépouillent aujourd’hui nos annales révolutionnaires avec l’infatigable patience des anciens Bénédictins, croient avoir trouvé que l’opinion publique s’est égarée. D’après eux, Robespierre et ses séides auraient beaucoup moins contribué aux ac!es sanguinaires de la terreur que les Billaud-Varenncs, les Collot d’Herbois, les Hébert. 11 y a du courage, Messieurs, à se porter ainsi les défenseurs d’un personnage qui depuis près d’un demi-siècle est devenu le type, le symbole de la cruauté politique. A ce seul titre, les nouveaux historiens pourraient espérer d’être écoutés sans présentions un honorable caractère uni à un incontcstable talent ne leur donne pas moins de droits à la sérieuse îtltenlion du public. Pour moi, je n’aurais que faire d’essayer ici de percer ces épais nuages; mon sujet ne l’exige pas je veux absoudre Carnot de toute participation à de grands crimes, sans examiner s’il faut tes imputer à Collot d’Herbois, à Billaud-Yarenncs, plutôt qu’à Robespierre, Snint-Just et Couttion. \037Dans aucune circonstance de sa longue carrière politique, Carnot ne fut un homme de parti. Jamais on ne le v it essayer de faire prévaloir ses opinions, ses systèmes, Ms principes, par des voies tortueuses que l’honneur, que la justice, que la probité, n’eussent point avouées. Rapporteur, le 9 juin 1792, de la commission chargée de proposer des réparations en faveur des familles de ïhéobald Dillon et de Berthois, massacrés devant Lille por leurs propres troupes, Carnot ne transige pas avec un \037

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55î CARXOT. \037rigoureux devoir. Tout autre en des temps aussi difficiles, eût cru peut-être nécessaire de ménager la susceptibilité de l’armée; lui, ne trouve dans son âme que des paroles brûlantes pour llétrir un acte d’égarement odieux « Je ne vous rappellerai point, s’écric-t-il les circon«  st’.nces de cette atrocité. La postérité, en lisant notre « his’oire, y croira voir le crime d’une horde de canni«  baies, plutôt que celui d’un peuple libre. » \037Kn 1792, des gardes nationaux, sous le nom de fédérés, ec réunissaient en grand nombre à Soissons, et y formaient déjà le noyau d’une année de réserve. Tout à coup le bruit se répand à Paris que le pain de ces volontaires a été empoisonné, que des monstres ont mêlé du verre pilé à tous les approvisionnements de farines, que deux cents soldats sont déjà morts, que tes hôpitaux regorgent de malades. L’exaspération de la populo :ion parisienne est à son comble; le rassemblement de Soissons s’est formé contre la volonté royale; c’est donc au lîoi, a la Reine, à tous leurs adhérents, que le crime doit être imputé. Ou n’attend plus pour agir que le rapport du commissaire envoyé au camp. Ce commissaire était Carnot. Son examen véridique réduisit a néant toute cotte fantasmagorie: il n’y avait point de morts; il n’y avait point de malades; les farines n’étaient pas empoisonnées; des vitraux, détachés par le vent ou par la balle de quelque écolier des fenêtres d’une vieille église, étaient tombés par hasard, non en poudre, mais en gros morceaux, sur un sac, sur un seul soc de farine. Le témoignage loyal de l’honnête homme calma la tempête populaire. \037

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CARNOT. 5o3 \037OluMà n’était pas un homme de parti, bien entendu dans la mauvaise acception de ce terme, qui, chargé fréquemment de misions importantes aux armées et à l’intérieur, y remplit ses devoirs avec une telle modéralion, qu’il put, lorsque- les circonstances l’exigèrent, sans crainte d’être démenti, se rendre a lui-môme publiquement le témoignage de n’avoir jamais fait arrêter personne, En pénétrant d ans les bureaux du comité de salut public, nous y trouverions des preuves non moins claires de la bienveillante indulgence de Carnot envers ceux qui professaient des opinions politiques différentes des siennes, des que toutefois elles s’alliaient à de l’honnêteté et a une vive antipathie pour l’intervention de l’él ranger dans les affaires intérieures de la France. Ainsi nous verrions, sous le nom de Michaux, parmi les collaborateurs de notre confrère, le célèbre Darçon, qui était un émigré rentre". Mais à quoi bon se traîner sur des faits parliculirrs, lorsqu’une réflexion générale peut également conduire au but2 La Convention était l’arène où allaient se combattre les chefs des factions qui divisaient le pays mais c’est dans les clubs qu’ils se créaient des adhérents et la force matérielle dont l’action, dont la seule présrncc annulait souvent les effets des plus éloquents discours. Si la Convention voyait éclater la foudre, c’est hors de son enceinte que l’orage commençait à poindre, qu’il grossissait, qu’il acquérait une puissance irrésistible. On n’était alors un homme influent en politique qu’à la condition de paraître tous les jours aux Jacobins ou aux Cordcliers, qu’à la condition de s’y mêler à tous tes débats eh bien, Messieurs, Carnot n’appartenait à aucune de ces assocla- \037

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654 CARNOT. \0371- 1 -1_ 1_- \037tions; jamais un mot de lui ne retentit dans les clubs. En ces temps de (roubles, Carnot se fit exclusivement l’homme de la nationalité. \037Le rôle était beau, mais non pas sans danger. Robespierre surtout s’en montrait jaloux. « S’être emparé, s’écriait-il dans une de ses harangues, de toutes les opérations militaires, c’est un acte d’égoïsme; refuser obstinément de se mêler des a lin ires de police intérieure, c’est se ménager des moyens d’accommodement avec les ennemis du pays. – Je suis désolé, disait-il à Camboa dans une autre circonstance, je suis désolé de ne rien comprendre à l’entrelacement de lignes et de teintes que je vois sur ces cartes Ah si j’avais étudié l’art militaire dans ma jeunesse, je ne serais pas forcé, toutes tes fois qu’il s’agit de nos armées, de subir la suprématie de l’odieux Carnot. » Celte animosilé datait de l’époque où notre confrère blâma le coup d’ï’.lat (cn tant que coup d’État) gons lequel succomba la Gironde. Vers le même temps, SaintJust l’accusa de modérant isme, et demanda qu’il fut mis en jugement pour avoir, a l’année du Nord, refusé d’apposer sa signature sur l’ordre d’arrestation du général O’Moran. Carnot sortait toujours sain et sauf de ces tcrribles épreuves, non par un sentiment de justice ou d’affection, mais parce que chacun, ami comme ennemi, reconnaissait l’impossibilité de le remplacer utilement, dans sa spécialité militaire, par tout autre conventionnel! \037De pareilles relations, entre les membres d’un même conseil, sembleront aujourd’hui fabuleuses! Est-ce ma faute à moi si notre patriotisme débile ne peut pas coucc- \037

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CARNOT. 555 \037\oir toute l’étendue des sacrifices que s’imposèrent ncs pores pour sauver le pays? \037Au premier rang de ces sacrifices, je n’ai pas hésité, vous vous le rappellerez, Messieurs, à placer l’obligation ou se trouvait notre confrère de signer aveuglément une foule d’actes de ses collègues. J’ai expliqué comment cette nécessité s’était manifestée; eh bien, on en abusa jusqu’à faire signer à Carnot, une fois, l’arrestation de son propre secrétaire; une autre foi*, celle du restauraleur chez lequel il prenait ses repas. Le mot infernal me paraît encore trop faible quand il faut caractériser de tels actes; et cependant, pour l’honneur de notre confrère, nous devons presque nous féliciter qu’ils aient eu lieu, car ils sont la preuve irrécusable, parlante, de l’arrangement écrit qui, dans le comité, fut convenu au nom du salut du pays. \037J’avais lu, même dans des ouvrages royalistes, j’avais lu dans des écrits publiés par des républicains que c Carnot avait sauvé, au comité de salut public, plus ce personnes que ses collègues n’en out immolé. Carnot j.c s’absentait donc des séances qu’aux époques où les a fia ires militaires absorbaient tous ses moments; Carnot assistait donc quelquefois aux délibérations du comité, et alors l’innocence y comptait un avocat plein d’âme et de fermeté. Le hasard, il y a peu de jours, m’a fait découvrir que le rôle de défenseur officieux n’était pas le scul que Carnot s’y fût donne. \037Il y a parmi vous, Messieurs, un vénérable académici n également versé dans les théories mathématiques et dans Kurs applications; il a glorieusement attaché son \037

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556 CARNOT. \037nom à d’utiles travaux et à de vastes projets ( \037nom a d’utiles travaux et à de vastes projets que l’avenir réalisera peut-être. Il a parcouru une longue carrière sons se faire, certainement, sans mériter un ennemi et cependant sa tête fut un jour menacée, et des misérables voulaient la faire tomber lorsqu’elle créait un des monuments scientifiques qui ont jeté le plus d’honneur pur 1ère révolutionnaire, lue lettre anonyme apprend notre confrère quel danger il vient de courir. L’orage est dissipé, mais il peut se reformer d’un instant à l’autre; la main amie trace un plan de conduite, des règles de prudence, fignole la nécessité de pe ménager une retraite. Elle ne laissera pas son œuvre inachevée elle reprendra la plume si lc danger reparait. \037L’écrivain anonyme, Messieurs, était Carnot; le géomèlrc qu’il conservait ainsi a la science et à notre affection était M. de J’rony. A évite époque, M. de Prony et Carnot ne s’étaient jamais vus. \037Les années 17U3 et \1% ont été caractérisées par deux genres de lerreur: la terreur de l’intérieur, je viens de le prouver, Messieurs, notre confrère y resta toujours étranger dans ce qu’elle avait de criminel; la terreur que tes soldats français inspirèrent à d’innombrables ennemis venus de tous les points de l’Europe assaillir nos frontières celle-ci fut bien l’œuvre de Carnot; celle-ci a été glorieuse; le souvenir en sera immortel; je la revendique pour la mémoire de notre confrère je la revendique aussi pour l’honneur de l’Académie. Vous ne refuserez pas, Messieurs, de suivre de nouveau Carnot dans cette phase si belle, si brillante de sa carrière publique. J’en ai pour garant votre dévouement au pays. \037

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CARNOT. &57 \037CATiXOT CIIABGÊ DE L’OIIG A MS ATI03 ET 1>E LA DIRECTION DE M) S A RM El. S. \037A diverses époques, on a vu, en IVancc ainsi que dans d’autres pays, de simples administrateurs occuper avec suçons les postes éminents de ministre de la guerre ou de la marine. Le général en chef, l’amiral, recevaient alors des commandements avec carte blanche, quant à la nature des opérations, et les ministres n’avaient guère à. s’occuper que de l’envoi opportun et régulier des approvisionnements et des renforts. Le croiriez-vous, Messieurs? c’est dans un cercle aussi étroit que la mauvaise foi, que l’envie ont voulu renfermer l’influence décisive que Carnot exerça sur nos destinées. Mais il nous sera facile de renverser en quelques mots cette œuvre d’une hideuse ingratitude. \037Lorsque notre confrère devint, en août 1793, membre du comité de salut puhlic, la France subissait une épouvantable crise. Les débris de l’armée de Dumouriez étaient repoussés de position en position Valeneiennes, Condé, ouvraient leurs portes a l’ennemi Mayencc, pressée par la famine et sans espoir d’être secourue, capitulait; deux années espagnoles envahissaient notre territoire; vingt mille Piémontais franchissaient les Alpes; les quarante mille Vendéens de Cathelineau s’emparaient de Bressuire, de Thouars, de Saumur, d’Angers; ils menaçaient Tours, le Mans, et attaquaient Nantes par la rive droite de la Loire, pendant que Charette opérait sur la rive opposée; Toulon recevait dans son port une es- \037

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558 CAHNOT. \037enclin anglaise; enfin, nos principales villes, Marseille, Caen, Lyon, se séparaient violemment du gouvernement central. \037Vous avez maintenant sous les yeux, Mcs.-icurs, une Yaiblo image des dangers qui menaçaient la patrie; et l’on ose prétendre que la Convention, que la terrible Convention espéra échapper à l’imminente catastrophe que l’Europe presque tout entière croyait inévitable, sans mèn:c établir un certain ensemble dans les opérations de ses nombreux généraux; et l’on a pu imaginer qu’en chargeant l’un de ses membres de la direction à peu près souveraine des affaires militaires, elle n’attendait de lui que les mesures méthodiques, réglementaires, compassées d’un fournisseur ou d’un intendant d’armée 1 Non, non personne n’a pu se rallier de bonne foi a de semblables idées. \037Ne croyez pas, néanmoins, que je dédaigne tes services administratifs de Carnot. J’admire, au contraire, tcur noble simplicité. Il n’y avait alors, en effet, dans son ministère, ni cette inextricable filière de paperasses que la plus petite affaire exige de nos jours; ni ce réseau, si arlish.ement tissu, où tout se lie, depuis le garçon de bureau jusqu’au chef do service, d’une manière si serrée, si inime, que la main la plus ferme, la plus hardie, ne saurait se flatter d’en rompre ou d’en séparer tes éléments. Alors le chef responsable prenait une connaissance directe et personnelle des dépèches qui lui étaient adressées alors les conceptions de l’homme d’élite n’étaient pas exposées à périr sous les coups d’une multitude de médiocrités envieuses; alors un .«impie sergent d’infaulc- \037

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CARNOT. i>!>9 \037cic (le jeune Hoche) ne travaillait pas seulement peur les cartons poudreux des archives, lorsqu’il composait un mémoire sur les moyens de pénétrer en Belgique; alors la lecture de ce travail inspirait à Carnot cette exclamation prophétique « Voilà un sergent d’infanterie qui fera son chemin. » Alors le sergent, suivi de l’œil dans toutes ses actions, devenait coup sur coup, et dans l’espace de quelques mois, capitaine, colouel, général de brigade, général de division et général en chef; alors une classe peu nombreuse de la société n’était pas seule investie du privilège de fournir les chefs de nos armées; alors, en fait comme en droit, chaque soldat avait des lettres de commandement dans sa giberne une action d’éclat les en faisait sortir; alors la force militaire, malgré son immense importance, malgré les services éclatants qu’elle rendait au pays, malgré les désordres de l’époque, inclinait respectueusement ses faisceaux devant l’autorité civile, mandataire de la nation. \037Jetons nos regards sur une autre face de l’administration de la guerre, et Carnot ne nous paraîtra ni moins grand ni moins heureux. \037On manque de cuivre pur; à la voix de la patrie éploléc, los sciences trouvent dans les cloches des couvents, des églises, des horloges publiques, la mine inépuisable d’où elle extraira sans retard tout le métal que l’Angleterre, la Suède, la Russie, lui refusent. On n’a point de silpètrc; des terrains où jadis on n’eût cherché cette substance que pour s’assurer de la délicatesse d’un moyen d’analyse chimique, fourniront à tous les besoins de nos

’iin<’<v, <lc nos escadre?. La préparation des cuirs de*li-

\037

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500 CARNOT. \037nés a. la chaussure exigeait des mois entiers de travail i d’aussi longs délais ne sauraient se concilier avec les besoins de nos soldats, et l’art du tanneur reçoit des perfectionnements inespérés désormais, des jours y remplaceront des mois. La fabrication des armes est si minutieuse, que ses lenteurs paraissent inévitables; dos moyens mécaniques viennent aussitôt fortifier, diriger, remplacer la main de l’ouvrier les produits naissent au gré des besoins. Les ballons n’avaient été jusqu’en 1794 qu’un simple objet de curiosité à la bataille de Flcurus un ballon portera le général Morlot dans la région des nuages de là les moindres manœuvres de l’ennemi seront aperçues, signalées à l’instant, et une invention toute françn’sc procurera à nos armes un éclatant triomphe. Les crayons de graphite (mille de plomb) sont la plume et l’er.crc de l’officier en campagne c’est avec le crayon qu’il trace sur le pommeau de la selle de son cheval ces quelques caractères qui lancent au fort de la mêlée des milliers de fantassins, de cavaliers, d’artilleurs le graphite est une des substances que la nature semblait avoir refusées a notre sol le comité de salut public ordonne de le créer de toutes pièces, et cet ordre de faire une découverte est exécuté sans retard, et le pays s’enrichit d’une nouvelle industrie. Enfin, car il faut bien me résigner 5 ne pas tout dire, les premières idées du télégraphe sont tirées des in-folio où depuis des centaines d’années elles restaient enfouies sans aucun profit; on les perfectionne, on les étend, on les applique, et dès ce moment tes ordres arrivent aux armées en quelques minutes le comité de salut public suit de l’uris toutes les péripéties \037

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CARNOT. 5G1 \0371’ 1. -r. se \037de la guerre, à l’est, au nord et à l’ouest, comme s’il siégeait au milieu des combattants. \037Ces créations en quoique sorte spontanées, ces directions patriotiques données à tant de nobles intelligences, cet art, aujourd’hui perdu, d’exciter le génie, de l’arracher a son indolence habituelle, occuperont toujours une large pjace dans les annales du comité de salut public et dans l’histoire de la vie de notre confrère. Sans sortir, toutefois, du sujet qui nous occupe, nous aurions encore bien d’autres services à enregistrer. \037Carnot était du très-petit nombre d’hommes qui, en 1793, croyaient fermement que la république triompherait tôt ou tard de ses innombrables ennemis. Aussi, tout en donnant au présent la large part que les circonstances commandaient, son administration, l’œil sur l’avenir, dota-t-elle la France de plusieurs grandes institutions dont les heureux effets ne pouvaient se développer qu’avec lenteur. \037Si le temps me le permettait, j’aurais à citer ici, parmi les grands établissements a. la formation desquels Cnrnot contribua, la première École normale, l’École polytechnique, le Muséum d’histoire naturelle, le Conservatoire des arts et métiers; et au nombre des travaux qu’il encouragea de son suffrage, la mesure de la terre, l’établissement du nouveau système des poids et mesures, les grandes, les incomparables tables du cadastre. Ce sont d’assez beaux titres. Messieurs, pour une «Ve de destruction. \037La Convention mit aux mains de Carnot la masse colossale mais incohérent ï do la réjuisiiion. 11 fallut r.– i. go \037

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502 CARNOT. \037..1. f’I \037l’organiser, la discipliner, l’instruire Carnot en tira quatorze armées. 11 fallut lui créer des chefs habiles; i notre confrère savait, avec certain général athénien, que mieux vaudrait une armée de cerfs commandée par un lion, qu’une année de lions commandée par un cerf; Carnot fouilla sans relâche la mine féconde, inépuisable des sous-officiors; comme je l’ai déjà dit, son œil pénétrant allait dans les rangs les plus obscurs chercher le talent uni au courage, au désintéressement et relevait rapidement aux premiers grades. Il fallut coordonner tant de mouvements divers! Carnot, comme l’Allas de la Fable, porta seul, pendant plusieurs années, le poids de tous les événements militaires de l’Europe; il écrivait lui-même, de sa main, aux généraux; il leur donnait des ordres détaillés où toutes les éventualités étaient minutieusement prévues; ses plans, celui qu’il adressa à Pichcgru, par exemple, le 21 ventôse au h, semblaient le fruit d’une véritable divination. Les faits vinrent tellement justifier les prévisions de notre confrère, que pour écrire !e récit de la mémorable campagne de 1794 on aurait à peine quelques noms propres de villages à changer dans les instructions qu’il avait adressées au général en chef. Les lieux où il fallait livrer bataille, ceux ou l’on devait se borncr à de simples démonstrations, à des escarmouches la force de chaque garnison, de chaque poste, tout est indiqué, tout est réglé avec une admirable netteté. C’est sur un ordre de Carnot que Hoche se dérobe un jour a l’année prussienne, traverse les Vosges, et, se réunissant à l’armée du Rhin va frapper sur Wurmser un coi.p décisif qui amène la délivrance de l’Alsace. \037

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CARNOT. 0G3 3 \037\s n U il \J i v v-# \037En 1793, pendant que rennemi s’attendait, conformement aux préceptes classiques de la stratégie, à voir nos troupes se porter de la Moselle sur le Rhin; pendant qu’il accumulait sur ce dernier fleuve de formidables moyens de résistance, Carnot, sans s’inquiéter des vieilles théories détacha inopinément quarante mine hommes do Tannée de la Moselle et les envoya sur la Meuse a marches forcées. Telle fut la manœuvre célèbre qui décida du succès de cette campagne de 1793, pendant laquelle les généraux autrichiens et hollandais eurent le double chagrin d’être constamment battus, et de l’être contre les règles. Oui, Messieurs, la tribune nationale ne fut que juste le jour où elle retentit de ces belles paroles, devenues aujourd’hui historiques « Carnot a organisé la victoire. » \037CVR.XCT Sin LE CHAMP DE BATAILLE DE W ATTIG M ES. On pourrait dire des armées françaises comme do certains peintres, qu’elles ont c\\ plusieurs manières, la jour de bataille, il est vrai, les armées impériales et les armées républicaines se précipitaient sur l’ennemi a\cc la même intrépidité hors de là tout était durèrent. Le soldat de l’Empire ne voyait la patrie que dans l’armée; c’était pour l’honneur, pour la gloire de l’armée qu’il répandait son sang à Wagram, à Sommo-Sicrra, à la Moscowa. Le soldat de la République se buttait pour le pays l’indépendance nationale, telle était surtout la pensée qui l’animait pendant le combat les récompenses, il n’\ songeait seulement pas. \037

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5Gf CAHNOT. \037Suivez ces moines soldats dans la vie privée, et vous venez ces dissemblances se continuer. L’impérialiste reste soldat par ses sentiments et par ses manières; le républicain, confondu dans la masse de la population, ne se distingue bientôt plus d’un artisan d’un laboureur, qui n’aurait jamais quitté l’atelier ou la charrue. \037Ce sont ces nuances, habilement saisies, artistement reprodaites, qui, dès le premier jour, ont si vivement frappé le public dans l’admirable fronton de notre David. Je ne puis pas me résoudre à voir le général Carnot dans un personnage à culottes courtes et à bas bleus me disait un jour, dans la bibliothèque de l’Institut, certain officier de l’Empire connu par sa brillante valeur. J’insiste. « Kh bien, soit! 1 ajouta-t-il les bas bleus peuvent aller un général qui n’a pas reçu le baptême du feu! » Ilier encore, avec moins de rudesse il est vrai dans les termes, un de nos confrères reproduisait devant moi îa même pensée. Je remplirai donc un devoir en prouvant que, dans l’occasion, l’homme aux bas bleus savait bravemenl payer de sa personne. \037Le prince de Cobourg, à la tète de soixante mille hommes, occupait toutes les issues de la forêt de Normale et bloquait Maubeuge. Cette ville une fois prise, les Autrichiens ne rencontraient plus d’obstacles sérieux pour arriver à Paris. Carnot voit le danger; il persuade à ses collègues du comité de salut public que notre armée, malgré sa grande infériorité numérique, peut hvrcrbataille; qu’elle doit attaquer l’ennemi dans des positions qui paraissaient inexpugnables. C’était un de ces moments suprêmes qui décident du sort, de l’existence des \037

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CARNOT. &63 \037w 1 1 \037nations. Le général Jourdan hésite devant une aussi terrible responsabilité. Carnot se rend à l’armée en quelques heures tout est convenu, tout est disposé; les troupes s’ébranlent elles fondent sur les ennemis; mais ils sont si nombreux, ils occupent une position si bien choisie, ils ont creusé tant de retranchements, ils Ics ont garnis d’une artillerie tellement formidable, que le succès est incertain. A la fin de la journée, notre aile droite a gagné quelque terrain; mais l’aile gauche en a peut-être perdu davantage. D’ailleurs elle a laissé quelques canons dans les mains des Autrichiens. Renforçons faite gauche! s’écrient les vieux tacticiens. Non 1 non réplique Carnot; (lu’importe le côté par lequel nous triompherons? JI faut bien, bon gré, mal gré, céder à l’autorité sans limites du représentant du peuple. La nuit est employée à dégarnir l’nile déjà compromise ses principales troupes se portent sur la droite, et quand le s-oleil sc levé, c’est en quelque sorte une autre armée que Cobourg trouve devant lui. La bataille recommence avec une nouvelle fureur. Enfermas dans leurs redoutes, protégés par des bois, par des taillis, par des haies vives, les Autrichiens résistent vaillamment une de nos colonnes d’attaque est repoussée et commence à se débonder. Ah! qui pourrait dépeindre les cruelles angoisses de Carnot; sans doute son imagination lui représente déjà, l’ennemi pénétrant dans la capitale, défilant sur nos boulevards et se livrant aux actes de vandalisme dont tant de proclamations, tant d’insolents manifestes nous avaient menacés! Ces déchirantes pensées, en tout cas, n’abattent pas son courage", Cunot rallie les soldits, les reforme sur un plu- \037

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566 CARNOT. \037inon > /lactitnp unlpnnpllpment k ln vue de toute \037toau destitue solennellement, à la vue de toute l’année, !c général qui, en désobéissant à des ordres formels, s’était laissé vaincre s’empare d’un fusil de grenadier, et marche à la tête de la colonne en costume de représentant. Rien ne résiste plus alors à t’impétuosité de nos troupes; les charges de la cavalerie autrichienne sont rc poussées à la baïonnette tout ce qui s’engage dans les chemins creux dont Wattignies est entouré y trouve la mort. Cnrnot pénètre enfin dans ce village, la clef de la position de l’armée ennemie, à travers des monceaux de cadavres, et dès ce moment Maubeuge est débloqué. On se demandera pans doute où Carnot avait puisé cette feimeté, cette vigueur, ce coup d’œil militaire, cette connaissance des troupes? N’en cherchez la source que dans son ardent patriotisme. C’est à Wattignies que, pour la première fois, il entendit la fusillade et le canon ennemis. Mais je me trompe, Messieurs, c’est la seconde et non la première la première fois, Carnot, marchant, comme à Wattignies, un mousquet à la main, emporta d’assaut, à la tête de soldats de nouvelle levée, la ville de Furnes, occupée par les Anglais. \037Ln bataille de Wattignies. envisagée d’après ses résultats, occupera toujours une des premières places dans les fastes de la Révolution française. Je serais probablement moins affirinalif sur les difficultés de cette journée comparée a tant d’autres, si je ne pouvais m’autoriser de l’opinion du prince de Cobourg lui-même. Quand il vit les bataillons français s’ébranler, ce général chercha les termes les plus incisifs pour exprimer, en présence de son état-major, la confiance que lui inspiraient le nombre, l’ardeur de ses \037

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CARNOT. 567 \037troupes, et enfin les ohstacles de toute espèce, naturels ou artificiels, que présentait aux assaillants le terrain accidenté occupé par l’année autrichienne. « Les n’pu«bliefins, s’écria-t-il sont d’excellents soldats; niais, « s’ils nie délogent d’ici, je consens à me faire républicain moi-môme. Rien assurément de plus énergique, 1 de plus significatif ne pouvait sortir de la bouche de Coboi:ig. Pour ma part, je ne saurais concevoir de plus glorie.ix bulletin de la bataille de Wattignies! 1 L’auteur allemand auquel j’emprunte cette anecdote ne dit pas si, après l’avoir délogé, les Français sommèrent le général autrichien de tenir sa parole. J’ai quelque raison de supposer que, malgré leur esprit de propagande, ils dédaignèrent une recrue qui peut-être se serait scumise, mais dont la vocation semblait bien incertaine, (0 MI’ TE S RENDIS DES OPERATIONS DES ARMÉES. Carnot sentit la convenance, le besoin, de montrer envers les armées nationales une déférence dont jadis les gouvernements absolus pouvaient se croire dispensés, lorsque leurs soldats étaient enrôlés à prix d’argen-. chaque année il devait dérouler à la face du pays le tableau détaillé des batailles livrées par nos légions et dos résultats qu’elles avaient produits. Voici comment se teriniiiail le récit de la campagne de dix-sept mois, pendant laquelle les troupes de la République ne déposèrent pas les armes un seul instant: \03727 victoires, dont huit en bataille rangée \037120 combats de moindre importance \037

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568 CARNOT. \03780,000 ennemis tués; \03791,000 prisonniers; \037116 places fortes ou villes importantes prises, dont trente-six après siège ou blocus; \037230 forts ou redoutes emportés \0373,800 bouches à feu \03770,000 fusils; \0371,900 milliers de poudre; \03790 drapeaux. \037Qu’on nous dise, si on I’oîc, après avoir lu ce tableau, que la statistique n’est jamais éloquente \037CIRNOT, NOMMÉ iAR Qi ITORZE DEPARTEMENTS, ENTRE AU CONSEIL DES ANCIENS, l’IIS Al" DIRECTOIRE EXÉCl’TIF. – ENVOI Dfi HOCHE EN VK.M>EK, DE MORF.AC ET JOIRDAN SCR LE RHIN, ET DE BONAPARTE E5 ITALIE. \037Carnot quitta le comité de salut puhlic peu de temps avant l’insurrection des sections parisiennes contre la Convention. Reportez vos souvenirs vers les événements militaires qui suivirent la retraite légale, obligée, de notre confrère, vous verrez, presque partout, la victoire ahandonner les drapeaux de la République, les revers se succéder, comme précédemment les triomphes; tous les ressorts se détendre, la défiance, le découragement, s’emparer des esprits; et vous comprendrez alors, mieux encore que par une série non interrompue d’éclatants succès, de quel poids peut être le génie d’un seul homme sur la destinée des nations. \037Carnot fut appelé la législature qui remplaça la \037

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CAKNOT. !iC9 \037Convention nationale par quatorze départements. Si Pcxprc&sion d’un sentiment personnel m’était permise ici, je dirais combien j’ai été heureux de trouver le nom du département des Pyrénécs-Oricntulos dans la liste de ceux qui essayèrent de dédommager notre grand citoyen des outrages dont une poignée de représentants, excités par le boucher Logcndre l’abreuvèrent à plusieurs reprises. l’eu de temps après son entrée au conseil des Anciens, Carnot, sur le refus de Sieyès, devint l’un des cinq membres du Directoire exécutif. \037Au moment où, pour la seconde fois, Carnot fut ainsi appelé à diriger nos armées, la République se trouvait sur le bord d’un abîme. Le trésor public était vide. Le Directoire se procura à grand’ peine des garçons de bureau et des domestiques, tant on le croyait insolvable. Il fallait souvent ajourner le départ d’un courrier extraordinaire, a cause de l’impossibilité de pourvoir aux frais de son voyage; les généraux eux-mêmes ne recevaient plus les laiil francs (je ne me trompe pas) les huit frana en numéraire par mois qui leur avaient été accordés comme supplément de la solde en assignats; les agriculteurs n’approvisionnaient plus les marchés; les manufacturiers refusaient de vendre leurs produits, parce qu’on aurait eu le droit de les payer en papier-monnaie, et que le papiermonnaie était alors sans valeur. D’une extrémité de. la France à l’autre, la famine avait jeté le peuple dans une irritation extrême qui, chaque jour, se manifestait par de sanglants désordres. L’armée n’offrait guère un aspect moins déplorable elle manquait de moyens de transport, de vêtements, de souliers, do munitions. La misère avait \037

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f>70 CARNOT. \037engendré l’indiscipline. Pichegru nouait des trames criminelles avec le prince de Coude1, se faisait battre à Heidelberg, compromettait l’armée de Jourdan, évacuait Manhehn, levait Ic siège de Mayence, et livrait la frontière du Rhin aux Autrichiens. La guerre se rallumait en Vendée; les Anglais nous menaçaient d’une descente dans les Pays-Bas et sur nos propres côtes; enfin, a la frontière des Alpes, Schérer et Kellermann soutenaient avec désavantage une guerre défensive contre les forces réunies de l’empereur d’Autriche du roi de Sardaigne et des princes italiens confédérés. \037Il fallut, Messieurs, une grande force d’âme unie au plus ardent patriotisme, pour accepter, en de si cruelles circonstances, le fardeau des affaires publiques. Ajoutons que Carnot s’aveuglait si peu sur les vices de la Constitution de l’an ni, et surtout sur les inconvénients d’un pouvoir exécutif multiple, qu’il les avait publiquement signalés nu sein de la Convention a l’époque ou cette constitution fut discutée. « Les destinées de l’État, s’écriait-il alors, « ne dépendront plus que du caractère personnel de cinq « hommes. Plus ces caractères différeront, plus les vues « des cinq directeurs seront dissemblables, et plus l’État « aura à souffrir de leur influence alternative. » La mnjorité dédaigna ces justes appréhensions; fidèle à une règle de conduite dont jamais on ne le vit se départir, Carnot se soumit sans murmure; et dès que le nouveau gouvernement eut reçu la sanction légale, il le servit avec l’énergic, le zèle, le dévouement, qu’avait jadis déployés le membre du comité de salut public. \037La Vendée était en feu; Hoche reçoit de Comot, avec \037

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CARXOT. !V7« 1 \037la mission de la pacifier, le plan d’un nouveau système d1 opérations. Ce général républicain s’y conforme, triomphe de Charette, s’empare de Stofllet, et purge le Morbihan des bandes nombreuses de chouans qui le ravageaient. En moins de huit mois, la guerre civile, cette guerre impie od, des deux côtés, cependant, on déployait tant de courage, cesse de désoler notre territoire. \037Sur le Rhin, nos aimées sont placées sous les commandements de Jourdn.n et de Moreau. Un plan de campagne savant, profond, coordonne les mouvements de ces deux généraux, et porte bientôt leurs troupes victorieuses au coeur de l’Allemagne. \037En Vendée, en Allemagne, sur le Rhin, Carnot, comme on vient de le voir, avait investi de sa confiance des offi ciers déjà célèbres par de mémorables triomphes. Le commandement de l’armée d’Italie, il le donna, au contraire, à un général de vingt-cinq ans, dont les titres connus se réduisaient alors à quelques services secondaires rendus pendant le siége de Toulon, et à la facile défaite des scctionnaires parisiens, le 13 vendémiaire an m, sur les humbles champs de bataille du l’ont-Royal, de la rue Saint-Honoré et du perron de Saint-Roch, Je revendique ici en faveur de Camot l’honneur d’avoir personnellement désigné et choisi le jeune général Bonaparte pour le commandement de notre troisième armée, parce qu’il lui appartient légitimement parce que ce choix fut longtemps considéré, a tort, comme le résultat d’une intrigue de boudoir, et que chacun, ce me semble, doit être heureux de voir l’histoire de l’incomparable campagne d’italie purifiée d’une telle souillure. J’ai pensé, enfin, que je \037

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57! CAXSOT. \037nn ~ln.··,ia mna nlCn·limn· iln wnmc mnnfHnr Y \037ne devais pas négliger do vous montrer notre confrère apercevant, avec une perspicacité infinie, le héros de Rivoli, d’Arcole, de Castiglionc, à travers l’écorcc de timidité", de réserve, tranchons le mot, de mauvaise grâce, que tout le monde remarquait alors dans le protégé de Barras. \037Je prévois tout ce que je rencontrerais d’incrédulité si j’essayais d’étendre davantage les limites de l’influence que notre confrère cxeiva sur la campagne d’Italie; et, cependant, ne trouverai-je pas, même dans le petit nombre de pièces officielles actuellement connues du public, à la date du 10 floréal an îv, par exemple, une dépêche du quartier général de Chérasco, dans laquelle Bonaparte écrivait à Carnot La suspension d’armes « conclue entre le roi de Sardaigne et nous me permet de « communiquer par Turin c’est-à-dire d’épargner la « moitié de la route; je pourrai donc recevoir promp’ement vos onDitEs ET con.yutkk vos intentions poli» « l.v T’Irixtiox A donner A i.’armke. » Une lettre au ministre des finances, du 2 prairial an îv, datée du quartier général de Milan, m’oflrirait ce passage « Le « Directoire exécutif, qui m’a nommé au commandement « de cette armée, A arrêté* in h.vn DE guerre offensif « qui exige des mesures promptes et des ressources extra«  ordinaires. » \037Le 2 prairial on tv (21 mai 1790), Carnot écrivait mi jeune général « Attaquez Beaulieu avant que des rtna forts puissent le îvjoindre ne négligez rien pour emt pêcher cette réunion il ne faut pas s’affaiblir devant 1 lui, et, surtout, lui donner, par un morcellement \037

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CAKXOT. t.7J \037-1- i_ a.c~ .1~, \037désastreux, les moyens de nous battre en détail et de reprendre Ic terrain qu’il a perdu. Après la défaite de «Beaulieu, vous ferez l’expédition de Livourne. L’in«  tentbn du Directoire est que l’armée ne dépasse le « Tyrol qu’après l’expédition du sud de l’Italie. » Sans doute, ces prescriptions générales ne sont pas la campagne d’Italie. Ancune intelligence humaine ne pouvait prévoir ni le chemin que suivrait le général Beaulieu après sa séparation de l’armée piémontaise, ni les manœuvres de Wunnser, ni la longue résistance de ce vieil général dans Mantoue, ni les marches d’Alvinzi, ni tant d’incidents glorieux que je m’abstiens de rappeler; sans doute il ne fallut rien moins que la hardiesse que le génie de Bonaparte, que la coopération d’intrépides ofliciers, tels que Masscna, Augercau, Lannes, Murât, Ilampon, pour anéantir, en quelques mois, trois grandes années autrichiennes. Aussi, tout ce que j’ai voulu diie, c’est qu’il y aurait injustice à laisser le nom de Carnot complètement en dehors de ces immortelles campagnes. J’aurai le droit de mc montrer plus exigeant si nous étudions une autre face de ces guerres leur côté moral et civilisateur. Qui ne se rappelle ces traités de paix où les chefs-d’œuvre de la peinture, de la sculpture, étaient pour les ennemis les moyens de se faire pardonner la perfidie et la trahison, et ces visites solennelles du général \ictorieux des savants modestes, illustrés par d’importantes découvertes? Kh bien, Messieurs, tout cela, quoi qu’on on ait pu dire, était prescrit par Carnot. Des doutes seront-ils encore permis si je transcris cette lettre de iiolrc confrère, du 2.’j pnirial an îv « Général en vous \037

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07i 4 CAHNOT. \037recommandant, par notre lettre du 2G floréal, d’ac«  cueillir et de visiter les artistes fameux des pays dans « lesquels vous vous trouvez, nous avons désigné parti«  cu’iercment le célèbre astronome Oriani de Milan « comme devant être protégé et honoré par les troupes « républicaines. le Directoire apprendra avec satisfac«  lion que vous avez rempli ses intentions à l’égard de ce « sarant distingué, et il vous invite, en conséquence, à « lui rendre compte de ce que vous avez fait pour donner « au citoyen Oriani des témoignages de l’intérêt et de « l’cMiine que les Français ont toujours eus pour lui, et « pour lui prouver qu’ils savent allier à l’amour de la « gloire et de la liberté celui des arts et des talents. » PUBLICATION DE L’oiVRACE INTITCIÉ: \037Réflexions sur la milaphysique du calcul infinilitimal. Le mot de science, que la série des événements vient placer sous ma plume, me rappelle que cette époque est colle de la publication d’un des ouvrages mathématiques de Carnot. Je sens tout ce qu’il y aura de fatigant pour vous à en écouter l’analyse mais il faut bien que, dans cette enceinte, le savant se montre aussi quelquefois. L’ouvrage précoce et si remarquable sur les machines, dont nous avons donné une idée, a fait assez connaître tout ce qu’on était en droit d’attendre de l’esprit ferme, lucide, pénétrant, de Carnot, C’était donc un brillant avenir de gloire que le jeune officier apportait en sacrifice à la patrie, lorsque, obéissant à la voix de ses conciluye: il échangeait la vie douce, tranquille du malhé- \037

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CVIINOT. ’û-i \037maliciou contre la carrière aventureuse et parsemée d’écucilsdu tribun. Ce sacrifice, au reste, il ne le fit pas pans regret car la géométrie fut toujours son délassemcut favori. Privé, par des devoirs impérieux de tous les jours, du plaisir de se mesurer avec les grands problèmes dont la solution exige des années d’efforts continus et persévérants, Carnot choisit ces questions difficiles, mais circonscrites, qui peuvent être prises, abandonnées et reprises à bâtons rompus; qu’un esprit élevé et susceptible d’une forte contention développe et approfondit, sans papier, sans crayon, à la promenade, au milieu des agitations de la foule, pendant les gaietés d’un repas et les insomnies d’une nuit laborieuse il dirigea enfin ses méditations vers la métaphysique du calcul. Aujourd’hui de telles recherches seraient, je le crains, peu goûtées; cependant, qu’on se reporte aux époques où les études mathématiques firentgraduellement surgir tant de natures diverses de quantités, et l’on verra toutes les appréhensions qu’elles inspirèrent à des esprits rigides, et l’on reconnaîtra que, sur beaucoup de points, c’est l’habitude plutôt que la vraie science qui nous a rendus plus hardis. \037Parmi les quantités que j’ai entendu désigner, les irrationnelles se présentèrent d’abord. Les anciens évitèrent de s’en servir avec un soin scrupuleux; les modernes eussent bien désiré aussi n’en point faire usage mais elles vainquirent par leur foule, dit l’ingénieux auteur de la Géométrie de l’infini. \037Aux quantités qui n’étaient pas numériquement assignables succédèrent les quantités impossibles, les fjua.i- \037

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5-,G CARTOT. \037· I v n f n 1. 1 L 1 \037tités imaginaires, véritables symboles dont on essaierait vainement de donner, je ne dis pas des valeurs exactes, mois encore de simples approximations. Ces imaginaires, on les combine néanmoins aujourd’hui sans scrupule, par addition, par soustraction on les multiplie, on les divise les unes par les autres comme des quantités réelles; en fin de compte, les imaginaires disparaissent quelquefois au milieu des transformations qu’elles subissent et le résultat est alors tenu pour tout aussi certain que si l’on y était arrive sans le secours de ces hiéroglyphes de l’algèbre. Il faut l’avouer, mille et mille applications du calcul justifient cette confiance et cependant peu de géomètres manquent de se prévaloir de l’absence d’imaginaires dans les démonstrations où ils sont parvenus à les éviter. \037V infini fit irruption pour la première fois, dans la géométrie, le jour où Archimcde détermina le rapport appro:hé du diamètre à la circonférence par une assimilation du cercle à un polygone circonscrit d’une infinité de côtes. Bonaventure Cavalieri alla ensuite beaucoup plus loin; diverses considérations ramenèrent à distinguer des infiniment grands de plusieurs ordres, des quantités infinies, qui cependant étaient infiniment plus petites que d’autres quantités. Doit-on s’étonner qu’en présence de ces résultats, et malgré sa vive prédilection pour des combinaisons qui l’avaient conduit à de véritables découvertes, l’ingénieux auteur italien se soit écrié dans le style do l’époque roilà des difficultés dont les armes d’Achille elles n.émes iCauront pan raison! \037Los infiniment petits s’étaient eux, glissés dans la g<:o- \037

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CARNOT. 577 \037métric, même avant les infiniment grands, et non pas seulement pour faciliter, pour abréger telle ou tell*» démonstration mais comme le résultat immédiat et nécessaire de certaines propriétés élémentaires des courbes. Étudions, en elFet, les propriétés de la plus simple l’e toutes, de la circonférence de cercle; et par là, nous n’entendrons pas cette courbe rugueuse, grossière q\w nous parviendrions à tracer à l’aide de nos compas, de nos tire-lignes les mieux affilés, mais bien la circonférence de cercle douée d’une perfection idéale, mais bien une courbe sans épaisseur, sans aspérités d’aucune nature. A cette courbe, menons par la pensée une tangente. Dans le point unique où la tangente et la courbe se toucheront, elles formeront un angle qu’on a appelé Yangte de contingence. Cet angle, dt’-s l’origine des sciences mathématiques, a été l’objet des plus sérieuses réflexions des géomètres. Depuis deux mille ans, il est rigoureusement démontré qu’aucune ligne droite, partant du sommet de l’angle de contingence, ne saurait être comprise entre ses deux côtés, qu’elle ne saurait passer entre la courbe et la tangente. Eh bien, je le demande l’angle dans lequel une ligne droite infiniment déliée ne pourrait pa< s’introduire, ne pourrait pas s’insinuer, qu’est-ce autre chose, si ce n’est un infiniment petit? \037L’angle de contingence infiniment petit, où aucune li^m droite ne saurait être intercalée, peut cependant cou prendre entre ses deux côtés des milliards de circonférences de cercle, toutes plus grandes que la première. O’tte vérité est établie sur des raisonnements d’une o\idcncc incontestable et incontestée. Voilà donc, au caur r.-i. 1. 37 \037

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578 CARNOT. \037nx’ine de la géométrie élémentaire, un infiniment petit, t et, ce qui est encore plus incompréhensible, un infiniment petit susceptible d’être fractionné tant qu’on veut 1 L’intelligence Iiumainc était humiliée, abîmée devant de pareils résultats; mais enfin c’étaient des résultats, et elle se soumettait. \037Les infiniment petits que Leibnilz introduisit dans son calcul dilïérenliel excitèrent plùs de scrupules. Ce grand géomètre en distinguait de plusieurs ordres ceux du second était négligeables à côté des infiniment petits du premier; à leur tour, les infiniment petits du premier ordre disparaissaient devant les quantités finies. A chaque transformation des formules, on pouvait, d’après cette hiérarchie, se débarrasser de nouvelles quantités; et cependant il fallait croire, il fallait admettre que les résultats définitifs avaient une exactitude rigoureuse; que le calcul infinitésimal n’était pas une simple méthode d’approximation. Telle fut, tout bien considéré, l’origine de l’opposition vive et tenace que le nouveau calcul souleva à sa naissance; telle était aussi la difficulté qu’un homme également célèbre comme géomètre et comme théologien, que l’évOquc de Cloync, Berkeley, avait en vue, lorsqu’il criait aux incrédules en matière de religion « Voyez les mathématiques n’admettcnt-clles pas des mystères plus incompréhensibles que ceux de la foi? » Ces mystères n’existent plus aujourd’hui pour ceux qui veulent s’initier à la connaissance des méthodes dont se compose le calcul différentiel dans la théorie des (luxions de Newton, dans un Mémoire où d’Alembcrl met en usage la considération des limitcs vers lesquelles convergent les \037

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CARNOT. 5*9 9 \037rapports des différences finies des fonctions, ou enfin dans la Théorie des fonctions analytiques de Lagrange. Toutefois, la marche lcihnitzicnnc a prévalu, parce qu’elle est plus simple, plus facile à retenir, et qu’elle se prête beaucoup mieux aux applications. Il est donc important do l’étudier en elle-même, de pénétrer dans son essence, de s’assurer de la parfaite exactitude des règles qu’elle fournit, sans avoir besoin de les corroborer par les résultats du calcul fluxionnel, du calcul des limites ou de celui des fonctions. Cette tâche, je veux dire la recherche du véritable esprit de l’analyse différentielle, forme le principat objet du livre que Carnot publia en 1799 sous le titre modeste de Réflexions sur ta métaphysique du calcul infinitésimal. J’ose affirmer que les auteurs, d’ailleurs si estimables, des meilleurs traités de calcul différentiel n’ont pas encore assez puisé dans l’ouvrage de notre confrère. Les avantages qui doivent résulter de l’introduction immédiate, dans les formules, de quantités infiniment petites ou élémentaires; les considérations à l’aide desquelles on peut prouver qu’en négligeant plus tard ces quantités, le calculateur n’en arrive pas moins à des résul- tats d’une exactitude mathématique, par l’effet de cer- taincs compensations d’erreurs; enfin, pour le dire en deux mots, les traits fondamentaux et caractéristiques de la méthode leibnilziennc, Carnot les analyse avec une clarté, une sûreté de jugement et une finesse d’aperçus qu’on chercherait vainement ailleurs, quoique la question ait été l’objet des réflexions et des recherches des plus grands géomètres de l’Europe. \037

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580 0 CARNOT. \037CAR.NOT, FitlT.TIDORtsf EST OBLIGÉ DE l’Ilt.NDllE LA FIITE. –IL EST HAYE DE LA LISTK DE l’IXSTITIT, ET REMPLACÉ PAR LE CK.XKRAL BONAI’AIITE. \037La France s’est toujours montrée idolâtre de la gloire militaire. Satisfaites largement cette passion dans une guerre nationnlc, et soyez sans inquiétude sur l’administration intérieure, quoique inhabile qu’elle soit. Les sympathies du peuple, et au besoin sa résignation, sont acquises il tout gouvernement qui chaque mois pourra se parer d’une nouvelle victoire sur ses ennemis extérieurs. Je n’aperçois dans nos annales qu’une seule exception à cette règle; encore faudra-t-il que, par une assimilation ei souvent trompeuse, les représentants légaux du pays soient considérés comme les interprètes fidèles des vœux, des sentiments, des opinions de la majorité. L’exception dont je veux parler, c’est le gouvernement directorial qui me la fournira. \037Lorsque les élections de l’an v apportèrent un nombreux renfort de royalistes aux deux minorités du conseil dos Cinq-Cents et du conseil des Anciens, qui jusque-là s’étaient bornés à faire au Directoire une opposition trèsmodéréc; lorsque, forte de ce qu’elle pensait être t’appui populaire la minorité se croyant devenue majorité levait le masque jusqu’à nommer à la présidence du conseil des Cinq-Cents ce même Pichegru, qui naguère flétrissait par la trahison les lauriers qu’il avait cueillis en Hollande au nom de la République; lorsque les ennemis du pouvoir directorial dévoilaient ouvertement leurs pro- \037

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CARNOT. 581 \0374 a 11 · v V 1 W 1 \037jets dans les salons du célèbre club de Clicliy; lorsque, aux incriminations aux accusations réciproques parvenues au dernier terme de l’exaltation, succédaient déjà des voies de fait contre les patriotes et les acquéreurs de biens nationaux nos troupes étaient partout triomphantes. I/onn-îc de Rhin-et-Moselle sous les ordres de Moreau l’armée de Sombrc-ct-Mcusc commandée par Jourdan, venaient de traverser glorieusement le Rhin elles marchaient au cour de l’Allemagne l’armée d’Italie était à vingt lieues deViennc; Bonaparte signait à Léobcn les préliminaires d’un traité de paix vivement attendu. Il pouvait sans compromettre les négociations, se montrer difficile môme sur de simples questions d’étiquette il pouvait refuser m:t de mettre dans les protocoles le nom de l’empereur d’Allemagne avant celui de la République française; il pouvait aussi, quand le général Meerweld et le marquis tic Gallo lui parlaient de reconnaissance, répliquer, sons forfanterie par ces mémorables paroles t La Répu«  bliqus française ne veut pas être reconnue; elle est en « Kùropc ce qu’est le soleil sur l’horizon tant pis pour « qui ne veut pas la voir et en profiter. » Est-il donc étonnant, je vous lc demande, Messieurs, que, dans une position si favorable de nos affaires extérieures, Carnot crût à la possibilité d’une conciliation entre les partis politiques qui se partageaient le pays; qu’il refusât, j’emploie a dessein ses propres paroles, de conjurer le danger en sortant des limites de la constitution qu’il repoussât loin de lui toute pensée de coup d’État, moyen assurément très-commode de sortir d’embarras, mais moyen dangereux, et qui presque toujours finit par \037

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582 CARXOT. \037devenir funeste à ceux-là môme qui l’ont employé à !eur profit* \037J’aurais vivement désiré, Messieurs, pouvoir pénétrer plus avant dans l’examen du rôle que joua Oirnot à cette époque critique de notre révolution je n’ai rien négligé pour soulever quelque coin du voile dont reste encore couvert un événement qui exerça tant d’influence sur la destinée de notre confrère et sur celle du pays mes efforts, je t’avoue, ont été infructueux. Les documents ne manquent pas, mais ils émanent presque tous d’écrivains trop intéressés soit à excuser, soit à flétrir le 18 fructidor, pour n’être pas suspects. Les récriminations pleines d’Aereté, de N-loleiice, auxquelles d’anciens collègues se livrèrent alors les uns contre les autres, m’ont rappelé cette célèbre et si sage déclaration de Montesquicu « IVécoulez ni le père ïourneminc, ni moi, parr lant l’un de l’autre; car nous avons cesse d’être amis, » Les antécédents, Ics opinions, le caractère, les démarches connues et avouées des divers personnages qui firent ce coup d’État ou en devinrent les victimes, n’auraient guère été un guide plus fidèle. J’aurais vu Hoche marcher un moment contre son protecteur constant et zélé, contre celui qui lui avait sauvé la vie sous le régime de Robespierre, et qui transformait, en 1793 les galons du jeune sergent d’infanterie en épaulettes de général en chef; j’eusse trouvé Bonaparte contribuant, par son délégué Augereau au renversement et a la proscription du seul directeur avec lequel il eut conservé des relations intimes pendant la campagne d’Italie; je l’aurais vu, a son passage a Genève, faire arrêter le banquier \037

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CARNOT. 583 \037Bontemps, sous le prétexte qu’il avait favorisé l’évasion de cc même Carnot à qui, quelques mois auparavant lui, Bonaparte, écrivait de Plaisance (20 floréal an iv), de Milan (le 20 prairial de la même année), de Vérone (le 9 pluviôse an v) « Je vous dois des remerciements « particuliers pour les attentions que vous voulez bien « avoir pour ma femme je vous la recommande; elle est «patriote sincère, et je l’aime à la folie. Je méri«  terui votre estime; je vous prie de me conserver votre « amitié. – La récompense la plus douce des fatigues, «des dangers, des chances de ce métier-ci, se trouve « dans l’approbation du petit nombre d’hommes qu’on « apprécie. – J’ai toujours eu a me louer des marques « d’amitié que vous m’avez données, à moi et aux miens, « et je vous en conserverai toujours une vraie reconnaisi sance. L’estime d’un petit nombre de personnes «comme vous, celle de mes camarades, du soldat. « m’intéressent vivement. i \037Des deux républicains sincères que renfermait le Directoire exécutif, j’en aurais rencontré un parmi les fructidorisants, l’autre parmi les fructidorisés; le satrape Barras, de qui on avait pu dire, sans exciter de réclamation, qu’il était toujours vendu et toujours à vendre, se serait offert moi comme l’ami comme l’allié ou du moins comme le confident intime de l’austère, du probe La Révellière; j’aurais vu ce même Barras qui déjà poutetre, à cette époque, correspondait directement avec le comte de Provence, entouré d’une cohue de séides dont aucun, pour le dire en passant, ne refusa plus tard la liwée impériale, renverser sous d’incessantes accusations \037

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!J8i CARXOT. \037de royalisme le seul homme de nos assemblées qui toujours fidèle à ses convictions, combattit pied à pied l’insatiablc ambition de Bonaparte. \037Cherchant ensuite dans les faits, mais uniquement dans les faits, si la majorité des Conseils était réellement factieuse; si la contre-révolution ne pouvait se conjurer que par un coup d’État, si le 18 fructidor enfin était inévitable, j’aurais trouvé et cela malgré les concessions mutuelles que se firent sans doute los prescripteurs, comme au temps d’Octave, de Lépide, d’Antoine, j’aurais trouvé une élimination ou, si l’on veut, une épuration de quarante et un membres seulement dans le conseil des Cinq-Cents, et de onze dans le conseil des Anciens. Le fil qui pourrait guider sûrement l’historien dans ce labyrinthe de faits contradictoires, je le répète, je ne l’ai point trouvé. Les Mémoires arrachés à la famille de iîarras par ordre de Louis XVIII; les Mémoires que La Révcllièrc a laissés, et dont il est si désirable que le public ne soit pas plus longtemps privé; les confidences que, d’un autre côté, on est en droit d’attendre de la part de quelques-unes des victimes du coup d’État directorial, dissiperont peut-être tous les nuages. Dieu veuille, pour l’honneur du pays, qu’en fin de compte la mutilation violente et illégale de la représentation nationale n’apparaisse pas comme le résultat exclusif de haines, d’antipathies personnelles excitées ou du moins entretenues en grande partie par les intrigues de plusieurs femmes célèbres. Au reste les investigations des historiens à venir, quelque étendues, quelque complètes qu’elles puissent être, ne jetteront aucun louche sur la parfaite loyauté de \037

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C A II NO T. *̃> \037notre confrère. Déjà il ne reste plus de vestiges des accusations articulées dans le rapport officiel présenté en l’an vi au conseil des Cinq-Cents en quelques pages, Carnot les réduisit au néant. Tout ce que la malveillance ou la simple préoccupation osent emprunter aujourd’hui au pamphlet si artificieusement élaboré de Baillcul se réduit à un reproche banal grossièrement exprimé et dont j’aurais dédaigé de faire mention, si Carnot n’avait indiqué- lui-même à quelles conditions il l’acceptait. \037Les roués politiques qualifient de niais tous ceux qui dédaigneraient des succès achetés aux dépens de la bonne foi, de la loyauté, de la morale mais il ne faut pas s’y méprendre, triais est l’épithète polie; slujmle est celle qu’on préfère alors qu’on ne se croit pas tenu à des ménagements et au langage de la bonne compagnie. Cette épithète, dédaigneusement jetée dans le rapport officiel de Baillcul, avait cruellement blessé Carnot; elle e*t ironiquement reproduite presque à chaque page de la réponse de notre confrère. Oui, dit-il quelque part, le stupide Aristide est chassé de son pays le stupide Socrate boit la ciguë; le stupide Caton est réduit à se donner la mort; le slupidc Cicéron est assassiné par l’ordre des triumvirs; oui! Ic stupide Phocion aussi est conduit au supplice, mais glorieux de subir le sort réservé de tout temps à ceux qui servent bien leur pays. » \037Carnot s’échoppa du Luxembourg à l’instant même où des sbires entraient dans sa chambre pour l’arrêter, l’ne famille d’artisans bourguignons le recueillit et le cacha. Ceux dont la vie est une série non interrompue de privations savent toujours compatir au malheur. Notre confrère \037

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586 CAnNOT. \037_«. -1. Il 1,% 1.,& _h~1 \037se réfugia ensuite chez M. Oudot grand partisan du coup d’État du 18 fructidor, et où, dès lors, personne ne se serait avisé de chercher le directeur proscrit. Carnot n’avait pas encore quitté Paris lorsqu’on le raya de la liste des membres de cet 1 nstitut national à la création duquel il avait tant contribue. \037Des lois rendues les 19 et 20 fructidor an v déclaraient vacantes toutes les places occupées par les citoyens que le coup d’État du 18 avait frappés. Le ministre de l’intérieur, Letourneux, écrivit donc à l’Institut pour lui enjoindre de procéder au remplacement de Carnot. Les trois classes concouraient alors à la nomination des membres de chacune d’elles. Cent quatre votants prirent part au scrutin l’urne ne reçut aucun billet blanc 1 Je sais, Messieurs, à quel point, en temps de révolution, les esprits les plus droits, les plus fermes, subissent l’influence de l’opinion publique je sais qu’a la distance qui nous sépare du 18 fructidor, personne ne peut se croire le droit de jeter le moindre blùmc sur la condescendance que montra l’Institut pour les ordres ministériels toutefois, j’exprimerai ici franchement le regret que d’impérieuses circonstances n’aient pas permis à nos honorables devanciers de tracer, dès l’ère fructidorienne, une ligne de démarcation tranchée entre l’homme politique et l’homme d’étude. Sous la Régence, dans l’affaire de l’abbé de Saint-Pierre, l’ontenellc avait déjà, par une boule courageuse, protesté contre cette prétention de tous les pouvoirs, de confondre ce que des sciences, des lettres, des arts, commande de tenir éternelkment séparé. Si en l’an v de la République cinquante-trois \037

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CARNOT. 587 \037votants avaient eu la hardiesse d’imiter Fontenelle, l’Institut n’eût pas subi, sous la Restauration, des mutilations cruelles privés de l’appui que leur donnaient de fâcheux précédents, plusieurs ministres n’auraient certainement pas eu l’inqualifiable pensée de créer à l’aris une Académie des sciences sans Monge, une Académie des beauxarts sans David 1 \037Vous êtes étonnés, sans doute, que je n’aie pas encore fait connaître le nom du personnage qui succéda à Carnot dans la première classe de l’In,titut eh! Messieurs, c’est que j’ai reculé, tant que je l’ai pu, devant un devoir pénible. Quand il procédait au remplacement d’un de ses fondateurs, d’un de ses membres les plus illustres, l’Institut obéissait, du moins, à une loi formelle rendue par les pouvoirs de l’État; mais est-il, je vous le demande, aucune considération au monde qui doive faire accepter la dépouille académique d’un savant victime de la rage des partis, et cela surtout lorsqu’on se nomme le général Bonaparte? Comme vous tous, Messieurs, je me suis souvent abandonné à un juste sentiment d’orgucil en voyant les admirables proclamations de l’armée d’Orient signées LE MEMBRE DE l’Institi "i général en chef; mais un serrement de cœur suivait ce premier mouvement, lorsqu’il me revenait à la pensée que le membre de l’Institut se parait d’un titre qui avait été enlevé a son premier protecteur et à son ami. \037Je n’ai jamais cru, Messieurs, qu’il fùt utile de créer, aux dépens de la vérité, des êtres d’une perfection idéale et voila pourquoi, malgré quelques bienveillants conseils, j’ai persisté à divulguer ce que vous venez d’entendre sur \037

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.S8 CAUNOT.

\037!.ï nomination du geikV.il lionapartc à l’Institut. Au reste, d.ins votre bouclic, me disait un napoléoniste quand même, l’nnecdote est sans gravité tout le monde ne sait-il pas <|uo les astronomes cherchent des taclies dans le soleil 1 Ainsi, Messieurs, ma position m’aura donné le privilège (Je dire la vérité sans blesser personne, ce qui, par parenthèse, est infiniment rare! 1 \037Je regrette de n’avoir pu découvrir le nom du généreux citoyen qui arracha Carnot à sa retraite et le conduisit heureusement dans sa chaise de poste jusqu’à Genève. \037Arrive dans cette ville, Carnot se logea chez un blanchisseur, sous le nom de Jacob. La prudence lui commandait une retraite absolue; le désir d’avoir des nouvelles certaines de sa chère patrie t’emporta; il sortit, fut reconnu dans la rue par des espions du Directoire, qui s’attachèrent a ses pas, découvrirent sa demeure, et’ la firent immédiatement surveiller. Des agents français, accrédités auprès de la république de Genève, poussèrent hautement le cri d’extradition, et portèrent même officiellement cette demande au gouvernement genevois. Le magistrat aux mains duquel tomba d’abord la pièce diplomatique était heureusement, un homme de cœur et de conscience, qui sentit toute l’étendue de la flétrissure qu’on voulait infliger à son pays. Ce magistrat s’appelait .M. Didier. A cette place, Messieurs, ce serait un crime de ne pas citer un nom honorablement connu dans les lettres, quand il se rattache a une bellp action. M. Didier écrivit a Carnot; il l’avertissait du danger qu’il courait, le suppliait de quitter sur-le-champ sa demeure, et lui indi- \037

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CAKNOT. «89 \037CAKNOT. !>S» \037quait le point du lac ou l’attendait un batelier, qui le transporterait à Nyon. Il était déjà bien tard; les sbires du Directoire guettaient leur proie. Notre confrère vi droit à son hôte, et, sans autre préambule, lui demande excuse de s’être introduit dans sa maison sous un non suppose". Je suis, ajoute-t-il, un proscrit, je suis Carnot; on va m’arrêter; mon sort est dans vos mains voulezvous me sauver? Sans aucun doute, » répond l’honnête blanchisseur; aussitôt i) affuble Carnot d’une blouse, d’un bonnet de coton, d’une hotte; il dépose sur sa tè(3 un large paquet de linge sale, qui, en fléchissant, tombe jusqu’aux épaules du prétendu Jacob, et couvre sa figure. C’est à la faveur d’un pareil déguisement que l’homme à qui naguère il suffisait de quelques lignes pour ébranler ou arrêter dans leur marche des armées commandées par les Marceau, les Hoche, les Moreau, les Bonaparte; pour répandre l’espérance ou la crainte a Naples, a Rome, à Vienne; c’est, triste retour des choses d’ici-bas, c’est comme garçon de service d’une buanderie qu’il gagne, sain et sauf, le petit batelet qui doit le faire échapper à la déporta-ion. Sur le batelet, une nouvelle et bien étrange éinolion attendait Carnot. Dans le batelier aposté- par .M. Didier, il reconnaît ce même l’ichegru dont les coupables intrigues avaient rendu Ic 18 fructidor peut-être inévitable. Pendant toute la traversée du lac, pas une seule parole ne fut échangée entre les doux proscrits. Le temps, le lieu, les circonstances, semblaient en effet peu propres à des débats politiques, a des récriminations! Carnot, au reste, eut bientôt à se féliciter de sa réserve à Nyon, la lecture des journaux français lui apprit qu’il \037

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590 CARNOT. \037avait été trompé par une ressemblance fortuite; que son compagnon de voyage, loin d’être un général, n’avait jamais fait manœuvrer que sa frêle embarcation, et que Pichegru, arrêté par Augcreau, attendait la déportation dans une des prisons de Paris. Carnot était encore à Nyon lorsque Bonaparte, venant d’Italie, traversa cette petite ville en se rendant à Kastadt. Comme tous les autres habitants, il illumina ses fenêtres pour rendre hommage au général. \037Si le cadre que je me suis tracé m’amenait plus tard à parler de la rare et sincère modestie de Carnot, ou ne m’opposerait pas, j’espère, la petite illumination de Nyon. Quand il plaçait deux chandelles sur sa fenêtre, en l’honneur de victoires auxquelles il avait concouru par ses ordres, ou du moins par ses conseils, Carnot proscrit, Carnot sous le coup d’une menace d’extradition et d’un exil dans les déserts de la Guyane, devait assurément être agité de sentiments bien divers; mais il n’est nullement présumablc que l’orgueil figurât dans le nombre. 18 BRI MAIRE. RENTRÉE DE CARNOT EN FRANCE. –SA NOMINATION AU MINISTÈRE DE LA OtEHRE. SA DÉMISSION. – SM \037f ASSAGE AU TRIBINAT. \037Depuis plus de deux ans, Carnot avait disparu de la scène politique; depuis plus de deux ans, il vivait à Augsbourg sous un nom supposé, exclusivement occupé de la culture des sciences et des lettres, lorsque le général Honaparte revint d’Egypte, et renversa d’un souffle, le 18 brumaire, un gouvernement qui n’avait pas su prendre \037

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CARNOT. 591 \037racine dans le pays. Un de ses premiers actes fut le rappel de l’illustre exilé, et sa nomination au ministère de la guerre. L’ennemi était alors à nos portes. Carnot n’hésita pas à accepter; mais peu de mois après, quand les immortelles victoires de Marengo et d’IIohenlinden eurent donné è nos armes une supériorité incontestable, lorsque l’indépendance du pays fut de nouveau assurée, Carnot se démit de ses fonctions. 11 ne voulut pas consentir à paraître complice des changements qui se préparaient dans la forme du gouvernement, « Citoyens consuls, écri«  vait-il le 16 vendémiaire an ix, je vous donne de nou«  veau ma démission; veuillez bien ne pas différer i l’accepter. » \037Ce n’est pas avec cette sécheresse qu’on se sépare pour un léger dissentiment. La lettre que je viens de lire était le corollaire des vifs combats que la République et l’Empire se livraient déjà chaque jour dans les personnes du premier consul et du ministre de la guerre. \037Rappelé aux affaires publiques, comme tribun, en 1802, Carnot s’oppose a la création de la Légion d’honneur. Il croit, j’allais dire il devine, qu’une distinction décernée sons enquête, par la volonté non conlrôléc d’une seule personne, finira, malgré son titre fastueux, et d’après le cours naturel des choses de ce monde, par ne plus être qu’un moyen de se faire des créatures, et de réduire ait

-ilcncc une fourmilière de petites vanités. Carnot s’élève

aussi de toutes ses forces contre l’érection du consulat à vie mais c’est surtout au moment où l’on propose de porter lVnapirlc au trône impérial qu’il redouble d’ardeur et d’éiKTgie. L’histoire a déjà recueilli ses nobles paroles \037

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592 CARNOT. \037clic dira aussi qu’entouré de vieux jacobins, qu’entouré de ceux-là moines qui, au 18 fructidor, l’avaient poursuivi i comme royali-te, Carnot reste presque seul debout au milieu de la défection générale ne fût-ce que pour montrer au monde que la conscience politique n’est pes un vain nom. \037Le Tribunat fut bientôt supprimé. Carnot rentra dais la vie privée je ne dis pas avec joie, Messieurs, car chez notre confrère les vertus du citoyen occupèrent toujours la première place car il avait espéré que, nouveau Washington le général Bonaparte mettrait à profit une occasion unique de fonder, en France, l’ordre et la liberté sur des ba^e-s inébranlables car tout homme initié aux affaires publiques et doué de quelque prévoyance ne voyait pas sans inquiétude les rênes de l’état placées sans contrôle et sans garantie aux mains d’un soldat ambitieux. Je pourrai, du moins, vous montrer que les loisirs de Carnot furent noblement, glorieusement employés. \037PI BLIf.\TIO.\ DE I.» GÉOMÉTRIE DE POSITION. \037On rapporte qu’un jeune étudiant, presque découragé par quelques dilïïcultés inhérentes aux premiers éléments des mathématiques, alla consultcr d’Alcmbert, et que c<; grand géomètre lui répondit Marchez, Monsieur; marchez, et la foi vous viendra! 1 \037Le conseil était bon, et les géomètres en masse l’ont suivi ils Marchent, eux aussi; ils perfectionnent les méthodes, ils en multiplient les applications sans se pré- \037

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C Alt NO T. !*3 3 \037occuper de deux ou trois points où la métaphysique de la science offre des obscurités. Est-ce à dire pour cela qu’on doive à jamais renoncer à remplir ces lacunes? Tel n’était pas l’avis de Carnot. Nous l’avons déjà vu consacrant les courts moments de repos que lui laissaient ses fonctions directoriales à la métaphysique du calcul infinitésimal la suppression du Tribunat lui permettra de soumettre à des investigations pareilles une question non moins ardue, la question des quantités négatives. \037Il arrive souvent qu’après avoir mis un problème en équation l’analyse vous offre, parmi les solutions cherchées, des nombres négatifs; par exemple moins 10; moins 50; moins 100; ces solutions, les anciens analystes ne savaient de quelle manière les interpréter. Viète luimême tes négligeait comme absolument inutiles, comme insignifiantes. Peu à peu on s’habitua à voir, dans les nombres négatifs, des quantités plus petites que zéro. Newton et Euler ne les définissaient pas autrement (Arithmétique universelle et Introduction à l’analyse infinitésimale). Cette notion s’est aujourd’hui introduite dans la langue vulgaire le plus petit marchand comprend à merveille la position d’un correspondant qui lui annonce des bénéfices négatifs. La poésie a donné aussi sa sanction à la même pensée, témoin ces deux vers par lesquels Chénier stigmatisait ses ennemis politiques, les rédacteurs du Mercure de France \037Q l’ont fait ces nains lettn’-s qui, sans littérature, \037Au-deasous du néant, soutiennent te .~lercurP. \037Eh bien Messieurs, c’est une notion placée ainsi sous I. – i. 38 \037

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5IH i CARNOT. \037l’autorité des olus erands eéomèlresdes \037l’autorité des plus grands géomètres des temps modernes; c’e^t une notion consacrée par l’assentiment de qui a, comme on dit, plus d’esprit que Voltaire, que Rousseau, que Bonaparte, par l’assentiment de la généralité du public, que Carnot a combattue avec les armes acérées de la logique. \037Rien assurément de plus simple que la notion d’une quantité négative quand cette quantité est accolée à une quantité positive plus grande qu’elle mais une quantité négative détachée, mais une quantité négative prise isolément, doit-elle être réellement considérée comme audessous de zéro, et à plus forte raison comme inférieure à une quantité positive? Carnot, d’accord en ce point avec d’Alembert celui des grands mathématiciens du dernier siècle qui s’est le plus occupé de la philosophic de la science, soutient que les quantités négatives isolées figurent dans des opérations avouées de tout le monde, et où, cependant, il ne serait pas possible de les supposer au-dessous de zéro. Malgré l’aridité de pareils détails, je citerai une de ces opérations. Personne ne nie que + 10 ne soit il – 10 comme 1 0 est à + 10. Pour que quatre nombres forment une proportion, il faut et il suffit, en effet, que, si ces quatre nombres sont convenablement rangés par ordre, le produit des extrêmes soit égal à celui des moyens. Il n’y a pas lieu à selraroucher, Messieurs; ce que j’invoque ici n’est autre chose quo le principe de la fameuse règle de trois des maîtres d’écrilurc et d’arithmétique; c’e-t le principe du calcul qui s’exécute quelques centaines de mille fois par jour \037

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CARNOT. 69 j \037dans les boutiques de la capitale, Or, dans la proportion que je viens de citer, le produit des extrêmes est + 100 comme le produit des moyens; ainsi \037+ 10:– ,10:: – 10: + 10. \037Cependant, si + 10, premier terme de la proportion, surpasse le second terme – 10, il est impossible de supposer en même temps que – 10 premier terme du second rapport, surpasse + 10, second terme de ce mé"me second rapport; – 10 ne saurait, à la fois, être inférieur et supérieur à + 10. \037Tel est en substance un des principaux arguments sur lesquels notre confrère se fonde pour soutenir que la notion de grandeur absolue ou comparative ne doit pas plus être appliquée aux quantités négatives qu’aux imaginaires; qu’il n’y a pas lieu à examiner si elles sont plus grandes ou plus petites que zéro; qu’il faut les considérer comme des êtres de raison comme de simples formes algébriques. \037Lorsque le génie de Descartes eut montré que les positions de toutes les courbes possibles, que leurs formes, que l’ensemble de leurs propriétés peuvent être implicitement renfermées dans des équations analytiques, In question des quantités négatives se présenta sous un jour entièrement nouveau. L’illustre philosophe établit luimtone en principe qu’en géométrie ces quantités ne diffèrent des quantités positives que par la direction dos lignes sur lesquelles on doit les compter. Cette vue profonde et simple est malheureusement sujette à des exceptions. Supposons, par exemple, que d’un point pris hors \037

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!)% CARNOT. \037Il 11 \037d’un cercle on se propose de mener une droite tellement située que la portion comprise dans ce cercle ait une longueur donnée. Si l’on prend pour inconnue la distance du point d’où la droite doit partir au point de la circonférence qu’elle rencontrera d’abord, le calcul donne deux deux valeurs l’une, positive, correspond au premier point d’intersection de la droite cherchée et du cercle; l’autre, négative, détermine la place de la seconde intersection. Or, qui ne voit que ces deux longueurs, t’une positive, l’autre négative, doivent cependant être portées du même côté du point de départ de la droite? Carnot s’est proposé de faire disparaître ces exceptions. Les solutions négatives isolées, il ne les admet pas plus en géométrie qu’en algèbre. Pour lui ces solutions, abstraction faite de leurs signes, sont les différences de deux autres quantités absolues celle de ces quantités qui était la plus grande dans le cas sur lequel on a établi le raisonnement, se trouve seulement la plus petite lorsque la racine négative apparaît. En géométrie comme en algèbre, la racine négative, prise avec le signe +, est donc la solution d’une question différente de celle qu’on a mise ou du moins de celle qu’on a exclusivement voulu mettre en équation. Comment arrive-t-il maintenant que des problèmes étrangers se mêlent au problème unique que le géomètre voulait résoudre que l’analyse réponde avec une déplorable fécondité à des questions qu’on ne lui a pas faites; que si on lui demande, par exemple, de déterminer parmi toutes les ellipses qu’on peut faire pa>sor par quatre points donnés celle dont la surface est un maximum, elle d<;nnc trois solutions, quand \037

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CARNOT. S97 \037évidemment il n’y en a qu’une de bonne, d’admissible, d’applicable; qu’à l’insu du calculateur, et contre son gré, elle groupe ainsi dans ce cas, un problème relatif à la surface limitée de l’ellipse, avec un problème concernant l’hyperbole, courbe à branches indéfinies, et dès lors nécessairement à une surface indéfinie? Voilà ce qui avait besoin d’être éclairci voilà ce dont la théorie de la corrélation des figures et la Géométrie de position que Carnot a rattachées à ses vues si ingénieuses sur les quantités négatives, donnent le plus ordinairement des solutions faciles. \037Depuis les travaux de notre confrère, chacun applique ainsi sans scrupule la formule établie sur un état particulier de telle ou telle courbe, à toutes les formes ditféiVntes que cette courbe peut prendre. Ceux qui liront les ouvrages des anciens mathématiciens, la collection de Pappu?, par exemple ceux qui verront même, dans le Ic siècle dernier, deux géomètres célèbres, Simson et Stewarl, donner autant de démonstrations d’une proposition que la figure à laquelle elle se rapportait pouvait prendre de positions ou de formes différentes par le déplacement de ses parties; ceux-là dis-je, porteront trèshaut le service que Carnot a rendu à la géométrie. Je voudrais pouvoir dire avec la môme vérité que les vues de notre confrère se sont plus ou moins infiltrées dar.s cette multitude de traités élémentaires que chaque année voit paraître qu’elles ont contribué à perfectionner renseignement; mais, sur ce point, je n’ai guère à exprimer que des regrets. Aujourd’hui la partie philosophique de la science est très-négligée les moyens de briller dans un \037

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693 C A UNO T. \037examen ou concours marchent en première ligne sauf quelques rares exceptions, les professeurs songent bcaurcoup plus à familiariser les élèves avec le mécanisme du calcul qu’à leur en faire sonder les principes. Je ne sais, en vérité, si on ne pourrait pas dire, de certaines personnes, qu’elles emploient t’analyse comme la plupart des manufacturiers se servent de la machine à vapeur, sans se douter de son mode d’action. Et qu’on ne prétende pas que cet enseignement vicieux soit un sacrifice obligé h la passion dominante de notre époque, & la rage d’aller \i(c en toutes choses. Des membres illustres de cette Académie n’ont-ils pas moutré, dans des ouvrages de géométrie et de statique devenus justement célèbres, que la plus extrême rigueur n’exclut pas la concision? La Géométrie de position de Carnot n’aurait pas, sous. le rapport de la métaphysique de la science, le haut mérite que je lui ai attribué qu’elle n’en serait pas moins l’origine et la base des progrès que la géométrie, cultivée à la manière des anciens, a faits depuis trente ans eu France et en Allemagne. Les nombreuses propriétés de l’espace que notre confrère a découvertes montrent, à tous les yeux, la puissance et la fécondité des méthodes nouvelles dont il a doté la science. Qu’on me permet le de justifier par quelques citations l’opinion favorable que je me suis formée des méthodes d’investigation trouvées par Carnot. \037Si d’un point donné on imagine trois plans perpent diculaires entre eux qui coupent une sphère, la somme < des surfaces des trois cercles formant les intersections t sera toujours la même, quelques directions qu’on donne \037

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CARNOT. 599 \037« à ces plans, pourvu qu’ils ne cessent pas de couper tous les trois la sphère. » \037« Dans tout trapèze, la somme des carrés des dia«  gonales est égale à la somme des carrés des côtés non « parallèles, plus deux fois le produit des côtes paral«  le les. » \037– Dans tout quadrilatère plan ou gauche, la somme « des carrés des deux diagonales est double de la somme «des carrés des deux droites qui joignent les points milieux « des côtés opposés, » \037J’aurai atteint mon but si ces citations, que je pourrais multiplier à l’iufiui, inspirent aux professeurs de mathématiques le désir de voir, par eux-mêmes dans la Geoméfrie de position de Carnot, comment tous ces théorèmes curieux découlent avec facilité des méthodes de notre illustre confrère. \037CARMOT INVKNTllR D’CS NOIVKAU SYSTtMF \037DE FORTIFICATIONS. \037II y aurait dans cette biographie une lacune qui deviendrait l’objet de vos justes critiques si, malgré tant de points de vue différents sous lesquels j’ai déjà envisagé l’imposante figure de Carnot, je négligeais de vous parler de l’ingénieur militaire, de l’inventeur d’un nouveau système de fortifications. \037Vous vous rappelez sans doute les vifs débats que Carnot eut à soutenir, dès son entrée dans la carrière militaire, avec les chefs de l’arme à laquelle il appartenait. In caractère droit et inflexible lui faisait déjà repousser le juug \037

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(00 CARNOT. \037pesant de l’esprit de corps. L’âge mûr ne démentit pas un si honorable début. Carnot trouva aussi dans sa raison élevée le secret de se soustraire aux préoccupations, quelquefois passablement burlesques, des hommes trop exclusivement livrés à une spécialité. Les officiers du génie eux-mêmes n’ont pas toujours échappé à de semblables travers. Eux aussi poussent quelquefois jusqu’à à l’exagération les conséquences d’un excellent principe. On en a vu, je suis du moins certain de l’avoir entendu dire, on en a vu qui ne parcourent pas une vallée, qui ne gravissent pas une colline, qui ne franchissent pas un pli de terrain sans former le projet d’y établir une grande fortification, un château crénelé, ou une simple redoute. La pensée qu’avec la facilité actuelle des communications, chaque point du territoire peut devenir un champ de bataille les obsède sans cesse; c’est pour cela qu’ils s’opposent à l’ouverture des routes, à la construction des pouls, au défrichement des bois, au dessèchement des marais. Les places de guerre ne leur paraissent jamais complètes chaque année, ils ajoutent de nouvelles et dispendieuses constructions à celles que les siècles y avaient déjà entassées; l’ennemi aurait, sans aucun doute, beaucoup à faire pour franchir tous les défilés étroits et sinueux, toutes les portes crénelées, tous les ponts-levis, toutes les palissades, toutes les écluses destinées aux manœuvres d’eau tous les remparts, toutes les demi-lunes que réunissent les forteresses modernes; mais en attendant un ennemi qui ne se présentera peut-être jamais, les habitants d’une cinquantaine de grandes villes sont privés de génération en génération, de certains agréments, \037

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CARNOT. €01 \037de certaines commodités qui rendent la vie plus douce et dont on jouit librement dans le plus obscur village. Au reste, ce n’est pas de ma bouche que sortiront j.-imais de rudes paroles de blâme contre des préoccupalions, si même préoccupations il y a, qui seraient inspirées par le plus noble des sentiments, par l’amour de l’indépendance nationale; en toutes choses cependant il faut une certaine mesure; l’économie poussée à l’extrême, n’est-ce pas la hideuse avarice? La fierté ne dégénèret-elle point en orgueil; la politesse en alTétcric; la franchise en rudesse? C’est en pesant dans une balance exacte le bien et le mal attachés à toutes les créations humaines, qu’on se maintient dans la route de la vraie sagesse c’est ainsi que malgré l’empire de l’exemple et de l’habitude, que malgré l’influence, ordinairement si puissante de l’uniforme, l’officier du génie Carnot étudia toujours les graves problèmes de fortification. En 1788, des militaires français, enthousiastes jusqu’au délire des campagnes du grand Frédéric, proclament hautement la parfaite inutilité des places fortes. Le gouvernement paraît souscrire à cette étrange opinion; il n’ordonne pas encore la démolition de tant d’antiques et glorieuses murailles; mais il les laisse tomber d’ellesmêmes. Carnot résiste à l’entraînement général, et fait remettre à M. de Brienne, ministre de la guerre, un Mémoire où la question est examinée sous toutes ses faces avec une hardiesse de pensée, avec une ardeur de patriotisme, d’autant plus dignes de remarque que les exemples en étaient alors devenus fort rares. Il montre que dans une guerre défensive, la seule qu’il conseille, la seule \037

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603 CARNOT. \037qu’il croie légitime, nos forteresses du Nord pouvaient tenir lieu de plus de cent mille hommes de troupes réglées; qu’un royaume entouré de nations rivales est toujours dans un état précaire quand il n’a que des troupes sans forteresses. Abordant enfin la question financière, Carnot affirme (ce résultat, j’en suis convaincu, étonnera mon auditoire comme il m’a étonné moi-même), Carnot affirme à plusieurs reprises que, loin d’être un goulïre où tous les trésors de l’État allaient sans cesse s’engloutir, les nombreuses forteresses du royaume, depuis l’origine de la monarchie, depuis la fondation des plus anciennes, n’ont pas autant coùté que la seule cavalerie de l’armée française en vingt-six ans et veuillez le remarquer, à la date du Mémoire de Carnot, vingt-six ans s’étaient précisément écoulés sans que notre cavalerie eût tiré l’épée. \037Eh bien, Messieurs, devenu membre de l’Assemblée législative, l’ardent avocat des places proposa, non pas, quoi qu’on en ait dit, la destruction complète des fortifications spéciales indépendantes adossées a ces places, et qu’on appelle des citadelles, mais seulement la démolition de ceux de leurs remparts qui jadis les isolaient. Sans doute la certitude qu’il existe un lieu de retraite assurée doit, en temps de siège, exciter les soldats à prolonger la défense, à courir la chance hasardeuse des assauts; mais, à côté de cet avantage, les citadelles s’offraient à l’esprit comme de véritables bastilles dont les garnison? pouvaient foudroyer les villes, les rançonner, les soumettre à tous leurs caprices. Dans l’àme éminemment citoyenne de Carnot, cette considération prévalut. J,’of- \037

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CARNOT. COî \037nrnc^i’îvif \oa ^iln/l^lloe f>f iniiirrri^. iln \037ficier du génie proscrivit les citadelles, et malgré de bruyantes clameurs, son opinion consciencieuse a prévalu. \037Il n’en est pas tout à fait de même des nouveaux systèmes de fortifications et de défense imaginés par notre confrère. Ils n’ont fait jusqu’ici de prosélytes que parmi les étrangers. Est-ce a tort, est-ce à bon droit que nos plus habiles officiers les repoussent? Dieu me garde dotrancher une pareille question. Tout ce que je pourrai entreprendre, ce sera d’indiquer en quoi elle consiste, et même, pour être compris, je serai obligé de faire un nouvel appel à votre bienveillante attention. \037Les plus anciennes fortifications, les premiers remparts, furent de simples murailles plus ou moins épaisses formant autour des villes, des enceintes continues percées d’un petit nombre de portes pour l’entrée et pour la sortie des habitants. Afin que leur escalade devint difficile, ces remparts étaient très-élevés du côté de ta catnpagne; d’ailleurs un fossé susceptible d’être inondé les en séparait ordinairement. \037Les remparts même, dans leur partie la plus haute, avaient une certaine largeur. C’était là que les populations des villes se portaient en cas d’attaque; c’était de là que, cachées en partie derrière un petit mur appelé aujourd’hui parapet, elles faisaient tomber une grêle de traits sur les assaillants. Les plus timides avaient même la facilité de ne viser l’ennemi qu’à travers des ouvertures étroites, qui figurent encore dans les fortifications madernes sous lo nom de metu-triï-res ou de créneaux. L’assiégeant ne commençait à devenir vraiment redou- \037

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COi CARNOT. \037table qu’à partir du moment où, parvenu au pied des remparts, il pouvait, à l’aide de toutes sortes d’outils, d’engins ou de machines, en saper les fondations. Agir alors vivement et à volonté contre lui était donc pour l’assiégé la condition indispensable d’une bonne défense. Or, qu’on se figure un soldat placé au sommet d’un mur; é\idcmment, il n’en apercevra le pied qu’en se penchant en avant, qu’en mettant presque tout son corps à découvert, qu’en perdant les avantages que lui assurait le parapet à l’abri duquel il n’aurait pu sans cela lancer ses traits, qu’en s’exposant aux coups assurés de l’adversaire qui le guettera d’en bas. Ajoutons que, dans cette position g(*née, l’homme n’a ni force ni adresse. Pour remédier à quelques-uns de ces inconvénients, on couronna les murailles de ce genre de construction que les architectes appellent des encorbellements, et sur lesquels les parapets furent établis en saillie. Alors les vides, les ouvertures, ou, s’il faut employer l’expression technique, les mâchicoulis compris entre le parapet et le rempart, devinrent un moyen de faire tomber des pierres, des matières cnflammées, etc., sur ceux qui voudraient saper les murs ou tcnter l’escalade. \037Frapper sans relâche l’ennemi quand il arrive au pied du rempart d’une ville est sans doute excellent; l’empôcher d’avancer jusque-là serait encore mieux. On approcha de ce mieux, sans toutefois l’atteindre complètement, en construisant de distance en distance le long de la muraille de la ville, de grosses tours rondes ou polygonales formant de fortes saillies. Si l’on se transporte par la pensée derrière le parapet dos plates-formes dont ces \037

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CAR NO T. 605 \037tours étaient couronnées, il sera facile de reconnaître que sans se pencher en avant, que sans avoir besoin de trop se découvrir, qu’en s’exposant beaucoup moins que les assaillants, la garnison de chaque tour pouvait apercevoir la tour voisine depuis la base jusqu’au sommet, et de plus une certaine partie du mur d’enceinte. De cette partie du mur, qu’on appelle aujourd’hui la courtine, une moitié au moins était visible jusqu’au pied par la garnison de la tour de droite, et l’autre moitié par la garnison de la tour de gauche de sorte qu’il n’y avait plus une seule partie du mur dont l’assiégeant pût aborder le pied sans s’exposer aux coups directs de l’assiégé. C’est en cela que consiste ce qu’on a appelé le flanquement. \037L’invention de la poudre à canon apporta des modifica- tions profondes au système de fortifications au point de vue de l’attaque et de la défense. A t’aide de cette imention et de celle des bouches à feu, qui en fut la conséquence, l’assiégeant aurait pu faire brèche au rempart à coups de canon, et de fort loin. D’un autre côte, l’assiégé aurait eu les moyens d’atteindre* l’assiégeant longtemps avant qu’il fùt parvenu, par ses cheminements, aux murs d’enceinte. On adossa alors à ces murs de vastes remblais sur lesquels l’artillerie du plus gros calibre pût se mouvoir librement. De la, la nécessité de donner au mur destiné à supporter la poussée de toutes ces terres accumulées d’énormes et dispendieuses épaisseurs. On garantit en même temps les pieds des remparts de la vue de la campagne par des remblais nrtistoment ménagés et êc mariant avec les plis naturels du terrain. En défilant ainsi les remparts, on enlevait à. l’assiégeant la possibilité \037

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006 CARNOT. \037de faire brèche de très-loin; on le mettait dans l’obligation de s’approcher beaucoup du corps de place, afinquo le feu de son artillerie pût s’ouvrir avec efficacité contre li\s revêtements charges de l’artillerie de l’assiégé. On raconte que Soliman II tenait conseil avec ses généraux sur la manière de faire le siège de Rhodes. L’un d’en triî eux, homme d’expérience, expliquait les difficultés do l’entreprise. Le sultan, pour toute réponse, lui d.t « Avance jusqu’à moi, mais songe bien que si tu poses « seulement 11 pointe du pied sur le tapis au milieu du«  que! tu me vois assis, la tête tombera.. Après quelque lieVita’ion, le général ottoman s’avisa de soulever la redoulablc draperie et de la rouler sur elle-mêmc à mesure qu’il avançait. II parvint ainsi, pain et sauf jusqu’à son maître. Je n’ai plus rien à t’apprendre, s’écria ce der«  nier tu connais maintenant l’art des sièges. Telle est, en effet, l’image fidèle des premiers mouvements de celui qui veut s’emparer d’une place de guerre par une attaque on règle. Je terrain est le tapis du sultan. Il y va de sa vie is’il s’y présente h découvert; mais qu’il fouille le terrain, qu’il amoncelle ses déblais devant lui; qu’il roule sans cesse, en avançant, quelque peu du tapis; et derrière cet abri mobile, les assiégeants, conduisant avec eux une puissante artillerie, s’approchent en force et en très-peu de temps des remparts des places, sans être vus de l’assiégé. Au fond, le problème de la fortification peut être considéré comme un cas particulier de la théorie géométrique (les polygones étoilés. Cet ensemble, en apparence inextricable, d’angles saillants, d’angles rentrants, de baslions, do courtine?, do dcmi-luncs, de tenailles, etc., dont \037

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CAltXOT. Ml \037ce composent les places de guerre modernes, est la solution de la question si ancienne du flanquement. On peut en quelques points varier la construction, mais le but est toujours le môme. Les principes ahstraits de Pnrt sont devenus clairs et évident?. Le corps illustre d’officiers qui, aujourd’hui, est en possession de les appliquer à la défense du pays, a eu le bon esprit de renoncer au mystère dont il s’entourait jadis, et qui lui a été fi vivement reproché. La fortification s’enseigne comme toute autre science; ses procédés sont empruntés à la géométrie la plus élémentaire; un simple amateur peut se les rendre familiers en quelques leçons. \037Remarquons maintenant que la fortification moderne a le défaut d’exiger dos dépenses énorme?. C’est ce défaut ruineux que Carnot voulut faire disparaître, en substituant a l’emploi des feux directs celui des feux courbes. Carnot forme l’enceinte de la place d’un mur .«impie non revêtu, avec escarpe et contrescarpe. Le mur peut ne pas avoir une forte épaisseur, puisqu’il n’a pas à résister à la poussée des terres destinées à porter de l’artillerie. Derrière ce mur, il place des mortiers, des obusiers, des pierriers, devant porter dans la campagne des feux courbes dont l’effet, suivant lui, doit être beaucoup plus meurtrier que celui des feux direct?, et opposer au cheminement de l’ennemi des obstacles de plus en plus efficaces à mesure qu’il se rapproche. Le mur est défié cont rc les feux directs de l’assiégeant par la contrescarpe en terre formant une des parois du fossé. JI semble dore que, pour faire brèche, il faudra, comme dans le systfrre actuel des fortifications, venir couronner le chemin cou- \037

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f.08 CAR\OT. \037wnrf nmCr·hinn ms Cttït~nnt~<nttft!«* ent*Ï 1 \037vert, opération qui, suivant l’auteur, serait éminemment meurtrière pour l’assaillant. Ceci suppose qu’on ne peut faire brèche contre le mur de Carnot que de très-près et par le tir de plein fouet. Les expériences faites à l’étranger démentent, dit-on, cette hypothèse: en employant des feux courbes, on serait parvenu à faire brèche d’assez loin à l’aide de projectiles d’un très-gros calibre. La question n’est donc pas résolue; la nouvelle voie ouverte par Carnot semble appeler un examen plus approfondi mais, dès ce moment, on doit applaudir à la tentative faite par notre illustre confrère pour rendre les moyens de défense aussi efficaces que les moyens d’attaque dus au génie de Vauban. \037I’l nt.ICATION DU TRAITE DE 1.4 DÉFENSE \037DES PLACES FORTES. \037Napoléon fut vivement irrité, en 1800, du peu de résistance que plusieurs villes de guerre avaient opposé aux attaques de l’ennemi; aussi fit-il demander à Carnot, vers la fin de la même année, de vouloir bien rédiger, sur cette branche importante de l’art militaire, une instruction spéciale dans laquelle les gouverneurs de place apprendraient à connaître l’importance de leurs fonctions et toute l’étendue de leurs devoirs. Carnot vit dans cette mission une occasion nouvelle de se rendre utile au pays, et il n’hésila point à l’accepter, quoique alors sa santé donnAt de sérieuses inquiétudes. Aux yeux de l’Kmpereur, Ic faire vile avait peut-être le pas sur le faire bien. Cette fuis cependant ses espérances n’allèrent \037

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CARNOT. cor» \037L-I I 89 \037point jusqu’à supposer que la composition d’un ouvrage considérable qui pouvait exiger dix à douze grondes planches et dans lequel des exemples historiques heuieu-. sèment choisis devaient sans cesse marcher à coté du précepte et l’étayer, s’exécuterait en moins d’un an. Eh bien, Messieurs, quatre mois à peine s’écoulèrent entre le moment où Carnot connut le désir de Napoléon et la date de la publication du célèbre Traité de la défense des places fortes. \037CAR.1OT ACADÉMICIEN. \037De 1807 à 1814 Carnot vécut dans la retraite; il remplissait scrupuleusement ses devoirs d’académicien. Ce titre lui avait été rendu, le 5 germinal an vin après le décès de I,e Roy. Presque tous les Mémoires de mécaniqnc soumis au jugement de la première classe de l’Institut lui étaient renvoyés. Sa rare sagacité en signalait, en caractérisait, en faisait ressortir les parties neuves et saillantes avec une clarté, avec une précision remarquables. Je pourrais citer tel auteur de machines qui n’a véritablement conçu sa propre découverte qu’après avoir eu le bonheur de passer par cette savante filière. Il avait d’ailleurs un genre de mérite qui n’est pas toujours l’auxiliaire d’une grande science il savait douter; à ses yeux les résultats théoriques n’étaient pas infaillibles. \037

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CIO 0 CARNOT. \037£v/.Nf.MF.NTS DE 1813. \037C A R N 0 T NOMMÉ Al’ C 0 M M A X T> T. M E T D A X V E II S. \037Nous voici arrivés aux événements de 1813. Carnot n’avait pas assez de fortune pour s’abonner aux journaux. Tous les jours, à la mcmc heure, nous le voyions arriver <’i la bibliothèque, de l’Institut, s’approcher du feu, et lire avec une anxiété visible les nouvelles d°s progrès des ennemis. Le 24 janvier 1814, sa préoccupation nous parut plus vive encore que d’habitude; il demanda du papier, et écrivit, au courant de la plume, une lettre dont vous entendre?, la lecture avec intérêt i \037« SirtE, \037« Aussi longtemps que le succès a couronné vos entre«  prises, je me suis abstenu d’offrir à Votre Majesté des « services que je n’ai pas cru lui être agréables aujour«  d"hui, que la mauvaise fortune met votre constance à « une grande épreuve, je ne balance plus à vous faire « l’offre des faibles moyens qui me restent. C’est peu « sans doute, que l’offre d’un bras sexagénaire ma;s j’ai o pensé que l’exemple d’un soldat dont les sentiments » patriotiques sont connus pourrait rallier à vos aigles « beaucoup de gens incertains sur le parti qu’ils doivent « prendre, et qui peuvent se laisser persuader que ce sc«  rait servir leur pajs que de les abandonner. \037JI e.t encore temps pour vous, Sire, de conquérir une \037

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CARNOT. Cil \037« paix glorieuse, et de faire que l’amot4r du grand peuple « vous soit rendu. \037« Je suis, etc. » \037Les détails que j’ai cru devoir vous donner sur les cir. constances de la rédaction de cette lettre désabuseront, j’espère, ceux qui, accoutumés à concentrer toutes leurs affections sur la personne de Napoléon, virent dans les dernières paroles de Carnot une attaque cruelle et préparée de longue main du vieux démocrate contre celui quî avait confisqué la République à son profit. En vérité, Messieurs, il fallait être bien décidé à mettre les questions (le personnes à la place de l’intérêt du pays, pour ne trouver qu’à blâmer dans l’olfre de l’illustre sexagénaire d’aller défendre une forteresse, lorsque d’ailleurs, en fait de capitulations, il avait naguère résumé sa pensée dans ces belles paroles du fameux Blaise de Montluc au maréchal de Brissac J’aimerais mieux être mort que de voir mon nom en pareilles écritures. \037Carnot partit de Paris pour Anvers à la fin de janvier, sans môme avoir vu l’Empereur. Il était temps, Messieurs; i le nouveau gouverneur n’atteignit la forteresse, le 2 février dans la matinée, qu’à travers les bivouacs de l’ennemi, Le bombardement de la ville, ou plutôt le bombardement de notre escadre, car il y avait des Anglais dans les assiégeants, commença dès le lendemain; il dura toute la journée du 3, toute la journée du 4 et une partie du 6. Quinze cents bombes, huit cents boulets ordinaires, beaucoup d« boulots rouges et de fusées, furent lancés sur nos vaisseaux. J/cnncmi se retira ensuite il avait suffi d’une \037

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612 CARNOT. \037expérience de trois jours pour lui donner la mesure du rude jouteur auquel il aurait affaire. \037J’emprunte au journal du siège, tenu par M. Ransonnet, aide de camp de Carnot, quelques détails qui pourront intéresser, et qui montreront l’austérité du temps et du personnage. \037Le 10 février, le nouveau gouverneur d’Anvers écrit au maire de la ville \037Je suis très-étonné que la personne chargée de faire l’état des meubles et effets pour ma maison ne se soit pas bornée au strict nécessaire. \037« Je désire aussi que les demandes de cette nature qui seront faites pour mon compte n’aient pas le caractère d’une réquisition forcée. \037« Tous les effets détaillés sur la note ci-jointe sont inutiles. » \037Les nécessités de la campagne de Belgique ayant suggéré à l’Kmpercur la pensée d’emprunter quelques troupes pour l’armée active à la garnison d’Anvers, Cornet écrivit au général en chef Maison une dépêche, en date du 27 mars, d’où j’extrais les passages suivants » « En obtempérant aux ordres de l’Empereur, je suis obligé de vous déclarer, Monsieur le général en chef, que ces ordres équivalent à celui de rendre la place d’Anvers. L’enceinte de cette place est immense, et il faudrait au moins quinze mille hommes de bonnes troupes pour la défendre. Comment Sa Majesté a-t-ellc pu croire qu’avec trois mille marins, dont la plupart n’ont jamais vu le feu, je- pourrais tenir la place d’Anvers et les huit forts qui en dépendent?. \037

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CARNOT. CI) l \037« 11 ne reste donc plus ici à faire qu’à se déshonorer ou à mourir; je vous prie de croire que nous sommes tous décidés à ce dernier parti. \037« Je crois, Monsieur le général en chef, que si vous pouvez prendre sur vous de me laisser au moins la troupe de ligne et l’artillerie (il y avait à Anvers un détachement de la garde impériale), vous rendrez à Sa Majesté uu très-grand service; mais le tout sera prêt partir demain, si je ne reçois de vous un contre-ordre que j’attendrai avec la plus grande impatience et la plus grande anxiété. » Outre la dépêche au général Maison je trouve à la même date une lettre au ministre de la guerre, le duc de Fcltre j’y remarque le passage suivant \037Quand j’ai offert à Sa Majesté de la servir, j’ai bien voulu lui sacrifier ma vie, mais non pas l’honneur. Vous savez, Monsieur le duc, que je ne suis pas dans l’usago de dissimuler la vérité, parce que je ne recherche point la faveur. La vérité est que l’état où vos ordres me réduisent est cent fois pire que la mort, parce que je n’ai de chances pour sauver le poste qui m’est confié que la lâcheté de mes ennemis. » \037Iiernadotte, ayant voulu détourner Carnot de la ligne de conduite qu’il s’était tracée, en reçut la réponse suivante s \037i0 avril 1814. \037« l’itlNCE, \037t C’est au nom du gouvernement français que je commande dans la place d’Anvers. Lui seul a le droit de fixer !o terme de mes fonctions aussitôt que le gouvernement sera définitivement et incontestablement établi sur ses \037

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01 i CARNOT. -11. 1- \037nouvelles bases, je m’empresserai d’exécuter ses ordrcs. Cette résolution ne peut manquer d’obtenir l’approbation d’un prince né Français, et qui connaît si bien les lois que l’honneur prescrit. » \037Après les événements de Paris, après la constitution d’un gouvernement provisoire, le ministre de la guerre, Dupont, envoya à Anvers un de ses aides de camp. Voici la lettre que Carnot lui écrivit à cette occasion 15 avril 1814. \037« 11 faut le dire, monsieur le comte, renvoi que vous m’avez fait d’un aide de camp portant la cocarde blanche est une calamité les uns ont voulu l’arborer sur-lechamp, les autres ont juré de défendre Bonaparte; une lutte sanglante en eût été le résultat immédiat dans la place même d’Anvers, si, sur l’avis de mon conseil, je n’eusse pris le parti de différer mon adhésion et celle de toute la force armée. On veut donc la guerre civile; on veut donc que l’ennemi se rende maître de toutes nos places et parce que la ville de Paris a été forcée de recevoir la loi du vainqueur, il faut donc que toute la France la reçoive! Il est é\ident que le gouvernement provisoire ne fait que transmettre les ordres de l’empereur de Bussic. Qui nous absoudra jamais d’avoir obéi a de pareils ordres? Quoi vous ne nous permettez pas seulement de sauver notre honneur; vous devenez vousmftnc fauteur de la désertion, provocateur de la plus monstrueuse anarchie 1 Les leçons de 1702 et de 1703 \037

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CARNOT. 6<i a \037’t. A Et 1’% V 9. V1’J \037sont perdues pour les uouveux chefs de l’Etat. Ils cherchent à surprendre notre adhésion en nous affirmant que Napoléon vient d’abdiquer, et aujourd’hui ils nous disent le contraire. Après nous avoir donné un tyran au lieu de l’anarchie, ils mettent l’anarchie à la place du tyran. Quand verrons-nous la fin de ces cruelles oscillaticns? Paris ne jouit que d’un calme momentané; calme perfide qui nous présage les plus horribles tempête?. O jours d’affliction et de flétrissure, heureux sont ceux qui ne vous ont pas vus! » \037Les sentiments que Carnot avait su inspirer à la population d’Anvers sont connus du monde entier. Je ne puis résister cependant au plaisir de citer au moins quelqucs mots d’une lettre qui lui fut remise le jour où il partit pour Paris, après en avoir reçu ordre du gouvernement des Bourbons de la branche aînée remontée sur le trône. Les autorités et les habitants du faubourg de Borgerhouf dont la destruction avait été résolue, et qu’il crut pouvoir conserver sans nuire à la défense, lui disaient « Vous allez nous quitter; nous en éprouvons un chat grin mortel nous voudrions vous posséder encore quel«  ques minutes; nous sollicitons cette gnice insigne avec « la plus vive instance. Les habitants de Saint-Willo«  bro:d et de Borgerhout demandent, pour la personne e qui sera chargée de les administrer, la permission de «s’informer, une fois l’année, de la santé du général • Camot. Nous ne vous reverrons peut-être jamais. Si ,i « le général Carnot se faisait peindre un jour, et qu’il dai«gnitt faire faire pour nous un double du tableau. ce \037

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616 CARNOT. \037« précieux présent serait déposé dans l’église de Saint«  Willebrord. » \037Je ne commettrai pas la faute, Messieurs, d’affaiblir par un froid commentaire, des expressions si naïves, si touchantes! 1 \037CONDUITE DE CARNOT DANS LES CENT JOl’RS. \037La conduite de Carnot dans les Cent-Jours me paraissait résumée tout entière et noblement dans ces paroles mémorables que Napoléon lui adressa après la bataille de Waterloo Carnot, je vois AI co\mj trop TARD! Mois, comme j’écris une biographie et non un panégyrique, je dirai avec franchise que Carnot comme membre du gouvernement provisoire de cette époque subit l’in(luencc malfaisante et antinationale du duc d’Otrante, ce qui l’entraîna à donner son adhésion à des mesures marquées au coin de la faiblesse, à des mesures sur lesquelles tout cœur animé de sentiments patriotiques désire jeter un voile épais. \037Au surplus, peut-on trop vivement reprocher à Carnot do s’être laissé fasciner par les intrigues de Fouché, lorsqu’on voit Napoléon, malgré les soupçons les plus évidents de trahison, conserver cet homme dans son conseil. Parmi des reproches adressés ostensiblement à Carnot sur cette période de nos annales, il en est un sur lequel je puis donner des explications personnelles. J’ai entendu bl-ïmcr vivement l’austère conventionnel d’avoir accepté certain titre de comte de l’empire par bonheur, ma mémoire peut reproduire fidèlement quelques paroles de \037

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CARNOT. OH \037notre confrère qui éclairent ce point de sa vie, et qui me furent transmises le jour même par un officier qui les avait entendues. \037On était a table, au ministère de l’intérieur. Une lettre arrive le ministre brise le cachet et s’écrie presque aussitôt « Eh bien, Messieurs, me voilà comte de l’empire! I « Je devine bien au reste d’où le coup part. C’est ma dé«  mission qu’on désire, qu’on demande. Je ne lui doa«  ncrai pas cette satisfaction; je resterai, puisque je « pense pouvoir être utile au pays. Le jour viendra, j’es«  père, où il me sera permis de m’expliquer nettement « sur cette perfidie à présent, je me contenterai de dédai«  gner ce vain titre, de ne jamais l’accoler à mon nom «et surtout de ne pas en prendre le diplôme, quelques « instances qu’on me fasse. De ce moment, vous pouvez « tenir pour certain, Messieurs, que Carnot ne restera « pas longtemps ministre après que les ennemis auront été « repoussés. » \037J’aurais bien mal fait apprécier notre confrère, Messieurs si ces paroles semblaient exiger plus de développements. \037CARNOT DANS L’EXIL. –SA MORT. \037De tous les ministres des Cent-Jours Carnot fut Ic seul dont le nom figura sur la liste de proscription dressée le 24 juillet 1815 par la seconde Restauration. Que cette rigueur exceptionnelle ait élé la conséquence de l’ardeur patriotique avec laquelle notre confrère voulait disputer aux étrangers les derniers lambeaux du territoire fran- \037

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6<8 CARNOT. \037çais, ou de sa persistance malheureusement sans résultat, à signaler à l’Empereur le traître qui, sous la foi d’une ancienne réputation d’habileté, s’était introduit dans le ministère, sa gloire n’en sera pas tenue. Déjà, dans la soirée du 24 juillet, Carnot avait reçu un passe-port de l’empereur Alexandre. Il ne s’cn servit toutefois qu’en Allemagne. Obligé de voyager sous un nom supposé, il ne voulut au moins renoncer que le plus tard possible au titre de Français; c’est donc comme Français qu’il traversa de nouveau et si tristement le grand fleuve jusqu’aux rives duquel il avait eu l’insigne honneur de porter nos frontières, et il se rendit à Varsovie, Dans certain pays peu éloigné du notre, l’étranger est toujours accueilli avec cette formule sacramentelle Ma maison et tout ce qu’elle renferme sont à vous mais il n’est pas rare je dois le dire qu’au mémo moment et d’un geste que les domestiques comprennent à merveille, le propriétaire improvisé soit pour toujours consigné à la porte de l’habitation qu’on venait de lui offrir si libéralement. La réception de Carnot en Pologne ne doit pas être rongée dans cette catégorie. Nos excellents amis lc, bravos Polonais ne se bornèrent pas, envers l’illustre proscrit, a de simples formules de politesse. – Le général Krasinski lui porta le titre d’un majorât en terres do 8,000 francs de rente qu’il tenait de Napoléon le comte de Paç voulait lui faire accepter la jouissance de plusieurs domaines. Quoique Carnot ne fùt pas franc-maçon, toutes les loges maçonniques du royaume firent une souscription qui produisit une somme considérable enfin, et de toutes ces dires qu’il refusa, celle-ci alla le plus droit au cœur \037

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CARNOT. 61!» \037de Carnot un Français, pauvre lui-même, établi à Varsovie depuis longues années, alla un matin lui apporter dans un sac Ic fruit des épargnes de toute sa vie. L’âpreté du climat de la Pologne, le désir de se rapprocher de la France, déterminèrent notre confrère à accepter les offres bienveillantes du gouvernement prussien il s’établit à Magdcbourg, où il a passé ses dernières années dans l’étude dans la méditation et en compagnie d’un de ses fils, "dont il dirigeait l’éducation. C’était, Messieurs, un beau spectacle que de voir l’Europe entière, que de voir surtout les souverains absolus forcés, en quelque sorte, de rendre hommage à ce que la révolution française avait eu de grand, de noble, de saisissant même dans la personne d’un des juges de Louis XVI même dans la personne d’un des membres du comité de salut public. \037Carnot mourut à Magdcbourg, le 2 août 1823, à l’âge de soixante-dix ans. \037PORTRAIT DE CARNOT. – ANECDOTES CONCERNANT SA VIE POLITIQIÉ ET SA VIE PRIVÉE. \037Si 1’ ’iconographie n’est aujourd’hui considérée par personne comme une science futile, si des esprits IresdL»tingués en ont fait l’objet des plus sérieuses étude. il me sera bien permis de dire ici que Carnot avait une taille élevée, des traits réguliers et mates, un front large et serein, des yeux bleus, vifs, pénétrants, un abord poli, mais circonspect et froid qu’a soixante ans on apercevait encore en lui, même soin le costume civil» quelque \037

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020 CARNOT. \037( liosc de la tenue militaire dont il avait pris l’habitude dans sa jeunesse. \037J’ai envisagé, sous toutes ses faces, le conventionnel le membre du comité de salut public, le membre du Directoire exécutif, le ministre de la guerre, l’ingénieur militaire, le proscrit, l’académicien. Cependant, plusieurs traits essentiels manqueraient au tableau, quelque vaste qu’il soit déjà, si je ne parlais encore de l’homme privé. Je ne m’écarterai pas, dans cette dernière partie de ma uotice, de la route que je m’étais tracée je marcherai toujours la preuve à la main. C’est ainsi, je crois, qu’il faut louer un géomètre; je me trompe, c’est ainsi qu’il faudrait louer tout le monde en voyant combien l’honncur, le désintéressement, le vrai patriotisme, sont rares chez les vivants combien, au contraire, d’après les oraisous funèbres, d’après les inscriptions tumulaircs, ils auraient été communs parmi les morts, le public a pris le sage parti de ne plus guère y croire, ni pour les uns ni peur les autres. \037J’ai lu quelque part que Carnot était un ambitieux. Je ne m’arrêterai pas à combattre cette assertion en forme i je raconterai, et vous jugerez vous-môines. \037Le membre du comité de salut public qui, en 1793, orga nisait les quatorze armées de la République qui coordonnait tous leurs mouvements, qui nommait et remplaçait les généraux qui, au besoin, comme à Wattignies, les destituait pendant la bataille sous le canon de l’ennemi, n’était que simple capitaine du génie. Lorsque, plus tard, le conseil des Cinq-Cents et le conseil des Anciens de la République de l’an ni appelaient \037

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CARNOT. 5>l \037unanimement Carnot a faire partie du Directoire executif: lorsque, devenu une seconde fois l’arhitre suprême des opérations de nos armées, il envoyait Hoche dans la Vendée, Jourdan sur la Meuse, Moreau sur le Rliin, h la place de Pichegru; lorsque, par la plus heureuse inspiration, il confiait à Bonaparte le commandement ifo l’armée d’Italie, notre confrère avait fait un pas, mais un pas seulement il était devenu chef de bataillon à l’ancienneté \037Cet humble grade, Carnot l’avait encore quand le coup d’État du 18 fructidor le chassa de France. \037Les idées si profondément hiérarchiques du premier consul n’auraient pas pu s’accommoder d’un ministre de la guerre chef de bataillon. Aussi, en l’an ix, n’éleva-t-il Carnot à ce poste éminent qu’après l’avoir nommé inspecteur général aux revues. C’était, au reste, tourner la difficulté plutôt que la lever. Le grade demi-militaire, demi-civil d’inspecteur aux revues, n’empêchait pas que, sous le gouvernement des consuls, le ministre de la guerre ne ffit encore, dans l’arme du génie, simple chef de bataillon. \037Carnot quitta le ministère Ic 10 vendémiaire an ix. Douze jours après, son successeur demandait qu’on plaçât le nom de l’illustre citoyen dans la liste qui allait être formée des généraux de division de l’armée française. Le rapport rappelait, en très-bons termes, et même avec une certaine vivacité, tout ce que notre confrère avait fait pour la gloire, pour l’indépendance nationales. Le ministre allait même, au nom de la juslicc, de Vcslime et de l’amitié, jusqu’à invoquer la magnanimité des \037

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622 CARNOT. \037consjls la magnanimité fit défaut; on ne répondit pas au rapport, et le ministre démissionnaire resta dans son ancien grade. \037Eu 181/», quand il fallut expédier les lettres de commandement du nouveau gouverneur d’Anvers, les commis de la guerre, pour écrire l’adresse, cherchèrent dans les contrôles les titres officiels de Carnot, et restèrent stupéfaits en voyant que l’empereur venait, sans s’en douter, de placer un chef de bataillon à la tête d’une foule de vieux généraux. Le service aurait évidemment souffert d’un pareil état de choses on sentit le besoin d’y remédier, et, à l’imitation de certain personnage ecclésiastique qui, dans la même journée, reçut les ordres mineurs, les ordres majeurs, la prêtrise et l’épiscopat notre confrère, en quelques minutes, passa par les grades de licutenanl-colonel, de colonel, de général de brigade et de général de division. \037Oui, Messieurs, Carnot avait de l’ambition; mais, comme il l’a dit lui-même, c’était l’ambition des trois cents Spartiales allant défendre les Tliennopyles! L’homme qui, dans sa toute-puissance, ne songea seulement pas à se faire l’égal, par le grade, de ceux dont il dirigeait les vastes opérations, avait aussi dédaigné les faveurs de la fortune. Quand il rentra dans la vie privée, ^on faible patrimoine était à peine intact. Comment, avec les goûts les plus simples, avec une vive antipathie pour le faste et la représentation, Carnot n’arriva-t-il pas, sans même s’en douter, sinon à la richesse, du moins à l’aisance de ceux qui, comme lui, ont longtemps occupé de brillants emplois? Quelques faits serviront de réponse; \037

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CARXOT. C23 \037Après le 18 brumaire, au moment de l’entrée de Carnot au ministère de la guerre, la solde des troupes, et, ce qui doit plus étonner, la solde des commis étaient arriérées de quinze mois. Peu de semaines s’écoulent, et tout est payé; i tout, hormis les appointements du ministre! 1 \037Les épingles, tel était jadis le nom d’une sorte de gratification destinée, en apparence, à la femme de celui avec qui un fermier, un négociant, un fournisseur venait de conclure une affaire publique ou privée. Quoique les épingles ne figurassent pas dans les conditions écrites, les contractants ne les regardaient pas moins comme obligatoires l’habitude, cette seconde nature, avait fini par les faire trouver légales les consciences les plus timorées se contentaient de n’en point fixer la valeur. \037Un marchand de chevaux dont Carnot avait approuvé la soumission, alla, suivant l’usage, lui porter titre d’épingles une somme considérable c’était, je crois, 50,000 francs. Le ministre ne comprend pas d’abord au comité de salut public, où il avait fait son apprentissage, les fournisseurs se gardaient bien, en effet, de parler d’épingles; tout s’explique enfin, et Carnot, loin de se fâcher, reçoit en riant les billets qu’on lui présente il les reçoit d’une main et les rend de l’autre comme un premier à-compte sur le prix des chevaux que le marchand s’était engagé à fournir à notre cavalerie, et en exige à l’instant le reçu. \037Les factions, dans les plus violents paroxysmes de leurs fureurs, eurent la prudence de ne point attaquer dans C/iniDl l’homme privé; jamais leur sonffle impur n’essaya do ternir les vertus du fils, de l’époux, du père; à l’égard \037

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621 CARKOT. \037du désintéressement surtout, amis et ennemis restèrent constamment d’accord. Je pourrais donc sur ce point m’en tenir aux deux traits que je viens de citer. H en est un autre cependant qu’on doit désirer de sauver de l’oul)li la mémoire de Carnot n’en aurait que faire, mais j’ai Ic faible espoir qu’en se le rappelant, certains ministres pourront être arrêtés dans leurs prodigalités, et certaines parties prenantes dans leurs exigences 1 \037Après le 18 brumaire, les opérations projetées de l’armée de réserve exigeaient impérieusement que Morenu envoyât sans retard une de ses divisions à l’armée d’Italie. L’intervention directe du ministre de la guerre ne sembla pas de trop pour conduire à bon port une négociation de cette importance. En exécution d’un ordre des consuls du 15 floréal an vin, Carnot, accompagne de sU- officiers d’état-major, de deux courriers et d’uw domestique, se rendit en Allemagne. Pendant la route il inspecta les troupes échelonnées entre Dijon et Genève il parcourut ensuite les cantonnements du Rhin, visita les places fortes, arrêta avec le général en chef le plan de la future campagne, et revint à Paris. La trésorerie lui avait donné 24,000 francs. Au retour, il rendit 10,080 francs. 11 craignait tellement que la dépense de 13,320 francs faite pour un long voyage de dix personnes ne parût trop forte, qu’il en fit le sujet d’un rapport détaillé, qu’il s’en excusait comme d’une prodigalité On voudra bien ra- marquer, disait-il dans sa lettre aux consuls, que vous aviez désiré que je donnasse de l’éclat à ma mission; que, dans les lieux principaux, j’ai du, suivant vos ordres, m’impose une certaine représentation qu’il entrait enfin \037

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CARNOT. 62. \037I.-I. 40 \037dans le caractère de générosité dont vous êtes animés, que je donnasse des gratifications à mes compagnons de voyage et de fatigue 1 » Veuillez vous rappeler, Messieurs, que le voyage, la représentation, les gratifications, s’étaieut élevées, au total, à 13,320 francs; n’oubliez pas que c’était un ministre inspectant des armées qui allaient décider du sort de la patrie qui parlait ainsi, et vous trouverez avec moi, je pense, que, si le monde se perfectionne, ce n’est certainement pas sous le rapport de l’économie. \037La trésorerie ne savait comment porter en recette les 10,680 francs que lui restituait Carnot; mais notre confrère n’en était pas à son coup d’essai en remontant aux époques où il inspectait les armées républicaines comme représentant du peuple, les commis des finances trouvèrent dans leurs registres le protocole qu’ils cherchaient, it cela autant de fois que Carnot avait rempli de missions. Le nom de Carnot se présenterait à ma pensée si, apivs tant d’exemples empruntés à l’histoire de tous les peuple. il restait encore à prouver qu’une âme ardente peut s’allier à des manières froides et réservées. Sans doute, personne n’eut jamais le droit de dire de lui, comiv.e d’Alembert d’un des anciens secrétaires de notre Acad’mie C’est un volcan couvert de neige; mais qu’il me soit du moins permis de montrer que les conceptions de no! iv confrère avaient souvent je ne sais quoi qui va droit au conir, qui le touche, qui l’émeut, qui l’électrisc qu’elles étaient enfin frappées du cachet indéfinissable que ne portent jamais les œuvres des hommes sans entrailles, d hommes chez lesquels toutes tes facultés se fiou\e,it t.-t. 40 \037

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C:6 CARNOT. \037concentrées dans l’intelligence. Deux citations, et ma thèse sera prouvée. \037Latour d’Auvergne, né de la famille de Turenne, ne donne pas même un regret, quand la révolution éclate, aux avantages de position qu’il va perdre; l’ennemi menace nos frontières; c’est aux frontières qu’on le voit aussitôt marcher. La modestie lui fait refuser tous les grades; l’ancien capitaine reste obstinément capitaine. Afin de ne pas priver le pays des éminents services que le général Latour d’Auvergne lui eût rendus, Carnot autorise les représentants du peuple à grouper ensemble toutes les compagnies de grenadiers de l’armée des Pyrénées-Occidentale,?, à en former un corps séparé, à n’y jamais placer aucun officier supérieur, à en écarter avec le même soin tous les capitaines plus anciens que Latour d’Auvergne; et, par cet arrangement, le modeste officier se trouve chaque jour chargé d’un commandement important. Le nom de colonne infernale donné par les Espagnols à ce corps de’ troupes sanctionne bientôt d’une manière éclatante tout ce qu’il y avait d’anomal, d’inusité, d’étrange, dans la combinaison suggérée par Carnot et réalisée par les représentants. \037Latour d’Auvergne, que vous connaissez maintenant, Messieurs, comme militaire, quittait pour !a troisième fois sa retraite, ses chères études d’érudition, et demandait à servir sous Moreau, lorsque Carnot devint ministre de la guerre après le 18 brumaire. Déjà à cette époque, le premier consul n’eût certes pas approuvé une combinaison semblable à celle que les représentants conventionnels avaient adoptée sur les Pyrénées. Carnot, cepen- \037

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CARNOT. CÎ7 \037dant, souffrait de voir que le chef de la colonne infernale, que celui qui comptait tant d’actions d’éclat, que l’estimable auteur des Origines gauloises, faut-il le dire aussi, qu’un correspondant de l’Institut, arriverait sur le Rhin comme le plus obscur combattant. Le titre de premier grenadier de France frappe son imagination Lntour d’Auvergne en est revêtu par un acte officiel, et dès ce moment, sans quitter ses épaulettes de grenadier, il devint aux yeux des soldats l’égal si ce n’est le supérieur des premiers dignitaires de l’armée. \037Le premier grenadier de la République fut tué d’un coup de lance le 27 juin 1800, 6 la bataille de Neubourg. L’armée, la France tout entière, pleurèrent amèrement cette perte. Quant à Carnot, sa douleur profonde lui inspira une pensée que l’antiquité, d’ailleurs si idol;1(rc de la gloire militaire, pourrait. nous envier. D’après un ordre émané de lui, lorsque la £G* demi-brigade était réunie, l’appel commençait toujours par le nom de Latour d’Auvergne. Le grenadier placé en tête du premier rang s’avançait alors de deux pas, et répondait de manière à être entendu sur toute la ligne Mort au champ d honneur! \037L’hommage bref, expressif, solennel, qu’un régiment rendait ainsi chaque jour à celui qui s’était illustré dans ses rangs par le courage, par le savoir, par le patriotisme, devait, ce me semble, y entretenir cette excitation qui enfante les héros. J’affirme, en tous cas, que les nobles paroles de Carnot, répétées à la chambrée, au corps de garde, sous la tente, au bivouac, avaient profondément gardé le souvenir de Lalour d’Amcrgnc dans \037

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6îS CABNOT. \037la mémoire de nos soldats. • Où vont donc ces longues files de grenadiers, s’écriait l’état-major du maréchal Oudinot, lorsque, dans les premiers jours de vendémiaire au xiv (octobre 1805), l’avant -garde de la grande armée traversait Neubourg? Pourquoi s’écarteiit-ils de la route qu’on leur a tracée?» Leur marche silencieuse et grave excite la curiosité; on les suit, on les observe. Les grenadiers allaient, Messieurs, près d’Oberhauscn, passer avec recueillement leurs sabres sur la pierre brute qui recouvrait le corps du premier grenadier de France. Je rends grâces, Messieurs, au vieillard vénérable (M. Savary) qui, témoin oculaire de la scène touchante d’Olxrhausen m’a permis de la tirer de l’oubli, et d’unir ainsi, dans un sentiment commun, l’admirable armée d’Austerlitz aux admirables armées républicaines. Je suis heureux aussi que des noms qui vous sont chers, que les noms de deux de nos anciens confrères, que les noms de Latour d’Auvergne et de Carnot soient venus occuper une si belle place dans ce patriotique souvenir 1 Les grands emplois, comme les sommités élevées, donnent ordinairement des vertiges à qui y arrive brusquement. Celui-ci s’imagine devoir faire oublier, par le faste et la prodigalité, les années qu’il a passées dans la médiocrité ou la géne; celui-la devient dédaigneux et insolent, brutal, et se venge ainsi, sur les malheureux solliciteurs!, des dédains, des arrogances, des brutalités qu’il subissait quand il était solliciteur lui-même. Des noms propres viendraient en foule se placer au bas de cette esquisse, si quelqu’un s’avisait d’en contester la fidélité. N’allez pas croire toutefois qu’en faisant si bon \037

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CARNOT. 6:9 \037marché de certains parvenus, j’entende me constituer ici l’avocat du privilège je veux prouver, au contraire, par l’exemple de Carnot, que les âmes d’une certaine trempe savent résister à la contagion. \037Six mois après le coup d’État du 18 fructidor, Carnot est officiellement accusé au conseil des Cinq Cents d’o\oir eu, avec Pichcgru, des relations fréquentes, intimes, a une époque où ce général, membre du Corps législatif, souillait par des intrigues sa brillante réputation militaire. Carnet nie ces relations. 11 prouve d’abord que des entreues secrètes n’auraient pas pu avoir lieu chez lui. Je « sens bien, ajoute-t-il, qu’on dira Si ce n’est pas chez « vous, c’est ailleurs. Eh bien! je déclare que, pendant « toute la durée de mes fonctions directoriales, je ne suis « pas soi-li douze fois sans être accompagné de ma • femme, de mes sœurs, de mes enfants! » \037II est possible, Messieurs, qu’en France, qu’ailleurs, les gouvernants aient eu souvent cette simplicité, cette austérité de mœurs; mais, je l’avouerai, le bruit n’en est pas venu jusqu’à moi. \037Je viens de vous parler de l’homme voici maintenant le ministre. \037Au combat de Messenheim (1800), près d’Inspruck, Championnet remarque l’audace, l’intrépidité du colonel Bisson, et demande pour lui aux applaudissements de toute l’armée, les épaulettes de général de brigade. Les semaines s’écoulent, et le grade n’arrive pas. Bisson s’impatiente, se rend à Paris, obtient un rendez-vous du ministre, et, dans sa colère, l’apostrophe d’une manière bi’ululc. « Jeune homme, lui répond Carnot avec calme, \037

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630 CARNOT. \037~J~ ~AM~V~’ \037il est possible que j’aie commis une erreur mais vos inconvenantes manières pourraient, en vérité, m’ôter l’envie de la réparer. Allez, je vais examiner attentivement, vos services. – Mes services 1 Ah 1 je sais trop bien que vous les méprisez, vous, qui du fond de ce cabinet, nous envoyez froidement l’ordre de mourir. A l’abri du péril et de la rigueur des saisons, vous avez déjà oublié et vous oublierez encore que notre sang coule, et que nous couchons sur la dure. Colonel, c’en est trop! Dans votre propre intérêt notre entretien ne doit pas continuer sur ce ton-là. Retirez-vous. Votre adresse, s’il vous plaît? Allez! dans peu vous aurez de mes nouvelle?. » \037Ce» dernières paroles, prononcées d’un ton solennel, dessillent les yeux du colonel Bisson. 11 court chercher des consolations auprès d’un ami dévoué, le général Bessières. Celui-ci, au contraire, lui fait entrevoir un conseil de guerre comme la conséquence inévitable de son étourderie. En attendant, Bisson se cache. Un serviteur fidèle va, d’heure en heure, à l’hôtel chercher l’ordre de comparution tant redouté. Le paquet ministériel arrive enfin; Bisson, tout ému, en déchire l’enveloppe. Le paquet, Messieurs, renfermait le brevet de général de brigade et des lettres de service! t \037A peine est-il nécessaire d’ajouter que le nouveau général vole aussitôt chez Carnot, pour lui offrir l’hommage de son admiration, de sa reconnaissance et de son vif repentir. Soin superflu, le général Bisson était consigné à la porte du ministère. Cette âme ardente à qui malgré toute la sincérité de ses sentiments, la démarche coûtait \037

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CARXOT. G3I \037un peu, prouva combien il avait apprécié la délicate sévérité de Carnot, et combien il en était digne, en publiant le soir même ces détails que Plutarque n’eût certainement pas dédaignés. \037De toutes les qualités dont les grands hommes peuvent se parer, la modestie semble être la moins obligatoire aussi leur en tient-on le plus grand compte aussi laisset-ellc des souvenirs durables. Qui par exemple, ne sait par cœur cette lettre que Turenne écrivit à sa femme il y a cent soixanle-dix-iicuf ans, le jour de la célèbre bataille des Dunes Les ennemis sont venus à nous; ils « ont été battus; Dieu en soit loué. J’ai un peu fatigué f dans la journée je vous donne le bonsoir, et je vais me « coucher. » \037Carnot ne s’oubliait pas moins que l’illustre généra! de Louis XIV, non-seulement dans ses relations intimes, mais encore quand il écrivait à la Convention. Je vous ai dit la part qu’il eut à la bataille de Wattignies ch bien, lisez le bulletin que lui inspira cet événement mémorable, décisif, et vous y chercherez en vain quelques mots qui rappellent les représentants du peuple; à moins toutefois qu’on ne soit décidé à les voir dans ce passage « Les « républicains chargèrent la baïonnette en avant et de«  incurèrent victorieux 1 » \037Vous tous, au reste, qui avez connu Carno 4 ailes avec moi si jamais, sans une sollicitation directe, pressante, il consentit à vous entretenir des événements européens qu’il avait tant de fois dirigés. Justement jaloux de t’estime de la France, t’ancien directeur, pendant qu’il était exilé, répondit par écrit aux diatribes de ses accu- \037

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03ï CARXOT. \037\JOm .1 yj • \037satcurs. Sa polémique, cette fois, fut vive, poignante, incisive; on vit à chaque ligne qu’elle partait d’un cœur ulcéré. Toutefois la plus légitime irritation n’entraîna point notre confrère au delà du cercle que ses ennemis lui avaient tracé. Sa défense, dans quelques parties, pouvait bien ressembler à une attaque; mais au fond, en y regardant de -près, c’était encore de la défense. Carnot rejeta loin de lui la pensée de se créer un piédestal avec les immortels trophées qu’il avait moissonnés durant sa carrière conventionnelle ou directoriale. La modestie est de bon aloi, Messieurs, quand elle triomphe ainsi de la colère. \037En matière de sciences, la réserve de l’illustre académicien n’était pas moindre. On eût dit, en vérité, qu’il réglait sa conduite sur cette réflexion du plus ancien, du plus ingénieux de vos interprètes Quand un savant « parle pour instruire les autres et dans la mesure exacte « de l’instruction qu’ils veulent acquérir, il fait une grâce;. « s’il ne parle que pour étaler son savoir, on fait une « grâce en l’écoutant. » \037La modestie au surplus n’est une qualité digne d’estime et de respect que chez les individus isolés. Les corps, Ics académies surtout feraient une faute et manqueraient h leur premier devoir, si elles négligeaient de se parer devant le public des titres légitimes qu’elles ont à l’eslime, à la reconnaissance, à l’admiration du monde. Plus elles sont justement célèbres, plus le désir de leur appartenir est vif, et plus les laborieux efforts qu’on fait pour .-itteindre le but tonrnent à l’avantage de la science, à la gloire de l’esprit humain. Cette pensée m’a encouragé, \037

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CARNOT.’ 633 \037). 1 Il- à- .1. 1 \037FIS IV IO*E mElUt* \037Messieurs, dérouler à vos yeux, dans tous ses détails et dans son vrai jour, la vie si pleine, si variée si orageuse de Carnot. Depuis bientôt deux siècles, l’Académie des sciences conserve religieusement le souvenir des géomètres, des physiciens, des astronomes, des naturalistes qui l’ont illustrée. Le nom du grand citoyen qui par son génie préserva la France de la domination étrangère, m’a semble devoir être inscrit avec quelque solennité dans ce glorieux Panthéon. \037

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Y-Tnot)t7cTioN,, par M. de lit;3dDOLDT 1 1115rOIIl£ DE ~f.\ n;r :fESSE, 1 Kor)CESB)OCRApniQCEs.i03 AV~~MEMK~ 1C5 FM~Œ !o% Enfance de Fresnel. Son entrée à l’École polytechnique et dans le corps des ponts et chaussées. Sa d~tttution pour avoir été rejoindre l’armée royale à La Palud. 109 premiers Mémoires de Freine). tt8 8 Réfraction. 121 fnterference’<30 Polarisation. 137 Caractères principaux du système de rémission et de celui des ondes. Motifs sur lesquels Fresnel s’était fondé pour rejeter sans réserve le syvtème de t’cmission. i~ Phares. iC7 Vie et caractère de Fresnel. Sa mort. i 78 ALEXA~!)MVOLTA.7 Naissance de Volta; sa jeune·se; ses premit-rs travaux. Bouteille de Leyde. Électrophore perpétuel, Perfectionnements de la machine électrique. Electromètre condensateur. Pistolet électrique. Lampe perpétuelle, Eudiomèlre. · 88 Dilatation de l’air. t 9:) Électricité atmosphérique. 197 \037TABLE \037DU TOME PREMIER. \037r~et. \037

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636 TABLE. \037t’itetoit.tT(jue.2t2 Vie de 1’olta. fonctions qu*il a Son caractrre. –Sam~t.M9 THOMAS YOt~C.2’)t ~ai-ance de loung. S<.)u enfance. – Ses débuts scientifnlucs. 2n:3 Théorie de la vision. 2.’)2 fnterferences.2~~ ég3-ptien. –f)isto!rc de la première interhrétation exacte yui en ait été donnée. 2C5 Travaux divers de l’oung 2i8 Caractère de 1-uung. Sa position comme nié(l(!c 111. sa au ~1’autical .~)<tM<’< Sa niort 2i9 JosEPH t’OCRtER. 2~ Naissance de Fourier. – Sa jeunes--4., 298 Mémoire sur la l’ésolullon des équations iiuin(~i»i(lue~, 301 IIOle de Fouriei, dans notre révolution. Son entrée dans le corps enseignant de l’École uormale et de l’École polJLectiiiique. Expédition d’Ég) jbte 30.i Four!erprefctdct’t-<’te.7 Théorie matbcmatiquc de la chateur. 330 Clialeur centrale du globe t(crre,-ti,e. 0 3’)~ iletour de ~apo)eon de l’ile d’Elle. Fourter préfet du 11.1i~ôtie. Sa nomination à la place de directeur du bureau de la statistique de la Seine. 35y Entrée de Fourier à d~~s sciencev -Son éjection 11 la li!ace de secrétaire pcr~f’tue). – Son admissio) 11 1’.iraglélille française. 36t Caractère de tourter.–Sa mort. 3.):) JAHES lV.vTr. 3if Enfance et jeunesse de Jantes 1\ att. Sa promutiou aux fonctions d’ingénieur de t’Cnhersite de fila-guw. 372 tTincines de la machine tapeur. 383 Histoire de la machiner vapeur dans i’antxjnite. 387 llistcli-c de la iiia(-Iiliie à %-3ri»tii- dans les dei-iiiers 391 \037

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TABLE. 6H \037Machine à vapeur moderne. 4’H Travaux de Watt sur la machine à vapeur. ’jlo Des machines considérées dans leurs rapports avec le bienêtre des classes ouvrières. 431 Tresse- à copier les lettres. Chauffage à la vapeur. Composition de l’eau. Blanchissage à l’aide du chlore. Essais sur les effets physiologiques qui peuvent résulter de la respiration de divers gaz. 4Ô0 Watt dans la retraite. Détails sur sa vie et son caractère. -Sa mort. Les nombreuses statues élevées à sa mémoire. Réflexions, 457 Titres académiques dont Watt fut re\êtu 4’î’j Traduction d’une note historique de LoRD Broigham, sur la découverte de la composition de l’eau. V’> Carnot 5lt t Enfance de Carnot. Son éducation Entrée de Carnot à l’école de MéziiVes comme lieutenant en second du génie 518 Carnot, lieutenant en premier dans le service des places. 520 Première communication entre Carnot et l’Académie des sciences. Aérostats 5îi Éloge de Vauban par Carnot. -Ses discussions avec M. de .Montalembcrt 52’j Kssal sur les machines. – Théorème nouveau sur les pertes de force. 533 Carnot homme politique, l’un des juges de Louis \VI 543 Carnot, membre du comité de salut public 545 Carnot chargé de l’organisation et de la direction de nos armées 557 Carnot sur le champ de bataille de Wattïgnles 563 Comptes rendus des opérations des armées 567 Carnot, nommé par quatorze départements, entre au conseil des Anciens, puis au Directoire exécutif. Envol de Hoche en Vendée, de Moreau et Jourdan sur le Uhin, et de Bonaparte en Italie 508 Publication de l’ouvrage intitulé Réflexions sur la métaphysique du calcul infinitésimal.. • 571 \037

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038 TABLE. \037m DE LA TASI.E DU TOME PREMIEI. \037Carnot, fructi~lori,h, est obligé de prendre la fuite. Il est rayé de la lite de l’Institut, et remplacé par le générât Bonaparte. 580 <8 tt’umaire. Xentréc de Carnot en France. Sa nomination au ministère de la guerre. Sa démission. Son passage au Tribunat. 590 Publication de la CMM~Mc~pMMfOM. 592 Carnot inventeur d’un nouveau système de fortifications 599 Puhlication du trait4i de la défense des places forte’ 608 Ça rt;ot académicien. 609 Ëu*’))f’tn())ts de 1813. Carnot nommé au commaudonent d’Anvers. 610 Coxhtitc de Carnot dans les Cent Jours. 6t6 r) Cat’rotdanst’cxi).–Sa mort. 617 l’ortrait de Carnot. Anecdotes concernant sa vie politique et ~a vie privée. 619 \037